
Le Secret
Depuis que Hagrid était venu le chercher, cette nuit fatidique, Harry n'avait jamais imaginé perdre un jour sa magie. Elle faisait partie de lui. Elle l'avait protégé pendant des années, il avait apprit à la manier pendant sept ans, elle lui était aussi indispensable que respirer. Tandis que son commandant l'observait tristement, de l'autre côté du miroir, Harry se mit à lancer sortilège sur sortilège, de plus en plus frénétiquement. A chaque sort, les traits de lumière colorés devenaient plus difficiles à lancer. A chaque sort, quelque chose se creusait dans son estomac, comme quand il était enfant et que la tante Pétunia l'empêchait de manger à sa faim. A chaque sort, la panique gagnait du terrain.
-Potter, arrête.
Harry se rendit compte que ses mains tremblaient. Il jeta un coup d’œil vers le miroir, honteux, mais son commandant n'avait pas l'air de lui en vouloir.
-Tout le monde est dans le même état, dit-il d'une voix qui se voulait rassurante. Essaie de garder le secret le plus longtemps possible. Ça nous fera gagner du temps pour trouver comment l'inverser. On n'a pas besoin d'une panique générale.
Harry pensa à Malfoy et à la famille d'Andersen. Il ne savait pas comment les anciennes familles de sang-pur réagiraient, mais ça ne pouvait pas être bon.
-Très bien, répondit-il en essayant de contrôler sa voix.
L'autre lui jeta un regard tu-ne-peux-pas-me-tromper, mais ne dit rien.
-Bon. Tu te rappelle de la procédure ?
-Examiner la scène, rassembler les témoins et les suspects, les interroger, récita Harry sans difficulté. C'était littéralement la première leçon que les apprentis aurors apprenaient.
-Bien. La scène et les indices ont été passés au peigne fin. On est en train de passer en revue les suspects. Je te mets avec Andersen, je veux que vous alliez à St-Mangouste interroger Stan Willfort, du troisième étage. Il connaissait bien Samuel Ants, il pourrait vous dire ce qu'il traficotait au deuxième.
-Je m'en occupe, Commandant, répondit Harry qui se faisait une liste mentale : contacter Andersen, lui donner rendez-vous, se retrouver à St-Mangouste. Il aimait avoir des consignes claires, ça l'empêchait de céder à la panique croissante dans son estomac.
-Potter, reprit l'autre, je vais me répéter mais c'est important : ne dit rien à personne, même tes proches. Aucun sort n'est capable de siphonner ainsi la magie.
-Comprit...
Ginny.
Harry n'avait jamais été très doué avec les mots et le Commandant savait déceler de la gêne. Il ajouta :
-Les métiers qui utilisent des sorts dangereux seront prévenus dans l'heure.
Une boule se dénoua dans la gorge de Harry. Très légèrement. Il savait que les balais utilisés par Ginny et ses collègues étaient sujets à des sortilèges puissants. Il ne voulait pas imaginer la magie qui les maintenait en l'air s'évanouir en plein entraînement. Ginny volait à des hauteurs impressionnantes, une chute lui serait fatale. Il se promit de questionner Hermione sur les sorts capables d'agir sur la magie, puis il se rappela de sa promesse. Hermione était maligne, elle comprendrait vite qu'il y avait un problème s'il lui posait ce genre de question.
-Potter. Vas-y. Nous n'avons pas beaucoup de temps.
Le ton du commandant rappela Harry à l'ordre. Ils vivaient dans un monde sorcier, une telle disparition de la magie ne passerait pas longtemps inaperçue. Il comprit soudain le stress qu'allait lui causer cette affaire : cette fois, le temps jouait contre eux.
-Où est-il ?
St-Mangouste n'était pas aussi bondé que Harry l'avait cru. Quelques patients discutaient avec leur famille, les trois quarts des lits blancs qui longeaient les murs étaient vides. Un apprenti auror, victime d'une fusillade avec un mangemort, dormait dans un lit. Un drap tendu entre deux poteaux masquait la partie de la salle réservée aux blessés les plus graves, mais Harry n'entendait rien de ce côté-là.
La tête pleine de la révélation de son commandant et de ce qu'elle impliquait, Harry frissonna. C'était le calme avant la tempête. Bientôt, St-Mangouste serait envahi par des sorciers inquiets, voir des blessés.
Ginny.
Il s'efforça de rester concentré.
-Il est à l'accueil, répondit la jeune femme en blouse verte face à eux. Il s'apprête à partir, il n'avait qu'une cheville cassée. Vous devriez pouvoir le rattraper à temps.
Harry et Andersen prirent rapidement congé et redescendirent à l'accueil. Stan Wilfort était là, en train de discuter avec l'hôtesse. Harry remarqua qu'il gardait le pied droit en l'air, une réaction instinctive après une blessure, même si l'os avait été remit en place.
-Monsieur Stan Wilfort ? Aurors Andersen et Potter, annonça Harry d'un ton professionnel qui cachait son tourment.
L'homme se retourna. Il avait une crinière brune coiffée sur le côté, des yeux bleus et des tâches de rousseur qui lui donnaient un air juvénile. Il écarquilla les yeux en voyant les deux aurors vêtus de noirs, la couleur si tranchante dans cet univers blanc et vert.
-Bonjour ?
-Nous aimerions vous poser quelques questions, ajouta Andersen, essayant de ne pas effrayer le jeune homme. La présence de la police dans un hôpital n'était jamais la bienvenue et les aurors encaissaient encore la réputation d'avoir été manipulés par Voldemort. Le recrutement de Harry Potter, héros de guerre, n'avait pas entièrement changé les mentalités.
-D'accord, répondit l'autre en jetant un regard triste vers la sortie.
Ils le guidèrent vers une salle mise à leur disposition par la directrice de l'hôpital et Harry chercha comment amorcer la conversation. Ils ne devaient pas révéler l'explosion. Andersen poussa le vice jusqu'à demander du thé à une jeune médicomage qui passait par là, une manière de montrer au jeune homme qu'il n'était pas en garde à vue. D'abord perplexe, la jeune femme sentit l'ambiance, ravala une réplique acerbe et partit chercher du thé dans la salle de repos. Andersen lui sourit, reconnaissant. Intérieurement, Harry se demandant s'il arriverait un jour à se montrer aussi professionnel.
Pas avec le poids grandissant dans son estomac.
-Bien, reprit Harry quand ils furent installés. On nous a dit que vous connaissiez bien Samuel Ants.
-Oui, répondit l'autre qui clairement, s'inquiétait. Pourquoi, il y a un problème ?
-Aucun, répondit Andersen et Harry en fut soulagé. Samuel Ants a été vu au Ministère alors qu'il était censé être en vacances, nous aimerions comprendre ce qu'il faisait là.
Harry n'aimait pas mentir et il fut soulagé qu'Andersen prenne le contrôle de la situation. Passer sous silence la bombe, l'explosion et la mort de Samuel Ants ferait croire à leur vis-à-vis qu'il s'agissait d'un simple soucis technique. Stan Wilfort leur jeta un regard blasé.
-Deux aurors dont un héros de guerre pour une broutille comme ça ?
Raté. Wilfort était plus malin que prévu. Andersen essaya de sauver les meubles.
-Potter est encore en formation, il doit observer comment fonctionnent les autres services.
Le mensonge tenait la route, mais Harry préféra quand même y couper court.
-Vous connaissez bien Samuel Ants. Vous avez une idée de pourquoi il est revenu avant la fin de ses vacances ?
Le jeune homme haussa les épaules.
-Il ne m'a rien dit. On est bons collègues, mais pas vraiment amis. On s'entend bien, c'est tout.
-Savez-vous où il est allé pour ses vacances ? insista Andersen.
-Chez sa petite-amie, répondit l'autre. Paraît qu'il était au bord du burn-out à force de se plier en quatre, le chef l'a arrêté pendant trois semaines.
-Il est... si serviable que ça ?
-Vous avez pas idée. On a les notes volantes pour communiquer entre services, mais il adore se rendre utile. Un café par ici, un colis par là. Toutes les femmes du service sont dingues de lui, les hommes beaucoup moins.
-Comment ça ?
-Certains le voient comme un opportuniste. Ils sont jaloux, c'est tout.
-C'est un puissant sorcier ?
A leur grande surprise, Stan Wilfort éclata de rire. La tasse de thé qu'il avait dans les mains manqua se renverser sur la table.
-Pas du tout, c'est même l'inverse ! Il a lâché Poudlard en deuxième année !
-Et il a dit ça lui-même ? intervint Harry qui ne pouvait s'imaginer un sorcier abandonner Poudlard et s'en vanter.
-Non, reprit l'autre quand son fou rire fut calmé. Je suis le seul à qui il l'a dit, mais un auror, je sais plus lequel, l'a apprit et l'a dit à tout le monde. Sam n'a pas apprécié et depuis, ils se font des crasses mutuelles. Pas grand chose, heureusement.
-Quel genre de crasses ? demanda Andersen qui flairait la piste.
-Du genre, répondit l'autre en fouillant dans ses souvenirs, Sam fouille dans ses affaires et déchire une photo de sa famille, et trois jours plus tard, un de ses dossiers est complètement mélangé. Il y a des paris au bureau sur qui va abandonner en premier.
-Pas grand chose, en effet, songea Andersen.
Traduction : rien qui ne puisse justifier une rancœur tenace, même si Harry n'aurait pas apprécié voir une photo des Weasley déchirée. Il ne put s'empêcher de comparer cette rivalité à celle qu'il partageait avec Drago, avant que la guerre ne vienne mettre les points sur les i. Aurait-il agit de la sorte s'il avait connu Malfoy en tant que collègue ?
-Vous êtes sur de ne pas avoir le nom de l'auror ?
L'autre réfléchit.
-C'est quelque chose en Afer, Aper. J'en sais pas plus, désolé.
-Merci, monsieur Wilfort, nous allons vous libérer.
Ils se levèrent. Harry avait très peu participé à la conversation mais il savait quelle étape serait la prochaine : trouver l'auror en question dans l'espoir qu'il en sache plus.
-Mais du coup, reprit le jeune Désinformateur, il va bien ? Sam, je veux dire.
Derrière son collègue, Harry tressaillit et pria pour que le jeune homme ne l'ai pas remarqué. Avant de prendre congé, Andersen répondit posément :
-Il est parti se reposer, il était très pâle. Dans quelques jours, la situation devrait s’arranger.
Le jeune homme devait lui-même revenir de vacances, car il ne remarqua pas l'étrange tournure de la phrase. S'ils ne trouvaient pas rapidement une solution, le secret de la bombe ne tiendrait que quelques jours.