
Prologue
La panique, les cris, la terreur ; l’horreur venait de plonger sur Eldarya lorsqu’une secousse avait fait vibrer le bâtiment et la plaine toute entière. La paix d’Eel venait d’être menacée par un chaos que nul n’avait vu venir. Dans la salle du cristal, un homme vêtu d’une armure draconique aux couleurs sombres s’apprêtait à abattre de nouveau son arme sur la pierre bleutée qui s’était brisée dans un grand fracas quelques instants plus tôt. Les gardiens du QG s’étaient précipités dans la pièce, interrompant l’inconnu dans son geste. La kitsune aux longs cheveux bruns lança immédiatement l’offensive à l’aide d’une orbe frémissante de flammes bleues. L’homme masqué l’évita sans l’ombre d’une difficulté. Au fond de la salle, un elfe aux longs cheveux bleus noués en un ruban banda son arc, prêt à viser leur adversaire. La pièce commençait à se remplir de gardiens prêts à se battre pour le cristal et l’assaillant n’eut d’autre alternative que la fuite.
La lune était encore bien haute dans le ciel d’Eldarya et Andromedea était une nouvelle fois en proie à ses insomnies. Elle qui avait pour habitude d’en profiter pour flâner sous la lumière régénératrice de l’astre poussa un soupir, exténuée. La scène ne cessait de se jouer en boucle dès qu’elle rejoignait les bras de Morphée et les prédictions d’Andromedea n’étaient malheureusement jamais de bons présages. Elle ignorait réellement si ses visions étaient dues à sa nature de lorialet ou au millième de sang valraven qui coulait dans ses veines. L’omniprésence du sentiment de deuil quand elle les vivait avait plus ou moins confirmé la seconde option. Elle réalisait de nouveau qu’elle n’était pas totalement lorialet, c’était là le grand drame de toute sa vie mais elle ne voulait pas s’attarder plus sur ce qui lui avait valu l’exil de son royaume. La jeune femme soupira et s’extirpa de ses draps pour habiller son grand corps longiligne de sa longue robe en voile d’un bleu quasiment blanc.
Elle devait avertir la cheffe de garde rapidement bien qu’elle ne croyait pas une seule seconde être entendue, la lorialet n’avait jamais été prise au sérieux depuis son arrivée il y a trois ans à la garde. Elle n’avait pas non plus commencé du bon pied. Il faut dire qu’elle ignorait qu’elle avait la capacité de manipuler le plan onirique et avait plongée l’entièreté de la garde dans un rêve commun pendant quasiment une journée entière. Ezarel, son supérieur hiérarchique direct, avait dû faire preuve de la totalité de sa patience pour ne pas la faire exclure de la garde. Les connaissances en alchimie de la jeune femme, et surtout beaucoup de miel, avaient eut raison de la colère de l’elfe aux cheveux bleus qui lui avait laissé une seconde chance qu’elle avait sû saisir. Elle était désormais l’une des membres notoires de l’Absynthe et, à défaut d’avoir la confiance de Miiko, elle avait celle de ses collègues en grande majorité.
Alors qu’elle marchait dans les couloirs, elle décida de ne pas s’embêter avec Ezarel et d’aller directement frapper à la porte de la kitsune : si on devait se payer sa tête ce soir, elle préférait de loin l’air blasé de cette dernière aux railleries sans fin de son supérieur. Elle avait assez vu son faciès pour la semaine avec ce présage.
D’une main déterminée mais douce, elle cogna contre le bois rouge de la porte, attendant un instant que Miiko vienne à sa rencontre. Les getas de la cheffe de garde résonnèrent sur le sol juste avant qu’elle n’ouvre à la lorialet, visiblement surprise de la trouver au milieu du couloir. La femme-renarde se retrouva face aux formes discrètes et pâles de son invitée surprise. Il fallut un temps à Miiko pour se reculer un peu afin d’observer la gardienne qui avait interrompu le fil de ses pensées. La brune détailla d’abord les mèches d’argents ondulants le longs du visage au teint d’ivoire puis les iris d’un bleu si clair qui lui donnaient cet air presque irréel. Pas de doute possible, c'était encore Andromedea qui venait frapper à sa porte. En soupirant un peu Miiko prit la parole, restant en partie derrière la porte pour indiquer à la lorialet que la discussion se devait d’être courte.
“J’ose espérer que ce n'est pas encore à cause d’un cauchemar que tu viens me chercher.
_ Miiko, ce ne sont pas des cauchemars pour la énième fois, c’est beaucoup plus détaillé. Beaucoup plus réel.” répondit calmement la jeune femme au teint d’albâtre.
Dans un roulement d’yeux, la chef de l'Étincelante laissa entrer sa subordonnée. Miiko se remettait encore difficilement des deux dernières “prémonitions” de la lorialet qui avait annoncé il y a plusieurs mois la mort de Yonuki Kaze, l’ancien chef de la garde d’Eel, mais également celle de Lance. Si la perte de son mentor avait déjà bien attaqué le moral de la kitsune, celle de l’ancien chef de l’obsidienne qu’elle aimait éperdument avait ébranlé bien plus que l’organisation de la garde.
“Je t’écoute Andromedea, qu’as-tu vu cette fois-ci ? Je te préviens tout de suite, je sais que tu as l’impression que je ne t’écoute jamais mais c’est bien plus complexe que ça. Leiftan n’a jamais usé de ce don là et il a bien insisté sur le fait que ce n’était pas monnaie courante, je me trompe ?
_ Non en effet, la plupart des lorialets le possèdent mais refuse de l’utiliser. Mais j’ignore s’il s’agit vraiment d’une clairvoyance lunaire Miiko, elles ne sont pas sensées être aussi claires, la lune parle en énigme, en métaphore. Elle ne donne pas, elle guide. Bref là n’est pas le sujet, j’ai pas envie de me disputer avec toi au sujet des croyances de Leiftan.
_ J’ai cru comprendre que c’était pas le grand amour en effet, tu devrais faire un petit effort d’ailleurs.”
La jeune femme aux cheveux d’argent poussa un soupir très sec, elle ne voulait pas parler de ça maintenant mais elle avait bien compris le message sous-jacent : Miiko en parlerait à Leiftan, son second, avant de prendre la moindre décision. L’enfant de la lune reprit une posture plus détendue afin de raconter en détails ce qui ressemblait à une attaque et à la destruction partielle du cristal. Après l’avoir laissé parler et lui avoir posé quelques questions, la kitsune la guida vers la porte pour essayer de dormir quelques heures avant de voir comment gérer cette information.
“Va voir Eweleïn pour ton insomnie Andromedea, elle devrait avoir quelque chose.
_ Le problème n’est pas de passer à l’état physique du sommeil mais à l’état psychique. Elle ne peut malheureusement rien y faire encore, je n’ai pas envie de lui ruiner sa nuit à elle aussi. Elle s’épuise déjà bien assez à la tâche.
_ Tu as donc conscience de ton côté nuisible.
_ Miiko, je suis sérieuse. Je sais que tu prendras cette décision avec le reste de l'Étincelante et je sais aussi que mes visions ne sont probablement pas prémonitoires mais…”
Le soufflement agacé qui la coupa n’arrêta pas la lorialet dans sa lancée pour autant, elle subissait les remarques d’Ezarel bien plus souvent et elle était convaincu que Miiko était une petite joueuse à côté de la créativité du chef de l’Absynthe quand il s’agissait de trouver le meilleur moyen de la décourager.
“ Je t’en prie, à défaut de pouvoir vérifier si on peut l’éviter ou non, essaie de l’anticiper un peu.
_ Si ça ne se réalise pas, on aura pris du temps et de l’énergie pour rien, répondit la femme-renarde.
_ Mais si au lieu de tout nier en bloc on avait émis la possibilité que ça se produise, Lance serait peut-être encore là.”
La cheffe d’Eel ne répondit rien et se contenta d’encaisser la remarque en silence, même si sa main s’était crispée de colère sur ses jambes, c’était un fait. S’ils l’avaient un temps soit peu écouté, peut-être auraient-ils pu sauver au moins Lance. Andromedea s’excusa malgré tout quasiment immédiatement, elle savait que c’était un sujet encore très sensible et que Miiko faisait de son mieux pour garder la tête haute malgré la charge colossale qui lui était tombée dessus quand elle avait repris la tête de la garde. Malgré l’agitation de ses quatres queues, la kitsune accepta les excuses calmement. Elle savait que le fond de sa pensée n’était pas mauvais et les remords de son homologue sincères. Andromedea n’avait aucun intérêt à venir l’inquiéter pour rien : elle n’avait plus que la garde, mais une part de la renarde espérait que ce ne soit qu’une hallucination de la part de l’enfant de la lune.
“Va te coucher Andromedea, j’en parle demain à Leiftan, nous convoquerons l'Étincelante si besoin. Merci de m’avoir informée aussi vite.
_ C’est mon devoir de gardienne Miiko, passe une bonne nuit.”
Elles se séparèrent sur ces mots plus doux que les précédents, Andromedea ne retourna pas dans sa chambre mais prit la direction du laboratoire afin d’y peindre en attendant que le soleil n’arrive. Si le choix du lieu pouvait sembler étrange, il avait l’avantage d’avoir tout un lot de rangements non utilisés et tous les matériaux nécessaires à la confection de peinture si jamais elle venait à en manquer. Elle avait sacrifié bon nombre de ration pour ce privilège mais avoir son petit coin poussiéreux au fond du labo pour pouvoir laisser son pinceau s’exprimer n’avait pas de prix. Tant qu’elle pouvait s’échapper un instant de la réalité, elle était prête à offrir son poids en miel à Ezarel. Après réflexion, il n’était d’ailleurs pas aussi tyrannique qu’il aimait le faire croire. Elle lui trouvait au contraire une bienveillance dissimulée derrière son cynisme. Andromedea ne serait probablement jamais devenue la gardienne qu’elle était aujourd’hui sans les connaissances qu’il lui avait apportées et ses conseils avisés. Il fallait cependant savoir lire entre les lignes de ses remarques et supporter son caractère de monchon.
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L'Étincelante fut convoquée quelques jours plus tard, Andromedea ignorait évidemment tout des discussions qui avaient suivies celle qu’elle avait eu avec la représentante d’Eel mais savoir que Miiko avait au moins demandé un véritable conseil la rassurait un peu et les jours s’écoulèrent au grès du quotidien de la garde.
La salle du cristal était dévastée ce soir-là. Les gardiens avaient eu beau se précipiter dès la première secousse, personne n’avait réussi à arrêter l’intrus et empêcher le désastre qui leur faisait face. Miiko serrait d’une main rageuse son bâton lanterne, Ezarel rangeait son arc en se redressant et Nevra venait tout juste d’entrer dans la salle, encore haletant de sa course. Il était arrivé trop tard pour les aider.
“Je suis désolé Miiko, commença le vampire, j’ai traversé la forêt aussi vite que j’ai pu quand j’ai perçu le bruit mais il était déjà trop tard pour lancer l’alerte quand j’ai atteint le QG.
_ C’est moi Nevra, je t’ai envoyé en mission trop loin. Je pensais que quelques jours suffiraient…”
Le chef de l’Ombre garda le regard baissé jusqu’à ce que la main gigantesque de Valkyon ne se pose sur son épaule. L’homme dont la carrure avoisinait les deux mètres venait de revenir lui aussi et avait tenté immédiatement de stopper la fuite de l’intrus, sans succès. Nevra se redressa et regarda un peu plus loin Andromedea qui, sous les ordres d’Ezarel, commençait à aider au nettoyage de la salle comme beaucoup d'autres gardiens. Il réalisa avec regret qu’il n’avait même pas pu lui dire qu’il était de retour et qu’ils n’étaient malheureusement pas prêts de se retrouver pour discuter. Il fallait remettre la salle en état, vérifier que tout soit en ordre, rassurer la population. Le vampire se fit la remarque qu’elle n’était étonnement pas accompagnée de sa plus grande copine, Delfyn. Andromedea et la fée ne s’étaient quasiment jamais quittées depuis l’arrivée de cette dernière. D’ailleurs Delfyn n’était pas du tout présente dans la salle, Nevra se doutait cependant qu’il aurait le fin mot de cette histoire lors de leur prochaine réunion à la cantine, il lui fit simplement un petit sourire auquel la lorialet répondit avec un voile de tristesse dans le regard. Elle l’avait vu et ça s’était passé exactement comme elle l’avait conté : les chefs de l’ombre et de l’obsidienne n’étaient présents ni l’un ni l’autre. Andromedea s’interdisait cependant de démoraliser, elle devait rester forte pour les siens, et ce petit geste de la part du brun avait eu le don de lui redonner un peu d’espoir au milieu de tout ça.
La garde allait réagir au quart de tour, à l’image de Miiko qui n’abandonnait jamais sans tenter quoi que soit. Demain était un autre jour.