Les rats et les fées

Harry Potter - J. K. Rowling
F/M
Gen
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R
Les rats et les fées
Summary
"Snape a toujours été fasciné par la magie noire, il était réputé pour ça quand il faisait ses études. Un type répugnant, avec ses airs doucereux et ses cheveux gras. Quand il est arrivé à l’école, il connaissait plus de sortilèges que les élèves de septième année et il faisait partie d’une bande de Serpentard qui sont presque tous devenus des Mangemorts."Récit de la quatrième année scolaire de Severus Snape à Poudlard, qui tournera au Cluedo macabre.Nouveau chapitre : Le joueur de flûte de Hamelin.
Note
Remarques importantes :- Quand j'ai commencé à écrire cette histoire, en 2003, je venais de finir de lire le tome 4, et le 5 n'était pas encore sorti. Elle est compatible avec le canon jusqu'au tome 6 inclus (à l'exception d'éléments concernant l'âge des personnages, leur généalogie, les Mangemorts, vu que j'avais dû imaginer pas mal de choses). On pourrait dire qu'il s'agit d'une sorte d'UA dans lequel Lily Evans et Severus Snape ne se connaissaient pas avant Poudlard.(Mais j'avais tout de même eu la vision d'un Malefoy pleurant dans une salle de bains et d'un intello avec une besace sans fond avant que ça n'apparaisse dans les livres, s'il-vous-plaît !)- Elle suit la forme des livres, avec un héros (ici, Severus Snape jeune), et son année scolaire. On pourrait d'ailleurs presque l'appeler "Severus Snape et la Potion de Gloire"... Elle devrait comporter 21 chapitres en tout (soit trois parties de sept chapitres chacune).- J'ai suivi l'orthographe originale des noms, à l'exception de Crouch/Croupton et Malfoy - je trouve "Malefoy" plus joli.
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Les rats de Croupton

"Stefano la prit entre ses doigts et l'examina. C'était une perle d'une taille phénoménale. Et il reconnut alors la fameuse Perle de la Mer qui donne à celui qui la possède fortune, puissance, amour, et paix de l'âme. Mais il était trop tard désormais."

Dino Buzzati, Le K.

 

 

Chapitre 17

Les Rats de Croupton

 

I

Les premiers jours du printemps s'égrenaient sans que l'on s'en aperçoive véritablement, et Severus Snape n'en finissait pas de grandir, ce qui le rendait encore plus maigre et pâle, finesse qui contrastait d'autant plus avec sa voix gagnant en tons graves et onctueux, comme celle d'une crème d'alcool forte.

Mais si douce et rare qu'était sa voix, elle ne parvenait cependant pas à persuader Novalis, le professeur d'alchimie.

« Je suis désolé, je ne peux pas vous prêter mon exemplaire de ce tome, M. Snape », murmura le vieil homme, en retrait derrière la porte de sa salle.

L'adolescent, inquiet, serra dans ses bras l'autre manuel que le professeur venait de lui prêter, et répondit : « Mais ce manuel-là ne me sera pas d'une grande utilité. Vous ne possédez pas d'autres ouvrages sur les propriétés du sang ? »

Novalis secoua la tête en signe de dénégation.

« Le grand livre des Potions de Pouvoir est un grimoire dangereux. Vous n'êtes pas de mes élèves, M. Snape, mais je connais votre attirance pour les Arts Sombres. Elle est écrite sur votre visage, comme sur celui des personnes que vous fréquentez. Vous serez un grand sorcier, il n'y a pas à en douter. Mais il y a différentes manières d'être un grand sorcier. Ne choisissez pas la mauvaise. »

Il dut percevoir le regard interrogateur de Severus, et ajouta :

« Albus Dumbledore est un grand sorcier. Mais il y en a d'autres. »

 

-oOoOo-

 

Revenu de la salle d'alchimie, Severus se laissa tomber sur un banc du grand hall, plus maussade que jamais. Je n'ai jamais dit que je voulais être bon. Il n'y avait pas grand monde à la table des Serpentards, juste Petrus Parkinson et Gabriel Sanchez, jouant au tarot, Daisy Ollivander en train de lire le dernier numéro de Sorcière-magazine. Plus soupçonneux que jamais à l'égard de Lucius Malefoy et ses supposées tendances meurtrières, Severus fut tenté un instant d'aller voir Sanchez pour le questionner, comme Macnair avait eu l'intention de le faire avant d'interrompre son enquête. Mais Sanchez, avec ses longs cheveux noirs et son bouc était si impressionnant qu'il préféra remettre cela à plus tard (sans même parler de Parkinson et son air perpétuellement moqueur). Et puis, à la table des Poufsouffle, au milieu d'un groupe d'autres étudiants, il y avait Metellus Honeytaste. Lucius était suspecté de toutes sortes de tendances… Quelle était celle qui intéressait le plus Severus ?

La question fut tranchée et le jeune Serpentard alla poser le bout de ses doigts sur l'épaule du Poufsouffle.

« Excuse-moi… »

Metellus tourna la tête, posant sur lui ses beaux yeux couleur de lagon.

« Oui ? »

« Je peux te parler s'il-te-plaît ? C'est important. »

Quelques minutes plus tard, les deux garçons couraient sous la pluie pour atteindre le stade. Ils se réfugièrent sous les échafaudages des gradins, où l'odeur du bois et de l'herbe mouillée se mélangeaient dans l'obscurité.

« Lumos ! » fit Metellus, faisant tourner sa baguette autour d'eux, vérifiant qu'ils étaient bien seuls.

Puis il posa à nouveau son regard sur lui, le considérant des pieds à la tête, l'œil interrogateur.

« Alors… T'es son petit ami, oui ou non ? »

« De qui tu parles ? » bafouilla Severus.

« De Lucius Malefoy, pardi. »

« Non. D'ailleurs je ne suis pas… »

Le Poufsouffle eut un petit rire ironique.

« Alors pourquoi tu viens me poser des questions sur lui si les garçons ne t'intéressent pas ? C'est bien pour ça que tu es venu, non ? »

« C'est vrai… Mais c'est parce que… je suis devenu ami avec lui depuis peu… Et j'aimerais en savoir plus sur lui. »

« Et lui, il continue à nier ? »

« Oui. »

Metellus soupira, passa une main dans ses cheveux raides.

« Tu veux la vérité ? J'ai couché avec lui. Une seule fois. Dans les toilettes de Mimi Geignarde. »

« Mais lui, est-ce que c'est un… »

« Un inverti ? Bien sûr que oui. Mais le problème, c'est qu'il n'assume pas du tout. Il est complètement refoulé ce mec. Tu me diras, ce sera pas le premier. Mais dans le genre, il en tient une sacrée couche. »

« Pourtant, il a l'air très attiré par certaines filles », opposa Severus.

« Tu sais, c'est pas incompatible. Il doit aimer les deux. Du coup, ça se trouve il ne se rend d'autant pas compte qu'il aime aussi les garçons. »

« Et alors, c'est lui qui t'a… »

« Non. C'est moi. Enfin ça dépend de quoi tu parles. »

Severus se demanda quel pouvait bien être l'autre sens possible de la question, mais il se contenta de préciser : « Ce que je veux dire c'est… Est-ce que c'est lui qui est allé vers toi. »

« Non, c'est moi. »

« Mais comment tu… »

Metellus Honeytaste sourit, et Severus se sentit tout étrange, comme quand Lucius lui souriait, mais de manière moins intense.

« C'est une question de regard, et de gestes… » expliqua son aîné.

Pour illustrer son propos sans doute, il plongea ses yeux brillants dans ceux de son cadet, posa une main sur son épaule, qu'il fit descendre lentement le long de son bras.

« C'est ta quatrième année ici, c'est ça ? Dommage que tu ne sois pas plus âgé. »

Les joues en feu, Severus sortit brutalement des entrailles du stade en courant sous la pluie, comme s'il avait le diable à ses trousses.

De retour au château, il se demandait soudain... Si les divers touchers de Lucius à son encontre n'étaient pas des tentatives de séduction. A partir du moment où l'on admettait que Lucius avait des penchants homosexuels, les attitudes qu'il avait eu à son égard ne pouvaient être innocentes.

Du même coup, peut-être attendait-il quelque chose de Severus, et Severus, en ne réagissant pas, le décevait-il ? Peut-être que Severus devait montrer à Lucius ce que lui-même attendait…

Mais non, il n'attendait rien de Lucius en fait. Même si, dans la piscine, l'autre fois…

 

-oOoOo-

 

Plus beau que jamais, Malefoy avait fendu la foule, sa chemise blanche imbibée de sang en son centre.

Severus se frotta les yeux, croyant être victime d'une hallucination. Mais la tache était toujours là, et l'autre l'avait rejoint...

« Alors, tu l'as ? » demanda Lucius en s'asseyant à sa droite, le regard sérieux.

« …Qu'est-ce qui t'es arrivé ? »

« Oh, rien. J'ai renversé de la cochenille en cours de potion. »

« Non, je n'ai pas le livre, Lucius. Novalis n'a pas voulu me le prêter. »

« Ce n'est pas grave », répondit l'autre à son grand soulagement. « J'ai un plan B. Je t'expliquerai tout à l'heure. »

Il gardait les yeux fixés sur le tableau d'affichage, les sourcils froncés.

« Normalement, ça devrait être moi. »

Le second trimestre s'était achevé, les conseils de classe avaient eu lieu, et le tableau d'honneur allait s'afficher dans quelques secondes.

« Tu as un plan B pour le royaume, aussi ? »

« Tout est dans le même plan. »

Par élimination, Lucius Malefoy était arrivé à la conclusion que le Royaume des Fées dont parlait Russell n'était autre que l'Antique pays de Bretagne, puisqu'ils n'en avaient pas trouvé d'autres ; le seul problème était que les fées de ce pays étaient de taille humaine, et n'avaient rien à voir avec leur fairy de dix centimètres logeant dans une maison de poupées.

« Je n'ai pas fait aussi bien que d'habitude, ce trimestre », commenta Severus.

« C'est à cause de moi », se contenta de déclarer énigmatiquement Lucius.

Le pire c'est que c'est vrai.

Il y eut un son de clochette le tableau noir, qui ordinairement affichait toutes sortes d'informations à destination des élèves et des professeurs (« Remplacement du professeur d'astronomie après les vacances », « Grand meeting étudiant après-demain dans le hall », etc), redevint vierge l'espace d'un instant, puis les noms apparurent, avec une netteté presque surréelle pour celui qui avait attendu l'estomac noué.

1. Alan Jodorowsky

2. Lucius Malefoy

3. Cristina McMillan

4. Severus Snape

5. Bartemius Croupton

« Black n'est plus sur le tableau d'honneur », songea tout d'abord Severus avec une grande satisfaction. Puis il pensa à Lucius, qui avait travaillé comme un fou tout le trimestre et qui était sûr d'avoir la meilleure moyenne. Non seulement il n'était pas premier, mais il avait de surcroît été battu par Alan Jodorowsky, le Sang-de-Bourbe préfet-en-chef qui se plaisait à le surnommer Mussolini.

« C'est injuste », l'entendit-il seulement murmurer.

Severus le regarda.

« C'est déjà très bien, second sur tous les élèves de Poudlard », commenta son cadet pour le réconforter. « Et cela t'ouvre des portes. »

« Pourquoi tu ramènes tout à l'ambition ? » pesta son camarade entre ses dents.

Severus ne comprit pas son reproche (qu'y avait-il de mal à vouloir être le premier ?), mais il se demanda si son aîné n'allait pas maintenant supprimer Jodorowsky, comme il avait peut-être déjà supprimé Russell, dans le seul but de se hisser sur la première marche du podium.

« Enfin, ce n'est pas le plus important », soupira Lucius. « On se revoit à six heures, dans l'oubliette. »

« D'accord. »

« Je t'expliquerai mon plan », ajouta Lucius.

Severus partit pour l'APADI il n'y avait pas d'élèves aujourd'hui si bien que Jodorowsky le laissa partir. Auparavant, il lui offrit un exemplaire du tract sur le meeting anti-raciste du lendemain.

« Merci », répondit Severus. « Et félicitations pour le tableau d'honneur. »

« Tu viendras demain ? »

« Je ne sais pas. »

« Ecoute, ça me gêne de te dire ça Severus. Mais comment dire… On a certains principes ici. On peut pas travailler avec quelqu'un qui est du côté des fascistes. »

« Mais… »

« Donc on va être clair. Tu viens demain au meeting, ou le club c'est fini pour toi. Les autres sont d'accord.»

Severus chercha son regard mais l'expression de ses yeux était presque cachée par ses lunettes carrées à épaisse monture noire.

« On respecte ton intelligence, Snape. Mais on pense aussi que tu fais fausse route. Et on veut pas se compromettre. Tu comprends ? »

Severus hocha la tête et se dirigea vers la sortie sans rien dire. C'était Lucius qui l'avait amené à prendre ce poste au bureau, pour lui permettre d'alléger son emploi du temps, Severus ne l'avait pas choisi… Alors pourquoi se sentait-il triste et mal à l'aise à l'idée de ne plus venir ici ?

« Alan… » finit-il par dire, sur le seuil.

« Ouais ? »

« Quand tu m'avais dit… Que Lucius Malefoy se débarrassait des gens qui entravaient son chemin… Tu voulais dire quoi exactement ? »

Jodorowsky retira ses lunettes, et posa sur lui de grands yeux noirs dont la forme en amande avait été comme sculptée par des années de scepticisme.

« Quand j'étais en troisième année… Toi, tu n'étais pas encore arrivé. A l'époque, le Préfet-en-chef était un type vraiment génial… Fabian Prewett il s'appelait, maintenant je crois qu'il est Auror. Bref, cette année-là il s'est passé des choses étranges. Et même Prewett, il est tombé très malade et il n'a pas pu finir l'année. Il y a eu des rumeurs comme quoi c'était Malefoy qui était à l'origine de ça, il avait jeté la malédiction sur les gens avec qui il était en conflit, et s'était débarrassé de Prewett qui commençait à le soupçonner. Voilà toute l'histoire. Mais Malefoy n'est pas méchant avec tout le monde, c'est vrai. Il adore les gens qui lui cirent les pompes et qui l'idolâtrent. »

 

-oOoOo-

 

Lucius éclata de rire, prenant ses aises dans le cachot de son nouvel ami.

« Ils te bannissent pour délit d'opinion ? Tu vois, ils montrent enfin leur vrai visage. Un troupeau de clébards qui ne savent que japper après la caravane, toujours à répéter les mêmes formules mécaniques. Et puis c'est quoi cette fascination pour les Chinois et les Jamaïcains, je ne vois vraiment pas le rapport. »

« Qu'est-ce que je fais alors ? »

« Qu'est-ce que tu fais ? Tu n'y vas pas à leur cirque. Et comme ça tu n'auras plus à aider tous ces abrutis incapables de faire leurs devoirs tous seuls. Ça te libérera du temps pour notre mission. »

« Et quel est ton plan ? »

« En ce qui concerne le tome des Potions de Pouvoir sur les propriétés du sang, pour le magistère, on va l'acheter à Londres. Ça tombe bien, c'est bientôt les vacances de Pâques. Donc on descendra à Londres en train, et ensuite… Ça te dirait de passer quelques jours chez moi ? Je t'invite. »

« Tu m'invites chez toi ? »

« Oui. Comme ça je te présenterai à ma mère. Et puis je m'ennuierai moins. Je pourrai te montrer la bibliothèque du manoir ! Qu'est-ce que tu en dis ? »

« C'est très bien. Il faut juste que je demande l'autorisation de mon père. »

« On lui fait une lettre ce soir. Et donc après être passé chez moi, on descend en Cornouailles, chez Angus. On essaye de retrouver des indices. Il doit au moins rester des portraits… Et on en profitera pour récupérer des livres. »

« Cela me semble un bon projet. »

« Mais c'est après que ça va se corser. On doit trouver le Royaume des fées pour ramener la Petite. »

 

-oOoOo-

 

Severus s'était contenté de jeter un rapide coup d'oeil à l'intérieur de la salle. A l'endroit où s'installe ordinairement les professeurs, il y avait Alan Jodorowsky avec un micro, entouré d'un jeune homme barbu à col roulé qu'il ne connaissait pas, d'Eric Salinger ainsi que d'autres membres lunettés de l'APADI et du Renard de Poudlard, comme Pimprenelle Traîtresse Diggory (pour reprendre l'expression de Bellatrix).

Une centaine d'élèves était présent, qui écoutaient plus ou moins attentivement le discours lu par le Préfet-en-chef. Severus n'avait quasiment pas vu entrer de Serpentards, excepté Bellatrix et les frères Lestrange, mais ils avaient été sortis dix minutes après le début du meeting par plusieurs membres du service de sécurité, parce qu'ils sifflaient le discours. Rodolphus Lestrange lui avait souri quand il avait franchi les arcs du hall, mais Severus n'avait pas aimé ce sourire.

Parce qu'il n'y a pas d'alternative face au racisme et au fascisme, pas de collaboration possible, pas de compromis possible…

Severus n'écoutait qu'à demi. Il n'avait pas fait de rêve significatif cette nuit, et il se rappelait la discussion qu'il avait eu avec le fantôme de Russell enfant.

« Tu viens me voir dans mes rêves. Tu as quelque chose à me dire, c'est cela ? » lui avait demandé Severus.

« Comment pourrais-je venir te voir dans tes rêves ? La seule personne qui te parle dans tes rêves, c'est toi. Ou plutôt ton subconscient. C'est lui qui doit essayer de te dire quelque chose. Ou alors tes rêves ne veulent rien dire, comme beaucoup de rêves. Ils sont tels la pluie d'atomes d'Epicure. »

Severus n'avait pas compris cette histoire de pluie d'atomes, mais il réfléchissait à cette éventualité que, contrairement à ce qu'il avait pensé à un moment, Angus ne lui apparaissait pas dans ses rêves pour le mener vers son assassin. Ses rêves n'étaient peut-être que des embryons de déductions qui n'étaient pas encore remonté à la surface de sa conscience.

Mais à quoi bon, au juste ? Depuis quand se souciait-il de savoir qui avait assassiné Russell ?

...Depuis qu'il soupçonnait véritablement Lucius Malefoy, qui s'était protégé par une marque contre le Véritasérum.

Mais nous n'acceptons pas non plus la politique actuelle du Ministère et celle de M. Croupton, ses manipulations tendant à renforcer le pouvoir de l'exécutif, sa diabolisation des hybrides et des créatures non-sorcières, les atteintes aux droits de l'homme durant les gardes-à-vue, sans parler des passages à tabac et autres mensonges et méthodes douteuses dont nous avons eu vent par certains informateurs.

Croupton… Si son fils était dans l'assemblée, il devait être ravi d'entendre ce genre de propos insultants sur son père…

Mais je vous renvoie à la dernière déclaration du ministre dans la Gazette, où il parle de "dératiser" la Grande-Bretagne.

Les "rats", c'est le nom qu'ils donnent aux mages noirs, lui et le Grand Auror.

Il est vrai que le fascisme est comme une peste, pour reprendre l'expression bien connue, notamment celle de l'écrivain français Albert Camus. On la croyait disparue il y a trente ans avec Grindelwald, mais voilà qu'elle ressurgit avec ce Sombre Seigneur.

Nous connaissons les erreurs, mais nous les répétons.

 

-oOoOo-

 

Le meeting d'Alan Jodorowsky contre le racisme n'eut pas les répercussions escomptées, à peine une vingtaine d'élèves rejoignirent son Comité de Vigilance, ce qui fit ricaner beaucoup de Serpentards. Après la performance désastreuse de l'équipe de Quidditch en janvier, la maison de Salazar battit Serdaigle ; le nouvel amour de Lucius Malefoy semblait lui avoir redonné les ailes qu'il avait perdues ; et les arbres autour du château fleurissaient de fleurs et de feuilles, les filles émiettaient les pâquerettes des pelouses, Lucius Malefoy offrait une robe blanche à la fée reposant sur la paume de sa main, jolie comme une mariée de pièce montée.

« Avril est le mois le plus cruel », récita Sirius Black en décapsulant sa bière.

« Je suis trop démoralisé vieux », fit Eric Salinger. « Y'aurait un pogrom à l'intérieur de l'école que personne bougerait son putain de cul. J'en ai marre de me faire insulter. »

« Et puis voir Wilkes et Malefoy se pavaner pour leur victoire à la con… Pourquoi Russell est mort ? Lui au moins… »

« Laisse tomber, la vie est injuste... Même la mort est injuste, tu vois. Hum... »

Deux jambes féminines apparurent devant les têtes des garçons assis dans l'herbe.

« Oh salut Magda ! » fit Sirius.

« Salut », fit sobrement Salinger.

« De quoi vous parliez ? » demanda la fille.

« De rien. »

Les yeux de l'adolescente s'abaissèrent de moitié.

« Si. Vous parliez de Russell, le gars de Serpentard qui s'est suicidé. »

Salinger baissa la tête et se frotta le nez, l'air mal à l'aise Sirius Black tourna brusquement la tête.

« Mais il s'est pas suicidé en fait ! » s'exclama le Maraudeur.

« Quoi ? »

« J'ai entendu une discussion des Médipsychomages quand j'étais à l'infirmerie… » Sirius baissa la voix. « En fait c'étaient des Aurors ! Russell a été assassiné et ils pensent que c'est quelqu'un de l'école qui a fait le coup ! »

« Quoi ? Mais il faut tout de suite en parler à Alan ! »

 

-oOoOo-

 

Severus respira profondément.

Les affaires à mettre dans la valise étaient disposées sur le lit.

Ses cahiers de note. Ses vêtements moldus usés et dépareillés. Son uniforme d'école. La robe violette que lui avait offerte Lucius – il ne pouvait pas entrer dans le manoir Malefoy vêtu comme un moins que rien.

Maintenant il devait choisir les livres à emporter. Celui de Paracelse sur les créatures magiques, ainsi que son manuel d'histoire de la magie pour les examens de fin d'année. Ceux-là, il les rangea dans son cartable.

Il soupesa ceux qui restaient dans le compartiment de sa table de nuit.

Il y avait d'autres manuels, ainsi que les livres prêtés par Russell : l'ouvrage pour apprendre à lire sur les lèvres et celui pour reconnaître les marques du mensonge, Vérité des visages. Et alors Severus repensa à ce visage triste qu'il avait vu cette veille de départ en vacances en décembre. Le triste visage qu'Angus Russell cachait sous ses attitudes aimables et énergiques habituelles.

Il plia ses vêtements dans sa valise avec soin, rangea ses livres, et descendit dans la salle commune.

Là, Russell le regardait encore, dans les cadres de maximes qu'il avait faites accrocher aux murs après sa mort. L'adolescent les parcourut des yeux.

« Je me demande si je saurai jamais qui t'a tué », pensa-t-il en s'adressant à la personne mince et si pâle qu'il avait vue en pyjama cette nuit d'hiver, il y avait maintenant plus de quatre mois. Et le revoyant, devant les cadres qui le montraient à différentes périodes de sa vie à Poudlard, entouré de ses camarades, son ventre se serra.

C'était comme quand vous avez un mot sur le bout de la langue ici une pensée qui s'est formée toute seule et que votre conscience ne parvient pas à attraper.

Il y avait quelque chose ce matin-là sur lui… Il y avait quelque chose d'important…

Il observa à nouveau les cadres.

Ici aussi… C'est quelque chose de logique ! De logique !

« Tu es prêt ? »

Lucius Malefoy était assis dans l'un des fauteuils, sa valise près de lui.

« Oui. »

« Alors c'est ainsi que commence notre grand voyage », répondit Lucius, avec l'urne de la fée dans sa valise.

 


 

II

 

L'adolescents aux cheveux blonds se redressa sur la banquette et ouvrit péniblement les yeux. Il jeta quelques coups d’œil sur le wagon tremblant, puis bascula la tête pour regarder le paysage qui défilait derrière la vitre chaude.

« Ça t'est déjà arrivé de te réveiller… apaisé par l'oubli du sommeil. Et quand tu ouvres les yeux, tout te revient d'un coup… Et tu as l'impression que ça ne peut pas être vrai tant c'est horrible, et tant il paraît tout à fait absurde de se lever pour vivre cela. »

« Tu ne peux pas savoir combien de fois », répondit Severus, tandis que le train filait à travers l'Ecosse.

Durant le voyage, Severus ne cessa de penser aux révélations que lui avait faites Metellus Honeytaste sur les goûts de son camarade. A présent qu'il savait, il était à l'affût de tout signe pouvant lui indiquer que les sentiments qu'il éprouvait pour le jeune homme blond étaient réciproques.

« Je suppose que tu ne sais pas transplaner », demanda ce dernier une fois qu'ils furent descendus sur la voie 9 3/4.

« J'ai quinze ans. »

« Tu fais plus âgé... Pff, dire qu'on va devoir se rendre dans la rue de Traverse à pieds et se mêler à tous ces Moldus. »

« Si tu enlèves ta cape, tu passeras relativement inaperçu. »

Lucius parut vexé à l'idée d'être confondu avec un inférieur. Mais les nombreux regards étonnés des passants ne tardèrent pas à le consoler : il fallait dire qu'entre sa lourde malle à roulettes (elle contenait entre autre l'urne à fée), son costume de gentilhomme avec chaînette sur le gilet et ses cheveux blond platine, il semblait quelque acteur de cinéma égaré hors d'un film historique.

« Hum... Les Moldues ne sont pas toutes laides », glissa-t-il entre deux mouvements de tête qui l'apparentaient de plus en plus à une girouette.

Severus, occupé à la fois à se repérer dans Londres et à nourrir ses yeux de son profil fin, ne réagit pas tout de suite.

« On y est presque ? Il faudra d'abord passer à Barjow & Beurk. Je t'aurais bien offert un verre au Chaudron Baveur, mais c'est rempli d'indics du Ministère. Il vaudra mieux y rentrer séparément d'ailleurs. »

Severus ne put s'empêcher de soupirer. Toute cette accumulation de contraintes et de risques était beaucoup trop d'un coup pour son tempérament - il le comprenait maintenant - plutôt casanier. De plus, il n'appréciait vraiment pas de devoir subir la parade subjuguée de Lucius et sa fairy, sans parler de ses regards appuyés sur des derrières pourtant non cashers selon les normes d'un Salazar.

Malgré cela, il appréciait infiniment d'avoir depuis ce matin Lucius pour lui tout seul, et cela presque 24 heures sur 24. Et quant à penser qu'il allait pouvoir être irradié par sa présence pendant deux semaines entières... Hé bien, cela valait bien tous les dangers du monde !

Le jeune Malefoy insista cependant pour que Severus allât seul chez Barjow et Beurk, avec le nom du livre dont ils avaient besoin inscrit sur un morceau de parchemin, tandis que lui faisait le gué (en fumant) dans l'Allée des Embrumes.

C'était la première fois que l'adolescent aux cheveux noirs entrait dans cette boutique, mais elle lui plut immédiatement. Jamais ce fils d'un père moldu n'avait vu autant d'antiquités et d'objets rares (« d'artefacts de magie noire », aurait dit un Auror) réunis dans la même pièce poussiéreuse et obscure. Le tenancier de ce cabinet de curiosités poussait même la politesse jusqu'à ne pas infliger au client la dégaine pimpante, pleine de fraîcheur et de santé d'un vendeur de chez Guipure.

« Que puis-je faire pour vous, jeune homme ? » demanda-t-il en allumant de sa baguette une deuxième bougie.

« J'aurais besoin de ce livre. »

Le vendeur se gratta les cheveux qu'il avait gras et tristes. Puis, souplement, il plongea une main dans un tiroir dont il tira une paire de clouants ; il la tint devant ses yeux pour mieux déchiffrer l'écriture malefoyenne, avant de jeter au lycéen qui se tenait devant lui un regard sceptique.

Severus se souvint des recommandations de son partenaire. Il expliqua immédiatement : « Je viens de la part de M. Lucius Malefoy. » Puis il posa sur le comptoir deux pièces d'or.

« Oh... Monsieur Malefoy est un très bon client », déclara Barjow en saisissant les deux gallions, avant de disparaître dans l'arrière-boutique. « Nous lui avons souvent fourni ce que personne d'autre que nous ne pouvait lui offrir... » commenta-t-il. « Et encore aujourd'hui... »

Il revint pour poser un lourd grimoire sur le comptoir, le visage triomphant.

« L'Art des Hautes et Nobles Potions de Pouvoir, volume V », lut-il. « Le Sang, usages, propriétés, et préparation. »

Severus le remercia et glissa le volume dans son cartable usé.

« Monsieur désire-t-il quelque chose d'autre ? »

« Non, ce sera tout. »

« Dans ce cas, transmettez mes amitiés au jeune Monsieur Malefoy. »

« Je le ferai. »

Il sortit. Lucius n'était plus dans l'Allée.

Severus se souvint alors qu'il devait passer chez Ollivander, le marchand de baguettes. Lorsqu'il pénétra dans la boutique, son compagnon faisait la queue, un long paquet emmailloté dans la main gauche.

« C'est bon, je l'ai », murmura Severus en se glissant à côté de lui.

« Parfait. Tout à l'heure, il y avait des gens du Ministère qui venaient s'acheter des baguettes de rechange. On se demande bien de quoi ils ont peur. »

Severus jeta un coup d'œil furtif au couple devant eux, puis s'abîma dans la contemplation du reste de la boutique, pièce lambrissée de chêne où des boîtes d'un carton usé, semblant destinées à contenir des règles ou des pinceaux, s'entassaient jusqu'au plafond. Mais ce n'était pas du matériel scolaire moldu, c'était des baguettes magiques... La dernière fois qu'il était venu ici, c'était il y a quatre ans, avec sa mère, un après-midi d'août, peu avant son entrée à Poudlard. Eileen Prince était si fière... Mais pff, ni ce jour-là ni sa mère ne reviendraient jamais.

« Severus, tu vas bien ? »

L'adolescent redressa la tête.

Le couple devant eux était parti et Lucius, qui s'était approché du comptoir, le regardait les sourcils froncés.

« Oui. »

Ollivander avait fini de ranger sa monnaie et se tourna vers eux en souriant.

« Le jeune M. Malefoy ! » apprécia-t-il de ses yeux pâles.

Décidément, tout le monde le connaît...

« Pas un problème avec votre baguette j'espère ? » s'enquit-il avec une servilité excessive.

« Non, elle me donne entière satisfaction, merci. En fait... Je viens pour un service un peu différent. »

Avec distinction, le jeune Malefoy posa son paquet sur le comptoir et déroula les morceaux d'étoffe qui l'entouraient.

La première chose que Severus vit fut un éclat d'argent... Puis la rondeur polie d'une tête de serpent, ses yeux d'émeraude, sa gueule ouverte au dents pointues, tête sinistre qui couronnait une longe tige de bois sombre.

« Une canne ? »

« Vous n'êtes pas sans savoir que je suis dans ma dernière année scolaire. J'aimerais donc savoir s'il serait possible, après les examens de juin, de vous confier ma baguette afin que vous l'incorporiez dans cette canne. »

Ollivander la prit dans ses mains et l'examina.

« Quel magnifique travail... » murmura-t-il, avec une lueur dans le regard. « La tête représente sûrement la maison Serpentard... Sont-ce de vraies émeraudes ? »

« Bien sûr que oui. »

« Fastueux... » commenta l'artisan, en accentuant cet adjectif avec un plaisir étrange. « Mais un travail que j'ai l'impression d'avoir déjà vu...? »

« C'est une pièce unique », répondit Lucius, l'air vexé. « Je voudrais que la baguette soit attachée à la tête, et qu'on puisse la sortir de la canne comme d'un fourreau. »

« Vous avez bien raison M. Malefoy, de nos jours, il faut être capable de se défendre en toute circonstance. De plus, je vois que la structure du bois a déjà été modifiée par le passé, je pense que je n'aurai aucun mal à faire ce que vous me demandez. »

« Dans ce cas, c'est parfait. »

Mais Ollivander continuait de regarder la tête de serpent, l'air fasciné ou réflexif. Lucius la reprit d'un geste sec.

« Merci beaucoup M. Ollivander. Mes parents m'ont prié de vous donner leurs amitiés. »

« C'est trop d'honneur. »

Il les raccompagna jusque à la porte avant de conclure, après une courbette respectueuse.

« La famille Malefoy a toujours su bien choisir ses amis et ses alliés. »

Et Severus ne sut à quoi tenait ce sentiment, mais il eut l'impression qu'il y avait beaucoup d'ironie dans l'ultime réplique du vieil Ollivander.

 

-oOoOo-

 

Le Manoir Malefoy était situé dans le Somerset, en pleine campagne anglaise. Ils empruntèrent des cheminées publiques pour s'y rendre. Aussi ne fallut-il que quelques minutes avant qu'ils ne tapent des pieds dans l'âtre de l'imposante bâtisse.

« Maman ? » s'enquit Lucius en ôtant la cendre qui était tombée sur ses manches.

Ils contournèrent la longue table noire. Exceptés les grand hall de Poudlard et du Ministère, Severus n'avait jamais vu de pièce aussi grande. A droite de la salle à manger, une femme à la démarche distinguée descendit les premières marches de l'escalier en marbre.

« Lucius, tu es déjà là ? »

Severus sentit qu'on le tirait par le bras.

« Viens. »

Alors la femme dévala les escaliers et courut vers son fils, qu'elle serra dans ses bras. Vêtue intégralement de noir, elle était grande et portait un bandeau de satin argenté au-dessus de sa frange de cheveux frisés au fer, cheveux qui étaient d'une étrange couleur jaune tirant sur l'orange.

« Mère, voici Severus, le garçon dont je t'ai parlé. »

« Bonjour. Enchanté de faire votre connaissance. »

Severus rougit et faillit lui faire le baise-main. Il se contenta d'une salutation polie.

« Je vais vous montrer vos chambres. »

Ils la suivirent au premier étage, et Severus ne put s'empêcher de murmurer : « Tu ne m'avais pas dit que ta mère était rousse. »

« Elle n'est pas rousse. C'est du blond vénitien », répliqua Lucius, vexé.

« Lucius, tu vas être content... » fit Lady Malefoy. « Ta chambre a été remise en ordre depuis la dernière fois. Nous avons réussi à tout réparer. »

Son fils ne lui répondit pas et se contenta de marcher plus vite, les laissant tous deux en arrière.

« Il est taciturne, comme son père », expliqua sa mère. « Et timide. »

C'est la meilleure, pensa Severus.

« Maman ! » protesta Lucius.

« Il est très sensible aussi. Un jour, il devait avoir treize ou quatorze ans… Il pleurait, parce qu'il s'était disputé avec l'un de ses amis. »

Severus leva la tête brusquement ; mais Lucius était entré dans sa chambre. Julia Malefoy fit un grand geste du bras.

« Voici la vôtre. Elle est juste à côté de celle de mon fils. »

« Merci beaucoup. »

« Si vous avez besoin de quelque chose, tirez la corde près du lit, cela fera venir un elfe.»

Elle eut un sourire qui pouvait être de sympathie ou de pitié, puis fit demi-tour et le laissa là. Severus avait volontiers imaginé la mère de Lucius ainsi couverte de bijoux, mais il ne s'attendait pas à quelqu'un de si chaleureux et dynamique.

Quoiqu'il en soit, elle n'avait pas menti : la chambre de son fils était parfaitement ordonnée. A première vue, elle rappelait ces pièces de musée moldu où tout semble à la fois trop ancien et peu utilisé. Le mobilier, les murs et le lit à baldaquin étaient recouverts de tissu d'un jaune tirant sur le brun, avec des motifs de plantes irréelles comme sont irréels certains chiens des scènes de chasse, qui tiennent à la fois du loup et du lion.

Mais une fois que l'on rentrait dans cet univers, les traces d'une vie personnelle et mystérieuse se laissaient deviner ici et là : des livres dépareillés sur une étagère noire, une robe de chambre fraîchement repassée posée sur le couvre-lit matelassé du baldaquin, de petites statuettes aztèques décorant le bureau.

Snape avait commencé par regarder les livres.

« Ce sont les premiers que j'ai eu », expliqua Lucius qui s'était glissé dans son dos. « Mais ce n'est rien comparé à la bibliothèque de Père. Quand tu vas la voir, tu vas être fou. »

Quand Severus ne le connaissait pas encore, la seule idée de pénétrer dans sa chambre aurait provoqué en lui une vague d'émotion au creux de son thorax ; car il a dit vrai celui qui définit l'amour comme une interrogation. Mais il en était de Lucius comme pour tout... Severus avait fini par s'habituer à le connaître, à faire partie de son cercle de proches, il en avait oublié ses sentiments passés. Et cela le rendait triste, d'avoir pu être blasé même de cela. Existait-il des choses assez profondes pour qu'on éprouve toujours envers elles le même désir insatiable ? Mis à part la connaissance.

Il tira du premier rayon un tome de L'Histoire de la Sorcellerie Illustrée, intitulé « Grandeur et décadence de l'Empire romain ».

« Celui-là est vraiment intéressant », fit vivement Lucius. « Bien qu'écrit pour les enfants, à l'origine. Les illustrations et les photos sont très belles. Je l'avais eu pour mes sept ans. Hum, ta chambre donne sur la mienne », ajouta-t-il en désignant une porte sur le côté. Les elfes y ont amené tes bagages. »

Voyant que Severus ne bougeait pas, il ajouta : « Tu peux aller t'installer et te reposer un peu. Je viendrai te chercher tout à l'heure. »

 

-oOoOo-

 

La chambre de Severus était le même genre que celle de Lucius, mais avec plus de ce bois très sombre et moins de tentures.

Il trouva de la place dans un grand bahut pour y ranger ses effets personnels, posa ses affaires de classe sur le secrétaire. Puis il s'allongea sur le lit et tenta de se relaxer quelque peu, touchant des doigts les reliefs animés du couvre-lit, se répétant les choses qu'il ne devait pas faire devant la mère de Lucius et la manière dont on devait tenir ses couverts en bonne société.

Une heure plus tard, la tête repeignée de Lucius apparut dans l'entrebâillure de la porte qui reliait leurs deux chambres.

« Nous allons bientôt dîner. »

Et de lui murmurer qu'il avait caché l'urne à fée sous son lit.

 

-oOoOo-

 

Le dîner fut assez pénible. La mère de Lucius n'arrêtait pas de parler, posant de nombreuses questions à son fils, mais lui se contentait de répondre par des grognements ou des hochements nerveux de la tête. Severus s'en plongea d'autant plus avec intérêt dans les succulents plats qu'on lui servait. Il n'avait jamais été quelqu'un de gourmand, mais il fallait en déduire que ce que consommaient les Malefoy pour se garder en vie n'était pas vraiment de la nourriture.

Malheureusement, Julia Malefoy ayant épuisé son stock de conversation filiale, elle finit par se tourner vers son invité.

« Severus, Lucius m'a dit que vous étiez un très bon élève. »

« Euh… Oui. »

« Cette fourchette n'est pas faite pour manger le poisson. »

« Pardon. »

« Votre mère s'appelle Eileen Prince. Ne l'ai-je pas rencontrée récemment ? Ce devait être… A une réception des Black ? »

En général, quand on ne savait pas d'où l'on connaissait quelqu'un, ou qu'on ne le connaissait pas, on demandait si on ne l'avait pas vu à une réception des Black.

« Non, je ne pense pas. Ma mère est morte. »

« Oh, excusez-moi. Toutes mes condoléances. »

Elle baissa les yeux. Il y eut un tintement de fourchette, que Lucius avait reposée.

« Ainsi vous avez été élevé tout seul par votre père ? » poursuivit l'aristocrate. « Vous êtes un garçon courageux. »

« Non en fait mon père est un M… »

« Son père est un mage explorateur. Il est parti explorer l'Antarctique », mentit Lucius d'une voix basse étrange.

Il se leva ; il y avait de l'eau sur ses joues.

Un quart d'heure plus tard, deux gâteaux et une corbeille de fruits apparurent sur la table noire, mais Lucius n'était toujours pas revenu.

« Peut-être devrais-je aller le chercher », bredouilla Severus.

« Non », répondit Mme Malefoy. « Ce n'est pas la peine. »

Le dîner terminé, Severus le retrouva dans sa chambre, en train de lire La Gazette.

« Tu étais malade ? »

« Non… J'avais juste besoin d'être seul. »

« Pourquoi as-tu dit à ta mère que mon père était en Antarctique ? Et qu'il était sorcier ? »

« Pour ne pas t'humilier devant elle, quelle question. La plupart des Demi-sangs ne sont pas comme toi… Elle m'aurait reproché de t'avoir amené ici. Mais lis plutôt ça. »

Il lui tendit le journal du jour. La photo de la Une montrait alternativement le visage du précédent Ministre de la magie, l'image floue d'un crâne de fumée, puis le portrait d'un homme blond sans âge, au regard sévère derrière ses lunettes, et dont les cheveux longs étaient impeccablement lissés. Severus lut la légende :Révélations sur la mort du précédent Ministre de la Magie ! Le chef des Aurors révèle l'implication de Lord Voldemort et annonce de nouvelles mesures contre les Terroristes.

« Qu'est-ce que ça dit ? »

« Que le précédent ministre ne serait pas mort de crise cardiaque mais d'un empoisonnement à la belladone. Et que le chef des Aurors, un certain Guinoleus McAlistair, est d'origine française, plus précisément bretonne, son prénom de naissance étant Gwénolé. »

« Tu veux dire que Gwénolé Kouign-Aman est le chef des Aurors ? »

« Précisément. »

« Et il est venu enquêter à Poudlard. »

« Il y a des journalistes qui tueraient pour avoir cette information... Je ne te dis pas la panique que cela causerait. »

Ils passèrent le reste de la soirée dans la bibliothèque du père de Lucius. Severus eut du mal à s'endormir, ne comprenant ni le comportement de Lucius ni celui de sa mère.

Mais le jeune Sang-Pur n'était pas au bout de ses peines, car il eut la surprise, à son lever, de voir son père assis dans le salon familial, les pieds posés sur un petit tabouret devant la cheminée.

« Tu es déjà rentré ? »

« J'ai un rendez-vous d'affaire avec Fergus Avery ce soir, et j'avais quelques papiers à prendre. C'est aussi l'occasion de voir comment tu vas. »

« …Comment je vais ? » répéta son fils.

« Oui. Après ta petite crise des vacances de Noël. Et d'après ta lettre, tu n'es toujours pas premier de ta classe. Que s'est-il passé ? »

« Je suis deuxième, et j'ai été nommé préfet », répliqua précipitamment son fils. « Mais tu sais, tu sais bien que les professeurs préfèrent les Sang-Mêlés. Ils ont mis Alan Jodorowsky en premier sur le tableau d'honneur, parce que ses parents sont moldus. »

Abraxas Malefoy eut un sourire pincé.

« Tu donnes toujours cette excuse. Mais, je n'ai pas encore vu ton ami, ce Severus Snape. D'après ce que ta mère m'a dit, c'est un esprit brillant ? J'ose espérer qu'il aura une bonne influence sur toi. »

« Pourquoi tu… » commença à murmurer Lucius comme réponse.

Mais il ne poursuivit pas sa phrase car son père avait sifflé son setter, qui s'assit à ses pieds pour se laisser flatter de la main.

 

-oOoOo-

 

Étrangement, Severus sembla faire très bonne impression sur Malefoy Père, qui trouva parfaites son maintien et sa contenance d'ecclésiaste. Car ce n'était pas le cas de Lucius, voyez-vous. Lucius était comme son grand oncle Timon Orpheus Rosier, qui s'était jadis laissé tourner la tête par une cocotte qui lui avait mangé tout son argent.

« Le pauvre homme, Severus, a fait le tour du monde à cause de cette femme. Des éléments de son sang ont dû passer dans celui de Lucius. Il ne peut pas tenir ça des Malefoy. »

Le pire c'est qu'il n'a pas complètement tort, pensa Severus en se remémorant l'effet hypnotique que les femmes avaient tendance à avoir sur son camarade. Quant à Julia Rosier-Malefoy, qui lui avait pourtant paru si charismatique quand il était arrivé au Manoir, elle ne disait rien, se contentant de tremper ses lèvres dans sa coupe de vin en découpant en petits morceaux le contenu de plats dont elle ne mangeait que le quart.

« Je ne suis pas une espèce… d'écervelé », contesta Lucius. « Et puis tu pourrais éviter ce genre de discussions devant un invité.»

« Tu marques un point, mon fils. Ainsi, Severus, vous seriez aussi doué en potions que votre mère ? »

« Hé bien… »

« Il est excellent », ajouta l'autre adolescent en lui dédiant un sourire, sourire qui en fit naître un autre sur les lèvres de Severus. « Notre professeur actuel, Bhima Agni, a déjà dit que c'était le meilleur élève en potions qu'il avait eu depuis qu'il a débuté sa carrière. »

« Félicitations. J'y pense, Lucius, il pourrait t'aider pour ton magistère de potions. »

Le sourire du jeune homme s'éteignit brusquement.

« Je… Je n'ai pas besoin de lui. J'ai toujours eu la note maximale en potions. J'étais même meilleur qu'Angus Russell ! »

« Voyons, inutile de t'énerver, Lucius », tempéra sa mère en posant sa main sur son épaule.

Severus ne disait rien, toujours droit et calme. Son visage était impénétrable, mais ses yeux noirs luisaient.

« Si tu étais si bon que tu le dis, ton professeur ne t'aurait pas mis en binôme avec ce Russell, justement. Ce n'est pas une mauvaise chose qu'il soit mort, d'ailleurs. Tu vas être tranquille pour finir un magistère dont tu récolteras seul les lauriers. »

« Oui… Si je réussis, je pense que cette potion fera partie de la prochaine édition des Potions de pouvoir. Ce sera un travail historique. »

« Fort bien, fort bien. »

 

-oOoOo-

 

Plus tard dans l'après-midi, l'air maussade, Severus laissait vagabonder son regard sur les quelques photos qui étaient accrochées au mur dans la bibliothèque, près du bureau du père de Lucius.

L'une d'entre elles datait de 1940 et montrait un groupe d'adolescents en robes de sorcier, des Serpentard si l'on en croyait la légende. Par réflexe, le regard de Severus fut d'abord attiré par un élève de première année à gauche, aux cheveux blancs sur la photo ancienne. Le père de Lucius ? Puis il s'arrêta sur le garçon qui était le plus mis en évidence, au premier rang, au centre, assis sur une chaise. Il devait être en quatrième ou cinquième année ; ses cheveux et ses yeux étaient noirs, il était pâle et cerné, mais d'une étrange beauté maladive, et malgré son apparente faiblesse, il y avait sur ses lèvres un sourire joyeux et ironique, qui se plissait et se déplissait. Juste à côté de lui se tenait le Préfet-en-chef de l'époque, dont le visage pur était familier à Severus – n'était-ce pas celui qu'il avait déjà vu dans la salle des trophées ?

« Vous regardez ma vieille photo de classe ? » s'enquit Abraxas Malefoy.

Severus ne l'avait pas entendu entrer.

« Oui… Est-ce vous ici ? »

« C'est exact. J'étais en première année quand la photo a été prise. »

« Et ce garçon ? »

Il désignait le préfet.

Le visage de l'aristocrate s'assombrit.

« C'est Tom Riddle. »

« J'ai vu qu'il avait gagné une médaille… »

« C'est exact », dit-il d'une voix froide. « Et ici, voici l'un de ses proches amis, Sigisbert Rosier. Vous devez connaître son fils, Evan Rosier, qui est à Serpentard, comme vous. Sur cette autre photo, vous avez les Gryffondor, avec mon épouse, Julia Rosier, et votre professeur de métamorphose, Minerva McGonagall, en année terminale. Chez les Serdaigle, cette année-là, il y avait aussi Bartemius Croupton, l'actuel Ministre de la Justice. Mais je n'ai pas la photo. »

Severus reconnut avec amusement son professeur dans la jeune fille à l'air studieux et à la coiffure d'époque qui posait devant l'objectif avec ses camarades.

« Et qui est ce jeune homme à côté de Miss McGonagall ? » demanda-t-il en désignant un adolescent à lunettes dont le visage et l'allure l'interpellaient.

« Erwin McAlistair. Il était écossais comme elle. Très ami avec ce polar de Croupton, ils étaient tous les deux préfets bien entendu.»

C'est l'Auror pseudo-Médipsychomage qui m'avait interrogé avec Gwénolé, se souvint Severus. Puis il revint à la photo de Serpentard, hanté par l'apparence et le regard du bel adolescent du premier plan.

« Ce garçon brun, près de Tom Riddle... Il a l'air très malade. »

« Il l'était, en effet. Son nom était Laurence Lestrange. Un esprit brillant, bien que dispersé et paresseux. »

« …Il était ? »

« Il est mort cette année-là. »

« Sa maladie », conjectura Severus.

« Non. Il s'est suicidé. »

 

-oOoOo-

 

Abraxas Malefoy partit à neuf heures du soir chez Fergus Avery, comme cela était prévu.

Alors que ces vacances étaient initialement prévues pour être une récréation, plus les heures passaient et plus le moral de Lucius semblait diminuer. Et Severus, agacé par son comportement, n'avait même pas envie d'essayer de le réconforter.

Il était onze heures et ils étaient dans la chambre de Lucius quand Severus déclara que son père n'était pas si terrible.

« Tu dis ça parce qu'il t'a flatté », répondit son aîné avec un sourire en biais. « Mais le discours qu'il t'a tenu, et ce qu'il m'a dit tout à l'heure quand nous étions seuls... Je peux te dire que cela n'avait rien à voir. Tu sais ce qu'il apprécie chez toi, en réalité ? »

« Non. »

« Que tu sois d'assez basse extraction pour ne pas me faire d'ombre. Que tu sois d'un tempérament silencieux, timide, et discipliné, comme cela je pourrai faire de toi un homme de main obéissant. Voilà ce qu'il m'a dit et ce qu'il pense réellement. Tu es vraiment naïf. »

« Je suis désolé. »

« Si tu n'étais autant préoccupé de ce que les gens pensent de toi, ça ne serait pas arrivé. »

« Pourtant, tu... »

« Je n'en ai rien à faire de ce que les gens pensent de moi », répliqua sèchement Lucius. « Si je veux être premier c'est uniquement à cause de mon père. Et je ne veux juste rien faire qui puisse salir ma réputation. Mais ce n'est pas une question d'amour-propre. »

Severus se tut. Il était en train de réfléchir à ce qu'il pourrait bien dire pour sa défense quand la tête d'Alexandre Avery apparut dans l'âtre de la cheminée.

« Lucius ! Lucius ! »

« Je suis là. »

« On est dans une putain de merde ! » s'exclama le garçon à lunettes, l'air totalement paniqué.

« Qu'est-ce qui se passe ? »

« T'es tout seul ? »

« Non, je suis avec Snape. Mais accouche. »

« C'est ton père ! Il sait tout ! »

« Tu… Tu lui as tout raconté ? »

« Non… Non, je t'ai pas vendu, j'ai rien dit ! J'ai réussi à m'éclipser pour t'avertir… Mais il est parti, il va pas tarder à arriver. »

La tête d'Avery disparut brusquement.

« De quoi parlait-il ? » demanda Severus.

Mais Lucius ne lui répondit pas, occupé à réfléchir intensément. On frappa à la porte. C'était un elfe de maison.

« Votre père veut que vous descendiez dans le salon, monsieur », dit l'elfe, les oreilles baissées.

« D'accord. Viens, Severus. »

Ils descendirent lentement. Severus avait l'impression que l'affaire était importante, si l'on en jugeait le visage arboré par Lucius, qui rappelait celui d'un condamné à mort marchant de lui-même vers la guillotine.

Au salon, la mère de Lucius était assise dans un fauteuil, près de l'âtre, les mains jointes et la tête baissée. Son époux, debout, leur tournait le dos en remuant les cendres avec un tison.

« Vous vouliez me voir, père ? »

« Tu n'as rien à me dire, Lucius ? »

« Non. »

« En es-tu sûr ? Vois-tu, j'ai eu une petite discussion avec Fergus Avery, le père d'Alexandre, ton plus proche ami. Nous avons parlé des vacances que tu avais passées chez eux quand tu avais douze ans. C'était deux semaines, en été. La même chose l'année suivante. Et cela pendant plusieurs années de suite. »

« Et ? » répliqua Lucius avec aplomb.

Abraxas Malefoy se retourna brusquement, le tison toujours dans la main. Severus recula, et croisa ses bras devant lui par réflexe de défense.

« Tu n'as jamais passé ces deux semaines entières chez eux, et Alexandre te couvrait. Mais le pire, c'est que si j'en crois les Avery, c'est moi-même qui suis venu te chercher à chaque fois. Etrangement, je n'en ai aucun souvenir. Alors j'aimerais que tu répondes à cette simple question : où étais-tu ? »

« Je suis allé prendre l'air. Le climat ne me convenait pas. »

« Tu ne comprends pas Lucius. Le problème n'est pas que tu m'aies menti. Je ne suis pas bête. Tous les enfants mentent à leurs parents. Non, ce qui m'inquiète… C'est que je me demande, je m'interroge, qu'est-ce que tu as pu faire… de si infamant qu'il ait fallu que tu me mentes, que tu fabriques du Polynectar ou je ne sais quel autre subterfuge… »

Lucius pâlit, et on eut dit que ton son être se rétractait vers l'intérieur, que son sang se figeait.

« Alors réponds-moi Lucius. Où étais-tu ? » Cette fois l'homme s'était mis à hurler. « Ta mère, elle ne dit rien. Mais moi, je m'interroge. J'ai toujours suivi toutes les règles. Il n'y a pas une seule chose qu'on puisse me reprocher et pourtant, il a fallu que j'aie ce fils, si faible, si efféminé, si… »

Il regardait maintenant son fils unique avec dégoût, avec les yeux flamboyants d'un homme qui dit enfin ses pensées à voix haute après les avoir trop longtemps contenues. 

« Ce n'aurait pas été très différent si j'avais eu une fille », conclut Abraxas, la main crispée sur le tison.

Julia Malefoy se leva et le fit reculer, lui prenant des mains la barre de fer. Le visage de Lucius, rouge, était à présent couvert de larmes.

« Sois tranquille, tu ne seras plus embarrassé maintenant… » dit-il à voix basse.

Puis il sortit en claquant la porte. Severus lui courut après, bouleversé par ce qu'il avait vu et qui lui rappelait les douloureux souvenirs du temps où il vivait encore avec son père, mais aussi parce qu'il n'avait aucune envie de rester en compagnie de l'homme au tison.

Lucius marchait très vite, se couvrant le visage et claquant chaque porte franchie. Il ne s'arrêta que lorsque il fut dans sa chambre.

« Dépêche-toi Severus », murmura-t-il difficilement. « Prends tes bagages. »

« Mais… »

« Dépêche-toi, ils ne vont pas tarder à monter. »

Severus s'exécuta. Quand il revint avec sa valise, la fenêtre était ouverte, et le balai de Lucius était sur son lit.

« Peux-tu miniaturiser les valises ? Tant pis si les affaires sont un peu abîmées, nous n'avons pas le choix. »

« Mais où va-t-on aller ? »

« Là où on aurait dû aller en premier. »

Severus suivit ses ordres et transforma tous les bagages, sauf l'urne que Lucius accrocha à la queue du balai, par peur qu'une miniaturisation ratée endommage la fée, ainsi que la canne à tête de serpent que Severus prit avec lui. Puis les deux adolescents enjambèrent le Nimbus, et s'élancèrent dans les airs à travers la fenêtre ouverte.

L'air était doux mais la nuit déjà profonde. Severus fermait les yeux, se cramponnant de toutes ses forces à Lucius dont il serrait la poitrine.

« Ne t'inquiète pas, Severus », clama le Sang-Pur dont la voix perçait le bruit du vent. « Nous n'irons pas en balai jusqu'au manoir Russell... Je suis incapable de conduire jusqu'à là-bas, où d'y transplaner avec une autre personne ! J'ai lancé un sort de Directio... Il nous mènera jusqu'à la prochaine gare ! »

« Mais qu'est-ce que tu vas faire pour ton père ? »

« Je n'en sais rien... En tout cas, si nous trouvons le Royaume des fées... Là-bas, nous serons à l'abri... »

Ils arrivèrent à la station du comté une demi-heure plus tard, située au sud de la ville de Trowbridge, et patientèrent sous l'abri.

« Le prochain train est à minuit », dit Lucius après avoir regardé les horaires. « Mes parents vont sans doute me chercher à Poudlard, ou interroger Avery. Cela va nous laisser un peu de temps. ...Chocolat chaud ? »

« Euh... Oui », répondit Severus, en regardant autour de lui pour localiser un distributeur.

« On n'est pas chez les Moldus », se contenta de répondre Lucius en pointant sa baguette sur une pierre, avant de tendre un mug fumant à Severus, qui roula sa manche autour de sa main droite pour la saisir.

« Alors ? »

« Ça a plutôt un goût de chicorée. »

« Tant pis. »

« Lucius ? »

« Quoi ? »

« Ton père... Il a déjà… ? »

« Non, il n'est pas porté sur la violence physique si c'est que tu te demandes. C'est plus subtil avec lui. »

Puis il le regarda par réflexe, d'un regard qu'on ne contrôle pas et qui incarnait la pensée pas comme le tien...

« Qui y'aura-t-il au manoir Russell ? » s'enquit Severus, inquiet après cette expérience chez les Malefoy.

« Normalement, seulement sa mère... Elle est gentille, tu verras. »

Soudain, les rails commencèrent à vibrer et le sifflement d'une locomotive à vapeur se fit entendre.

« C'est notre train, le train de Cornouailles », confirma Lucius.

L'imposante machinerie noire et bleue du Cornwall Express finit par s'arrêter. Personne n'en descendit ni n'y monta, sauf les deux adolescents fugueurs.

« On ne s'arrêtera qu'au terminus... Si tu veux faire une sieste... » fit Lucius tout en passant la porte ouvrant sur le couloir.

Les garçons n'allèrent pas loin et s'installèrent dans un luxueux compartiment aux sièges tendus de velours rouge.

« Je voyage toujours en première classe », expliqua laconiquement Lucius.

Il s'assit, toucha le velours du siège et la vitre, le visage contracté. Sifflement du chef de gare... Le train se remit en route. Et le blond jeune homme bascula la tête en arrière, se laissant porter par le mouvement rythmique de la locomotive. Puis son sourire s'estompa et ses sourcils se froncèrent au-dessus de ses yeux clos. Son visage pâle nimbé d'or blanc reposant sur le coussin de la banquette ressembla alors à quelque peinture préraphaélite, une tête de Saint Jean-Baptiste ou de chevalier décapité qu'éclairait une lumière surnaturelle.

« J'ai donné à manger à la fairy, tout à l'heure », dit Severus.

Lucius se redressa et regarda avec étonnement les deux yeux noirs qu'encadrait la chevelure sombre.

« Bien. »

« Tu as envie de dormir ? » demanda Severus.

« Pas vraiment... »

« Moi non plus. Je pense que nous pourrions profiter du voyage pour résumer ce que nous savons, et réfléchir. Comme ça, quand nous serons chez Russell, nous saurons où chercher. »

« Tu as raison », dit Lucius en se prenant le front dans les mains.

« Donc Russell est allé en France pendant les vacances de Noël... Est-ce que tu sais où ? »

« Non... Je ne savais même pas qu'il partait en vacances... Il disait qu'il passerait les deux semaines à travailler sur le magistère. D'ailleurs tu te rappelles le matin de Noël, quand il nous a contacté par cheminette... »

« Oui, je me souviens... »

« Il disait qu'il travaillait dans sa cabane. »

« Et tu penses qu'il a pu aller où en France ? Car apparemment c'est là-bas qu'il est tombé sur les ravisseurs de la fée... »

« Il n'a pas de famille là-bas, à ma connaissance. Mais ce qui est possible, c'est qu'il ait passé du temps dans certaines bibliothèques françaises. C'était un habitué de la rue Saint-Jacques à un moment. »

« Hum... Il est possible qu'il ait surpris une conversation, et en ait profité pour secourir la fée. »

« C'est ce que je pense », dit Lucius en regardant la fenêtre.

« Mais pourquoi ne pas être allé tout de suite à la police ? »

« Je n'en sais rien... Il pensait être capable de tout faire, sans avoir besoin des autres... Il voulait sans doute ramener lui-même cette fée d'où elle venait. Et comme ce n'était qu'une fée... Cela ne lui est peut-être pas apparu nécessaire d'en alerter la police. »

« Et donc les ravisseurs auraient suivi sa trace et seraient venus chercher leur butin... Mais lui avait mis la fée en sûreté à la Poste, en l'affranchissant vers toi au cas où il lui arriverait quelque chose, comme il l'a dit dans son message. Il avait prévu une date suffisamment éloignée pour que les ravisseurs se soient découragés, mais suffisamment proche pour qu'il y ait dans la maison de poupées de quoi nourrir la fée pendant cette période. »

« C'est ça. »

« Tu n'as pas l'air convaincu. »

« Je ne sais pas... Il est possible que ce soit d'autres personnes qui aient fait le coup. »

« Qui d'autres ? »

« Il s'était embrouillé avec des marchands lybiens au début du mois d'août, après qu'il soit revenu du joyeux pays des crustacés. »

« Sa mère en sait peut-être davantage. »

« Cela m'étonnerait. N'oublie pas qu'elle ne sait même plus qu'elle a eu un fils. Mais elle se souvient de moi... Quelqu'un lui a effacé la mémoire. »

« Alors le meurtrier devait connaître sa mère depuis un certain temps. »

« C'est possible. Ou alors il n'est pas bon en sort d'Oubliettes et a mal fait son travail. »

Le regard de Lucius se bloqua ; puis il ferma à nouveau les yeux.

« Et pour le Royaume des Fées... »

« Le seul que nous ayons trouvé se situe en France, en Bretagne. Ce qui concorderait avec le reste. Les ravisseurs ont capturé la fée dans son habitat naturel, puis ont pisté Angus jusqu'à chez lui. »

« C'est ce qui semble le plus logique en effet. »

Mais Severus savait que l'économie logique ne correspondait pas toujours à la réalité, car l'homme qui la met en pratique possède souvent un trop faible nombre de prémisses.

« Pour tout te dire, Severus... Je pense que nous ne nous sommes pas posé la question la plus importante. Pourquoi Angus ne m'a-t-il pas dit où était le Royaume des fées ? »

« Parce qu'il ne savait pas où il était ? »

« Il a écrit "ramène-la chez elle", comme si c'était une évidence... Comme si je devais le trouver moi-même facilement... Fais fonctionner ta jugeote... »

« Il aurait pu éviter les énigmes », ronchonna Severus.

« Je pense qu'en allant chez lui j'aurai une chance supplémentaire de comprendre ce qu'il voulait dire. »

Le Cornwall Express traversa le Somerset et le Devon, avant d'arriver au milieu de la nuit en Cornouailles. C'était une région verdoyante aux paysages encore sauvages, située dans une péninsule à l'extrémité sud de l'Angleterre. Mais vers quatre heures, le train se mit à ralentir, les nuages semblèrent tomber d'un coup dans le ciel, plus pesants, et une averse de pluie drue se déclencha.

« C'est le bouclier de protection sorcier », expliqua Lucius. « Il y a plusieurs familles de Sang-Purs qui habitent dans la région de la gare. »

« Qui ? »

« Les Black et les Avery. »

Il lui fit signe de se lever.

« Bellatrix et Sirius Black ? »

« Non, eux habitent à Londres. Ici c'est une autre branche de la famille. »

« Hum. Tu connais le chemin ? » s'enquit Severus.

Force était de constater que la gare était quelque peu sinistre, et l'obscurité n'arrangeait rien.

« Oui, on reprend le balai. »

Oh non... grogna Severus intérieurement, avant de décoller à nouveau un kilomètre au-dessus du plancher des moutons grand-bretons. Et il avait d'autant hâte de descendre de ce balai qu'il avait envie de voir à quoi ressemblait l'endroit où avait habité Angus Russell.

Ils passèrent au-dessus d'un village, puis survolèrent une forêt qu'encerclait une rivière.

« On dirait qu'il y a de la lumière dans les bois », fit observer Severus, qui commençait à s'habituer à cette manière de voyager.

« C'est parce qu'il y a des marais. Les eaux libèrent des gaz. »

« Tu es sûr que ce ne sont que des gaz ? »

« Ne sois pas superstitieux Severus. Tu vois ce tor ? C'est ici. »

Severus suivit son indication. Sur un côté du bois se tenait une sorte de colline, dont le sommet était découvert et entouré de deux murailles circulaires qui devaient bien dater du mur d'Hadrien si l'on en jugeait leur état de vétusté. Au-delà de ces vestiges, un castle plus récent, datant du 18ème vraisemblablement, avec un toit en rotonde, un fronton et des colonnes, avait été construit.

Ils piquèrent vers le chemin du parvis, bordé de cyprès. Severus fut heureux de pouvoir à nouveau poser ses pieds sur la terre ferme. Il regarda autour de lui. L'aurore commençait à se lever.

« Nous arrivons un peu tôt », dit Lucius en époussetant sa cape.

Il donna l'urne à Severus et empoigna son Nimbus.

« Tu ne vois personne ? »

« Non. »

L'endroit était tout à fait mort. Il n'y avait aucune fumée qui s'élevait de la cheminée, aucune lumière traversant les fenêtres.

 

 


 

III

 

« En fait, ce lieu est assez ancien. Les Russell sont venus s'installer ici il y a quelques centaines d'années seulement », expliqua Lucius tandis qu'ils remontaient l'allée centrale.

« Rappelle-moi quelle est la raison officielle de notre venue ici », souffla Severus.

« Nous venons rapporter les affaires contenues dans le bureau d'Angus à l'APADI. »

« D'accord. »

Lucius tira sur la clochette de la porte d'entrée et jeta un regard sceptique au visage de silène qui décorait le bois couvert de peinture verte.

« Elle doit dormir… Mais l'elfe va forcément nous entendre. »

Il tira à nouveau sur la chaîne de la cloche. N'entendant rien, il se mit à appeler : « Stinky ! »

« Imbécile d'elfe, jamais là quand on a besoin d'eux… » grommela Lucius.

« Qu'est-ce qu'on fait ? »

« On entre », dit Lucius. « J'ai le code. »

La figure du Silène de la porte se mit alors à s'animer, et deux yeux blancs roulèrent de gauche à droite, dardant ses prunelles noires tantôt sur Lucius, tantôt sur Severus.

« Le code, toi ? Cela m'étonnerait. »

« Tu te fiches de moi ? Je connais parfaitement le mot de passe. »

« Le mot de passe a changé. J'ai de nouveaux maîtres. »

« Où est l'elfe de maison ? »

« Il est mort. »

« Et Mme Russell ? »

« Elle est à l'intérieur. »

« Qui d'autre est présent ? » poursuivit-il, nerveux, alors que Severus se penchait pour ramasser des grains blancs et cristallins qu'il avait vu répandus sur le pas de porte.

« Elle est le seule être humain présent. »

« Et tes nouveaux maîtres… Qui sont-ils, au juste ? »

« Mon nouveau maître est Fabian Prewett, du département des Aurors. »

Lucius poussa un soupir de soulagement. La police avait placé des mesures de sécurité autour du Manoir pour protéger Mme Russell.

« Fabian Prewett, ce n'est pas un ancien préfet ? » demanda Severus en portant un grain blanc à sa bouche.

« Si mais… »

Il empêcha Severus de goûter les cristaux qu'il avait trouvés.

« Tu es fou ou quoi ? »

« Je voulais juste savoir ce que c'était. Tu disais ? »

« Je disais que Fabian Prewett était Préfet-en-chef avant que tu arrives à Poudlard. Il est devenu Auror ensuite. Je me souviens de sa sœur aussi, Molly, une vraie emmerdeuse. »

« Alors, le mot de passe ? » redemanda le Silène. « Je ne vais pas rester ici toute la journée. »

« Parce que tu avais l'intention d'aller autre part ? » demanda Severus.

« Fil-de-cuivre », tenta Lucius.

« Ce n'est pas le mot de passe. »

« Hum. Qu'est-ce que Fabian Prewett aurait bien pu choisir comme mot de passe… Godric Gryffondor ? »

« Raté. »

« On ne trouvera jamais… »

« Victoire ? »

« Ce n'est pas le mot de passe. »

« Albus Dumbledore. »

« Ce n'est pas le mot de passe. »

« Molly ? »

« Tu me fais perdre mon temps, Lucius Malefoy. »

« On peut peut-être essayer de défoncer la porte », glissa Severus.

« Tu plaisantes ? Gideon ! »

« Raté. Ha ha. »

« Et ça te fait rire ? Espèce d'ignoble tête barbue ! »

« Je savoure ma revanche. Pour m'avoir tant importuné par le passé. »

« Vive les rouquins », tenta Lucius dans un accès de désespoir.

« Raté. Qui choisirait un mot de passe aussi stupide ? »

« C'est un mot ou une phrase ? » demanda Severus.

« Un mot. Un mot de passe. »

« Donc un unique mot Lucius. »

« Argh, pourquoi Angus n'est pas là ? »

« Parce que c'est sa maison et qu'il est mort, crétin », répondit le Silène.

« Tu sais comment il est mort ? » s'enquit vivement Severus.

« Je n'en sais rien. Je n'étais pas ici quand la nouvelle est tombée. »

« Mais l'assassin est bien passé par la porte ? »

« Severus, on ne va pas interroger tous les objets de cette maison. »

« Pourquoi pas », répondit Severus, se sentant de plus en plus l'âme d'un Walden Macnair.

« S'il n'est pas passé par la porte, il est passé par la cheminée. »

« Et dans ce cas le ministère peut retrouver son parcours », intervint Severus.

« Mais qu'est-ce qu'on en a à faire de qui l'a tué ? On n'est pas ici pour ça ! »

Le silène se mit à rouler des yeux.

« Tu dis ça parce que tu es peut-être le coupable. »

« Hein ? »

« C'est la section criminelle qui est venue enquêter ici, pas la police du commerce, Lucius Malefoy. Et je me souviens de cette fois où… »

Mais il ne put pas en dire plus car Lucius plaqua sa main sur sa bouche.

« Plutôt manger du pudding moldu vieux de mille ans que continuer à écouter tes sornettes. »

Un grincement de gonds se fit entendre, la porte s'ouvrit et l'esprit du silène disparut.

« Les gens choisissent souvent leur aliment préféré comme mot de passe, je crois », commenta Severus.

« Entrons avant que cet imbécile de satyre ne revienne. »

Ils pénétrèrent dans un vaste hall dont le sol carrelé de mosaïque était couvert de tapis orientaux qui n'avaient pas été entretenus depuis trop longtemps. Severus leva les yeux. Le jour filtrait, vert de gris, à travers la rose de vitrail de la rotonde, éclairant une profusion de sculptures, moulures, tableaux et tentures de type Art Nouveau, qui s'animaient en un chuintement continu de conversations étouffées et de plaintes.

« Il y a quelqu'un », s'inquiéta Severus.

« Ce sont les portraits qui parlent », expliqua Lucius.

Il s'avança, et Severus vint derrière lui.

De part et d'autre de l'entrée, deux portes donnaient sur les cuisines et les écuries (le père de Russell ayant eu le goût excentrique des chevaux).

Puis il y avaient des colonnades le long desquelles coulaient de l'eau – ce type de fontaine était à la mode au début du siècle. Derrière les piliers ioniens se trouvaient un grand salon, étrange sous cette hauteur de plafond, la rotonde donnant l'impression que la multiplicité de décorations allait tomber sur la longue table noire d'un instant à l'autre.

« Lucius, il y a des emplacements vides. »

« Ce sont des objets qu'Angus a vendus pour avoir de l'argent. »

Au fond de la rotonde, après la table, il y avait deux escaliers qui menaient au premier étage. Ils continuèrent à avancer.

L'adolescent aux cheveux noirs était gelé. Sans s'en apercevoir, il prit la main de Lucius.

« C'est quoi ce bruit ? » se demanda le blond.

« Mes dents. »

Severus sursauta ; juste à sa droite, une sculpture de je ne sais quel personnage mythique s'était mise à pleurer en tordant ses longs cheveux devant ses yeux. Mais derrière ces pleurs, Severus distingua aussi des murmures. A côté de la sculpture, dans un tableau, un groupe d'anciens étaient en train de discuter à voix basse autour d'un échiquier.

« Non, une fois que le mal est fait, c'est trop tard. Il sera toujours là. »

« Mais le plus terrible, c'est que ce mal, on ne le choisit jamais. Il vous tombe dessus, par hasard. »

« Ce sont les dieux qui s'amusent avec nous. »

Lucius le tira par la manche. Il avait sorti sa baguette.

« Prends-la, on ne sait jamais. »

Il s'arrêta devant un emplacement vide.

« Il y avait un portrait d'Angus ici. Et ça m'étonnerait qu'il l'ait vendu. »

« Les Aurors ont dû le prendre pour l'interroger », dit Severus. « Non, regarde, il est là ! »

Severus montra du doigt le portrait d'un jeune homme enveloppé de brocarts, dont les yeux clairs ressortaient sous les boucles brunes.

« Ce n'est pas lui. C'est son grand-père. »

Severus regarda sous le portrait, où était inscrit : « Eöle Russell, 1905-1939. »

« Il s'est tué sur scène. C'était un chanteur d'opéra... Il doit y avoir un gène dans la famille. »

Il sembla à Severus que ce commentaire de Lucius ne suscitait pas l'approbation des autres portraits familiaux.

« Et lui, c'est le père d'Angus », dit Lucius en montrant un bel homme aux cheveux blonds ondulés et aux yeux verts, qui disparut bientôt au galop. « Boni Mentus Russell, c'était son nom. Il est mort d'un coma éthylique quand Angus avait cinq ans. Il l'a retrouvé étouffé par son propre vomi. »

« Très plaisant. »

« Etant donné que son père le chanteur s'était donné la mort quand il était enfant lui aussi, on peut comprendre qu'il ait été porté sur la boisson une fois adulte. Mais avant de mourir, il a dilapidé tout ce qui restait de la fortune de sa famille, et a pris un nombre insensé de crédits. »

« C'est pour cela qu'Angus était si pauvre. »

« Exact. »

« Lucius, je n'aime pas cet endroit. »

« Tu plaisantes ? »

Ils étaient arrivés devant l'escalier.

« Tu veux connaître une autre histoire intéressante ? » poursuivit Lucius en tendant à son ami l'un des deux casques de chantier de la rampe.

« Euh... »

Ce ne fut qu'une fois montée la première volée de marches que Severus comprit l'utilité des casques. Les murs étaient tapissés jusqu'au plafond de colonnes de livres d'origine sorcière, moldue, autre, et leur empilement défiant les lois de la physique mais pas de la magie, faisait qu'à la vue de crânes nouveaux, les livres et les presse-papiers ne pouvaient se retenir de venir assommer (littéralement) de nouvelles victimes.

« Le père de Firinne Russell, la mère d'Angus, n'était pas un Russell. Mais on le disait stérile. »

« Et ? »

« La grand-mère d'Angus aimait aller se baigner dans les étangs et les rivières, comme il est de coutume dans la famille. Voilà de quoi nourrir les légendes urbaines de Rodolphus Lestrange, tu ne crois pas ? »

« En attendant, comment cela se fait-il qu'il y ait tous ces livres ? »

« La plupart lui appartenaient. »

« Je croyais qu'il était pauvre. »

« Il l'était. »

« C'était vraiment un dingue de l'Antiquité...» murmura Severus devant les œuvres complètes de Platon, Aristote, Cicéron, Sénèque, Marc-Aurèle. « Mais où est sa mère ? On ne l'a toujours pas vue. »

« On verra ça plus tard... Allons d'abord dans la chambre d'Angus. »

Ils grimpèrent un deuxième étage. Le nom de l'ancien préfet était inscrit sur une porte sombre et vermoulue ; Lucius tourna la poignée et entra, baguette en main.

Il n'y avait personne. Juste un mobile animé représentant le système solaire qui tournait lentement au plafond, le soleil, véritable miniature de l'étoile existant réellement, expulsant de petites flammes de feu. Severus sentit la tristesse envahir son ventre devant cette chambre vide. Face à la porte et devant la fenêtre, il y a avait un bureau-secrétaire impeccablement rangé, rien à voir avec ce qu'il avait connu du bureau de Russell à Poudlard. Sur une ardoise, une formule était écrite à la craie : « Les Sorciers ont la Magie, les Moldus ont la Science. » Tout était en ordre, trop en ordre, mais la poussière laissait percevoir que des objets avaient disparu.

« Ces imbéciles ont dû fouiller partout », grogna Lucius en ouvrant les tiroirs du bureau.

« Lucius, qu'est-ce que c'est ? » demanda Severus en montrant un enclos tapissé de toile qui se trouvait entre la porte de la salle de bains et le baldaquin.

« Il élevait des poules dans sa chambre. »

Severus préféra ne pas demander d'explication.

«Tu as trouvé quelque chose ? »

« Un œuf pourri. Hum, Lucius, je crois savoir pourquoi des objets ont disparu. »

« Ah bon ? »

« Pour relever les empreintes digitales du meurtrier. »

« Il faudrait vraiment être bête pour tuer quelqu'un sans mettre de gants », dit Lucius en réajustant les siens. « Pff... Il n'y a que des feuilles vierges et des plumes dans ces tiroirs. »

« Et cette porte ? »

« La salle de bains. »

Dans cette petite pièce mansardée, ils ne virent qu'une baignoire en laiton, une vieille serviette tâchée, du savon, des ciseaux de coiffeur et du maquillage.

« Je commence à fatiguer », fit remarquer Severus.

« Tu peux aller te reposer sur le lit. Je vais me mettre dans le fauteuil pour réfléchir pendant ce temps. »

Severus enleva ses chaussures et s'allongea sur l'édredon humide du vieux baldaquin. Il ne faisait plus aussi froid que tout à l'heure. Il s'endormit.

 

-oOoOo-

 

Ce qui le tira de son sommeil, quelques heures plus tard, ce fut la main de Lucius qui le secouait.

« Severus... »

« Qu...Quoi ? »

« Il y a quelqu'un qui monte l'escalier. »

Severus sortit sa baguette, prêt à lancer un Stupefix. Le bruit de pas se rapprochait. Ce n'était pas une démarche lourde, plutôt légère, mais chancelante.

Ils entendirent la porte de la pièce d'à côté s'ouvrir. Puis une voix féminine.

« Il y a quelqu'un ? »

« M... » commença Lucius. Mais il se tut.

Les pas se firent à nouveau entendre, juste derrière la porte de la chambre, qui s'ouvrit.

C'était Mme Russell, Severus l'avait vue à l'enterrement de son fils, bien qu'il eut de la peine à la reconnaître. Sa longue chevelure brune ondulait loin sous sa taille, nullement coiffée. Elle ne portait qu'une robe de chambre, ses traits étaient tirés et ses yeux hagards.

Lucius la regardait la bouche ouverte.

Après les êtres minuscules, les vieilles maintenant, constata amèrement son compagnon. Tout lui est donc bon ?

« Mme Russell ? »

« Qui... Qui êtes vous ? »

« Je... Je suis Lucius Malefoy, vous m'aviez vu à l'enterrement de votre fils dernièrement. Et voici Severus Snape. Nous sommes venus rapporter des affaires d'Angus. »

Elle regarda Lucius puis plissa les yeux, comme si elle souffrait.

« Le... Le gardien vous a laissé entrer ? »

« Oui. »

« Je... Je vais préparer du thé. »

« Si cela ne vous dérange pas, nous préférerions du café. »

Elle fit demi-tour. Severus bondit hors du lit et ferma la porte.

« On fait quoi maintenant ? »

« Pourquoi tu es si nerveux ? On va aller boire un café et manger... »

« Tu as dormi ? »

« Non. J'ai réfléchi. Il y a un objet qui pourrait nous être utile. C'est un tapis de sol, avec des figures géométriques qui ressemblent un peu à celles des Aborigènes d'Australie. Des sortes de dessins primitifs. Pendant que Mme Russell prépare le café, nos allons chercher ce tapis dans les autres pièces de l'étage. »

« Lucius, la mère de Russell... Elle n'a pas toujours été comme ça ? »

« Non... Mais elle n'a jamais été tout à fait normale, elle est presque devenue folle après la mort de son mari. Elle ne s'occupait pas vraiment de son fils. »

Ils cherchèrent dans les autres pièces de l'étage, mais tout ce que Severus trouva sur le sol ce fut d'autres cristaux blancs, qui étaient également présents dans la chambre de Russell.

« Si tu veux cacher quelque chose, où le places-tu ? » demanda Lucius.

« En évidence », répondit Severus.

« Quelle mouise. Il ne doit plus être là. »

Ils descendirent au salon. Firinne Russell était assise sur le siège de tête de la table, la tête posée sur ses deux mains, l'air songeur.

« Reste avec elle », dit Lucius. « Je m'occupe du déjeuner. »

Severus tira une chaise et s'assit à côté d'elle.

« Vous n'avez pas d'autre elfe ? »

« Stinky est parti. »

Elle ne sait pas qu'il est mort ?

Elle ne s'était toujours pas habillé, et les pans de sa robe de chambre traînaient par terre. Severus tressaillit quand il vit que le bas en était trempé.

Lucius ne tarda pas à revenir avec un broc de café chaud, du pain et un pot de confiture, qu'ils consommèrent de bon appétit – ce qui n'était pas le cas de la mère de Russell.

« Les Aurors ont dit que quelqu'un m'avait jeté un sortilège d'Oubliettes pour que j'oublie l'existence de mon fils, et de tout ce qui le concerne. Je ne comprends pas. »

« Pensez-vous que quelqu'un aurait pu vouloir du mal à votre fils ? »

« J'ai vu qu'il avait beaucoup de livres moldus... Peut-être quelqu'un qui n'aimait pas les Moldus. »

Lucius haussa un sourcil sarcastique, puis lui resservit du café.

« Vous êtes gentil. Je me souviens du jour où je vous ai vu à cette fête avec votre père. Vous étiez tout petit encore. Vous pouvez rester autant de temps que vous le souhaitez. Je n'ai plus vraiment de compagnie ici. »

« C'est vraiment très aimable. Est-ce que nous pouvons nous installer dans une chambre ? »

« Oui. Vous pouvez prendre celle de mon fils. »

 

-oOoOo-

 

« Lucius », siffla Severus quand ils furent de retour dans la chambre. « Le bas de sa robe était mouillé ! »

« Et qu'est-ce que ça a de tellement extraordinaire ? »

« Rappelle-toi tous les livres sur les fées et créatures magiques que nous avons lus ! Dedans il est dit que l'un des moyens de reconnaître une Nixe est que le bas de sa robe ou de son pantalon est mouillé ! Or ces livres nous disent aussi que les Nixes sont des créatures dangereuses qui n'ont pas un sens moral comme nous les humains ! »

« Parce que les humains ont un sens moral ? »

« C'est toi qui m'a dit que le père de cette femme en était sans doute un ! »

« Je disais ça pour rire. D'ailleurs je n'ai jamais vu le pantalon d'Angus mouillé... »

« Peut-être parce qu'il ne l'est qu'un quart. Par Merlin, ce n'est pas possible, ce froid en avril. »

« Je peux te réchauffer si tu veux », fit observer Lucius avec nonchalance.

« Hein ? »

« Je plaisantais. Cherchons ce tapis aux autres étages et dépêchons-nous de trouver quelque chose avant que la vilaine ogresse ne te dévore. »

« Il n'y avait pas que sa robe, Lucius. Ses cheveux bougeaient tout seuls. »

« Il devait y avoir un courant d'air. »

« Impossible. Mes cheveux ne bougeaient pas. »

« Parce qu'ils sont trop gras. »

Ils fouillèrent l'étage supérieur, mais ne trouvèrent pas le tapis qu'ils recherchaient, seulement à nouveaux les petits cristaux blancs ; Severus en ramassa quelques grains qu'il versa dans une fiole pendant que Lucius ne le regardait pas.

Dans l'écurie, il n'y avait plus de chevaux mais quelques vieux balais.

« Il reste sa cabane », dit Lucius. Ils firent le tour de la maison. Mais il n'y avait plus de cabane. Seule une trace noire à son emplacement.

« Elle a brûlé », s'étonna Lucius.

« On est pas plus avancé que lorsque on est arrivé... » constata amèrement Severus.

Lucius se proposa d'aller rendre les affaires d'Angus à Mme Russell, tandis que Severus préféra rester dehors, où il avait moins froid.

Il se promena entre les cyprès, franchit les restes de murailles circulaires, puis pénétra dans les bois, résolu à ne pas approcher des marais. Il tomba vite sur d'autres ruines, qui n'étaient pas visibles du ciel à cause de la végétation. Ces ruines, que les plantes avaient parasitées, étaient semblables aux premières qu'il avait vues : il s'agissait d'autres lignes de muraille circulaires, formant comme des chemins, mais avec comme des murs séparant ces chemins en morceau.

A peu près cinq-cent mètres après la limite du bois, le sol devenait humide et les joncs remplaçaient les buissons de fougères. Il y avait des passages pierreux. Severus posa le pied sur l'un et fit cinq pas ; il apercevait plus loin des ruisseaux noirs et des nappes d'eau de petite taille, ombragées par les arbres. Quelque chose plongea dans l'eau ; il n'avait pas vu quoi, mais cela lui suffit pour retourner au manoir en courant.

Quand il poussa la porte, laissée entrouverte, il fut surpris d'entendre de la musique. C'était To Sir, with love une chanson moldue qui passait à la radio quand il avait six ans et qui avait eu beaucoup de succès. Mais il fut plus surpris encore de ce qu'il vit quand il regarda ce qui se passait dans le salon. Lucius avait un bras posé dans le dos de Mme Russell, maintenant habillée, et la main gauche tenait la main de la sorcière – avec qui il dansait sous le son du disque moldu. Severus ramassa la pochette du vinyle ; le nom de la chanteuse, Lulu, avait été souligné de vaguelettes avec un crayon de couleur.

 

-oOoOo-

 

Lucius le retrouva plus tard dans la chambre de Russell, adossé au lit, occupé à regarder une plume de poule, les yeux vides.

« Ça va ? »

« Je ne savais pas que tu aimais les femmes d'âge mûr. »

« Quoi ? »

« Je t'ai vu danser avec elle. Elle pourrait être ta mère. »

« Justement. Je faisais ça pour la réconforter, comme un fils. »

Severus dut avoir l'air dubitatif, car Lucius crut bon de préciser : « Severus, tu l'as bien regardée ? C'est une épave cette femme. Je voulais juste... Tu es jaloux ? »

« Moi ? Mais non ! » répondit l'autre en rougissant.

« Dommage. »

Mais Lucius n'eut pas le temps d'approfondir sa réplique ; son regard s'était figé alors qu'il regardait les pieds de Severus.

« Attends... Tu peux te décaler s'il-te-plaît ? »

Severus se déplaça. Son camarade s'accroupit et regarda sous le lit.

« Je suis vraiment un idiot », dit-il alors en tirant un tapis enroulé de sous le lit.

Il le déplia sur le sol.

« C'est celui que je cherchais. Severus, nous partons dans dix minutes. Allons dire au revoir à Mme Russell. »

« C'est un tapis volant ? »

« Non. Mieux que ça. »

 

 

-oOoOo-

 

 

« Nous devons nous en aller maintenant. Vous ne nous en voulez pas ? »

Elle pencha son profil grec et serra son châle autour de ses épaules, car il faisait de plus en plus froid.

« Non. Mais dépêchez-vous... Le gardien arrive... »

Severus fronça les sourcils. De quel gardien parlait-elle ? Le silène de la porte ne pouvait pas « arriver ».

« Il ne fait plus froid », réalisa Lucius. « Il gèle ! »

Les fenêtres et la verrière du manoir s'étaient couvertes de givre. Severus et Lucius virent avec effarement le verrou de la porte des dépendances bouger, puis s'ouvrir.

« C'est un Détraqueur », murmura Severus, alors que des larmes coulèrent sur les joues de Mme Russell.

La haute figure s'avança, son visage hideux dissimulé sous le capuchon de son manteau d'ankou. Lucius semblait paralysé. Severus recommença à claquer des dents et les poils de ses avant-bras se dressèrent. Il sentit son ventre se rétracter d'un coup, et la nausée l'envahir, alors qu'il croyait entendre les pleurs de sa mère.

« Tu m'as menti ! Pourquoi m'as-tu menti ? »

Mais c'était la voix de Lucius. Elle sortit Severus de son rêve éveillé ; le Détraqueur avait ignoré Snape et s'était arrêté juste devant Lucius.

« Tu disais que tu étais mon ami, mais tu m'as menti », poursuivait Lucius, le visage contracté par la douleur.

Versé dans les Arts Sombres, Severus savait de quoi ces créatures étaient capables ; il ne savait cependant pas faire de Patronus, alors il fit apparaître un miroir entre le Détraqueur et son camarade, qu'il secoua avant de le tirer par le bras.

Les deux garçons grimpèrent les escaliers à toute vitesse, même si Lucius se retourna une dernière fois pour voir ce qu'il advenait de Mme Russell, immobile comme une antique cariatide aux côtés de son « gardien ».

Severus ferma la porte à clef derrière eux et attrapa l'urne qui contenait la maison de poupées, tandis que Lucius parcourait le tapis des mains en faisant d'étranges signes.

« Angus était passionné par tout ce qui concernait les créatures magiques, y compris les elfes », expliqua-t-il.

« Les elfes de maison ? »

« Oui. Il a découvert qu'ils avaient certains pouvoirs particuliers, qu'ils possédaient pour mieux nous servir. Ce tapis a été tissé par les elfes il y a très longtemps, et il permet de transplaner n'importe où. »

« Vraiment n'importe où ? »

« Oui. Qu'importe les barrières et les interdictions. Et n'importe où dans le monde, que tu sois malade, boiteux ou quoique ce soit. Approche. »

Severus s'accroupit sur le tapis, suivant le geste de Lucius, qui avait plongé son regard bleu dans le sien.

« Donne-moi ta main... Et ferme les yeux. »

« Où allons-nous ? »

« Où nous allons ? Au Royaume des fées ! »

Et ils disparurent.

 

 

À suivre

 

 

 

Those schoolgirl days
Of telling tales, and biting nails, are gone
But in my mind,
I know they still will live on and on

But how do you thank someone
Who has taken you from crayons to perfume ?
It isn't easy, but I'll try

If you wanted the sky,
I would write across the sky in letters,
That would soar a thousand feet high :
"To Sir, With Love"

The time has come
For closing books ; and long last looks must end
And as I leave,
I know that I am leaving my best friend

A friend who taught me right from wrong,
And weak from strong - that's a lot to learn
But - what can I give you in return ?

 

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