Les rats et les fées

Harry Potter - J. K. Rowling
F/M
Gen
M/M
R
Les rats et les fées
Summary
"Snape a toujours été fasciné par la magie noire, il était réputé pour ça quand il faisait ses études. Un type répugnant, avec ses airs doucereux et ses cheveux gras. Quand il est arrivé à l’école, il connaissait plus de sortilèges que les élèves de septième année et il faisait partie d’une bande de Serpentard qui sont presque tous devenus des Mangemorts."Récit de la quatrième année scolaire de Severus Snape à Poudlard, qui tournera au Cluedo macabre.Nouveau chapitre : Le joueur de flûte de Hamelin.
Note
Remarques importantes :- Quand j'ai commencé à écrire cette histoire, en 2003, je venais de finir de lire le tome 4, et le 5 n'était pas encore sorti. Elle est compatible avec le canon jusqu'au tome 6 inclus (à l'exception d'éléments concernant l'âge des personnages, leur généalogie, les Mangemorts, vu que j'avais dû imaginer pas mal de choses). On pourrait dire qu'il s'agit d'une sorte d'UA dans lequel Lily Evans et Severus Snape ne se connaissaient pas avant Poudlard.(Mais j'avais tout de même eu la vision d'un Malefoy pleurant dans une salle de bains et d'un intello avec une besace sans fond avant que ça n'apparaisse dans les livres, s'il-vous-plaît !)- Elle suit la forme des livres, avec un héros (ici, Severus Snape jeune), et son année scolaire. On pourrait d'ailleurs presque l'appeler "Severus Snape et la Potion de Gloire"... Elle devrait comporter 21 chapitres en tout (soit trois parties de sept chapitres chacune).- J'ai suivi l'orthographe originale des noms, à l'exception de Crouch/Croupton et Malfoy - je trouve "Malefoy" plus joli.
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Leçon de ténèbres

Cet après-midi là, il régnait une excitation perceptible au deuxième étage du Ministère de la magie, dans le département des Aurors. Cela faisait deux mois maintenant que le Chef n'avait pas été vu : il était parti en mission spéciale au mois de janvier, et son retour était annoncé pour aujourd'hui.

Rufus Scrimgeour jeta un œil au « G.M. » (comme « Grand Manitou » ?) qui luisait sur la porte du bureau du Grand Auror, au bout de l'espace ouvert, puis se retourna pour poursuivre la rédaction de son rapport synthétisant les dernières nouvelles de ses espions à Durmstrang. Un professeur y était décédé la semaine dernière, dans des circonstances plus que suspectes… Scrimgeour soupira ; au-dessus de son secrétaire, les photos punaisées de toutes les personnes disparues depuis deux ans, classées par ordre chronologique, semblaient lui faire signe. Et si l'on en croyait ce classement, non seulement le rythme s'était accéléré ces derniers mois, mais des jeunes commençaient aussi à être frappés. L'une des dernières photos avait d'ailleurs été mise en évidence, auréolée de post-it : une adolescente aux longs cheveux blonds, « Narcissa Black », « seize ans », « école de Beauxbâtons », « disparue fin décembre ». Mais ce n'était que l'arbre qui cachait la forêt. Il y avait eu la mort du précédent Ministre de la Magie – officiellement, une crise d'apoplexie, officieusement, un empoisonnement... Il y avait eu cette foule de morts douteuses, suicides et autres accidents, sans parler des attentats et assassinats portant directement la marque des mages noirs et de leur nouveau leader, le nécromancien qui se faisait appeler « Voldemort », et qui, à l'automne, avait osé défier ouvertement le Ministère dans les journaux. La coupure, il l'avait aussi accrochée au-dessus de son bureau.

Quels réseaux de causes sociologiques, quelles accumulations de frustrations sourdes étaient la source de cette onde boueuse de rancœur et de haine, qui ne cessait de grossir depuis 1967 ? Oh, il les entendait, les sorciers, dans le confort de leur salon, dans les cours intérieures, les tripots, et de plus en plus, dans la rue, les boutiques. Les langues s'étaient déliées… Merlin soit loué, à aucun moment, Croupton n'avait sous-estimé la gravité de la situation. Des complots et crimes glauques s'étaient accomplis dans l'Est, c'était la raison de la célèbre « destruction » des Carpathes. Il avait donné carte blanche au Chef des Aurors : l'arrestation de mages noirs et le regroupement d'informations sur Voldemort était devenue la priorité absolue.

Le Chef… Il entendit les jeunes siffler, signe qu'il arrivait.

Deux hommes sortirent de l'ascenseur. Le premier, un homme brun aux cheveux courts, la cinquantaine, portait un complet habillé, une canne-parapluie et un chapeau melon. Le second, plus grand et d'apparence plus juvénile, semblait ne pas avoir plus de la quarantaine, même si les plis de part et d'autre de sa bouche commençaient à être marqués. Il avait de longs cheveux blonds, comme délavés, qu'il avait disciplinés et noués en catogan, des lunettes bleues, un chapeau à larges bords et un grand manteau sombre.

« Hé bien, nous voici de retour à la maison », dit-il en souriant.

Ils remontèrent le couloir de l'espace ouvert en saluant les uns et les autres. Mais le premier, l'homme élégant, s'arrêta en court de route, pour s'installer derrière le bureau qui répondait au nom d'« Erwin McAlistair ». Le second, l'homme plus jeune et blond, poursuivit jusqu'au bout du couloir, lui, salua Rufus Scrimgeour, qui l'appela « Guinoleus ».

Il ouvrit ensuite la porte marquée aux initiales « G.M. », et pénétra dans le bureau du Grand Auror…

Son bureau.

 

 

Chapitre 16

Leçon de ténèbres





En face de lui, Malefoy et Avery arboraient un rictus de dégoût. C'était le vingtième mouchoir que le petit Angus utilisait depuis le début du repas, et il était si chargé qu'on voyait à travers.

« Hum, je crois que tu devrais sortir de table », fit le petit Avery.

« Mais si je sors on va mettre des choses sur ma chaise », gémit Angus, avec un accent aristocratique à couper au couteau.

Il ôta son mouchoir poisseux de devant son nez et releva la tête. Lucius Malefoy le regardait l'air terrifié.

« Comment tu te débrouilles pour être toujours enrhumé ? » demanda Parkinson.

« C'est l'air... »

« L'air ? »

« Ce n'est pas de sa faute s'il est malade », dit Lucius. Il se tourna vers Angus : « L'an dernier, j'ai eu une pneumonie et... »

Mais la poche d'Angus explosa et tous les mouchoirs dont il s'était servi furent projetés sur la table.

« Argh, DEGUSTUS ! » cria d'une voix la moitié de la tablée.

Pour certaines personnes, il n'y a pas de plus grande douleur que celle de la honte.

 

*


Le visage de l'adolescent à sa droite était si pâle qu'on aurait dit qu'on venait de découvrir sa peau d'une couche de glace ; la même pureté se retrouvait dans l'arête droite et courte de son nez, mise en valeur par sa coiffure à la grecque, mèche brune devant l'oreille, boucles dont la juste proportion autour du crâne devait demander un entretien régulier voire maniaque. Sous la ligne de son cou, la chemise blanche et le pull gris jouaient le même rôle, soulignant l'éclat apparent ou caché de la surface de sa peau.

Alors il tourna vers lui ses yeux couleur d'eau grise, et dit : « Severus Snape, ... »

Mais ce dernier n'eut pas le temps d'entendre la suite ; Lucius Malefoy avait posé sa main sur son épaule et lui enjoignait de se réveiller. Severus ouvrit les yeux, rencontrant ceux, clairs, de Lucius.

« Il faut que tu te lèves. Nous avons rendez-vous avec Agni. »

La chose était maintenant assurée : Russell voulait lui dire quelque chose… La question était quoi. Et à présent qu'il écoutait la voix grave mais encore légèrement cristalline de Lucius, il revoyait la murène tournoyant en spirale noire, lui rappelant le tuyau brûlé d'un alambic. Il revoyait la petite fée, brillante, dans la main de Lucius. Il revoyait l'étrange garçon de ses rêves, qui se tenait sur la marelle de Novalis, et dont la poitrine était un fourneau vide. Il revoyait le phénix de Dumbledore, pleurant des larmes qui soignaient les maux.

Il revoyait la jeune fille blonde de Gwénolé dans la forteresse, attendant une délivrance.

« Prudence, tempérance, force, et justice. Ce sont les quatre vertus cardinales, chacune symbolisée par un ingrédient. Les Anciens Savants et Stoïciens avaient raison, qui pensaient que tout était en soi un microcosme. La magie est la mise en œuvre de cette vérité : il y a de tout en toute chose. Nous avons suivi les chants divins d'Empédocle. Nous avons construit mathématiquement notre potion comme un système à part entière. Mais ce n'est pas seulement une question d'éléments, mais aussi d'idées, de symboles et de mots. Ils se répondent et se correspondent eux aussi, et sont eux aussi dans la réalité, comme un réseau secret d'ordre et de relations. Pour mettre la gloire en bouteille… la question était donc : quelle est son essence ? Quelles en sont ses causes ? Comme pour des planètes, nous avons tracé une première courbe elliptique, celle des quatre vertus platoniciennes, chacune représentée par l'ingrédient qui lui correspond – parce que la véritable gloire nécessite de fermes assises, la résistance et le contrôle. La seconde ellipse, elle, symbolise l'orexis, le désir moteur qui pousse l'être à l'action et la métamorphose. Menthe, mue de lézard, ginseng, sang de bouc. La troisième, c'est la beauté et la vaillance, le regard braqué sur l'horizon, et l'idéal. Larmes de nixe, sueur de cristal, le reste nous ne l'avons pas encore trouvé. Et pour finir, le cœur de la formule, autour duquel gravite les autres ingrédients : la perle, car elle est l'ultime preuve d'amour. Elle est le trésor caché dans les riches et profonds océans, dans le microcosme du coquillage. Sa forme circulaire, la forme parfaite, évoque celle de l'univers, et de l'immortalité. Elle est cette chose précieuse, lumineuse, mais cachée dans l'obscurité, qui pousse l'homme à se dépasser, à chercher à rejoindre le grand dessein de l'univers ; elle symbolise l'amour, enfin, en est la marque, car celui qui cherche la gloire cherche aussi l'amour de son prochain, cet amour qui lui permet de ne plus être seul et d'exister dans le dessin du monde. »

Lucius se tut. Les yeux sombres de Bhima Agni luisaient.

« Alors c'est cela que vous avez fait, durant tous ces mois ? Vous ne vouliez rien me montrer… »

Il était assis devant l'âtre de son bureau et les flammes du foyer derrière sa tête sombre le faisait ressembler à quelque divinité hindoue.

« Oui. J'ajoute que Severus Snape ici-même m'aide pour tout ce qui concerne les dosages. Comme vous le savez, je suis très bon pour tout ce qui concerne la préparation des potions, l'aspect pratique, la mise en œuvre et la connaissance érudite des recettes déjà créées. Mais lui, Seve… Snape, sait faire preuve de beaucoup de raffinement dans leur amélioration. »

« Je le sais », dit le professeur en souriant. « Il est tout à fait exceptionnel dans le domaine des potions. Je n'ai jamais connu aucun élève de son niveau dans ma matière. »

Severus sentit une chaude fierté envahir sa poitrine.

« Mais vous ne devez pas vous épuiser à la tâche pour autant ! » poursuivit Agni en se levant, comme pour conclure la discussion. « Mme Pomfresh m'a dit qu'elle vous voyait souvent à l'infirmerie ces derniers jours… »

Les deux camarades s'entre-regardèrent.

« Tu as vu, ils parlent de nous entre eux », chuchota Severus quand ils sortirent du bureau.

« En tout cas, lui, il a l'air réellement fatigué », dit Lucius. « Il y a eu des rumeurs comme quoi il avait failli partir. »

On était samedi. Pleins d'enthousiasme suite à l'accueil de leur formule, les deux garçons se rendirent immédiatement à la bibliothèque pour continuer à travailler. Ils avaient profité de leur entrevue avec le maître de potion pour lui faire signer des autorisations de lecture : il y avait un ouvrage sur les propriétés du sang de bouc et plusieurs autres sur les créatures magiques, notamment les Fairies – ils espéraient trouver des indications sur le « Royaume des fées » dont parlait Angus dans sa lettre.

Le travail de la formule et les expérimentations pour la potion l'avaient considérablement rapproché de Lucius. Ce dernier désormais ne travaillait plus seul à la bibliothèque, mais avec Severus. Ils travaillaient ensemble dans le dortoir de leur maison, dans son oubliette. Ils mangeaient ensemble. Le week-end, ils allaient à Pré-aux-Lards acheter des ingrédients. Alors, il ne manquerait plus que cette coccinelle à cheveux blonds se glisse entre eux, même si Severus était bien conscient que ce qu'il avait obtenu était déjà beaucoup, et quelque chose qu'il n'aurait jamais espéré quelques mois auparavant. La seule véritable ombre au tableau était ce soir où le jeune homme s'était énervé, l'appelant par son nom de famille et lui répondant vertement, comme au temps où il le bousculait sans lui dire pardon et le toisait avec un air infiniment arrogant. Mais ça n'avait pas duré, il s'était excusé le lendemain, en lui caressant les cheveux. Cette sensation de la main aux nombreuses bagues glissant sur sa tête… Comme elle était réconfortante, et apaisante. Elle lui donnait le profond sentiment d'être aimé.

« Oui… Si on trouve ce royaume et qu'on y ramène cette fée, je serai débarrassé d'elle », songeait Severus en son for intérieur, tandis qu'il tournait les pages de grimoire.

Leurs recherches leur apprirent un certain nombre de choses sur les fairies : elles parlaient leur propre langue, aimaient par-dessus tout servir d'ornement, étaient gaies mais peu altruistes. Quant à leur civilisation, tous les livres qu'ils consultèrent ce jour-là leur indiquèrent qu'elles ne vivaient qu'à l'état sauvage, majoritairement sur le continent européen, et qu'elles n'avaient aucune société ou organisation comparable à celles des hommes, voire même des abeilles. Ils ne trouvèrent aucune trace du Royaume des fées.

Quand la grande horloge sonna vingt-et-une heures, les deux adolescents sortirent s'aérer. Mars était arrivé, déjà l'herbe avait une odeur différente. Mais les préoccupations des deux adolescents étaient ailleurs.

« Tout cela ne m'inspire guère », soupira Lucius en s'allumant une cigarette. « Si même les livres de Poudlard ne parlent pas de ce mystérieux royaume… »

« On pourrait peut-être demander à Dumbledore. »

« Non, ça ne le regarde pas. Et puis va savoir quelle décision il pourrait prendre à l'égard de la fée. Je peux te faire confiance, non ? »

« Euh… Oui. »

« Tu n'as pas l'air très décidé. »

« Je le suis. »

« Quand on est ami avec quelqu'un, c'est du sérieux. Ce n'est pas pour aller cafter nos secrets au premier venu. Sinon, ce n'est pas la peine. »

Severus le regarda. Lucius avaient les yeux baissés en biais, comme souvent, et il fronçait les sourcils.

« Bien sûr que non que je ne vais pas aller cafter. Toi au moins tu prends les choses au sérieux, j'apprécie ça. »

Les sourcils de Lucius s'arrondirent.

« Tu m'apprécies ? » dit-il avec un sourire.

« Hé bien… Oui. »

Il était devenu rouge ; un grand échalas mince en vêtements moldus au visage rouge.

« Moi aussi je t'apprécie Severus… »

Silence.

« Lucius… Je me demande qui avait kidnappé cette fée. Si c'est la même personne qui a tué Angus, elle doit être assez dangereuse tout de même. »

« C'est sans doute le cas. Mais si tu as peur… »

« Je n'ai pas peur », mentit Severus. « Mais, je pensais à une chose… Si on arrive à savoir ce qu'Angus faisait en France, on aurait peut-être une piste. Puisqu'il est tombé sur le ou les ravisseurs. »

« Hum… Angus voyageait beaucoup pendant ses vacances, et ses voyages étaient souvent en rapport avec les créatures magiques, leur civilisation. »

Lucius lui raconta ainsi que l'été dernier, feu Russell n'avait pas passé le mois de juillet à étudier mais rendu visite (pour la première fois) à l'un de ses cousins, le roi Karkarinos 1er, qui n'était autre qu'un crabe géant au fond des mers.

« Je ne sais pas si tu as déjà vu un crabe avec une couronne, Severus ? C'est assez mauvais goût. »

Au début, Russell avait eu quelques difficultés à se faire comprendre, car il ne connaissait pas le langage du royaume sous-marin, et toutes les paroles émises par le monarque brandissant dans sa pince un sceptre ne lui semblaient que sifflements obscurs et « fleucrillements ». Mais lui avait été reconnu sans qu'il ait besoin de parler.

« Que s'est-il passé ensuite ? » demanda Severus.

« Il apprit leur langage bien sûr. Le roi lui avait donné accès à sa bibliothèque. Le problème c'est qu'il s'est mis à lui donner des conseils politiques. Il voulait réorganiser le royaume de manière plus philosophique. Le roi l'a fait enfermer. »

« Dans une oubliette ? » s'enquit Severus piqué d'intérêt.

« Dans une grande coquille Saint-Jacques. Pour qu'on ne l'entende plus je suppose… Il a quand même fini par s'échapper grâce à une aide extérieure, mais toute cette aventure n'était pas très glorieuse. »

« Mais comment pouvait-il être cousin avec un crabe ? »

« Ça c'est que qu'il m'avait dit. Personnellement, je ne crois pas à toutes ces rumeurs et histoires de nixes et d'ondins. Si Angus avait une jambe malade, c'est parce que ses parents étaient cousins germains. Ce genre de choses ne pardonne pas. »

 

* * *



Ils passèrent toute la première semaine du mois de mars à lire et prendre des notes à la bibliothèque, abîmés par la concentration et comme projetés dans l'autre monde de leurs livres et de leur esprit. Il n'y eut qu'un seul événement pour briser cette plaisante et apaisante monotonie, cette sérénité studieuse.

Un jour, Metellus Honeytaste s'assit à la table voisine de la leur.

Snape se souvenait de lui, c'était un élève de sixième année dont la particularité la plus connue était d'être le seul inverti affiché de Poudlard. S'il ne cachait pas son homosexualité, de nombreuses rumeurs couraient néanmoins sur lui, notamment celle prétendant qu'au mois de février, il avait fait l'amour dans les toilettes avec un autre garçon à l'identité inconnue.

Certes, Severus devait avouer qu'il était plutôt joli garçon, bien qu'appétissant fût plutôt le terme approprié. Sa peau avait la couleur dorée d'une tarte tout juste sortie du four et cuite à point, ses yeux celle des pastilles de menthe bleue, ses cheveux celle du chocolat. Et à ce moment-là, il avait une façon de porter son crayon à mine de plomb à sa bouche, comme s'il réfléchissait, tout en fixant Lucius Malefoy du regard… Celui-ci finit par sentir ce regard appuyé et se tourna vers le Poufsouffle. Severus, lui, n'arrivait plus à détacher le sien du regard bleu et de la bouche qui suçotait le crayon. Puis il eut brusquement l'impression qu'une grande vague de sueur trempait ses vêtements. Lucius baissa la tête et retourna à son livre, l'air si indifférent que cela en avait l'air douteux.

Severus eut un frisson ; Honeytaste s'était levé. Il s'arrêta à leur table.

« Bonjour. »

En fait, ses dents n'étaient pas très belles, songea Severus, mais le reste compensait largement.

« Bonjour », répondit Lucius avec nonchalance.

Honeytaste posa sa main sur le livre de Lucius, le refermant ; puis il se pencha et lui dit quelque chose à l'oreille.

« Je ne comprends pas de quoi tu parles », dit Lucius.

« Hein ? »

« Je ne comprends pas de quoi tu parles », articula-t-il.

« Où est le problème ? C'est ton petit-ami c'est ça ? »

Il désignait Severus, qui rougit.

« N'importe quoi. Maintenant laisse-moi tranquille. »

Honeystaste eut un rire amer.

« De toute façon, ça m'intéresse pas les connards qui ne s'assument pas. »

Il se tourna vers Severus et murmura : « Ne crois pas tout ce qu'il te dit. Tout ce qu'il cherche c'est quelqu'un pour se vider les #######. »

Il prit ses affaires et sortit de la bibliothèque. Le cœur de Severus battait à tout rompre.

« Y'a vraiment des cinglés », se contenta de déclarer Lucius Malefoy.

 

* * *



« Qu'est-ce que c'est ? » demanda Severus en allant prendre sa permanence à l'APADI.

« C'est pour le journal, un article sur la magie matérialiste des Moldus », expliqua Alan Jodorowsky.

Il lui montra des images de trompe-l'œil.

« Tu vois celle-ci… Tu crois d'abord que c'est un canard, alors qu'en fait c'est un lièvre. Selon le point de vue que tu adoptes, la même image peut être interprétée complètement différemment. »

« Les illusions d'optique, ça marche aussi dans la vraie vie », dit Magda. « Quand on est complètement obsédé par quelqu'un ou quelque chose, cela fausse complètement notre perception des choses. »

« Je dirais même notre interprétation des choses », ajouta Jodorowsky. « Car on peut peut-être penser que toute perception est déjà une interprétation. On prend toujours les choses par un bout particulier. Lâche ce bout-ci et prends-en un autre, tu verras sans doute quelque chose de complètement nouveau. »

Severus sentit son inquiétant sentiment de mal de mer revenir. Pimprenelle fit son entrée avec un carton à dessin sous le bras.

Alan Jodorowsky sortit du carton l'affiche qu'ils allaient photocopier et placarder partout dans Poudlard. Sur cette affiche, on voyait un morceau de visage halluciné d'Eric Salinger, le capitaine de Quidditch d'origine moldue. Et sous ce visage, il y avait écrit, en lettres festives, Nous sommes tous des Sang-mêlés.

« C'est Sirius Black qui a fait le dessin », expliqua Alan. « Il se débrouille vraiment. Qu'est-ce que tu en penses ? »

« Rien. »

« Tu ne trouves pas ça approprié ? Tu en es bien toi aussi, non ? »

Il y avait de l'amertume dans la voix du Préfet-en-chef. Pimprenelle Diggory regarda Severus avec étonnement.

« Tu sais, si tu as des opinions racistes, on ne t'acceptera plus ici », poursuivit-il. « Et laisse-moi te dire que je ne crois pas un instant les belles déclarations de ce Talleyrand de Malefoy. »

Severus se contenta de baisser la tête, terriblement mal à l'aise. Tous les effets personnels qu'il avait déposés et laissés sur le bureau d'Angus, depuis presque un mois maintenant, semblèrent soudain déplacés et mensongers.

« Alan a raison », renchérit Diggory. « Il faut que tu choisisses ton camp. »

 

* * *



Pour la première fois, Severus accueillit l'heure de la détention avec soulagement, et quitta l'APADI sans un mot.

« T'as l'air triste, Snape », lui fit remarquer Wilkes.

« J'en ai marre de nettoyer des graffitis, c'est tout », mentit-il, en terminant d'enlever le O de « No pasarán ».

« C'est la guerre des murs », rigola Rosier. Puis il ajouta : « Tu sais quoi ? Tu ne devrais pas autant fréquenter Malefoy. Il va finir par déteindre sur toi. »

Eux aussi ils s'y mettent. Ma parole, il n'y a pas une seule personne dans cette école qui ne m'ait mise en garde contre lui. En fait… Lucius n'a aucun ami. Il n'y a qu'Avery. Et moi…

« Ouais… Qu'est-ce que vous avez aux oreilles ? »

« On se les est percées nous-mêmes. C'est cool, non ? »

Wilkes portait une unique boucle d'oreille en forme de nœud papillon, Rosier des petits dés (« pour aller avec le thème du groupe »). Il avait également laissé son copain lui éclaircir certaines mèches, avec du citron et de l'eau oxygénée, et arborait maintenant un mélange de doré et de cendré.

« Ça te va bien », apprécia Severus.

Après avoir nettoyé le tag, ils allèrent faire la poussière dans la salle des trophées.

« Mon dieu ce que c'est vieux tout ça… » soupira Wilkes.

« Il y a les photos de tous les Préfets-en-chef depuis le XIXème siècle. »

« Tu vois Dumbledore ? »

« Non mais je vois Fil-de-Cuivre, et Jodorowsky. »

« Quelle honte… »

« Pourquoi ? » répondit Severus. « Il fait plutôt bien son boulot à ce qu'il me semble. »

« Tu plaisantes ? » s'étonna Rosier. « C'est un Sang-de-Bourbe. Et qui défend les Sang-de-Bourbe. Un autre Albus Russell, tiens. »

« J'suis sûr que c'est lui qui a taggé No pasarán sur le mur », ajouta Wilkes.

« Non, ça ça doit être Sirius Black. – Je fais les années 1900-1950. »

« Ok. N'empêche, c'est bien beau tout ça, » souffla Rosier, « taguer les murs, mais au final, on est comme mon faux-derch' de père, on fait que parler dans le vide. Faudrait faire une vraie action. »

« On pourrait commercialiser notre disque ? » proposa Wilkes.

« Ouais, pas con… Mais ce que je me demande, moi, c'est ce type, Voldemort, s'il existe vraiment, comment le rejoindre. »

« Personne ne sait qui il est », murmura Snape.

« Pourtant il doit bien y avoir des gens qui le connaissent », opina Rosier. « Il doit bien avoir été élève à Poudlard par exemple. »

« Ça c'est pas sûr », fit Wilkes. « Il a un nom plutôt français. »

« Tu crois que c'est un Français ? J'ai un nom qui sonne français mais je n'en suis pas un. »

« Les Français amènent toujours des problèmes », pensa Severus intérieurement.

Il était en train d'épousseter la photo d'un préfet-en-chef des années 1930. Tom Riddle. C'est étrange, son visage…

 

* * *

Double, double
Peine et trouble !
Flammes qui brûlent
Les chaudrons pleins de bulles !


Peeves chantonnait dans la grande salle. La nuit avait été étrange pour Snape. Il n'avait pas rêvé du garçon vêtu de noir, mais de Lucius, et de Metellus, et de Rosier, et il avait trouvé ses draps sales en se réveillant.

« Tu me fais la tête ? » demanda froidement Lucius entre deux cuillerées d'haricots.

« Non », mentit Severus.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? » demanda Avery.

« Rien. C'est Rosier qui t'a dit des choses à mon sujet ? Ou bien l'autre demeuré d'hier ? »

Severus regarda Avery.

« Evan Rosier est cool, il… »

« Rosier est un zéro », répondit Lucius. « Alexandre, tu me passes la moutarde ? »

« Tiens. »

« Pourquoi ? »

« Merci. Il parade avec ses tatouages, mais qu'est-ce qu'il fait ? Rien. A part chanter comme une casserole. Les vrais hommes d'action, eux, ils ont une stratégie. »

Severus baissa les yeux.

« Et de toute façon, il n'est pas le seul à avoir des tatouages. Moi aussi j'en ai un. »

« Ah bon ? » s'étonna Avery.

« Mais je ne l'ai pas vu quand… »

Avery fronça les sourcils et son regard alla de l'un à l'autre. Mais Severus parlait de leur bain dans la piscine des préfets.

« Si tu ne me crois pas, je te le montre tout de suite. »

Severus haussa les épaules. Lucius se leva.

« Alexandre, tu surveilles mes affaires ? », dit-il.

« T'es lourd », soupira Avery.

Ils montèrent dans les toilettes pour filles du deuxième étage, s'enfermèrent dans une cabine. Le pauvre Severus était à l'agonie de sentir Lucius Malefoy si près de lui... Davantage encore quand il enleva son pull, puis son t-shirt.

« Tu vas recommencer, c'est ça ? »

Une voix de fille avait surgi de nulle part. Severus la reconnut tout de suite : c'était Mimie Geignarde, assise sur la cloison, en train de les regarder, les joues plus grises que le reste de son corps.

Lucius Malefoy la regardait avec terreur.

« Tu enlèves ton maillot, et après tu vas te jeter sur lui de façon bestiale ! »

« Mais de quoi tu parles ? »

« Quand tu as fait ces choses avec l'autre garçon », dit Mimie l'air lubrique. « Je ne me doutais pas que deux garçons ensemble ça pouvait être aussi intéressant… »

« Ne crois pas ce qu'elle te dit Severus, elle a dû me confondre avec quelqu'un d'autre. »

« Bien sûr que non je ne t'ai pas confondu ! On ne peut que se souvenir d'un garçon aussi beau que toi… »

« T'as pas intérêt à raconter ces bêtises à quelqu'un d'autre… De toute façon, personne ne te croira. Viens Severus, on va à ton oubliette. »

Une fois au calme, il enleva à nouveau son pull et sa chemise.

« Regarde mon dos. »

« Il n'y a rien. »

« Appuie avec ta main au centre de ma colonne. »

Severus appuya timidement sur la peau blanche et douce. Des lignes noires commencèrent à apparaître. Elles formaient un labyrinthe circulaire, semblable à celui de la cathédrale de Chartres.

« Comment tu t'es fait ça ? »

« Ça, c'est mon secret. »

« Mais… à quoi sert-il si personne ne peut le voir ? »

« C'est une protection. Une sorte de talisman contre le Véritasérum. »

« Tu es immunisé contre le Véritasérum », conclut Severus, qui comprenait maintenant pourquoi Gwénolé n'avait pas de preuve contre lui. « Mais si tu es immunisé… »

« Oui ? »

« C'est que tu as quelque chose à cacher. »

« Je n'ai rien à cacher. »

Il se rhabilla.

« Par contre, toi… »

Et de jeter un regard ironique sur le pantalon de son cadet.

 

* * *



James Potter relançait son camarade pour la énième fois, la désignant des yeux.

« Allez, vas-y, raconte-nous... Tu te l'es faite ? »

« Tu parles de qui, là ? »

« Ben de Magda. »

« Mais ça va pas ? », murmura-t-il, ayant peur qu'elle l'entende. « C'est juste une amie, merde. »

« Pourtant il paraît qu'elle le fait avec plein de types. Et on vous voit souvent ensemble tous les deux. »

« Mais tais-toi ! »

« C'est pour ça que tu écoutes Pink Floyd, c'est pour lui plaire. »

« Mais non ! »

Remus avait l'air mal à l'aise, lui aussi. Depuis qu'avec son père ils étaient venus en aide à Sirius, lors de la kermesse, ils s'étaient rabibochés, et la bande des Maraudeurs était à nouveau réunie.

« Quand tu dis qu'elle le fait... Qu'est-ce qu'elle fait au juste ? », demanda Peter.

« Elle couche pardi. »

Peter fronça les sourcils, la variation de vocabulaire semblait ne pas l'avoir plus éclairé.

« Elle baise », ajouta James, d'une voix qui laissait deviner qu'il aimait à la fois utiliser ce mot et qu'il se sentait supérieur de le connaître.

« Putain mais la ferme », siffla Sirius. « Elle fait rien de tout ça, c'est que des racontars. »

Remus le regarda en souriant ; mais ce n'était pas un petit sourire d'approbation, c'était le sourire d'un ruban qu'on vient de dénouer, d'autant plus fort d'avoir été replié dans le doute.

« C'est une chic fille, c'est vous qui êtes des porcs, tiens », lança Sirius.

« Ben dis donc, depuis que tu t'occupes de politique, t'es drôlement lourd », répondit James l'air blasé.

« ...Après les affiches, avec Eric et Alan on a prévu une nouvelle grosse action. »

« ...Ouais, et tu sais qu'Honeytaste s'est fait un mec dans les toilettes pour filles du deuxième étage ? »

« Hein ? »

« C'est qui, Honeytaste, déjà... ? » demanda Remus.

« La Tapette », rappela James.

« Mais qu'est-ce qu'on en a à fiche des histoires de cul de Pierre Paul Jacques ? », s'énerva Sirius. « Moi je te parle de l'avenir du monde là ! »

« Et moi je vois surtout qu'ils t'ont lavé le cerveau tes nouveaux potes ! »

« Tu n'es qu'un gamin », conclut Sirius.

 

* * *



A nouveau Severus observait un changement de positions des astres. Sirius s'était réconcilié avec Remus, mais il s'éloignait à présent des Maraudeurs pour se rapprocher davantage encore de la bande d'Alan et Salinger. Bellatrix s'était brouillée avec Rosier et Wilkes, pour une raison qu'il ignorait (Rosier n'avait pas voulu lui dire), et elle était devenue le centre d'un nouveau duo, celui des frères Lestrange. Quant à lui-même... Il était depuis peu le satellite de Lucius, mais ce n'était pas faute d'être constamment sollicité par d'autres champs de gravitation...

« Tu perds ton temps à aider Malefoy pour son magistère », déclara un jour Jodorowsky. « Je suis sûr qu'il n'a même pas besoin de ton aide. Ce type est très intelligent, crois-moi, d'ailleurs c'est lui qui a toujours eu les meilleures notes en potion de la classe. Même en arithmancie il est très doué. Quoique, en arithmancie, je me suis toujours demandé s'il ne payait pas Angus pour qu'il lui fasse ses devoirs... »

« Qu'est-ce que tu veux dire ? »

« Il n'a pas besoin de toi en fait... Tout ça c'est juste pour t'attirer dans ses combines... »

« Ses combines ? »

« Son trip de magie noire, tous ces trucs-là, quoi ! »

Severus ne sut quoi répondre. Il se souvenait du petit discours qu'il lui avait fait sur la magie noire quand il était venu le voir, à l'automne, dans la bibliothèque. Il ne s'était jamais caché auprès de lui avoir recours à la magie noire et aimer l'étudier. Même à l'écouter, c'était cela qui l'avait poussé vers lui.

« Malefoy, ce type est le mec plus dangereux de Poudlard... » poursuivit Jodorowsky comme pour lui-même. « Il jette le mauvais œil sur tous ceux qui se dressent en travers de son chemin. »

On croirait entendre Macnair, pensa Severus.

« Et il est mauvais... Il fait du mal aux gens... C'est vrai il est beau gosse, comme on dit, il présente bien... Mais au fond, c'est une pourriture. Il rend les gens malheureux. »

 

* * *

 


« Hey trop fort Severus, y'a un nouveau fantôme à l'infirmerie ! »

Après la détention, Rosier et Wilkes étaient allés se faire soigner leurs lobes d'oreilles, qui commençaient à s'infecter. Puis ils étaient entrés en fanfare à la bibliothèque, où ils savaient trouver leur camarade.

Severus comprit tout de suite.

« Un petit garçon, du genre en première année ? Qui boite ? »

« Ouais », confirma Rosier. « Et dans le genre prétentieux, il en tient une couche. Toujours le menton haut levé, avec un accent d'archiduchesse que même ma grand-mère elle a pas. »

« Mais y'a qu'Evan et Lupin qui l'ont vu. Moi j'ai rien vu du tout », précisa Wilkes.

« C'est parce que tu n'as pas nos Dons », rétorqua Rosier. « Et le plus drôle, Snape, c'est que ce gosse avait un vague air avec Balai-dans-l'c… »

« Je dois y aller tout de suite », répondit Severus.

« Pourquoi ? »

« Pour une Quête », répondit énigmatiquement l'adolescent aux cheveux noirs.

 

 


 


En ce jour de juin 1969, Dumbledore était occupé à relire la dernière missive qu'il avait reçue de Novalis quand un grand gaillard roux au visage fin entra dans son bureau. L'insigne de Préfet-en-chef était accroché sur son uniforme trempé par l'averse. Il avait l'air préoccupé et souffrant, de cette souffrance que l'on ressent pour celle des autres.

« C'est une soirée d'été bien maussade, Fabian… Qu'y a -t-il ? »

« Hé bien, vous vouliez être tenu au courant, professeur. »

« Oui ? »

« Je reviens de l'infirmerie. C'est le petit Russell. Son état s'est brusquement aggravé. Il va falloir le transférer à Sainte-Mangouste. »

 

*


La petite main alluma à nouveau le briquet. Le visage de Russell apparut sur l'oreiller, à la fois cyanosé et d'une blancheur molle, comme si la mort déjà présente en lui travaillait sa chair vers la cire et la pierre.

« Ils t'ont très bien bandé les poignets, tu ne trouves pas ? »

« Oui. Comme pour les lutteurs. »

« C'est une lutte. »

« Une lutte contre la mort. »

La flamme s'éteignit. Des cris qui ressemblaient à ceux d'un fou fendirent alors le silence et l'obscurité ; mais ce n'étaient que les hoquets de douleur du malade qui s'étouffait, puis dont le thorax aspirait par lui-même l'oxygène à laquelle il avait à nouveau accès, par de brutales contractions.

« On croit que la mort est quelque chose qui nous saisit, qui vient de l'extérieur », continua Russell d'une voix qui n'était plus qu'un murmure sifflant. « En réalité, elle a toujours été là, depuis le début. »

La flamme du briquet se ralluma. Le garçon blond qui le tenait la promena au-dessus du corps mince qui reposait sur le lit, les paupières mi-closes.

« Quand mon père est mort, pendant plusieurs mois, j'ai rêvé que je devenais aveugle. Je ne voyais plus que de vagues formes, et des couleurs… »

« Tu as vu les chevaux noirs ailés ? »

« Oui. »

La lumière s'éteignit.

« Où est-elle ? »

« Qui cela ? »

« Je ne la vois plus, où est-elle ? »

« Qui ? »

« L'infirmière. »

« C'est moi, je suis ici. »

L'infirmière posa sa longue main d'adulte sur son front.

« C'est la fièvre qui te fait parler tout seul, Angus », dit-elle.

« Il y a trop de lumière. Vous ne voulez pas éteindre la lumière ? »

« Qu'est-ce que tu racontes ? »

« Eteignez la lumière s'il-vous-plaît… Elle me fait trop mal, s'il-vous-plaît. »

« Tu vas survivre », fit alors la voix de Dumbledore. – L'enfant pouvait sentir le lourd brocart de son habit rouge contre le lit.

« Non, je ne veux plus… » suppliait-il en pleurant. « J'ai trop mal, s'il-vous-plaît... »

« Tiens bon, on t'emmène à l'hôpital. Les médicomages arrivent. »

« Pourquoi devrais-je survivre ? Je n'en peux plus de souffrir... C'est sans fin. »

« Aie confiance », dit le vieillard en essuyant les larmes sur le visage agonisant. « Je vais te soigner. Cela sera pour toi comme une nouvelle naissance. »

 

* * *



La voix fatiguée du vieux Novalis s'élevait dans l'amphithéâtre. Lucius Malefoy et Severus Snape prenaient consciencieusement des notes.

« Il y a d'abord l'Œuvre au Noir… Corruption, ténèbres, mélancolie. Puis l'Œuvre au Blanc : la purification. L'Œuvre au Jaune : la sublimation. L'Œuvre au Rouge : le Grand Œuvre. La puissance de vie infinie... »

- Alors, tu l'as vu ? Il t'a parlé ?

- Oui, mais il ne sait rien. C'est comme si ce n'était qu'un fantôme du Russell de cette époque.

- C'est comme un souvenir ? demanda Lucius.

- Oui, c'est sans doute ça…

- Peu importe, fit Lucius avec une désinvolture ostentatoire. Je crois que j'ai trouvé ce que nous cherchions.

Il lui fit passer deux livres. Le Livre des nymphes, des sylphes, des pygmées, des salamandres et de tous les autres esprits de Paracelse, ainsi que Forêts magiques d'Europe de Peredur Sanretour.

- J'ai peut-être trouvé un Royaume des fées, ce royaume dont il parlait dans sa lettre. Cependant, ce n'est pas exactement ce que nous pensions.

Mais il s'interrompit ; un élève derrière lui avait fait « chut ». Le bruit de la craie sur le tableau d'ardoise reprenait. Novalis commenta.

« Ce dont parle l'alchimie voyez-vous, c'est de la capacité… de tout être à se métamorphoser, car il renferme en lui-même… tous les possibles. Comme dirait mon collègue et ami… Albus Dumbledore… c'est une histoire… de liberté. »

 

*



Il n'y a rien de plus beau que l'ouverture de l'été.

Juillet est un fleuve, qui nous offre toutes ces promesses d'affranchissement et d'apaisement : la souffrance des contraintes s'est retirée sur une surface suffisante pour permettre à l'homme d'éclore comme une fleur, ne vivant plus pour seulement vivre mais pour enfin s'adonner à la beauté.

C'était sans doute ce que sentait le jeune garçon qui s'était élancé en courant dans les escaliers, et que Dumbledore observait à la fenêtre.

Le garçon riait en s'appuyant sur la rampe pour rendre ses mouvements plus violents, tournoyant dans les escaliers en mouvement comme s'il effectuait quelque danse.

Il s'arrêta devant le portrait de Rowena Serdaigle et s'inclina en faisant un ample geste de salut avec un chapeau imaginaire.

« Monsieur Russell. »

« Maintenant je ne suis plus un Déséquilibré, Madame. »

Et il reprit sa course, sortant dans le cloître, traversant le hall, passant sous la herse, cavalcadant dans les collines, où il se laissa tomber dans l'herbe haute, goûtant sa fatigue et la chaleur du soleil sur sa peau.

« Cela ne durera sans doute pas, mais aujourd'hui je suis heureux », murmura-t-il.


 


à suivre


**********************************

 

 

La leçon (coda)




Avril 1969


« Pourquoi voulais-tu me voir, Lucius ? »

Dumbledore scrutait avec attention le jeune garçon, droit et noble comme une statue, mais le regard étrangement fuyant. Il s'est drôlement remplumé depuis le début de l'année... songea-t-il.

« C'est à propos d'un élève. Un de mes camarades de classe, pour être plus précis. »

« Assieds-toi. »

Le jeune Malefoy s'installa sur le fauteuil, les jambes serrées. Ses cheveux d'argent tombaient en diagonale sur ses yeux gris, qui demeuraient baissés.

« Hé bien, je t'écoute. »

« Cet élève... Il veut mourir. En fait, il a déjà essayé... Mais comme il n'a pas réussi, il a prétendu que c'était un accident. »

« De qui parles-tu ? D'un élève de Serpentard ? »

« Oui, de Russell... Il a montré comment on pendait les sorciers dans le temps, en cours d'histoire. Il s'est pendu lui-même. Mais j'ai coupé la corde. Après, il a sauté du haut du chemin de ronde. Il s'en est sorti par miracle. Mais je sais qu'il va recommencer.»

Cette fois, Lucius Malefoy regarda Dumbledore. Avec les yeux flamboyants de la jeunesse qui demande justice.

« Il faut que vous fassiez quelque chose, professeur. »

« Mais… Sais-tu pourquoi Russell tient tant à mettre fin à ces jours ? »

« Il est triste. C'est à cause des autres. ...Ils ne l'aiment pas. »

« Pourquoi ? »

« Parce qu'il boite. Ils disent qu'il n'est pas comme eux, alors ils le frappent, et ils l'humilient. C'est vrai qu'il est bizarre... Mais ce n'est pas juste, professeur. Il ne mérite pas ça. Il est de sang pur et il est très intelligent, on ne doit pas le traiter comme ça. C'est vil, et misérable, cela me fait honte. Alors j'ai pensé que vous, vous pourriez faire quelque chose. »

De la curiosité, le regarde de Dumbledore était passé à l'étonnement.

« Tu as bien fait de venir m'en parler, mon garçon. J'en informerai le directeur, et des sanctions seront prises. »

« Non, ça ne résoudra pas le problème. Ce n'est pas à cela que je pensais. Vous êtes renommé pour vos pouvoirs, vous pourriez peut-être... soigner sa jambe... S'il vous plaît. Il est très malheureux. S'il pouvait marcher normalement... Et respirer normalement... S'il vous plaît. Eux, ils ne savent pas ce qu'est la vraie souffrance.»

A nouveau, il ne le regardait plus, mais Dumbledore lui le regardait la bouche entrouverte, ses yeux bleus luisant entre les deux pans lisses de sa longue chevelure.

« Je vais essayer. »

Il se frotta le menton, l'air pensif.

« Oui, je vais tenter l'expérience... »

Il se leva pour marquer la fin de la discussion, et le raccompagna jusqu'à la porte. Là, il prit congé en lui posant une main sur l'épaule.

« Tu es un bon garçon...» murmura-t-il alors. « Surtout, ne change pas. »

 

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