
La bombe
C'était dans ces moments-là qu'Harry James Potter, héros du monde de la sorcellerie, regrettait de ne pas avoir continué sa scolarité moldue.
-Vous voyez, ça c'est du sodium, expliqua l'homme face à lui, tenant avec une pincette un bout de métal calciné. C'est une réaction chimique très banale, en fait...
L'homme, un contact moldu dépêché expressément par le Ministre en tant qu’indic pour les aurors, n'avait pas le moindre sang sorcier. Par contre, ses capacités en chimie et son mariage de longue date avec une sorcière avait attiré la sympathie du capitaine d'Harry. L'homme savait garder un secret et connaissait l'histoire du monde sorcier grâce à sa femme, qui ne lui avait rien caché. Une aubaine pour les aurors, puisque l'affaire dépassait leurs compétences.
Une bombe avait explosé au Ministère de la Magie, pulvérisant le deuxième étage de la justice magique et bloquant les cheminées vers les étages en-dessous. Plusieurs employés étaient coincés, incapables de sortir. Le bureau des aurors avait également été touché, privant le ministère d'une bonne partie de sa force de frappe, déjà si difficile à retrouver après les années Voldemort. En apprenant la nouvelle via son miroir de poche – une technologie qu'Hermione avait permit de développer à partir de ses faux gallions – Harry avait vu ses vacances avec Ginny écourtées et son humeur plonger. La situation était grave.
Harry ferma les yeux et résista à l'envie de se taper la tête contre un mur. Les gravas qui l'entouraient ne tiendraient pas le coup et il n'avait pas envie d'être enseveli. Tout autour d'eux, il n'y avait que poussière et mortier détruit. Trois sous-sols du Ministère de la magie avaient été soufflés par l’explosion, si bien que l'étage où ils se trouvaient reposait dans un silence de fin du monde, si différent du bruissement constant des notes volantes que Harry avait l'habitude d'entendre. Le plafond avait disparu et seules des poutres de métal brûlées et tordues attestaient que l'étage s'était autrefois situé au sous-sol. C'était également le cas pour l'étage au-dessus d'eux, celui en dessous ainsi que l'atrium : la bombe avait provoqué un énorme trou au cœur du ministère. Même le toit s'était envolé.
Littéralement.
-St-Mangouste va envoyer du monde, intervint l'un des aurors qui accompagnaient Harry, la voix distordue par le sort de respiration que les premiers secours avaient appliqué à tous ceux qui respiraient encore. Pour la troisième fois depuis qu'il était là, Harry souhaita avoir apprit ce sort en classe. Il n'aimait pas dépendre des connaissances des autres.
Sauf si c'était Hermione. Parce que personne n'apprenait quoique ce soit à Hermione, à part les livres.
Concentre-toi, Harry.
L'homme était aussi blond que leur indic moldu était brun et faisait le pied de grue derrière eux, jetant des regards inquiets au duo. Ils se trouvaient sur les lieux de l'explosion, au cœur du département de la justice magique. Si Harry ne connaissait pas le passif de son collègue, il aurait cru que le silence éthéré de l'étage et les débris partout étaient les seules causes de son malaise. Mais l'homme était connu dans la brigade pour être l'un des rares sans-purs dont la famille remontait à plusieurs siècles : il était lié aux Malfoy, aux Nott et même aux Black. Contrairement à d'autres, il ne détestait pas les moldus, mais il n'en n'avait jamais croisé. Il ne savait pas comment réagir face à eux, ni comment leur jeune indic réagirait face à lui. Heureusement, celui-ci semblait complètement hermétique à son embarras.
Après la guerre, la plupart des sang-purs faisaient profil bas, même Drago Malfoy refusait les interviews et Harry n'avait plus rien entendu de sa part depuis son duel avec Voldemort. Cyrus Anderson était l'un des rares à continuer sa vie comme avant la guerre. C'était un bon auror, qui avait arrêté plusieurs mangemorts de bas niveau et Harry, en tant que second au commandant prédisposé à prendre sa place, devait passer outre sa méfiance personnelle.
-Il reste plusieurs fragments, reprit leur indic, indifférent aux réflexions de Harry. Vu les traces de l'explosion, il devait y avoir un énorme bloc.
Patiemment, ils cherchèrent et récupérèrent chaque fragment de sodium calciné et les rassemblèrent dans un petit sac transparent. Harry lorgnait le sac d'un air circonspect : si bloc de sodium il y avait eu, pourquoi n'avaient-ils retrouvé que ça ? L'indic leva les yeux vers le plafond, réfléchit, éternua, et dit enfin :
-Est-ce que vous avez un sort pour construire une machine moldue ?
-Aucun intérêt, répliqua Andersen un peu sèchement. Les machines peuvent être remplacées par les sorts eux-mêmes.
C'était vrai, mais Harry retint quand même une grimace au ton employé. Andersen ne détestait pas les moldus mais il conservait cette arrogance typique des anciennes familles sorcières. Harry repoussa l'image de Drago Malfoy : il ne souhaitait pas que sa haine pour son ancien ennemi ternisse la bonne image de son collègue. Leur indic ne releva pas et continua à fixer le plafond troué.
-Alors un sort pour soulever quelque chose de lourd ?
-Oui, intervint Harry qui préférait limiter les interactions entre les deux hommes. A quoi est-ce que vous pensez ?
-Les composants de la bombe sont moldus, et un gros bloc de sodium c'est lourd. Et encombrant. En plus, pour avoir une réaction comme ça, il faut aussi transporter un bassin remplit d'eau, à la taille du bloc. Le sodium explose dans l'eau.
-Donc théoriquement, nous pourrions retrouver des morceaux de verre, ajouta Harry.
Une petite voix dans sa tête, qui ressemblait à celle d'Hermione, lui conseilla de surveiller ses pieds et une image flasha derrière sa rétine : la main de Ron couverte de sang, un jour où il s'était coupé sur du verre. Heureusement, sa mère connaissait certains sorts de guérison.
-Mais pourquoi utiliser des composants moldus ? intervint Andersen. Un "bombarda maxima" aurait suffit.
-Je suppose... Tenez, un bout de verre.
Les mains gantées et sa baguette fermement tenue, Harry participa à la recherche des fragments de verre en réfléchissant. Andersen avait un point : quel intérêt d'utiliser un produit moldu lourd à déplacer quand un simple sort suffisait ?
-C'est peut-être quelqu'un qui voulait faire porter le chapeau aux moldus ?
-Ou un moldu qui s'est introduit ici ?
-Impossible, répondit Harry, le ministère est invisible aux moldus. Nous avons fait une exception pour vous permettre d'entrer.
-Ah, d'accord.
Une fois les fragments de verre et le reste du sodium récupérés, Harry reçu un appel sur son miroir de poche. Un visage bien connu s'afficha dans le petit écran : c'était son commandant.
-Potter ? Tu es sur la scène ?
-Oui commandant. Un problème ?
L'homme avait des plis sur le front que Harry avait apprit à reconnaître.
-Je viens d'interroger un des médicomages. Il a sentit la présence d'une victime sous les décombres. Tu t'y connais en déblayage ?
-« Sentit » ? Comment ça sent... En fait peu importe, se rattrapa Harry en voyant la tête c'est-pas-le-moment de son chef. On va le sortir de là.
Il résuma la situation à son collègue et demanda à leur indic de reculer. Celui-ci obtempéra rapidement, le visage inquiet. Ça faisait à peine une demi-heure que la bombe avait explosé, s'il y avait quelqu'un coincé là-dessous, il fallait agir vite. Ils n'avaient pas le temps d'attendre l'équipe de médicomages.
Comme les deux aurors habitués à travailler ensemble qu'ils étaient, Potter et Andersen parvinrent à localiser la victime et entreprirent d'écarter la roche et les débris qui les séparaient d'elle. Harry sentit comme une résistance dans sa magie qu'il mit sur le compte des poids soulevés. "Locomotor barda" n'avait jamais été le plus simple des sorts pour lui.
Une fois certains débris écartés et posés à distance du moldu qui tenait délicatement leurs preuves dans les mains, ils purent constater qu'une jambe dépassait du reste des décombres, à quelques mètres à peine du lieu de l'explosion. Quelqu'un était effectivement coincé là-dessous, et il ne bougeait pas. Harry prit le temps de toucher la cheville : il ne sentit aucun pouls. Avec une telle explosion c'était à prévoir mais il sentit quand même un poids dans l'estomac. Ils finirent de déblayer et étendirent le pauvre homme sur un drap invoqué par Andersen. L'homme, frappé de partout par la chute de l'étage, était méconnaissable et Harry grimaça en voyant l'état de son visage. Cabossé, ensanglanté, il était gris de poussière. Il portait un uniforme du ministère si mal en point que Harry fut incapable de reconnaître à quel étage il travaillait.
-Eh ben, pauvre gars, marmonna Andersen.
-Tu le connais ?
-Nan, jamais vu. Il devait venir d'un autre étage.
Andersen invoqua un autre drap pour couvrir la victime et ils attendirent les médicomages, qui arrivèrent quelques minutes après.
-Oh, murmura l'un d'eux quand il souleva délicatement le drap pour voir son visage.
Ils se mirent au travail. Harry remarqua que l'un d'eux avait du mal à lancer ses sorts. Peut-être un nouveau qui n'avait encore jamais été en mission de terrain, conclut-il.
De retour au QG des aurors, à moitié détruit mais avec encore quelques bureaux debout, la brigade dut se réorganiser. Le souffle de l'explosion n'avait pas entièrement atteint l'endroit mais les conséquences si : un tremblement de terre modéré avait provoqué des fissures dans les murs, la porte séparant le bureau des aurors du reste de l'étage avait volé en éclats, provoquant des blessures mineures, et toutes les notes volantes s'étaient échouées au sol comme des oiseaux blessés. L'explosion avait prit tout le monde de cours et la concentration, même minime, nécessaire pour lancer le moindre sort s'était brisée. Il avait fallu quelques minutes pour que les oiseaux de papier s'envolent à nouveau vers leur destination, plus nombreux que prévu. Harry lui-même avait sursauté en sentant son bureau perdre pieds et ses dossiers en cours s'envoler.
Littéralement.
Les quelques blessés de la brigade partirent à St-Mangouste. Ceux qui avaient encore leurs affaires planchèrent sur la bombe et quelques dossiers urgents, tandis que les autres retournaient chez eux pour travailler à distance, leur miroir de poche sous la main. Harry fut de ceux-là. Il revint chez lui, morose, songeant aux quelques effets personnels qu'il gardait sur son bureau et qui s'étaient brisés, dont une photo avec Ginny et une figurine représentant un vif d'or fabriquée par Teddy. La première étant retournée à son entraînement de Quiddich et le second à Poudlard, il passerait le reste de la journée seul.
Il était installé dans sa chambre depuis une heure quand son miroir chauffa, lui signalant un appel.
-Potter ?
-Commandant ? Des nouvelles ?
-On a interrogé les premiers témoins. La seule personne présente sur le lieu de l'explosion était la victime, Samuel Ants, un gars du troisième niveau, au bureau de désinformation. Selon ses collègues, il avait l'habitude d'apporter n'importe quoi à n'importe qui. Il a lâché Poudlard en troisième année, c'était pas un sorcier très doué, mais il était aimé et il avait de la jugeote.
-Qu'est-ce qu'il faisait au deuxième étage, alors ?
-Personne ne sait. Il était censé être en vacances chez sa petite amie et son filleul. Mais ce n'est pas la seule raison de mon appel.
Harry sentit un frisson le parcourir. Quelque chose lui disait qu'il n'allait pas aimer la suite. Avait-il fait quelque chose de mal ?
-Potter, reprit le commandant la voix hachée, et Harry s'aperçut enfin que son visage était blanc comme la craie. Ça fait trois fois que j'essaie de lancer un "accio". Williamson n'arrive plus à soulever sa plume.
Harry mit deux secondes et demi à comprendre.
Il saisit sa baguette et lança "Gemino" sur une lettre que Ginny lui avait envoyé depuis son centre d'entraînement. Le trait bleu pâle s'évapora dans l'air avant d'atteindre la cible. Il ne parvint à dupliquer la lettre qu'à sa troisième tentative.
Le poids dans son estomac tripla de volume.
-... Qu'est-ce que ça veut dire ?
Avec la tête de quelqu'un qui voit son pire cauchemar lui tomber dessus, le commandant répondit :
-Tout le monde est dans le même cas depuis que la bombe a explosé. Potter... Je ne sais pas comment, mais la magie est en train de disparaître.