
L'accord
En Angleterre, les choses s'aggravaient. Les trois aurors n'avaient pas eu le temps de s'apitoyer sur leur piste que le miroir de Harry avait chauffé, signalant un appel de son amie. Harry lui avait de suite demandé si elle connaissait leur contact.
-Oui, j'ai du oublier de le mentionner, répondit Hermione d'un ton distrait, avant d'expliquer la raison de son appel. Plus important, c'est la galère ici. Tous le monde sait que la magie disparaît, l'équipe de Ginny est clouée au sol jusqu'à nouvel ordre. Un élève de Poudlard est tombé malade. On l'a transféré à Saint-Mangouste !
La légère note de panique dans sa voix, reconnaissable grâce à des années d'amitié, fit réapparaître le poids si familier à l'estomac de Harry.
-C'est grave ?!
-Pas pour l'instant, c'est passé pour un nouveau produit de boite à Flemme.
-Ce n'est pas forcément lié...
-Ce n'est que le début, je n'ai jamais vu les produits de George provoquer un coma ! Dis-moi que tu as une piste fiable ?
-On a... discuté avec le contact de notre suspect. Dis-moi, reprit-il avant qu'elle ne puisse l'interroger sur lui, est-ce qu'un sort de gel pourrait empêcher le sodium d'entrer en contact avec l'eau ?
-Et empêcher l'explosion ? Oui, tout à fait, ça permettrait au coupable de filer et de se construire un alibi. Mais ça impliquerait que le sort se dissipe au bout d'un moment.
-Et donc de rester à proximité, pour l'annuler.
Harry grogna.
-Dis-moi que tu as une piste, reprit Hermione, la voix rauque. Je reçois tellement de lettres tous les jours que j'en viens à détester écrire.
Ah. La situation était grave, en effet.
Harry cherchait un moyen de rassurer Hermione quand son miroir vibra, signalant un appel en attente. L'image d'Hermione tressauta et frémit, avant de se stabiliser. Une minuscule photo apparu sur la glace et le cœur de Harry bondit. Il reconnaîtrait ces cheveux roux entre mille.
-Désolé Hermy, je te laisse, j'ai quelqu'un en urgence...
-Harry, n'ose même pas me raccrocher au n-
Harry coupa la communication et ignora la pointe de culpabilité dans son ventre.
-Ginny ?
-Harry, comment tu vas ?
-On fait aller... et toi ?
-Je peux plus voler depuis des heures et ça me porte sur le système, mais au moins il n'y a pas de blessée dans l'équipe. Minnie a fermé le placard à balais à clé depuis l'article.
-J'imagine que même la presse à scandale a des bons côtés ?
-Tu parles ! Si on vole pas, on n'est pas payées. Et comme les copines savent qu'on est en couple, tout le monde me demande quand tu vas régler la situation.
La boule au ventre, le retour.
-Au fait, comme j'ai plus de travail je suis passée chez nous. Tu as une bonne centaine de lettres qui t'attendent. J'ai dis à Kreattur de brûler toutes celles qui ne venaient pas de la famille ou du bureau.
-Merci Gin' ! Tu sais pas à quel point ça me soulage.
-Mouais, grogna Ginny qui avait l'air de mauvaise humeur. Je me demande si j'ai bien fais. Tu ne m'a rien dis sur ton voyage au Japon. Je pensais te retrouver à la maison...
Harry réalisa un peu tard qu'en effet, il n'avait prévenu personne. Même pas Hermione, qui avait dû apprendre son départ grâce à son correspondant japonais.
-Je suis désolé, Ginny...
Elle soupira derrière son miroir.
-Je suppose qu'on peut rien y faire. Juste... Reviens-moi en un seul morceau, d'accord ? Avec ou sans magie.
-Je serai prudent.
-Harry, est-ce que tu as déjà été prudent dans ta vie ?
Touché.
La conversation continua sans qu'aucun d'eux n'ait envie de raccrocher. Finalement, ce fut Summers qui les interrompit. Son carnet à la main, il avait recensé toutes les boutiques de la ville qui vendaient du sodium. La liste, longue d'une quinzaine de noms inconnus, rebuta Harry immédiatement.
-Summers, dis-moi que ta liste est finie.
L'autre auror, mal à l'aise dans sa veste en jean et son pantalon grisâtre, soupira en fixant le papier.
-Oui, mais les noms ne sont pas forcément justes. J'ai lancé un sort de traduction sur les kanji, comme je ne parle pas le japonais.
Ils prirent le temps de vérifier à la bibliothèque. Andersen, très heureux de se retrouver dans un endroit remplit de livres, fut beaucoup plus efficace que ses deux collègues. En une demi-heure, il avait déniché un dictionnaire – une chose énorme dont la seule vision donnait la migraine à Harry – et confirmé la liste.
-Parfait. On fonce !
Il quittèrent la fraîcheur de la bibliothèque et son silence presque religieux et se dirigèrent vers la première boutique de leur liste.
Le soir venu, Summers s'écroula sur une table du café où ils s'étaient donnés rendez-vous, les mains serrées sur son petit carnet un peu plus remplit qu'au matin.
-Rien ! Toujours rien ! Personne du nom de Sakamoto ! J'en ai marre !!
Son éclat attira le regard de quelques clients attablés. Le café venait de s'ouvrir pour son service du soir et les bruits de cuisine se faisaient lentement plus forts. De sa place en terrasse, Harry regarda d'un œil las le tapis roulant à l’intérieur du café qui se remplissait lentement. Une jeune serveuse vêtue d'un tablier immaculé vint leur proposer la carte. En voyant qu'ils ne parlaient pas japonais, elle prit le temps de leur traduire le nom des plats ainsi que leurs prix. Elle était bilingue mais son accent lui faisait siffler les consonnes et la migraine de Harry ne faiblissait pas. Après avoir commandé et laissé à Summers - leur trésorier en chef - le soin de régler, ils mirent en commun leurs découvertes.
Ou plutôt, leur absence de découverte.
-Aucun Sakamoto n'a mit les pieds dans ces boutiques, résuma Andersen. C'est pas un fantôme quand même.
-Peut-être qu'on a mal traduit les noms ? proposa Harry.
-Je suis certain de mon sort, je l'ai vérifié trois fois, répliqua vertement Summers.
Un appel de son miroir dispensa Harry de répondre.
-George ?
-Harry, je veux pas te mettre la pression mais il faudrait accélérer ton enquête. Depuis que cette affaire a fuité, les ventes de fumigènes ont chuté ! Elles forment cinquante pour cent de nos revenus !
La fatigue d'une journée d'efforts vains avait brûlé la patience de Harry par les deux bouts.
-Désolé George, je suis vraiment occupé. A plus.
-Harry, attend -
Il raccrocha. Durant la brève conversation, Summers avait rouvert son carnet et examinait sa liste, le nez quasiment collé au papier.
-On a bien fait les quinze noms ?
-Ouais...
-On est surs du sort ?
-Ouais...
-Et « Sakamoto », il s'écrit bien comme ça ?
-Ouais... Attends, quoi ?
Summers se massa les tempes. Sa voix était lointaine, ses yeux fixés sur la page de son carnet comme s'il cherchait un sens caché à leur liste.
-Certains mots japonais peuvent s'écrire de manière différentes, expliqua-t-il. Ma copine me l'a dit.
Les deux autres le regardèrent bouche bée.
-Si tu me dis qu'il faut recommencer la liste, gronda Andersen, je t'assomme.
Tandis que les deux aurors se disputaient, renvoyant la responsabilité l'un sur l'autre, les rouages dans la tête de Harry se mirent lentement à tourner. Des années à côtoyer Hermione l'avait formaté à penser hors des sentiers battus. Une petite voix dans sa tête, écho de son amie, lui disait qu'il oubliait quelque chose, un détail déterminant...
-Les kanji, marmonna-t-il. On n'a pas pensé aux kanji.
Les deux autres le regardèrent. Harry essaya de s'expliquer, la migraine vrillant ses tempes.
-Les noms anglais ne sont pas comme les noms japonais. Les noms japonais... Ont une particularité...
-Oui, ils sont écrits différemment, grogna Andersen sans comprendre.
Summers, quand à lui, avait rouvert son carnet et le serrait à en faire blanchir ses jointures.
-Différemment, répéta-t-il. Différents, les kanji. Parce que... parce que...
Fébrilement, il sortit son miroir de sa poche et déserta vers l'intérieur du café. Sous le choc, sa chaise vacilla et Andersen la rattrapa in extremis. Le départ précipité du jeune auror avait attiré les regards désapprobateurs de certains clients et Harry espéra que ça en valait le coup. Harry et Andersen le virent discuter à grands gestes avec une des serveuses, qui lui indiqua une direction du doigt et se recula quand il y alla, l'air inquiet. Il revint quelques minutes après, empocha son miroir et ressortit son carnet.
-J'ai appelé Sarah. Tous les noms japonais peuvent s'écrire différemment selon qu'on utilise les kanji, les hiragana ou les katakana. Et inversement. Regardez, expliqua-t-il en pointant un des noms de la liste. Ce mot signifie « Kaori » en hiragana...
Harry perdit rapidement le fil. Il n'était pas préparé pour une leçon improvisée de langue, mais Summers ne pouvait plus être arrêté. Il semblait avoir retrouvé son énergie, comme si leur journée à courir de boutique en boutique sous le soleil du Japon n'avait jamais existé.
-Donc, « Sakamoto » a en effet deux écritures différentes ! Laissez-moi juste traduire...
-Attends, attends, l'arrêta Andersen, Sakamoto c'est le nom du gars qu'on cherche, pas une boutique !
Au bout de cinq minutes, il posa son crayon et leur montra son carnet. Il y avait rayé un des noms, souligné chaque syllabe d'un autre et dessiné d'autres symboles en dessous du deuxième.
-Regardez : cette boutique est en fait deux boutiques. On s'est trompés sur le nom. Il n'y a pas quinze, mais seize endroits qui vendent du sodium. On a encore une chance !
Ils avaient décidé de rentrer chez leur hôtesse et de visiter la dernière boutique le lendemain. Summers avait fait la conversation à lui tout seul, discutant avec Koizumi, tout heureux de sa découverte et persuadé qu'ils touchaient au but. La jeune femme semblait intéressée et l'écoutait sans l'interrompre, un doux sourire aux lèvres. Cette soirée-là, Harry n'eut aucun mal à rêver de Ginny, comme si les charmes de la belle Koizumi ne l'affectaient plus. Tout à sa joie, Summers ne réfléchit pas quand la jeune femme lui demanda de venir changer l'ampoule de sa lampe de chevet après le repas. Les quatre se couchèrent tôt.
Le lendemain, quand Harry sortit du lit, Andersen était déjà dans la salle à manger, sirotant un thé. Le majordome l'observait dans un coin, un plateau à la main. Sans un mot, il se dirigea à pas feutrés vers la cuisine quand il vit Harry arriver. Puis, se fut le tour de Summers, qui sortit de la chambre de leur hôtesse avec un air perdu. Quand il s'assit sur l'un des fauteuils du salon, Andersen lui jeta un coup d’œil goguenard.
-Alors ?
-... Alors quoi ?
Sa voix était lointaine, comme perdue dans un brouillard.
-C'était sympa avec Koizumi ?
-Hein ?
Il avait vraiment l'air de ne pas comprendre. Ça ne fit que renforcer le sourire moqueur de son collègue.
-Tu sors de sa chambre, joli-cœur. Vous vous êtes bien amusés ? Elle était comment ?
Summers papillonna des yeux, fixa la porte de Koizumi, et fronça les sourcils.
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Connexion réussie.
-Qu-OI ? Mais non mais pas du tout qu'est-ce que tu vas imaginer ?!
-Tu as passé la nuit avec elle !
-Mais-mais-mais... Je... j'ai...
Il se tut et fixa la tasse d'Andersen sans la voir.
-... J'étais où cette nuit ?
L'autre le regarda comme s'il lui avait poussé une deuxième tête.
-Tu as passé la nuit avec elle, répéta-t-il, tu t'en souviens pas ?
Summers le regarda, sans comprendre.
-Qu'est-ce que tu racontes ? ? J'ai une copine et toutes les potions d'amour ne pourraient pas me la faire oublier...
-Sauf que tu sors de sa chambre.
Summers regarda à nouveau la porte incriminée. Koizumi n'avait pas l'air de vouloir sortir. L'auror commença lentement :
-Je me souviens être entré dans sa chambre... pour une histoire d'ampoule. Mais je suis sûr de ne pas l'avoir touchée.
Soudain, il remonta sa manche d'un coup sec. Sur son biceps, un tatouage en forme de cœur stylisé entourait son bras, comme une marque tribale.
-C'est la preuve, dit-il. Une marque de fidélité trouvée par Sarah dans un livre de magie hawaïen. Si je l'avais trompée, elle aurait disparu.
Les deux autres fixèrent le tatouage, alternant avec la porte de bois rouge.
-...Mais alors, qu'est-ce que tu as fais ?
Koizumi ne sortait toujours pas.
Aucun des trois n'avait envie d'ouvrir la porte.
Le mystère de la chambre rouge devrait attendre. Ce jour-là, leur priorité s’appelait Sakamoto.
La seizième boutique était plus petite que les autres. C'était un grossiste situé au coin d'une rue peu passante, muni d'une devanture modeste présentant des bocaux de tailles différentes et remplis de poudres colorées. Peinte en vert pastel, la vitrine était surplombée d'un nom en grosses lettres et du numéro de la rue. Harry supposa qu'une de ces poudres était du sodium et se demanda, pour la millième fois depuis le début de l'enquête, comment une si petite chose avait put causer autant de dégâts.
Quand ils entrèrent, une clochette sonna, signalant leur arrivée. En réponse, la voix d'un homme lança une exclamation que leur sort traduit – avec un peu de retard – comme un accueil. Alors que le propriétaire s'avançait, Harry observa autour de lui. Le magasin était petit mais bien agencé. Des étagères remplies de bocaux et de paquets de toutes les couleurs longeaient les murs. De gros bidons bleu vif, dûment étiquetés, étaient rassemblés dans un coin. La vaisselle, les ustensiles de cuisine, la papeterie et la droguerie se partageaient l'espace comme un chaos organisé. Un lourd bureau de bois noir muni d'un ordinateur en veille attendait les clients. L'espace alloué pour se déplacer était si étroit qu'on ne pouvait marcher qu'à la queue-leu-leu.
Le vendeur leur posa une question en japonais et le sort de traduction mit quelques secondes à réagir. Le cœur battant, Harry espéra que la magie ne les lâcherait pas au milieu de la conversation. Au bout d'une demi-heure de conversation difficile, les trois aurors ressortirent de la boutique, l'adresse de Stanley Sakamoto enfin notée dans le précieux carnet de Summers.
Obtenir l'adresse fut difficile, trouver la maison de leur suspect fut facile, en ressortir fut déprimant. L'homme, qui n'avait même pas reconnu Harry, avait simplement utilisé le sodium contenu dans les Fuseboum pour faire une expérience avec ses enfants. Les trois aurors s'étaient présentés comme membres de la police locale. Harry avait eu des sueurs froides quand leur non-suspect s'était révélé ami d'un de leur supposés collègues - un certain Nakamori – et leur avait posé des questions sur lui. Ils n'avaient du la survie de leur secret qu'à Andersen et son talent pour la comédie. Une fois loin des oreilles indiscrètes, Harry lui avait posé la question.
-Oh tu sais, répondit son collègue avec un haussement d'épaule, être à Serpentard ça implique de savoir faire semblant. Surtout quand tu n'es ni assez malin pour te mettre les grandes familles dans la poche, ni assez fou pour te faire accepter des griffons.
Andersen avait un an de moins que lui, réalisa Harry. Ça voulait dire qu'il était à Poudlard pendant les Années Noires. Andersen était bon auror et il ne manquait pas de courage. Pour la première fois, Harry se demanda si certains Serpentard avaient voulu rester, quand Minevra MacGonnagal les avait fait évacuer.
-Moi ? Non ! ricana-t-il. Potter, je veux pas te vexer mais il n'y a que les griffons pour se battre contre Voldy.
-« Voldy » ?!
Harry s’arrêta net, pétrifié par l'audace de son collègue. Le sourire d'Andersen se fit nostalgique.
-Les gens changent, Potter. Ma mère a fait de son mieux pour m'élever toute seule. Mon père est mort, le tien aussi. Pourquoi penses-tu que j'ai voulu devenir auror ?
Quand ils rentrèrent, Akako Koizumi était dans son salon, élégamment installée dans un fauteuil de soie rouge, caressant d'un air distrait un diadème en forme de cobra dressé. Tête-de-crapeau – comme l’appelait intérieurement Harry – restait immobile dans un coin, silencieux, tel une gargouille de château fort égarée dans le salon. En voyant leur hôtesse, Summers vira au cramoisi et détala vers sa chambre sans demander son reste, marmonnant quelque chose au sujet d'une sieste. Ses deux collègues allaient faire de même quand la voix de Koizumi s'éleva dans l’atmosphère feutrée du salon.
-Je suis au courant, dit-elle, vous n'avez pas réussit.
Andersen et Harry se regardèrent, indécis. L'échec de la mission était total : leur suspect étant blanchit, ils n'avaient plus aucune piste et Harry n'avait pas la moindre idée de comment annoncer la nouvelle au commandant.
-Je peux vous aider.
Ses yeux étaient d'un brun presque rouge, une couleur qui mettait Harry mal à l'aise. Ces yeux lui faisaient penser à Voldemort mais pas tout à fait, comme si la comparaison ne marchait pas dans son esprit. Akako Koizumi avait prit pour elle le thème du serpent, s'il en jugeait les motifs sur sa table de nuit et le diadème dans ses mains. Mais contrairement à Voldemort, ce serpent là semblait préférer observer Harry plutôt que l'attaquer. Comme un prédateur déjà repu qui voit passer une souris trop maigre devant son terrier.
Harry n'était pas la proie d'Akako.
-Lucifer m'a parlé de votre enquête, reprit-elle. En plus de mon hébergement, je peux utiliser ma magie pour vous révéler le nom du coupable. En échange d'un petit service.
Immédiatement, Harry songea à Summers et son étrange amnésie le matin même. Andersen recula d'un pas.
-Je veux que vous me rameniez quelqu'un qui m'échappe depuis des années, fit-elle.
L'espace d'un instant, quelque chose brûla dans ses yeux avec la puissance d'un Feudeymon.
-Ramenez-moi Kaito Kid et vous aurez votre coupable.