
L'heure fatidique
Les trois aurors avaient passé la nuit au QG de Nakamori. Étrangement, Harry s'y sentait presque à l'aise. L'endroit lui rappelait le Ministère, avec son odeur entêtante de café et le bruissement des dossiers que l'on ouvrait et fermait. Les grandes baies vitrées avaient été fermées pour éviter d'attirer les insectes et le caractère bouillonnant de l'inspecteur s'était calmé au fur et à mesure que la nuit s'avançait. Harry aimait ses moments de convivialité avec ses collègues en Angleterre. La nuit avait toujours eu cet effet apaisant sur lui – peut-être un reste de la presque paix qu'il ressentait dans son placard, étant enfant, lorsqu'il était loin du regard désapprobateur de son oncle et de sa tante. La lune s'était montrée, presque invisible derrière l'éclairage artificiel du QG, puis avait lentement cédé sa place au soleil. Harry avait surprit Summers et quelques policiers en train de piquer du nez sur leurs dossiers aux petites heures du jour. Quand le soleil avait finit de se lever, le calme d'une nuit passée à réfléchir sur la note avait progressivement laissé place à l'agitation du jour. Vers six heures, Harry prit le temps de s'étirer et attrapa un autre café. Il relut pour la millième fois l'étrange poème laissé par Kid. Ils avaient décrypté la majorité de la notice et savaient désormais quel bijou allait être volé et comment.
Quand les deux mains noires se joindront sous la lune
Je viendrai voler l'âme de la reine
Cachée dans les ténèbres mouvantes.
Kaitô Kid
« L’âme de la reine » semblait faire référence à un lourd collier d'or massif, réputé capable de guérir n'importe quelle maladie, portant en son centre la plus grosse onyx que Harry ait jamais vu. L'onyx n'étant pas une pierre très rare, la valeur marchande ahurissante du bijou n'était pas tant dans son prix que dans son histoire et sa taille. La pierre avait prétendument été portée par Cléopâtre le jour de son suicide. Elle était passée de main en main jusqu'à atterrir dans celles de son propriétaire actuel - un certain Suzuki – et le nombre de personnes ayant « miraculeusement » guérit de maladie en portant la pierre semblait étrangement élevé.
Harry faillit renverser son café quand la voix tonitruante de Nakamori jaillit tout près de ses oreilles :
-JE SAIS !! J'AI TROUVE !!!
Sagement, Harry recula pour laisser à l'inspecteur la place de s'agiter et essaya tant bien que mal de calmer son cœur battant. Autant l'ambiance du travail de nuit était l'une des rares choses qu'il aimait dans le travail de bureau, autant il détestait qu'on lui crie dans les oreilles.
Les hommes de la brigade firent cercle autour de l'inspecteur et de l'écran.
-« Les deux mains noires » sont les branches d'une horloge !! rugit Nakamori.
Harry cligna des yeux et regarda la pendule au mur. Symboliquement, les deux aiguilles pouvaient en effet représenter deux mains.
-Deux mains qui se joignent, réfléchit-il, comme deux aiguilles qui n'en font qu'une ?
-C'est vrai, fit Andersen en le rejoignant. Mais à quelle heure ?
Summers ne réagit pas, trop occupé à lutter contre la somnolence avec les quelques policiers qui tenaient mal la nuit blanche.
-Est-ce que Suzuki a répondu ? demanda Nakamori à l'un de ses hommes.
-Oui, grogna le jeune homme chargé de l’appeler. Il refuse de changer ses plans. Il dit que Kid ne pourra pas attaquer un fourgon blindé en plein milieu de l'autoroute.
-On va doubler la garde, décida l'inspecteur. Quatre motos au lieu de deux et deux binômes à l'intérieur. Kid arrivera sans doute depuis le ciel, c'est le plus facile pour lui !
-D'accord, tempéra Harry, mais on ne sait pas à quelle heure il va venir !
-Ce qu'on sait, ajouta Andersen, c'est que ce sera une heure où les deux aiguilles de l'horloge se rejoignent sous la lune... mais quand ?
Les trois hommes réfléchirent, Nakamori grognant et marmottant dans sa barbe. Le reste de la brigade commençait à s'agiter, le soleil chassant les dernières fatigues de la nuit. Ses rayons commencèrent doucement à taper sur les vitres et Harry sentit un frisson quand la chaleur glissa sur ses bras.
-Et... la lune ? murmura une petite voix à coté d'eux.
Les trois hommes sursautèrent et se retournèrent d'un bloc. Un jeune homme, sans doute un stagiaire, recula, intimidé. La moustache de l'inspecteur frémit. Il était furieux d'avoir été surprit en pleine réflexion. Le garçon recula à nouveau d'un pas et s'adressa à Harry :
-La lune, elle n’apparaît pas toutes les nuits. Peut-être que Kid a voulu parler d'une phase précise ?
Pendant trois secondes, il ne se passa rien. Puis Nakamori explosa :
-Idiot ! Comme si la lune avait quelque chose à voir avec... Kaitô... Kid...
Il se tut, la bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau, et se mit à fixer le mur. Le garçon avait détalé, marmonnant quelque chose à propos d'une tournée de café. Harry échangea un regard avec Andersen. Il espérait que Nakamori sortirait vite de sa transe pour lui expliquer ce que venait faire la lune dans cette histoire.
Visiblement, Nakamori avait oublié que les trois aurors ne faisaient pas partie de sa brigade... et qu'ils n'avaient jamais vu Kid. En observant une photographie du voleur, prise sur le vif depuis un hélicoptère, Harry comprenait mieux le thème de la lune. Vêtu de blanc et d'un sourire enjôleur, le visage masqué par l'angle de la photo et les mains dans les poches, Kid évoquait parfaitement un être venu d'ailleurs, posé là par la lune le temps d'une nuit. Un caprice sous forme humaine de l'astre lunaire, qui s'amusait à faire enrager l'inspecteur et rendait ses vols à chaque fois. Harry s'attendait presque à voir la photo bouger.
L'intervention du petit stagiaire – qui d'ailleurs n'était plus réapparu – leur avait permit de déterminer l'heure du vol.
-Kid attaquera à minuit le fourgon de Suzuki sur l'autoroute A320,sous la pleine lune, résuma Nakamori. Que tous les hommes en charge du vol aillent se reposer. Nous nous retrouvons à vingt-trois heures au péage.
De retour chez Akako, les trois aurors lui transmirent l'heure et le lieu du vol. Sans rien dire, la jeune femme partie s'enfermer dans son sous-sol et laissa les trois aurors seuls. Summers, qui n'avait pas vraiment réussit à émerger, décida d'aller faire la sieste. Andersen et Harry, quand à eux, s'installèrent dans le salon. Plus à l'aise que son collègue, Andersen demanda à tête-de-crapeau du thé pour l'éloigner et les deux hommes mirent en commun leurs connaissances.
-Ma mère m'a parlé de Kid, une fois, révéla Andersen.
-Quoi, comme un sorcier ou un moldu ? grogna Harry.
La fatigue qui pesait sur ses os et la mission qui l'attendait le soir même le rendaient ronchon. Il n'avait jamais assisté à un cambriolage et n'avait aucune idée de comment réagir sans dévoiler sa nature de sorcier. Andersen ne réagit pas, les sourcils froncés de concentration.
-Ni l'un ni l'autre... Sa cousine est née-moldue. Il paraît que sa sœur a rencontré Kid à ses débuts d'actrice, il y a quelques mois. Il lui aurait montré un tour de magie en plein spectacle, devant des centaines de personnes.
-Quoi comme magie ?
Andersen se massa les tempes, fixant la table du salon sans la voir.
-Une histoire de citrouille... Je ne sais plus, j'ai pas vraiment écouté.
-Si Kid est un sorcier, ça ne va pas nous aider. Et pourquoi il rend ses vols à chaque fois ?
-On ne sait pas. Selon Nakamori, c'est plus un genre de magicien moldu. Pas de baguette, mais des tours de passe-passe.
-Mouais... C'est pas crédible.
Ils étaient face à un mystère ambulant. Déprimé, Harry se pencha en arrière sur le fauteuil et se frotta les yeux. Il ne vit pas le regard calculateur de son collègue, qui finit par ajouter :
-T'as des nouvelles de Londres ?
-Nan. Hedwige n'est pas revenu.
Pendant quelques minutes, seul le tic-tac de l'horloge se fit entendre. Harry fixait sans la voir une peinture au mur, la tête renversée en arrière, la fatigue de la nuit blanche pesant sur ses os. Le menton sur le poing, Andersen observa son collègue, puis sembla prendre sa décision.
-Debout, Potter, on va s’entraîner.
Un œil morne et un silence morose lui répondirent.
-Je suis sérieux.
-Pas besoin, Kid n'est pas un sorcier, grogna Harry. Et de toutes façons la magie disparaît. C'est trop tard pour s'entraîner.
-Comment tu vas faire ce soir, alors ?
-Façon moldue, Kid n'est pas un sorcier, tu m'a pas écouté ? On y va à trois, plus la brigade, et on lui tape dessus.
-Après la façon dont tu a géré Voldy, je croyais que tu aurais d'autres idées.
Harry tiqua au surnom familier, mais décida de laisser couler. Il était trop fatigué pour se disputer.
-On ne sait rien de Kid, reprit Andersen, impitoyable. On ne sait pas qui il est, pourquoi il vole puisqu'il rend ses vols à chaque fois, on ne sait même pas s'il est vraiment un moldu. Dans le cas où c'est un sorcier, nous devons être préparés.
-Il ne s'attendra pas à ce qu'on lui tape dessus.
-En effet... Summers s'est renseigné sur la loi moldue. Potter, on ne peutpas taper sur Kid tant qu'il ne menace pas l'intégrité d'innocents.
-Eh bien, on lui lancera un stupefix quand les autres regarderont pas.
-Trop risqué, contra son collègue, même sans le siphonnage. Tu as oublié la loi du secret ? Que Kid soit un sorcier ou pas, on ne peut pas risquer de dévoiler notre nature. Granger a déjà trop de travail.
La voix de Harry claqua dans le silence feutré de la pièce.
-Et qu'est-ce que tu proposes, alors ? Avec la magie dans cet état ?
Dans sa position, Harry ne vit pas son collègue sortir sa baguette. Mais il reconnu le mouvement qui était resté brûlé dans ses rétines et dans son bras depuis sa sixième année.
-Sectumsempra !