
Le mois du dragon
I
Le miroir aux fées
Severus trouva la main de Lucius étonnamment chaude lorsqu'elle se referma sur la sienne.
« Au Royaume des fées ! »
Cela se passa très vite. Partant du tapis, des fissures lézardèrent le parquet et les murs, puis il y eut un terrible bruit de craquement, et la chambre s'ouvrit comme une maison de poupées qu'on casse. Mais les objets ne tombaient pas, rien ne tombait, tout n'était rien qu'un dessin qu'on déchire... Excepté eux et le tapis ─ ils s'abîmèrent par le fond de ce décor brisé.
Severus, s'accrochant désespérément au tapis, se mit à hurler dans sa chute libre, tandis que Lucius l'agrippait pour ne pas qu'il tombe. Mais bientôt il n'y eut plus ni haut ni bas ; l'obscurité fit place à un cercle d'horloge dorées qui luisaient faiblement dans la nuit, de la lumière d'une neige qui tombait doucement sans cesser ; le tapis s'était arrêté au milieu de cet étrange conciliabule. Puis le carrelage de la salle s'effondra, et il leur sembla entendre tous les elfes d'Angleterre et d'ailleurs parler en même temps, ce qui était insoutenable. Puis les voix se turent et ils tombèrent à nouveau, glissant à travers le temps et l'espace. Lucius poussait les cris joyeux d'un enfant dans un toboggan ; Severus était vert, se disant qu'il n'avait rien d'un fichu Aladin.
Mais bientôt, un second craquement identique au premier se fit entendre, et ils tombèrent violemment sur quelque chose qui ressemblait à de l'herbe.
Il se relevèrent péniblement et époussetèrent leurs vêtements. Autour d'eux, il n'y avait que des arbres, le même genre d'arbres que ceux que l'on rencontrait autour du manoir des Russell.
« Toute cette montagne russe pour en arriver au même point qu'avant, je parie », grommela Severus.
« Pourquoi faut-il que tu sois toujours aussi négatif ? » répondit Lucius en plissant les yeux.
« Je ne suis pas négatif, je suis réaliste. ».
« Allons par là. »
Ils prirent la direction la plus ensoleillée. Cinq minutes plus tard, la voix de Severus se fit à nouveau entendre.
« Lucius ? »
« Oui. »
« T'es-tu déjà souvent servi de cet objet ? »
« Quel objet ? »
« Le tapis », dit Severus en désignant l'artefact elfique qu'il portait, roulé, sous son bras droit.
« Oui. »
« Pourquoi ? »
Lucius cessa de marcher et le regarda.
« En quoi cela te concerne ? »
Vexé, Severus le doubla en l'ignorant.
« Severus ! Attends ! »
Mais l'adolescent hâta davantage le pas, en colère, sombre personnage de Murnau filant à travers les bois. Lucius Malefoy se mit à courir après son jeune camarade.
« Attends-moi ! C'est moi qui aie la fée ! Imagine que tu tombes sur un monstre, ou, je ne sais pas, un lion qui parle... Il faut que tu puisses justifier ta présence dans leur Royaume. »
« Un lion qui parle... Et quoi encore ? »
Le vrombissement qu'ils entendirent à ce moment-là ressemblait davantage à un bruit de voiture qu'à un rugissement de lion. Les deux garçons écartèrent les derniers arbustes et buissons qui leur barraient le passage.
Ils se retrouvèrent sur une route goudronnée.
« Mais où sommes nous ? »
Lucius montra une petite pierre peinte sur le côté, sur laquelle avait été peint ce code énigmatique : D773. De l'autre côté de la route, il y avait une maison à plusieurs étages, à la fenêtre duquel un homme en marcel était en train de fumer. Il devait avoir allumé sa radio, car on entendait :
Ecoute maman est près de toi,
Il faut lui dire: "Maman, c'est quelqu'un pour toi"
Ah ! c'est le monsieur de la dernière fois
Bon, je vais la chercher
Je crois qu'elle est dans son bain
Et je sais pas si elle va pouvoir venir
« C'est du français », réalisa Lucius.
« Alors nous avions raison au sujet de l'emplacement géographique du royaume », déclara Severus. « Nous sommes en Bretagne, dans la forêt de Brocéliande. »
Il désigna l'écusson collé sur le pare-brise de la 4L garée devant la maison. C'était le même drapeau que Gwénolé Kouign-Aman avait attaché au stand breton de la kermesse.
Seras-tu aux prochaines vacances à l'hôtel Beau-Rivage ?
Aimes-tu la plage ?
Oh oui ! j'adore me baigner
Maintenant je sais nager
Mais dis donc, comment tu connais l'hôtel Beau-Rivage
Tu y as été toi, à Sainte Maxime
Lucius Malefoy sortit de son sac le livre France : le guide du Sorcier en vacances, puis ils ôtèrent leur cape et se mirent à remonter la route, en bras de chemise car le soleil brillait et la journée était chaude.
Au bureau d'une pièce plongée dans l'obscurité, l'Auror demeurait penché au-dessus d'une photographie qu'il considérait fixement, bien qu'il connaisse déjà ses figures par cœur. Elle représentait un morceau de peau sur laquelle était peinte – ou tatouée – une sorte de labyrinthe circulaire, qui apparaissait puis disparaissait. Quant à l'homme qui la détaillait si attentivement, il portait un costume sombre, des lunettes fumées ; ses cheveux blonds, bien que longs, étaient soigneusement coiffés, peignés de part et d'autre d'une raie sur le coté, attachés en catogan. La tension se lisait sur les traits jeunes (et à la fois mûres) de son visage, ses yeux étaient brillants mais froids.
« Encore à vous occuper de cette histoire de tatouage ? »
La voix provenait de la porte d'entrée. Il ne l'avait même pas entendue s'ouvrir.
« Monsieur le Ministre. »
Bartemius Croupton hocha la tête.
« Guinoleus, j'aurais préféré que ce soit plutôt la Marque des Ténèbres qui vous occupe, et non ce ridicule tatouage d'adolescent. »
« Avec tout le respect que je vous dois Monsieur le Ministre, ce tatouage n'a rien de ridicule. Et si vous aviez accepté ma demande de surveillance du Manoir Russell, j'aurais peut-être bien davantage progressé dans mon enquête. »
« La garde de Lady Russell par un détraqueur est amplement suffisante. Nos agents sont affectés en priorité sur les affaires concernant directement Lord Voldemort. Quant à votre enquête, étant donné que vous êtes déjà persuadé que le fils d'Abraxas Malefoy est coupable... Cela en devient une véritable obsession. »
« La seule chose qui me manque, ce sont des preuves. Je suis… »
« C'est bien là le problème. Nous ne pouvons arrêter le fils de ce notable sous le coup de votre seule conviction intime. Quand bien même vous en trouveriez, nos priorités sont ailleurs », rappela le Ministre de la Justice.
« Au contraire. Il est possible que cette affaire touche directement Voldemort. »
« Ce sont de pures conjectures. Qui engagent de plus la culpabilité présumée de l'un des membres d'une famille sorcière des plus éminentes. Nous ne pouvons nous permettre de nous aliéner maintenant la haute société. »
« La haute société est déjà à moitié gangrenée par les idées des Mangemorts, et vous le savez comme moi. »
« Précisément. La moitié. Mais je tiens tout de même à vous féliciter, à nouveau. Votre enquête à Poudlard a été très utile, elle nous a permis d'avoir une meilleure appréciation de la situation. De même, vos suggestions de fuites délibérées au sujet de la mort du précédent ministre vont nous permettre d'asseoir nos positions et d'augmenter nos moyens. »
« Oui… » approuva Gwénolé, l'air résolu. Puis d'ajouter : « A la rentrée, il faut refaire la même chose. »
Le Ministre de la Justice fronça les sourcils.
« Qu'est-ce à dire ? »
« C'est très simple. Faire savoir que le Ministère a caché... qu'un élève de Poudlard, Angus Russell, un élève modèle défenseur des Moldus et des Sang-Mêlés, ne s'est pas suicidé, mais a été assassiné par des Mangemorts. »
« Cela créerait la panique. »
« Que nous avons cherchée à éviter jusque là. Parce que le calme était nécessaire à nos opérations de repérage des Mangemorts sous couverture. Mais maintenant, la situation est trop grave. Le peuple doit savoir qui sont les Mangemorts et de quoi ils sont capables. Quand ils verront que leurs enfants sont en danger, ils prendront conscience de la menace que les mages noirs représentent. »
« Intéressante suggestion… Mais je ne peux pas vous accorder d'agents pour surveiller Malefoy en l'état actuel des choses. »
Le ministre s'approcha du bureau, prit la photo du bout des doigts et la considéra négligemment.
« Alors… Qu'est-ce que ce labyrinthe a donc de si spécial ? »
« Je suis l'un des meilleurs legilimens, comme vous le savez. J'ai été formé à la meilleure école, et ce depuis mon plus jeune âge. Et si je ne peux pas accéder à l'esprit de Lucius Malefoy, c'est simplement parce qu'il est scellé par ce labyrinthe. Le sérum de vérité lui-même ne peut pas en venir à bout, alors que Lucius Malefoy n'a pas de dons particuliers en la matière. Mais si j'arrive à en trouver la faille... Est-ce que vous comprenez ? Je parviendrai enfin à lire dans son esprit. »
Cela faisait cinq minutes que Lucius parcourait le guide. Intrigué par le silence de Severus, il le regarda. Celui-ci marchait les yeux braqués sur la route. Le soleil faisait briller ses cheveux si inhabituellement noirs, tandis que la fine découpe de son nez crochu paraissait presque « noble » ce jour-là.
Lucius eut un petit sourire en coin et revint à son guide.
« Qu'y a-t-il, encore ? » s'enquit l'autre.
La réponse se fit attendre quelques instants, alors l'adolescent déclara en un murmure voilé : « Tu ne m'a pas dit pourquoi tu avais déjà utilisé le tapis de Russell. »
« A ton avis ? Pour voyager et trouver des renseignements pour la potion. »
« Tu mens. »
« Non. »
« Je sais que tu mens. Et tu sais pourquoi je sais que tu mens ? »
Lucius eut un petit rire.
« Ce qui m'intéresse d'autant plus que je ne mens pas. »
« La position de tes yeux l'indiquait. J'ai un livre qui permet de savoir ce genre de choses. »
« Ah bon ? Quel livre ? »
« Vérité des visages, un livre qu'Angus m'avait prêté. »
« Par Merlin, et ça ne t'ait pas venu à l'idée qu'il ait pu inverser toutes les planches rien que pour te faire cogiter ? »
« Pourquoi aurait-il fait ça ? »
« Pour rire… Regarde, c'est bien lui qui nous a sorti cette énigme à la con, qui fait que nous nous retrouvons en France pendant les vacances de Pâques. Russell Angus aime faire cogiter les gens. »
Severus cligna des yeux.
Il dit ça parce qu'il s'est servi de ce tapis pour déguerpir après avoir tué Russell… Ou plutôt pour entrer chez lui sans passer par la porte et son gardien, ce qui explique que celui-ci n'ait vu personne le jour du meurtre. Qui me dit que ce tapis n'était pas à lui et qu'il n'a fait que le récupérer ?
« Quoi qu'il en soit, rien d'intéressant dans ce guide, et ce n'est pas étonnant », reprit Lucius. « Le Royaume des Fées de Bretagne est un royaume caché, c'est pour cela que le tapis des elfes n'a pu nous conduire qu'à l'extérieur. Je voulais que nous allions à l'auberge sorcière la plus proche, mais je ne sais pas si c'est une bonne idée. Les ravisseurs de la fairy ont peut-être gardé des oeils dans les parages… J'ai laissé un signe à l'endroit où nous avions atterri dans la forêt, je pense que nous devrions y retourner et demander à la fée si elle reconnaît cet endroit. »
Malheureusement, la fée ne reconnut pas l'endroit, non plus qu'elle ne se souvenait de l'apparence de la porte.
« Si l'on ne peut pas s'informer auprès de sorciers, que va-t-on faire ? » pesta Lucius.
« S'il y a bien des gens au courant de phénomènes bizarres, ce ne sont pas les sorciers », opina Severus.
« Tu as une idée ? »
« Oui. Mais je ne suis pas sûr que tu vas aimer. »
Une demi-heure plus tard, ils se trouvaient dans le village le plus proche, devant une pittoresque maison de granit aux volets bleus… et son enseigne : « Office de tourisme ». Une fois à l'intérieur, le Sang Pur saisit distraitement un dépliant sur le présentoir. Il était intitulé « Brocéliande - Le royaume des fées ».
Lucius Malefoy plissa les yeux, ouvrit le prospectus de papier glacé. A l'intérieur, une photo en pleine page du « Val sans Retour » et de son étang, illustré par une peinture de la fée Morgane, signée Claude Durand. La fée Morgane y avait l'apparence d'une jeune femme pâle aux longs cheveux bruns et au regard inquiétant. Elle ressemble un peu à Bellatrix, pensa Severus.
« Le Val sans retour », répéta Lucius. « J'y avais pensé déjà à Poudlard. Il abrite le miroir aux fées. »
« Et il fut appelé sans retour en raison de la tendance qu'on avait à s'y perdre… » appuya Severus.
« Certainement parce qu'il y a un champ de force qui protège une partie de la forêt des promeneurs moldus. »
« Ce n'est pas tout. Le tapis nous a amené près de ce village, Tréhorenteuc. C'est le village le plus proche du val. Tout colle », compléta Severus.
Leur périple à travers la forêt décharnée dura à peu près deux heures. Les affleurements de schiste rouge donnaient aux reliefs un aspect « anté-historique » qui contrastait avec le reste, relativement urbanisé, de la campagne bretonne. La forêt était bien le lieu du « désert » médiéval, espace situé hors de la société humaine, où Tristan et Yseult avaient par exemple pu vivre leur passion secrète.
« Voici donc le Miroir », annonça Lucius, lorsqu'ils furent parvenus devant l'étang.
Il était tout entier entouré de hauts arbres, et l'eau en était si paisible que le ciel s'y reflétait parfaitement.
Severus se frotta le menton.
« Comment allons-nous… »
« Finite Incantatem ! » se contenta de dire Lucius, en tendant sa baguette vers le centre du lac.
D'immenses gerbes d'eau se soulevèrent du rivage à ses pieds jusqu'au centre du lac, découvrant une route pavée de pierres brunes.
« Tu t'appelles Moïse ? » plaisanta Severus.
« Après toi », se contenta de répondre l'aristocrate, qui portait la boîte à fée.
« Pourquoi moi ? »
« Parce que c'est toi qui a l'air le plus gentil. »
Severus lui jeta un regard dubitatif, puis emprunta la route qui descendait vers le fond du lac.
II
Le château des fées
L'adolescent poursuivit sa descente vers le fond du plan d'eau, jusqu'à ce qu'il tombe sur une sorte de trappe en métal. Lucius se pencha par-dessus son épaule ; l'eau retenue sur les côtés vaporisait des gouttes d'eau sur leur visage.
« Ouvre-la. »
L'adolescent s'exécuta.
La trappe donnait sur une sorte de puits avec une échelle incrustée dans la pierre.
« Je vais y aller en premier », fit Lucius. « Par contre, il va falloir que tu m'éclaires. »
Ils s'engouffrèrent dans le passage et refermèrent la trappe. Le puits descendait sur à peu près dix mètres, puis débouchait sur une grande salle en pierre d'environ vingt mètres carré, sans porte.
Severus passa sa main sur la pierre humide.
« Ça ne peut pas se terminer en cul-de-sac, comme ça. »
« Il y a peut-être un passage secret. »
« Lucius… Quelque chose me dit que si ce royaume est si bien caché… Ce n'est pas pour nous laisser y pénétrer aussi aisément. »
Mais à peine avait-il fait cette remarque que l'ouverture du puits par lequel ils étaient entrés disparut. Voilà qu'ils étaient enfermés sous terre et sous l'eau, dans cette pièce sans issue !
« Nous avons toujours le tapis pour nous enfuir », opina Severus à voix haute.
« Il y a de grandes chances pour qu'il ne marche pas ici ! », objecta Lucius en se prenant le visage dans les mains.
Puis il se mit à appeler.
« Pourquoi fais-tu ça ? », s'exclama son camarade, lui saisissant le bras.
« Je pense que nous sommes dans une sorte de cellule de probation. Ils doivent savoir si nous venons avec de bonnes intentions. »
Il recommença à différents endroits de la salle. Severus l'imita.
« Et si ils ne veulent pas de nous ? »
« Au Moyen-Age, les ennemis arrivés par souterrain étaient jetés dans une oubliette. »
Ils n'allaient pas tarder à être fixés, car un escalier apparut dans l'un des côtés de la pièce. Plusieurs femmes en sortirent, le visage couvert d'un voile retenu sur leur tête par un cercle d'or. Elles étaient armées de baguette.
Craignant une attaque, le jeune Malefoy tendit la main droite en signe de paix. Severus vit alors le regard de son camarade s'attarder sur leurs visages aux traits plaisants, leurs longues chevelures flottantes qui tombaient en cascade de boucles ou de mèches de leur bandeau ou haut chignon, les reliefs de leurs corps que moulait le tissu d'apparence métallique de leurs robes. Mais cela ne dura qu'un instant… Le Sang-Pur s'adressa ensuite à elle, leur montrant l'urne :
« Je suis Lucius Malefoy, fils d'Abraxas Malefoy. Et voici Severus Snape, fils de la sorcière Eileen Prince. Nous ne voulions pas transgresser vos lois. En fait, nous sommes venus ici pour rapporter une fée que nous avons trouvée et qui avait été capturée. »
« Une fée ? » répéta la jeune femme brune qui semblait être le chef du groupe.
« Oui. Elle est dans cette boîte. Amenez-la à la Reine des Fées, elle saura sans doute ce qu'il en est… »
« Vous êtes bien mal informés. Il n'y a pas de Reine des Fées ici. »
Les filles derrière elle s'étaient mises à murmurer. Severus fronça les sourcils.
« Mais nous avons un roi. Ouvrez donc cette urne et montrez-nous la "fée". »
Lucius se fendit d'un bref sourire. Puis il accomplit devant elles l'habituelle transformation, changeant l'urne en maison de poupées victorienne. La fairy se prélassait sur son lit, il la prit dans sa main, après quelques paroles de réconfort, puis la tendit à la jeune fille.
Cette dernière scruta l'être miniature aux ailes translucides, puis demanda si quelqu'un avait une loupe. Severus lui tendit la sienne. Elle s'en servit pour considérer une nouvelle fois la fairy. Alors, son cou s'allongea, et elle se mordit les lèvres.
« Je m'appelle Diane de Mornay », dit-elle alors. « Vous allez venir avec nous, devant le roi Draco, avec la fée. »
Lucius se répandit en remerciements Severus haussa un sourcil. Les jeunes filles aux cheveux flottants les firent passer devant eux dans l'escalier. Diane ouvrait la marche, et Lucius hocha la tête en appréciant d'un coup d'œil, celui du connaisseur, le relief rond et compact qui fleurissait sous la taille plus fine, comme un bulbe de fleur s'épanouit hors d'une tige.
« Tu crois qu'elles sont toutes comme ça ici ? » murmura-t-il alors à l'oreille de son camarade. « Si c'est le cas, c'est le paradis. »
Moi j'appellerais plutôt ça l'enfer, pensa Severus, qui avait également remarqué que Lucius avait les dents jaunies depuis qu'il fumait de plus en plus.
Ces jeunes filles et leur Nausicaa les escortèrent ensuite à travers un autre souterrain, de nouveaux escaliers, puis un dédale de vastes pièces aux murs de granit poli, si hautes qu'elles en étaient oppressantes. Parmi les tentures animées et les bas reliefs immobiles, Severus crut repérer plusieurs représentations de Merlin et des fées Viviane et Morgane. Morgane, avec ses longs cheveux noirs, lui rappela une nouvelle fois Bellatrix, et Merlin avait certainement quelque chose de Dumbledore (ou pour être plus logique, Dumbledore avait quelque chose de Merlin).
Enfin, ils s'arrêtèrent devant une grande arche sans porte.
« La salle du trône », expliqua Diane.
Lucius regarda Severus, échange d'appréhension et de conscience du moment qui les attendait.
Diane leur fit signe d'entrer, puis les fit s'arrêter sur une ligne de carreaux distante de trois mètres du trône. Ce dernier était en bois sombre, surmonté d'un dais vert. Le cœur de Severus s'accéléra lorsqu'il détailla le monarque qui y était assis.
Le roi Draco, Prince du Royaume des Fées, était un homme de petite taille, mais mince et gracieux dans son maintien. Il était difficile de lui assigner un âge précis, même si Severus aurait dit la cinquantaine ou la soixantaine. Sa robe longue était faite d'un empiècement de couleurs et de motifs sylvestres. Une couronne de myrtilles était posée sur ses cheveux nacrés, sous laquelle des yeux bruns les scrutaient avec attention. Mais toute la beauté et le charme de son apparence contrastaient avec l'abattement qui se dégageait de son visage marqué. Auparavant il avait certainement été très heureux ; depuis peu il souffrait.
« Monseigneur », dit Diane, « Voici deux étrangers qui ont franchi la porte du lac d'Immobilité. Ils ont un étrange récit à vous faire. »
Les deux adolescents s'inclinèrent, puis Lucius résuma brièvement comment ils étaient devenus les gardiens de la fée, legs d'un camarade qui en France l'avait soustraite à ses ravisseurs, et son injonction à tenter de la ramener chez elle.
Le roi ne disait rien, regardant de loin la fairy. Il ne prit la parole qu'une fois le discours de Lucius terminé, et ce dernier sursauta quand la première réaction du roi fut un éclat de rire.
« Ainsi, si je résume votre aventure », déclara le Roi des Fées, « vous avez trouvé une petite fée de rien du tout, et vous la ramenez ici, dans son prétendu royaume d'origine ? »
« C'est cela. Le camarade dont je vous parlais... »
« Qu'importe ce camarade, cela fait bien longtemps qu'il n'y a plus aucune fée de sang pur ici. Elles ont épousées des sorciers, lorsqu'elles étaient encore les bienvenues, ou ont fui les persécutions et se sont réfugiées en Europe de l'Est. Il n'y a plus ici que des Sorciers de sang mêlé. Et les seules fées que l'on peut encore rencontrer en Europe volètent dans les sous-bois pareilles aux moustiques. »
« Ce n'est pas possible... »
« Votre fée n'est qu'une fairy britannique mineure comme il en existe des milliers. A vue de nez, je dirais qu'elle ne possède rien de bien particulier. »
« Elle est amnésique », déclara Severus.
« Cela n'est guère étonnant. Ce genre de créatures ont un esprit proportionné à leur taille. »
Mais ces mots qu'il avait lui-même prononcés semblèrent enclencher une pensée particulière dans son esprit, pensée qui lui fit froncer les sourcils.
« Seigneur », intervint Diane de Mornay, « Je vous recommande de la regarder de plus près. Vous pourriez être surpris. »
« Donnez-la moi », dit-il, « que je vois son visage. »
Lucius vint la déposer dans sa main. Le roi l'approcha de son visage, la scruta, puis brandit sur elle une baguette argentée.
« Oui, le mouvement des ailes n'est pas normal... Amplificatum in visio ! »
Un faisceau de lumière jaillit de la fée, et sur ce faisceau le visage et le corps de la fée apparurent sur plus de trois mètres, en une image détaillée. Severus fut surpris de la différence que cela faisait. Son visage était moins rond qu'il lui avait semble vu « de loin » ; ses yeux bleus fendus avaient une expression d'inquiétude qui modifiait le sens entier de son visage. L'image disparut soudainement. Le roi s'était mis à trembler.
« C'est elle... Est-ce que c'est elle... »
Il regarda Diane qui hochait la tête, les yeux embués de larmes.
« Amène-la dans mon officine et reste avec elle... Nous allons faire le nécessaire. Mais d'abord, je dois une explication à nos visiteurs. »
Mais de qui parle-t-il… se demanda Severus. Il semble avoir reconnu quelqu'un... S'il n'y a plus de fées ici et qu'il n'accorde pas d'importance aux fairies, alors...
« Quand elle était jeune », expliqua alors le Roi, « ma sœur épousa un sorcier britannique d'une famille d'origine normande, très ancienne, avec qui nous avons eu, comme avec d'autres familles, d'intenses liens généalogique à l'époque médiévale. Le nom de cet homme était Altaïr Black. Cependant, un an après la naissance de leur fille, ma sœur est morte de façon brutale et inexpliquée. Altaïr Black s'est très vite remarié - trop vite -, avec une sorcière hongroise dont la lignée est de sinistre mémoire. Ils eurent une fille. Mais Mme Bathory - c'était son nom - n'aimait pas sa belle-fille, et par précaution (je dois préciser qu'elle n'y vit aucun inconvénient), j'ai demandé à ce que ma nièce vienne vivre ici avec moi. Elle put ainsi connaître ici des jours paisibles, rendant épisodiquement visite à son père et sa petite sœur. Quelques années plus tard, son père mourut. Une maladie gastrique...
- Bathory ? s'étonna Malefoy, dont l'esprit semblait suivre le même cheminement que celui de Severus.
- Oui. Un nom de triste renommée.
- Cette sorcière... demanda Lucius. La belle-mère de votre nièce... Ne serait-ce pas la mère de Bellatrix Black ?
- C'est elle-même. »
Bellatrix accusait sa mère d'avoir tué son père... Et si elle l'avait vraiment empoisonné ? Voire empoisonné sa première femme ?
« Pardonnez ma curiosité... dit alors Lucius. Mais qu'est-il arrivé ensuite à votre nièce ? Et quel rapport avec notre petite fée ?
- Je vous ai dit que ma nièce était venue habiter ici, reprit Draco. Ayant, comme sa mère, du sang de fée dans les veines, elle s'est naturellement parfaitement accordée au lieu. Quand elle eut sept ans... C'est à cet âge que commence la scolarité en France... Elle intégra l'Académie de Beauxbâtons. Mais, début janvier, elle y disparut mystérieusement. Peut-être avez-vous entendu parler de cette affaire dans les journaux. Oui, ma nièce, Narcissa Black, demeure introuvable depuis le 2 janvier. Elle a vraisemblablement été enlevée dans son dortoir. C'est une jeune fille d'une grande beauté, avec de longs cheveux blonds... Ne vous êtes-vous jamais aperçu que les mouvement dont étaient animées les ailes de votre fée étaient toujours parfaitement réguliers ? Parce que ce ne sont pas les siennes. Elles ont été accrochées dans son dos, et animées d'un mouvement perpétuel. »
Lucius, devenu pâle, clignait des yeux.
« Vous voulez dire... Que cette fée est un être humain ? Et que c'est votre nièce, la sœur de Bellatrix Black ?
- Oui, souviens-toi, souffla Severus, qui se dit qu'il avait été long à la détente. Bellatrix nous en avait parlé, et elle avait reproché à sa mère de ne pas s'inquiéter pour Narcissa à la kermesse de l'école.
- Je pense que ceux qui l'ont enlevé l'ont "maquillée" en fée pour rendre sa dissimulation plus facile, opina le roi. Mais miniaturiser un être humain ou un animal est une opération très difficile et dangereuse. De plus, je n'ai reçu aucune demande de rançon. Les personnes se trouvant derrière tout cela sont certainement puissantes.
- Je crois savoir pourquoi vous n'avez pas reçu de demande de rançon, déclara Lucius. C'est parce qu'elle a été soutirée trop tôt à ses ravisseurs. Angus Russell l'avait trouvée avant de mourir. Cela doit remonter au 3 ou au 4 janvier. Peut-être même que les ravisseurs étaient encore en transit, n'ayant pas encore amené leur butin au destinataire.
- C'est en effet ce qui me semble le plus probable. Mais vous me dites que votre ami est mort ?
- D'après la police, il se serait suicidé. Mais nous savons que c'est faux et qu'il a été assassiné. Des Aurors ont même été envoyés à Poudlard incognito pour trouver le coupable.
- Il a dû être pisté par les ravisseurs, qui cherchaient à récupérer Narcissa Black, opina Severus, que cette hypothèse rassurait parce qu'elle innocentait Lucius.
- C'est certainement cela... Mais alors, pourquoi faire venir des Aurors à Poudlard ? Cela voudrait dire que quelqu'un de l'école est mêlé à l'enlèvement de ma nièce ? Mais ça ne peut pas être un élève... »
Un professeur... pensa Severus.
Quel que soit le coupable, cela expliquait l'envoi d'Aurors à Poudlard, dont le chef de la police anti-mages noirs. De nombreux éléments commençaient à s'éclaircir, et le puzzle prenait forme – ou du moins une forme moins biscornue. Les Aurors n'enquêtaient sans doute pas seulement sur la mort d'un élève, mais aussi sur la disparition d'une jeune sorcière étrangère. Quant aux accusations de meurtre formulées à l'encontre de la mère de Bellatrix, et dont il avait appris de sa bouche qu'elle concernait la mort de son père, il y avait de grandes chances pour qu'elles soient aussi fondées, si une autre personne y accordait du crédit. Bellatrix disait qu'enfant elle avait vu sa mère répandre le contenu de fioles dans la nourriture destinée à son père alité. La maladie gastrique à laquelle il avait succombé était selon toute vraisemblance un empoisonnement. Elizabeth Black née Bathory avait-elle également empoisonné la mère de Narcissa, et sa rivale d'alors ? Etait-elle même, après tout, pour quelque chose dans l'enlèvement de sa belle-fille ? Les Aurors avaient peut-être également pour but d'enquêter sur Bellatrix.
Et se souvenant que Sirius était aussi un Black, il se demanda brusquement comment ces riches sorciers, qu'il avait parfois croisés sur le quai de la gare ou aux réunions de l'école, ces parents de sang pur qu'il lui avait toujours enviés, quels sombres secrets pouvait bien cacher leur manoir... Leur fils avait en tout cas de qui tenir : un futur meurtrier fou en puissance à n'en pas douter.
Cependant, ces pensées n'habitèrent son esprit que quelques secondes ; elles furent vite remplacées par le deuxième nouvel élément qui s'était présenté à eux : le fait que la fairy n'en était pas une, et que les sentiments qu'il soupçonnait Lucius d'éprouver à son égard quittaient le domaine de l'impossible lubie pour celui d'une idylle tout à fait possible voire probable. Sans compter que cette Narcissa possédait le sang des Black. Comme sa sœur, elle était un bon parti.
Severus baissait la tête, attristé par la tournure des choses. Lui qui croyait qu'une fois la fée rapatriée Lucius cesserait de la regarder avec des yeux énamourés... Ce n'était qu'une étape de répit avant quelque chose de bien pire.
Pourtant, Lucius n'avait nullement l'air de se réjouir. Le plissement de ses sourcils indiquait à la fois inquiétude et la réflexion, et la lueur dans ses yeux comme une certaine tristesse.
Peut-être que le fait que la fille soit française rendait les choses plus compliquées, se demanda Severus. Mû brusquement par une sorte de force étrangère mais qui venait du fond de son sternum, il donna de sa main droite une petite tape de réconfort sur la main de Lucius, qui le regarda avec étonnement. Puis il le quitta des yeux, car le roi reprenait la parole :
« Je vais me retirer pour tenter de redonner à ma nièce sa forme originelle. Quoiqu'il en soit, je suis votre débiteur. J'ai cru comprendre que vous étiez dans votre première semaine de vacances. A partir de maintenant, vous êtes mes invités. Soyez libres de demeurer ici autant de jours qu'il vous plaira ! Je saurai vous récompenser en temps voulu. Pour l'instant je suis préoccupé par la santé de Narcissa. On va vous mener à vos appartements. »
Severus se rendit alors compte que l'après-midi était bien avancé et qu'ils n'avaient pas mangé à midi. Dire qu'ils avaient quitté ce matin le manoir Russell ! Cela lui semblait pourtant dater du mois dernier.
Lucius reprit la parole.
« Mon Seigneur, moi et mon camarade sommes excellents dans la confection des potions et autres antidotes. Si vous avez besoin d'assistance, nous serions ravis de pouvoir vous être utiles.
- C'est une proposition tout à fait charmante, répondit le Français. La recette de l'antidote se trouve dans le grand livre des potions de pouvoir. Je dois d'abord vérifier que j'ai en ma possession tous les ingrédients requis, et si ce n'est pas le cas éventuellement en commander. Le moment de la préparation venu, vous pourrez tout à fait me servir d'assistants. »
Sur ces paroles, il leur donna congé. Diane les guida jusqu'à leurs chambres : deux pièces attenantes au mobilier médiéval.
Severus redonna leur taille originale à leurs bagages d'un amplificato – cela était moins long que pour les êtres vivants. Quant à Lucius, il vit à travers la porte ouverte qu'il s'était laissé tomber sur son lit.
« Tu dois être content qu'il s'agisse d'une humaine, en fin de compte, dit l'autre en s'approchant.
- Ce n'est pas dit qu'il parvienne à lui redonner son aspect initial, tu sais.
- Et si cela fonctionne, que feras-tu ?
- Je n'en sais rien... A ce moment-là elle va sans doute retrouver la mémoire... Pourquoi me demandes-tu cela ?
- Une fois... Tu avais dit que tu l'aimais...
- Je n'ai jamais dit ça.
- Si... Tu avais dit Je l'aime, en la regardant.
- Je n'en ai aucun souvenir », répondit Lucius.
Hum... Parfois je me demandesi son cerveau fonctionne normalement.
On leur fit rapidement porter une collation, puis ils se promenèrent dans le château, qui se révéla être un château fort situé juste au bord du lac duquel ils venaient, mais dans un « pli » de l'espace non accessible aux Moldus. Diane expliqua que néanmoins, on voyait parfois le château se refléter dans ce lac, ou celui de Comper, donnant l'illusion aux Moldus qu'il y avait un château dans le lac, ou que l'objet de cette vision surnaturelle existait dans une autre réalité, auxquels les lacs des bois donnaient accès. Ce pli d'espace-temps, qui contenait le château ainsi qu'un morceau de forêt, avait été créé par la fée Viviane, du temps de son amitié avec Merlin.
« C'est le même genre de sortilèges que celui qui protège Poudlard, ajouta la jeune femme. Excepté que le nôtre est également fermé aux sorciers étrangers.
- Quelle en est la raison ?
- Protéger un héritage, répondit Diane. Mais également le trésor du royaume qui est l'un des plus grands de tout le monde magique. »
Severus se demanda brusquement si la raison du manque de réjouissance de Lucius vis-à-vis de la nature humaine de la fairy n'avait pas pour raison sa récente rencontre avec leur hôtesse, hôtesse dont l'équation mathématique du rapport taille/hanches semblait avoir sur Lucius le même effet irrémédiable d'attraction que les lois universelles qui régissent l'orbite d'un boulet de canon autour de la lune.
En revanche, les charmes du jeune Anglais ne semblaient pas avoir grand effet sur leur guide, qui ne paraissait pas plus émue par leur présence que s'ils avaient été des enfants.
Après cela, ils prirent un bain puis dînèrent à la table du roi. Lucius ne cessa de répéter à Severus qu'il adorait la nourriture française, alors que parler la bouche pleine ne l'avantageait pas. Le roi les informa qu'il lui faudrait deux jours avant d'obtenir les ingrédients requis pour rendre à sa nièce sa taille normale. Puis il leur fit part des circonstances étranges de sa disparition. Ce qui avait dérouté les enquêteurs, c'était que comme à Poudlard, il était impossible de transplaner à l'intérieur de l'enceinte de l'école. Une complicité au sein de Beaubâtons était donc à redouter, de même qu'un subterfuge de type Polynectar.
Devant les fromages, que Severus apprécia tout à fait, Lucius fit la moue. Puis plusieurs pyramides d'éclairs et religieuses multicolores firent leur apparition sur la table, ce qui parut lui convenir davantage.
« Sévrus, préparez-vous vos ASPICS ? s'enquit sa voisine de table, une jeune fille aux cheveux châtain clair prénommée Isabelle.
- Euh... Non.
- Vous êtes à l'Université dans ce cas ? J'en étais sûre. Vous êtes si mature. »
Lucius eut un petit rire. Severus se demanda comment lui avouer qu'il n'avait pas encore ses BUSES.
« Moi, je passe mes ASPICS le mois prochain », déclara le Sang Pur, en prenant une religieuse.
Sans qu'il sache pourquoi, ce geste agaça Severus, puis il vit en baissant les yeux que son assiette à lui n'était pas vide, Lucius y avait placé un gâteau de chaque sorte.
« Vous n'êtes pas trop anxieux ? demanda le roi.
- Non... Je fais partie des trois meilleurs élèves de Poudlard. »
Severus fut un instant tenté de prendre avec les doigts comme un morceau de sandwich la tête, qu'il avait tranchée bien net, de son éclair. Mais il s'abstint et se saisit d'un troisième instrument, la petite cuillère, pour creuser à l'intérieur de la caverne sèche, l'ichor crémeux.
Ils passèrent les deux jours qui suivirent en entretiens et lectures studieuses auprès du roi, ou promenades dans les bois enchantés du domaine. Lucius, nerveux (ou excité ? se demanda Severus), posait toutes sortes de question à Diane. Il devait avoir un faible pour les femmes brunes plus âgées que lui (ou qui semblaient l'être), il n'y avait qu'à le revoir faire des courbettes devant Lady Russell et son visage grec. Pauvre Mme Russell... D'ailleurs, ils ne savaient pas comment était mort son elfe de maison. Par Salazar, ruminait Severus qui avait tout de même le sens des priorités... Lucius était décidément un vrai cœur d'artichaut.
Mais ce que l'adolescent ignorait à l'époque, c'était que l'enthousiasme de son ami concernant les femmes, quand il existait réellement et n'était pas une mésinterprétation de sa part, n'était tout d'abord pas un signe de vilénie, mais d'un aspect contraire de sa nature, et la véritable vilénie de Lucius, Severus se méprenait totalement sur sa position géographique.
Parfois, la vérité semblait traverser le jeune Snape, juste un instant, par simple antithèse, mais il était incapable de voir son fil si simple et logique, dans le désordre de ses a priori, de ses désirs cachés ou de ses peurs. Ainsi, quand Diane lui expliqua que Lucius l'avait juste interrogée sur les barrières de sécurité du domaine (qui dépassaient celles de Poudlard, Beaubâtons et Durmstrang), il ne la crut pas et pensa qu'elle et Lucius se cachaient pour flirter. Il avait presque hâte que la petite fée blonde retrouve son apparence initiale, car elle lui semblait une menace moins dangereuse. En outre, il était probable que sa mémoire lui revienne, pensait-il avec Lucius, et alors ils en sauraient sans doute plus sur ce qui s'était passé au moment de son enlèvement.
Malgré les étranges griefs surgis soudainement et spontanément, sans cause proche apparente, comme d'un autre univers, que Severus éprouvait à présent contre Lucius, et qui voyaient augmenter leur nombre de manière exponentielle, comme parfois dans un carreau ayant subi un impact, une première marque de choc précède et autorise tout un réseau de lézardes, s'il y avait bien une chose que Severus appréciait toujours chez son aristocrate d'ami, c'étaient leurs conversations au sujet des potions, des artefacts de magie ancienne et plus ou moins illégale, des livres qu'ils lisaient, soit chacun de leur côté, soit côte à côte dans un salon du château, ou une pelouse ombrée d'arbres. Et en dépit de l'angoisse qui le rongeait de voir le visage de Lucius se ternir de la laideur qui était en grande partie l'image de la sienne, remontée à la surface par la possibilité d'un amour heureux entre Lucius et quelqu'un qui était digne de lui (beau comme lui, noble comme lui), il goûtait ces moments loin de son passé sordide, dans des murs anciens non hantés par d'hypothétiques brutes à cravate rouge et jaune, ou sous ce ciel pur au-delà du liseré net des feuilles vertes des tilleuls et des chênes, alors que venait le bercer le clapotis calme de l'étang.
Ils furent tous deux très nerveux le jour de la préparation de la potion pour redonner à leur féérique protégée sa taille normale, non pendant la préparation avec le roi, qui était en elle-même très stimulante, mais ensuite, de savoir si l'opération avait réussi ou non. Encore une fois, la dextérité de Lucius Malefoy quand il s'agissait de confectionner une décoction étonna Severus. Il alliait la précision à la grâce, et c'était une fête pour les yeux de voir ses mains blanches, à la fois solides et déliées, manier les flacons de verre, saupoudrer les différentes drogues, piler et émincer les ingrédients. Il n'avait pas les idées originales et fulgurantes de Severus, capable d'améliorer des recettes établies, mais nul mieux que lui ne lui parut alors à même de mieux suivre la lettre d'une description, quand bien même elle était parfois vague et difficile à mettre en œuvre dans son séquençage, car il en comprenait l'esprit.
Severus eut un regain d'affection pour le jeune homme quand il le vit le conduire, et presque guider le roi lui-même, dans la préparation de l'antidote qui redonnerait à Narcissa Black sa taille d'origine.
La préparation, dosée au millilitre près, fut administrée à la petite fée, qu'on avait placée sur une grande table puis endormie. Aussitôt le sort d'endormissement jeté, le corps se mit à s'agrandir de façon proportionnée, jusqu'à atteindre celle d'une grosse poupée, puis d'un enfant, puis d'un adulte d'1m70 environ. Severus et Lucius se penchèrent au-dessus du corps immobile recouvert d'une robe qui la nappait comme un gisant, et dont les fronces du col se soulevaient au rythme de sa respiration. Lucius toucha son front lisse, qu'elle avait plutôt grand et légèrement bombé, et Severus comprit que c'était ce front, vu en contre-plongée, qui lui avait fait croire qu'elle avait un visage rond, alors que malgré des pommettes saillantes, par maigreur, son visage n'était pas très large et sa partie basse, triangulaire. Il toucha les ailes agrandies aux reflets bleus : on aurait dit de vraies ailes de libellule qui auraient subi un sort de vitrification pour ne pas pourrir. Le roi, ému, se permit juste de la soulever pour regarder derrière son dos comment elles étaient fixées – avec un sortilège de glue. Puis il demanda aux deux adolescents de se retirer, car sa nièce avait besoin d'une longue nuit de repos pour récupérer – ils en sauraient plus demain.
Sur le moment, tout sentiment de jalousie avait quitté Severus, remplacé par la curiosité et une sorte d'émerveillement naïf devant ce corps féminin incarnant la tendresse, et qui tout entier tourné vers le sommeil et le rêve, ne prononçait à son égard aucune parole blessante. Il fut en revanche interrogatif au dîner, voyant que sa voisine, Isabelle, ne lui adressait plus la parole. De son côté, Lucius était tendu. Avait-il peur de déplaire à sa dulcinée quand elle se serait réveillée ?
Le lendemain matin, Isabelle ne s'assit pas à côté du Demi-sang ni au petit-déjeuner ni pour le repas de midi. Puis, au courant de la journée, Draco informa les deux garçons qu'ils ne verraient pas Narcissa avant le lendemain, car elle n'était toujours pas réveillée et aurait besoin de toute une série d'examens. Lucius plaisanta en disant qu'il voulait bien aller l'embrasser, ce qui agaça Severus et lui fit à nouveau voir la jeune fille sous un jour antipathique.
« Tu vois qui est cette fille, Isabelle ? demanda-t-il pour changer de sujet de conversation.
- Oh oui, répondit Lucius. Ta voisine de table, c'est ça ? Celle avec les cheveux roux ?
- Châtain.
- Qu'importe. Elle m'a agoni de questions à ton sujet, hier. Elle trouve ton profil viril, ou quelque chose du genre. Je crois que tu lui as tapé dans l'œil. »
L'air amusé, il eut un petit rire mat.
« Comme quoi, tous les goûts sont dans la nature », ajouta-t-il.
Complètement abasourdi par une telle réplique à laquelle il ne se serait pas attendu un seul instant, Severus eut l'impression qu'il lui enfonçait une lame dans la poitrine, et les larmes lui montèrent aux yeux.
Sa vue se brouillait – il vit juste Lucius qui, ayant tourné vers lui son visage pointu, le considérait de ses yeux froids. Naturellement, l'autre lui demanda s'il se trouvait bien. Et naturellement, cela eut pour effet, en matérialisant verbalement son émotion, de faire se serrer à nouveau sa poitrine et couler davantage les larmes, qui devinrent alors visibles, et coulèrent sur ses joues.
« Tu pleures ? » s'étonna Lucius.
Il avait l'air réellement étonné. Puis il fronça les sourcils.
« Ce n'est tout de même pas ce que j'ai dit... »
Mais Severus faisait honneur à sa réputation de pleurnicheur, ne pouvant réussir à contenir le flot de ses larmes, et encore moins articuler un mot.
Les mains en avant, Lucius, l'air peiné, lui dit qu'il était désolé, qu'il ne pensait pas ce qu'il avait dit, qu'il avait exprimé l'opinion courante que la plupart des gens auraient eu mais que ce n'était pas la sienne.
« De toute façon, je n'ai pas d'avis sur ton physique... Ce n'est pas comme si j'aimais les hommes », argua-t-il, inconscient du fait qu'il aggravait les choses par ces paroles, qui rappelaient à Severus à quel point il était un être bizarre dont personne ne voulait, et que toutes les idées qu'il s'était faites après l'affaire des toilettes de Poudlard n'étaient que les produits illusoires des mensonges de cette catin aigrie de Metellus Honeytaste.
« Je vais t'apporter un réconfortant », entendit-il à travers un rideau de couleurs floues et dans le bourdonnement de ses oreilles.
Quand Lucius fut de retour, Severus s'était essuyé les yeux et mouché. Il était pâle dans son fauteuil et avait les yeux rougis, ce qui contrastait complètement avec son physique austère, aurait paru comique à quelqu'un qui ne le connaissait pas. Lucius lui avait fait un grog, qu'il posa sur la petite table devant lui, et il lui caressa la joue, les yeux brillants.
Cette fois ce fut le ventre de l'adolescent qui se serra, lors de cette marque d'affection. Il se sentait mieux et alla se coucher directement, sans dîner.
Le lendemain, honteux de sa réaction pleine de sensiblerie, il évita le regard de Lucius. Et ce fut de Diane qu'il apprit que si Isabelle ne lui adressait plus la parole, c'était pour la seule raison que Lucius lui avait révélé son véritable âge, et dit qu'entre lui et elle, « il ne pouvait rien se passer et il ne se passerait jamais rien ».
Severus avait beau ne pas être attirée par cette jeune fille, il le prit comme une marque de fourberie et se demanda si cet imbécile de Macnair n'avait pas finalement raison au sujet de Lucius.
III
Le trésor du dragon
La jeune fille se tenait devant le vitrail, un cercle d'or posé sur les cheveux. Sous son front rond, ses yeux presque fendus avaient la couleur de la mer.
Severus fut étonné de sa ressemblance avec Lucius – on aurait dit un frère et une sœur, l'un avec des cheveux d'argent, l'autre avec des cheveux d'or.
Pourtant, dans sa façon à la fois négligente et hautaine de se tenir, tout comme dans la maigreur de ses joues, il reconnaissait surtout sa sœur Bellatrix ainsi que l'ascendance des Black.
Narcissa, qui avait recouvré la mémoire, se tourna vers eux.
« Voici mes deux sauveurs », dit-elle, avant de prendre leurs mains - Lucius rougit.
« Nombreux sont ceux qui ne se seraient pas souciés de la vie d'une minuscule fairy... Si mon sort ne s'était pas trouvé entre vos cœurs bons... Qui sait ce qu'il serait advenu de moi ! »
Severus n'osa parler, conscient que si Lucius l'avait écouté, ils ne l'auraient jamais sauvée.
« Vous, et votre ami qui s'est occupé de moi ! Mais où est-il ? »
« Il lui est arrivé malheur », répondit Lucius, qui semblait heureux quand il prononça cette phrase.
Le roi les invita à s'asseoir avant de poursuivre la discussion.
« J'étais dans ma chambre... raconta Narcissa. Et tout d'un coup, je tombai dans l'inconscience. Mon oncle m'a dit que d'après les enquêteurs, une femme inconnue avait été aperçue aux environs de l'Ecole ce jour-là et les jours précédents. Il y avait déjà eu des incidents étranges, l'été dernier. Quoiqu'il en soit, lorsque je me suis réveillée, j'étais dans une gigantesque boîte, j'avais des ailes agrafées dans le dos et une bouteille d'eau dans la main. J'ai eu l'impression qu'on me transportait souvent, et j'ai entendu plusieurs bruits de transplanage. Plusieurs jours après... C'est difficile à dire, car je n'avais pas de montre... Juste après un autre bruit de transplanage, la boîte s'est ouverte. Il y avait un garçon, qui me dit s'appeler Angus. Il me raconta qu'il avait surpris une conversation dans un bar crapuleux à Paris, entre un homme et une femme, et qu'il était ensuite allé fouiller leur chambre. C'est là qu'il m'a trouvée, et ensuite il a transplané chez lui. Là il s'est arrangé pour m'aménager une maison de poupée, qu'il s'est ingénié à camoufler. J'avais toujours de la nourriture, et il y avait un faux ciel plus vrai que nature qui brillait à travers les fenêtres. Il a vite eu l'air inquiet. A un moment je ne l'ai plus revu pendant plusieurs semaines. Vous m'aviez dit qu'il était mort ?
- Oui. Il avait mis l'urne à la consigne par mesure de sureté je pense, dit Lucius. C'était avant d'être assassiné.
- Alors il est mort à cause de moi, conclut tristement Narcissa. Quelle pitié, il était si gentil... »
Lucius eut une grimace triste qui semblait due à la jalousie.
« Ce garçon... Est-ce qu'il en savait plus sur les deux personnes qui t'ont enlevée ? demanda Draco.
- Non, je ne crois pas... Mais la mémoire me revient progressivement, peut-être m'en souviendrai-je...
- Ce qui m'inquiète, déclara Severus, c'est qu'il ait programmé l'envoi du paquet pour ton anniversaire. Et pour que tu le reçoives à l'intérieur de Serpentard, non dans la Salle Commune. Cela veut dire qu'il soupçonnait qu'on allait surveiller ton courrier et tout ce que tu recevais.
- Tu veux dire qu'on devrait soupçonner quelqu'un de l'école ?
- Et quelqu'un qui n'est pas à Serpentard. Peut-être que durant son voyage en France, dans ce bar, Angus a vu dans l'une de ces personnes quelqu'un qu'il connaissait déjà.
- Vous avez pris beaucoup de risques pour venir en aide à ma nièce, conclut le roi. Ici, vous êtes en sécurité, plus que nulle part ailleurs. Faites-moi, ou plutôt faites-nous le plaisir de rester jusqu'à la fin des vacances scolaires. Et si vous avez besoin de quoique ce soit pour vos études ou vos révisions, je m'arrangerai pour vous le faire parvenir. »
Lucius et Severus acceptèrent avec grand plaisir, Severus partagé entre le plaisir, l'excitation du mystère et la mélancolie.
Ce fut à partir de ce moment-là que Lucius commença à faire toute sorte de choses avec la main droite ou gauche de Narcissa : la baiser pour la saluer, lui dire au revoir ou la complimenter ; la lui saisir et la poser sur son cœur (peut-être espérait-il, pensa Severus, qu'elle fasse de même et pose sa main à lui sur son sein gauche – en tout cas Severus réalisa que lui aurait bien aimer poser sa main sur la poitrine plane et chaude de Lucius).
A partir du quatrième jour, elle lui laissa lui tenir la main quand ils marchaient.
Severus les revoyait très nettement. Narcissa restait le cou tendu et la tête levée comme pour humer une couche d'air supérieure et invisible, agitant son éventail – c'était sa façon à elle de profiter du soleil. Et par un amusant phénomène de décompensation, Lucius avait la tête baissée et les sourcils froncés. Ignorant que c'était un tic partagé par les vieilles grand-mères en vacances, restées trop longtemps enfermées, le blond jeune homme dit un soir à Severus cette phrase qui le surprit : « Elle est un peu péteuse parfois ».
Severus apprit bientôt que peu avant, la jeune fille avait refusé de faire certaines choses avec lui (lesquelles ?). Il se demanda si ce n'était pas la cause des propos amers de Lucius, alors que ce qui dérangeait le jeune Malefoy n'était pas tant le fait que Narcissa garde la tête levée, que la façon qu'elle avait de le faire, de manière rigide et avec le nez retroussé, chose qui ne changerait jamais.
D'ailleurs, si au début, le jeune homme avait l'air parfaitement heureux, quand la deuxième et dernière semaine de vacances fut entamée, il recommença à devenir nerveux. Pourtant, si Narcissa s'était apparemment refusée à lui (après tout, elle n'avait que seize ans et une certaine éducation), leur relation semblait tout à fait bien partie, Narcissa le regardant avec un air fasciné et tortillant ses cheveux autour de ses doigts quand il lui parlait.
Quand Lucius lui avoua qu'il aimerait bien se fiancer avec elle, Severus se sentit désespéré. Malgré cela, bien qu'il ne l'aurait jamais cru la première fois qu'il avait vu l'insecte humain faisant tourbillonner sa robe, le Sang-Mêlé aimait bien Narcissa. Elle était douce, affectueuse et presque maternelle avec lui, s'inquiétant toujours de savoir s'il s'ennuyait (il était passé sans transition du statut de jeune étudiant à la voix de velours à celui de bébé tendance vilain petit canard). Et à son tour, elle se faisait cajoler par Diane et Isabelle (l'ancienne admiratrice qui à présent regardait Bébé Severus avec un air de pitié).
Le mardi, ils se baignèrent dans un bout de rivière, et il put admirer le large dos nu de son camarade, qui au terme de la journée devint rose et douloureux. Mais ce dernier n'avait de yeux que pour la silhouette toute en cœurs de Narcissa en bikini, cœur des yeux écartés riches en cils dont le compas venait se refermer au centre du menton, cœur des épaules rondes plongeant dans le creux du nombril, cœur renversé partant du plus étroit de la taille pour s'arrondir dans les hanches, toujours souples et mobiles. A un moment, quand elle sortit de l'eau, la peau constellée de gouttelettes, Severus crut que Lucius allait avaler une mouche tant sa bouche restait longtemps ouverte.
Le lendemain, l'état de Lucius empira. Il sembla presque à Severus le revoir pendant ses périodes de maladie (?) d'octobre et janvier. Il était pâle et fébrile, enchaînait les cigarettes, sa frange blanchâtre retombant devant ses yeux cernés. La nourriture française ne semblait plus guère trouver grâce à ses yeux.
« Les policiers ont interrogé Narcissa, mais j'ai bien l'impression que leur enquête piétine.
- Oh mon oncle, dit alors la jeune fille, croyez-vous que les malfaiteurs vont essayer de se venger de Lucius ? »
Ce dernier redressa la tête. De toute évidence, il mourait de peur de finir comme Angus et s'en était inquiété auprès d'elle.
Il aurait pu me le dire en premier, songea Severus.
« Pourquoi le feraient-ils, maintenant que tu es ici en sécurité ?
- A moins que sans le savoir, nous soyons en possession d'informations compromettantes », opina Severus.
Lucius se tourna vers lui, avec le visage flottant de quelqu'un qui a le mal de mer et qui s'apprête à rendre.
« Tu es si courageux », déclara Narcissa en posant sa main sur la sienne, en travers de la table.
Le roi semblait attendri. Severus se dit à lui-même qu'il avait décidément été le dernier des imbéciles en pensant que Lucius pourrait jamais lui accorder autre chose qu'un égard purement intellectuel.
Après le dîner, il joua aux échecs avec Diane, et cela lui rappela confusément quelque chose de son souvenir, quelque chose qui était important, mais il ne se souvint pas quoi.
Puis, avant d'aller se coucher, il croisa Lucius dans le couloir. Il avait ouvert à demi une fenêtre et semblait pensif. Il y avait quelque chose de triste dans son visage, mais aussi d'innocent, qui lui rappela le moment où, avec la plus grande joie, il lui avait montré la fée pour la première fois, ou quand il tournait la tête pour le dévisager pendant le cours d'alchimie où Agni l'avait envoyé chercher des alambics dans la classe de Novalis.
« Bonne nuit », dit Severus.
Lucius ne répondit pas.
Severus rentra dans sa chambre, se mit en pyjama et entreprit de relire ses notes d'Histoire de la magie. Une demi-heure après qu'il ait commencé, alors qu'il n'avait laissé allumée que sa veilleuse, il entendit quelqu'un frapper.
« Oui ? »
La lourde porte de chêne s'entrouvrit. Un regard entre le gris et le bleu, couleur d'angélite... Plus haut que le sien, et brumeux. C'était Lucius.
« Je peux entrer ?
- Oui. »
Il était lui aussi en pyjama.
« Qu'y a-t-il ?
- Rien... Je n'arrive pas à dormir. »
Severus posa ses notes sur la table de nuit à sa gauche, puis se redressa sur son traversin. Lucius vint s'asseoir sur le bord du lit.
« Severus, tu es mon ami ? demanda-t-il brusquement.
- Oui, répondit Severus en rougissant légèrement.
- Je te le redemande, car ce terme n'a pas la même valeur pour tout le monde... Certains se disent votre ami, mais ce ne sont que des opportunistes. »
Severus hocha la tête. Macnair était un opportuniste, c'était certain. Mais il y avait pire : Gilderoy Lockart.
« L'amitié, ce n'est pas un sentiment à prendre à la légère », poursuivit Lucius. « Elle demande un engagement total de l'âme. De la loyauté, et le partage de tout. C'est le sentiment le plus important qui existe. »
Ce n'était pas la première fois que Lucius lui disait cela. Mais étrangement, il n'y avait jamais que de lui qu'il avait entendu ce type de discours.
« Pourtant, il y a des choses que tu as dites à Narcissa et que tu ne m'as pas dites à moi.
- C'est vrai, répondit Lucius, l'air songeur. Je suis désolé. Je voulais être sûr qu'elle m'apprécie. Tu crois que je lui plais ? »
Disant cela, il s'était penché vers son plus jeune camarade, tant et si bien que l'autre sentait son souffle sur sa bouche. On aurait dit qu'il avait bu.
« Oui, c'est évident que tu lui plais, répondit tristement Severus.
- Puisses-tu dire vrai... »
Alors, sa vue dut le tromper. Car Severus eut un instant l'impression que Lucius regardait dans l'entrebâillure de la chemise de son pyjama, qui était un peu déboutonnée. Puis son regard gris remonta jusqu'à son visage, tomba sur ses épaules, qui semblait faire tenir toute l'architecture maigre mais ossée de son corps, formée essentiellement de lignes droites.
Son cadet ne put s'empêcher de rougir, et son ventre se serra.
« Je peux… Je peux t'aider si tu veux, déclara négligemment Lucius.
- M'aider ? A réviser ? répondit Severus sans le regarder, le visage rouge.
- Bien sûr. Que cela pourrait-il être d'autre ? » répliqua Lucius sèchement.
Il se leva et partit.
Le lendemain matin, au petit-déjeuner, il semblait être fâché et le regardait à peine. Il continua à tourner en rond jusqu'au déjeuner. Là, le roi leur réitéra son intention de les récompenser pour leur courage. Il leur proposa une somme d'argent, mais Lucius dit qu'il en avait déjà plus qu'il n'en avait besoin, et qu'ils n'étaient pas venus pour cela.
Parle pour toi, pensa Severus. Personnellement je ne serais pas contre une petite somme à mettre de côté car je suis pauvre.
« Pourtant, Lucius, il y a bien des choses qui t'intéresseraient... intervint Narcissa.
- C'est vrai, répondit Lucius en baissant les yeux. J'aime les antiquités.
- Dans ce cas, répondit le roi, que diriez-vous de venir dans mon trésor ? Et vous choisirez tous les deux l'objet qui vous intéresse. »
Le repas terminé, le roi les amena devant deux grandes portes de pierre, et Severus trouva que Lucius, avec le pantalon bouffant qu'il avait mis ce jour-là, avait quelque chose d'Ali Baba.
Ces portes sur lesquelles étaient sculptés des entrelacs celtiques fermaient un réseau de salles circulaires. Des coffres et des coffres remplis de gallions y étaient entreposés, ainsi qu'une profusion de bijoux, de vases précieux, de tableaux de toutes sortes.
Les deux adolescents se mirent à parcourir le trésor, escortés par la garde. Le plus jeune des deux héros ne tarda pas à se perdre dans la pièce où se trouvaient des livres précieux aux enluminures animées. Il avait fini par serrer dans ses bras un codex d'alchimie introuvable. Après avoir cherché Lucius du regard, et ne le trouvant pas, il revint sur ses pas.
« Cela, cela, ça me plaît beaucoup », entendit-il dans la seconde salle.
Severus s'avança dans la direction d'où semblait provenir la voix. Lucius était accroupi dans une allée, il tenait un coffret sur ses genoux. Severus s'approcha. Le coffret était en métal, avec des motifs marins, et ce qu'il abritait dégageait une faible lumière sur le visage de Lucius, qui était penché au-dessus de lui, comme au-dessus de l'Or du Rhin.
Severus se glissa derrière lui. Dans le coffret orné de symboles étranges et de crustacés, sur un lit de satin noir, il y avait une perle, la plus grande qu'il avait jamais vue et qui devait même exister sur terre. Sphérique, parfaite, brillante comme une pierre précieuse, à la fois éthérée, lunaire, océanique et chthonienne.
« Oui », murmura Lucius comme pour lui-même, « c'est vraiment un pur joyau. »
À suivre