
Je nais des larmes
Harry observa les rouages tourner dans la tête de son collègue pour arriver à la même conclusion que lui.
-Qui irait suspecter un élève de lycée qui cherche des composants pour préparer un devoir de chimie, fit-il. Oui, ça pourrait marcher. Même si laisser un truc qui explose dans les mains d'un gamin me semble une mauvaise idée.
-Mais ça implique plusieurs questions, ajouta Andersen. Comment un gamin de son âge peut avoir plus de connaissances qu'un prof de chimie et comment aurait-il pu glisser une bombe dans le Ministère d'un autre pays.
-C'est pas comme si l'Angleterre et le Japon étaient proches.
-Ça ne va pas, marmonna Harry qui se massait les tempes. Quelque chose ne colle pas.
-Attendez, songea Summers à voix haute, on le soupçonne seulement parce qu'il a des connaissances en chimie ? C'est un peu faible. On ne sait même pas s'il a mit les pieds en Angleterre ces derniers mois. Jusqu'à preuve du contraire il est moldu.
-Encore.
Harry ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable en soupçonnant un adolescent. Mais leur piste précédente, déjà maigre, était définitivement partie en fumée et il était prêt à sauter sur la prochaine comme Luna sur un nargole.
-Kaito, j'ai déjà entendu ce nom, grogna Andersen en grattant nerveusement son bracelet. Je sais que je l'ai entendu. Y a pas longtemps.
L'information échappait aussi à Harry, qui se sentait de plus en plus frustré.
-Nakamori, murmura Summers, le nez collé sur son carnet ouvert. L'ami de sa fille. Elle est venue lui apporter un repas le soir du vol de Kid.
Harry papillonna des yeux. Il s'en souvenait maintenant. Le regard du gamin était d'un bleu violacé qui mettait l'auror mal à l'aise et il l'avait casé dans la catégorie « témoin potentiellement gênant ».
-Un gamin lié à la police, très doué en chimie, ami de la fille d'un inspecteur qui a sans doute eu son lot de voyages à travers le monde, résuma Summers. Okay, c'est maigre, mais c'est quelque chose.
-Il nous faut plus d'info, conclu Andersen.
Il trouvèrent l'inspecteur dans son bureau, en train de fumer la pipe et de ronchonner sur Kid, comme à son habitude.
-Qu'est-ce que vous voulez à Kaito ?!
Harry commençait à comprendre le caractère de Nakamori. Une question d'Andersen mentionnant l'adolescent avait transformé l'inspecteur en papa ours.
-Rien du tout, rétro-pédala Andersen. Le frère de mon cousin du côté de ma belle-mère m'a parlé de lui dans une lettre, et je trouvais ça curieux que vous le connaissiez si bien.
Nakamori souffla comme un buffle.
-Il vient manger avec nous tous les soirs en période scolaire. Ça n'explique pas ce que vous lui voulez.
Il n'était pas satisfait. Harry et Summers, sagement rangés dans un coin à faire mine d'être occupés, observèrent avec une inquiétude amusée leur collègue gérer un papa ours méfiant.
-Il ne m'a jamais parlé de vous, ajouta l'inspecteur. Et il me dit tout.
-Oh, vous savez, ricana nerveusement Andersen, les ado aiment leur jardin secret...
-Est-ce que tu prétends que Kaito me ment ?!
-Oh non, jamais de la vie ! Le cousin de mon frère se demandait juste si Kaito voudrait un jour rencontrer sa famille éloignée, en Angleterre.
-Sa famille éloignée... ?
Étrangement, alors que l'excuse était plus que bancale, elle sembla fonctionner sur l'inspecteur. Il eu une expression pensive, puis un éclat que Harry n'arrivait pas à reconnaître passa dans son regard.
-Ah. Bien sûr, j'aurai dû y penser.
Il se redressa.
-J'en parlerai à Kaito. Son père aurait voulu qu'il connaisse sa famille, j'en suis sûr. Bon, vous avez d'autres questions ?
L'interrogatoire non officiel de l'inspecteur ne leur apprit rien pour leur enquête. En se glissant dans le bureau après la fermeture, Summers parvint à confirmer ses dires : Kaito n'avait jamais mit les pieds en Angleterre et le dernier voyage de l'inspecteur datait de plus de deux mois. Tout ce qu'ils avaient apprit, c'était que quelque chose était arrivé dans la famille de l'adolescent et que Nakamori était depuis très protecteur envers lui.
Consciencieusement, Harry ignora la pointe douloureuse dans son cœur, celle qui n'était jamais partie.
Alors que Summers venait de quitter le bureau vide pour rejoindre ses collègues, une forme svelte tomba sans bruit du plafond. Recouverte d'un manteau noir qui couvrait également son visage, la personne pianota rapidement sur l'un des ordinateurs, craquant le code d'entrée avec facilité, et entreprit une recherche. Elle avait choisit une machine au fond de la salle, si bien que la lumière de l'écran n'était pas visible depuis l'extérieur. Sur l'ordinateur, plusieurs portraits de policiers défilèrent, puis des cases vides frappées d'un point d'interrogation. Puis apparurent, une à une, des empruntes digitales, dûment légendées de quelques informations. De ses doigts gantés, l'encapuchonné cliqua sur la zone de recherche interne et entra plusieurs noms. La page afficha du blanc.
La personne mystérieuse pencha la tête et réfléchit un moment. Enfin, elle effaça sa recherche, éteignit l'ordinateur et disparu comme elle était venue. La nuit continua son chemin, témoin silencieuse de ce qui venait d'arriver, et de ce qui allait se passer.
Le manoir était plongé dans le silence. La forêt qui l'entourait empêchait les rayons de la lune de l'atteindre et l'imposant bâtiment semblait enfoncé dans les ténèbres, comme un trou noir au milieu de la réalité. Une chouette hulula, perchée sur un rebord de fenêtre et en réponse, une brise froide fit bruire le feuillage des arbres.
Au premier étage, Harry s'agitait dans son lit. Le front plissé sous une légère couche de transpiration, il rêvait.
Il avait mal.
Il étouffait.
Quelque chose l'écrasait.
-Harry !
C'était la voix de Ginny.
-Harry, aide-moi !
Elle tombait, elle tombait de son balais comme au ralentit. Le sol se rapprochait d'elle, et lui n'arrivait pas à bouger.
-Harry, au secours !!
Il voulait l'aider, il voulait mais n'y arrivait pas.
-Harry, pourquoi tu ne m'aides pas ?!
Ginny -
Elle s'écroula au sol, chaque mouvement imprimé dans sa rétine, tandis que son balais disparaissait dans la brume noire qui les entourait.
-Harry !
Ron apparut.
-Harry, George est malade, dit Ron d'une voix plus faible qu'il ne l'avait jamais entendue. Et moi aussi.
-Harry, moi aussi j'ai mal, apparut Hermione, pâle comme un linge. Pourquoi tu ne fais rien ?
Harry, toujours écrasé, incapable de bouger, vit apparaître un à un tous ceux pour qui il avait choisit ce métier, et qui maintenant le blâmaient. Molly, le visage blanc, qui l'accusait du sort de ses enfants. George, les joues creuses, qui répétait en boucle vouloir retrouver son frère. Luna, l'éclat de ses cheveux terni, qui regardait dans le vide. Dumbledore, une trace écarlate en forme d'étoile sur la poitrine, qui caressait un Fumseck cadavérique. Des dizaines de personnes sortirent de la brume pour l'accuser. Puis la chose qui l'écrasait bougea et il parvint a tourner les yeux pour la regarder. Il souhaita ne jamais l'avoir fait.
Une créature rougeâtre, des bois de cerfs sur la tête et des crocs d'ours dans sa gueule ouverte, se trouvait à trois centimètres de sa gorge. Ses yeux étaient blancs, sans pupilles, ses bras longs et décharnés. Son haleine empestait et hantait l'odorat du sorcier, incapable de se reculer tant la créature était lourde, installée sur son ventre. La chose ouvrit la gueule, bien plus grand qu'elle n'aurait dû pouvoir le faire, et dévoila plusieurs rangées de crocs acérés. Le sang qui en gouttait tomba sur la poitrine et le visage de Harry qui le ressentit comme des brûlures d'acide. De la gueule démesurée de la créature, si grande qu'elle lui dévorait le visage, sortit une brume noire lourde et opaque, qui remplit les sens de Harry. Il n'arrivait plus à respirer, son cœur s'emballait, il ne voulait pas mourir-
Harry écarquilla les yeux et la créature disparut. Il était dans son lit, les yeux fixés sur le plafond, à chercher avec frénésie les rainures du bois qu'il dessinait machinalement du regard le soir, avant de s'endormir. Les draps étaient complètement emmêlés autour de lui et pendant un instant, il cru être resté en plein cauchemar. Il parvint fébrilement à se dégager des draps, et enfin, réalisa où il était. La chambre n'avait pas bougé, les meubles étaient toujours à la même place, les rideaux de la fenêtre étaient tirés. Il savait que la table de nuit était ornée de serpents et, dans un réflexe qu'il n'aurait pas eu en temps normal, il chercha le contact familier des écailles sculptées. Il était encore envahit par le cauchemar, les gestes maladroits, le pyjama de travers, son esprit focalisé sur le besoin de fuir cette chose aux bois de cerfs et aux crocs d'ours. Sa peau réagissait à l'air froid qui l'entourait et l'adrénaline le faisait sursauter au moindre mouvement des draps.
Lentement, il reprit contact avec la réalité. Il cessa de trembler, parvint à cligner des yeux, et le cauchemar reflua, à la frontière de son esprit. La peur restait là, prégnante, mais elle était plus gérable maintenant qu'il se savait réveillé.
Après quelques minutes de repos, Harry se sentit à peu près stable. Une petite lumière attira son regard : sur la table de nuit, son miroir de poche clignotait. Il l'attrapa mais trop tard : l'objet venait de s'éteindre. Quelqu'un l'avait appelé en pleine nuit et il ne savait pas qui.
De l'autre côté de la ville, une paire d'yeux bleus s'éveilla en sursaut après le même cauchemar.
Ses jambes tremblaient et il dût attendre de se réhabituer au contact avec le sol avant de se mettre debout. Harry savait qu'il ne pourrait pas se rendormir : l'adrénaline était encore trop présente. La terreur latente faisait frémir ses bras, invoquant malgré lui les souvenirs du basilic et de Voldemort, quand il était adolescent, seul, dépaysé et en danger. Il n'eut pas le courage de réfléchir à qui avait voulu l’appeler en pleine nuit. Il ne se sentait pas capable de recevoir une mauvaise nouvelle dans cet état. Il quitta la chambre, pas à pas, serrant dans sa main sa baguette, et de dirigea vers le hall qui menait vers les chambres de ses collègues. En plaquant son oreille contre la porte d'Andersen, il entendit l'auror marmotter dans son sommeil. Quelques minutes, il resta ainsi, le dos voûté, à écouter. Il savait bien que le manoir était sécurisé et à chaque pas qu'il faisait, la terreur refluait, remplacée par une légère honte de s'être laissé emporter ainsi. Quand il atteint la porte de son autre collègue, il se sentait à peu près stable. Dans son lit, Summers ronflait comme un bienheureux, complètement sourd à la détresse de l'auror.
Quand Harry atteint la porte de Koizumi, il fut accueillit par du silence. Même en collant son oreille contre le bois, il n'entendit rien. Ça ne voulait rien dire, il le savait, mais quelque chose se serra malgré tout dans ses entrailles. Koizumi savait se défendre, il n'avait pas à s'inquiéter pour elle, mais... mais...
Un petit tour dans le manoir ne coûtait rien, n'est-ce pas ? Ainsi, il pourrait s'aérer l'esprit. Et si jamais il tombait sur son hôtesse, il saurait qu'elle allait bien et pourrait retourner au lit rassuré.
Sa décision prise, il entreprit de descendre au rez-de-chaussée. Les marches de l'escalier étaient silencieuses, le bois huilé et entretenu à la perfection. Dans la nuit noire, seulement guidé par le garde-fou et la pierre, il avait l'impression de marcher dans le vide. Machinalement, il cherchait dans les défauts du mortier une paire d'yeux blancs sans pupilles et des crocs ensanglantés, avant de secouer la tête : ce n'était qu'un bête cauchemar.
L'escalier le mena dans l'entrée et il prit la première porte qu'il trouva. Derrière se trouvait un autre couloir, seulement illuminé par des torches en forme de serpents. Le sol, en pierre, était moins bien entretenu que l'escalier et les dalles du milieu se trouvaient érodées par des passages fréquents. Harry était à peu près sur que Koizumi ne leur avait jamais parlé de ce couloir. Peut-être était-ce là qu'elle disparaissait, depuis leur arrivée. Ses pas se dirigèrent vers le fond du couloir, où se trouvait une porte. Sous cette porte, une lueur bleutée se dégageait et la voix assourdie de Koizumi se faisait entendre. Elle semblait discuter avec quelqu'un. Cédant à la curiosité – il était auror, c'était son rôle de se mêler des affaires d'autrui - Harry se rapprocha et entrouvrit légèrement la porte. Dans l’entrebâillement, il découvrit Akako, vêtue de son long manteau noir et reconnaissable à ses cheveux aux éclats carmins, debout face à une grande urne d'où s'échappait la lueur bleue.
Dans cette urne, un miroir, et dans ce miroir, un portrait de Kaito Kid en translucide, mêlant ses traits avec ceux d'un adolescent qui faisait résonner sa mémoire. Le miroir était tenu entre les pattes d'une gigantesque créature bleutée. Akako se retourna, surprise, et le foudroya du regard mais Harry n'avait d'yeux que pour la vision. Il avait déjà vu cet adolescent.
Oh.
Oups.