
Stairway to heaven
Résumé des principaux points du chapitre précédent :
- Dans l'infirmerie, Sirius fait connaissance avec Magda, une jeune fille de Gryffondor qui a tenté de se suicider et qu'il avait sauvé. Elle lui en explique les raisons et s'étonne qu'il ne puisse pas voir le petit garçon en face d'elle (petit garçon qui ressemble fort à Angus enfant et qui avait déjà été vu par Remus et Severus au même endroit). Magda et Sirius deviennent amis.
- Sirius découvre également que McAlistair n'est pas un véritable Médipsychomage, mais un Auror chargé d'enquêter sur la mort d'Angus Russell. On ignore en revanche si Gwénolé est réellement un Médipsychomage ou un Auror lui aussi. Sirius informe James de ce qu'il a entendu.
- On a la confirmation par McGonagall qu'Angus Russell était le souffre-douleur de ses camarades en première année, et par Jodorowsky qu'il avait un problème de jambe, que Dumbledore réussit à soigner. McAlistair semble soupçonner Lucius Malefoy de l'avoir assassiné.
- La mère d'Angus a reçu un sortilège d'Oubliettes et en a oublié l'existence de son fils.
- Bellatrix, Rosier et Wilkes, tentent de se rapprocher de Severus (pour contrer l'influence Lucius ?) et Severus découvre l'étendue de leur racisme.
- Il croit devenir fou, que le fantôme d'Angus Russell entraperçu dans l'infirmerie n'est qu'une hallucination. Il demande à avoir un rendez-vous avec McAlistair, le Médipsychomage.
- Lucius est devenu préfet, et envoie Severus dans l'APADI, l'association de soutien scolaire de Jodorowsky pour le remplacer. Severus prend le bureau d'Angus et met la main dans son tiroir magique (ou il y a toutes sortes de choses).
- Gwénolé prépare un spectacle de marionnettes pour la kermesse de l'école qui arrive, et rappelle à Severus que l'anniversaire de Lucius est proche.
- La rumeur circule, propagée par Parkinson et Sanchez, les deux commères de Serpentard : on aurait vu (ou plutôt entendu) l'homo officiel de Poufsouffle s'envoyer en l'air dans les toilettes de Mimi geignarde avec un autre étudiant (mais qui ?).
- Enfin, Gwénolé et McAlistair découvrent qu'Angus possédait une poupée vaudou de Bellatrix, qu'il utilisait pour la rendre amoureuse de lui. Ils détruisent la poupée et désenvoûtent Bellatrix.
Rappelons-nous également :
- le Rêve Etrange que fit Severus dans le chapitre 6, avec le garçon sur la marelle.
- la plaisanterie favorite de Bellatrix, qui est de prétendre que Lucius est homosexuel. Mais ce dernier lui fait la cour, et a formellement démenti ses accusations.
- Severus trouve Gwénolé très ambigu avec son patron, qui lui lorgne plutôt sur Minerva, son ancienne condisciple.
- Seul Sirius et ses amis savent que McAlistair est un Auror. Severus l'ignore encore.
There's a sign on the wall
But she wants to be sure
Cause you know sometimes words
Have two meanings
Chapitre 14
Stairway to heaven
I
Le garçon qui stationnait devant l'entrée de la tour nord était d'une beauté à couper le souffle.
La pâleur glacée de ses iris grises enflammait le violent contraste entre la blancheur de sa peau et la noirceur bleutée de ses cheveux. Adossé contre le mur, il caressait négligemment le chaton explosé de sa bague tout en jetant des coups d'œil de part et d'autre, comme s'il attendait quelqu'un. Mais dans cette simple activité d'attente, son maintien n'était pas exempt de noblesse. Tout en lui transpirait l'élégance, et l'indolence, car oh oui que voulez-vous que tout cette beauté lui fasse. Tout cela pour lui n'existait pas. Cela n'existe que pour ceux qui regardent, la peur au ventre.
L'autre garçon que Sirius Black attendait ne faisait pas partie de cette race d'homme : il attendait un frère qui le regardait comme un frère. Et quand Sirius élevait ses grands yeux une certaine tension jusqu'alors muette dans son attitude remontait à la surface, quelque chose comme de l'amour.
Passant entre les longues ombres des arbustes, la silhouette souriante se dirigea vers lui. Sans résistance, Sirius sourit en retour, d'un grand sourire de chien heureux, dans cette lumière rasante du crépuscule qui le précipitait vers lui ; James Potter s'appuya de sa main droite sur le mur contre lequel il était adossé, et souffla dans son cou. Ils se mirent en route à l'intérieur des bois.
Il faisait frais mais beau. Sur les pelouses qui commençaient à reverdir, des filles avec des longs cils et des fleurs dans les cheveux s'étaient étalées avec des livres et des magazines. Un petit groupe avait apporté un transistor diffusant les derniers tubes américains. L'une d'entre elles vit arriver Sirius et leva la tête ; le soleil passa entre ses cils puis coula dans ses yeux et sur sa bouche charnue. « C'est le début de l'ère du Verseau Sirius. » Le jeune Black lui répondit par un clin d'œil, tendit son index et son majeur pour faire un V. Il n'était plus qu'à une centaine de mètres, embusqué derrière les fourrés épais comme une bête sauvage dans son trou.
« La vache quand même… Faut vraiment être un putain de lâche pour venir se cacher ici », déclara James Potter, le regard assombri.
« Je te l'ai dit, James, il est temps d'écraser définitivement ce ver de terre. Et pour ce faire il faut profiter de l'absence de sa garde rapprochée, et du Facho. »
« Le Facho ? C'est qui ça ? »
« Malefoy… »
« Ah oui… Chut. »
Assis dans l'herbe, Severus Snape était tranquillement en train de lire un magazine de potions. James et Sirius ne pouvaient voir que son dos, courbé, et l'arrière de ses cheveux gras. Un sourire de triomphe se dessina sur le visage de l'héritier Black, grimace qui ne parvint pas à l'enlaidir. Il plongea ses yeux dans les yeux de James, l'index posé sur la bouche. Il compta la mesure. Un, deux, trois… A deux, la proie s'était déjà retournée, comme mue par l'instinct de l'antilope qui a senti le lion s'approcher.
« Pott… ! »
Habitué à ce genre de situations, Snape avait déjà dégainé. Les deux partis allaient faire feu, quand une voix guillerette retentit, comme celle d'un bouffon qui jaillit de sa boîte.
« Ahahah ! Allons les enfants, vous êtes bien trop âgés pour mesurer la longueur de vos baguettes ! »
Un homme très grand qui portait un chapeau à larges bords s'était interposé ; une médaille dorée représentant le Mont-Saint-Michel flottait sur sa peau nue, dans l'échancrure de sa chemise.
« Le… Médipsychomage », bredouilla James.
Sirius demeura silencieux, jeta à son compagnon un regard de connivence – nous savons bien qu'il n'est pas plus Médipsychomage que nous.
« Alors comme ça », dit Gwénolé, « on a abusé d'Orange Mécanique ? »
« De quoi il parle ? » demanda James.
Sirius haussa les épaules. Severus ne cessait de lui jeter des regards de haine pure. Le Breton lui tapa dans le dos.
« Ça va Severus ? Je te cherchais tu sais... Mon chef n'est finalement pas disponible pour ton rendez-vous. Alors ça ne te dérange pas de le passer avec moi ? Tu n'as qu'à me suivre et venir au bureau tout de suite et nous déciderons d'une date. »
Severus n'avait aucune envie de subir à nouveau les discours de cet énergumène français, mais il préférait mille fois cela à la compagnie de Black et Potter.
* * *
Je ne comprends pas. Il y a quelque chose que je ne comprends pas.
Severus se tournait et se retournait dans son lit, dans un état de demi-sommeil.
Quelque chose qui ne colle pas…
Il commença à sombrer, entendant la voix de Black qui scandait le nom de « Remus » sans pouvoir s'arrêter. Il revoyait les doigts de Potter.
Lucius… Lucius…
Oui, quand cette histoire avait-elle commencé ? Qui en était le héros, où était son passé, et où était son présent ? N'y avait-il jamais eu que cette scène, et les ouvertures qui permettaient de la percevoir, et la langue qui permettait d'en saisir les contours ?
N'y avait-il jamais eu que la faim, la faim répugnante, qui vous fait avaler ce qui vous dégoûte, qui vous enlaidit, vous rend malade, malade au point de vouloir vomir votre être tout entier… ? Alors il continuait à vider le sac, croquant les chips noires au goût de poisson les unes après les autres
« Qu'est-ce que tu manges, Snape ? Tu sais que c'est très mauvais pour la santé ? »
Severus releva la tête. Russell était en face de lui, en pyjama, sa baguette dans la main.
« Je… C'est Macnair qui me les a données. »
« Ce n'est pas comme ça qu'il faut se soigner, Snape, tu le sais ça ? »
Le préfet posa sa baguette sur son fauteuil, puis tendit à Severus un verre doré surgi de nulle part.
« Bois. »
Severus prit le gobelet d'or dans ses mains et but le vin.
« Te rappelles-tu la première fois où tu m'as vu de près, Snape ? Je passais dans un couloir avec les autres Serpentard de ma classe. Toi, tu ne voyais que des Grands un peu effrayants : le beau blond de service, un croque-mort espagnol, un médiocre au visage de pékinois, un têtard à lunettes et un Romain très Serpentard... Oui, tu as eu peur la première fois, mais tu ne t'en souviens même plus. Un peu plus tard, tu m'as revu à la bibliothèque, sous les traits d'un doux adolescent qui n'avait rien à voir avec le premier, et là, tu m'as presque aimé. L'inconnu possède tant de visages, Snape… Pourquoi les gens préfèrent-ils le connu ? »
« Parce qu'il est plus facile », murmura Severus.
« C'est un jeu, un escalier qu'il te faut gravir, niveau après niveau. Un escalier en forme de labyrinthe… »
« Mais… Ce n'est pas toi que j'avais vu dans mon autre rêve… »
« Non. »
« Alors qui était-ce ? Qui ? »
« Tu ne sais plus qui est qui, Snape ? Mais moi, je vais te dire qui cette personne était. C'est celui qui s'est fait dévorer par le serpent. »
« Le serpent ? Je dois me méfier du serpent ? »
« Non. Méfie-toi de toi-même Snape. Ne te laisse pas dévorer par le serpent. »
* * *
Lorsque Severus ouvrit les yeux, il ne vit que la courtine de son lit. Mais le rêve était encore en lui, cognant dans sa poitrine et oppressant sa respiration.
Le serpent…
Lucius était là, assis sur le rebord, fumant une de ses cigarettes magiques, les yeux scintillant comme les traînées d'étoiles de la nuit claire.
« À quoi tu rêves ? »
Il souriait légèrement.
Severus se redressa. Son long cou et son torse semblaient prisonniers de sa chemise blanche, tant il avait grandi. Le sommeil et l'émotion avaient élargi ses yeux, sur lesquels retombaient ses cheveux noirs. Il était presque beau à cet instant précis.
Lucius baissa les yeux, puis de sa main libre, remonta un peu le plaid sur le ventre de son camarade.
« Ce n'était… qu'un rêve stupide », répondit Severus, troublé par ce geste. « Quelle heure est-il ? »
À nouveau Lucius baissa les yeux.
« Six heures. Personne n'est encore réveillé. »
Severus regarda autour de lui. Les rideaux de droite étaient tirés. Ce devait être Lucius. Derrière lui, tout était sombre. On pouvait presque entendre la respiration de la nuit. Puis brusquement, le regard de l'adolescent devint fixe ; il venait de se rappeler un détail important.
« Au fait… Joyeux anniversaire. »
Le jeune Malefoy le regarda à nouveau, d'iris qui semblaient cette fois peu amènes.
« Tu connaissais la date ? »
« On me l'a dite. …Tu as quel âge maintenant ? »
« Dix-huit ans », répondit Lucius, le regard en biais. « Mais c'est seulement ce week-end.»
Severus se concentra sur ses membres engourdis.
« Maudit Black », souffla-t-il.
« Severus… Pour te remercier d'avoir pensé à mon anniversaire…»
Le rejeton Snape leva les yeux vers Lucius. Le regard du jeune homme blond brillait à nouveau ; il faisait même rosir le creux de ses joues. Il était si beau, si agréable à regarder… Severus aurait tant voulu lui dire, ou…
« Oui ? »
« Puisque tu es si fatigué… Maintenant que je suis préfet… J'ai le mot de passe. »
« Le mot de passe ? »
« Celui de la salle de bains privée des préfets. À cette heure-là il n'y aura personne. Profites-en, pendant que je repique un petit somme. »
Le jeune disciple prit ses affaires, descendit dans la salle commune encore engloutie dans l'obscurité. Seul l'aquarium de la murène luisait faiblement.
* * *
Severus ne se souvenait pas d'avoir jamais aimé son corps. C'était ce qu'il se disait alors qu'il faisait s'accroître la mousse autour de ses épaules frêles, si blanches qu'elles en avaient des reflets grisâtres.
« Angus venait souvent ici… Mais il n'était vraiment pas beau tout nu. »
Severus sursauta. D'où venait cette voix féminine ?
Une jeune fille de son âge (même s'il était difficile de lui donner un âge, comme c'était le cas pour Mme Pince) littéralement transparente flottait au-dessus de l'eau, à l'autre bout de la piscine. Elle s'approcha de Severus en grimaçant : - Un peu comme toi, tu vois. Tout maigre…Beurk !
- Et tu appelles tout le monde par son petit nom, fantôme ?
- Fantôme ! Fantôme ! J'ai un prénom ! Mais tout le monde s'en fiche du prénom de Mimi, pas besoin de prénom pour se moquer d'elle !
- Et qu'est-ce que tu viens de faire, sombre idiote ? Tu es bien comme Julius Baxter, tiens. A présent laisse-moi prendre mon bain en paix.
Mimi Geignarde demeurait immobile, le dévisageant avec un air blessé, ses petits yeux sombres semblant humides derrière ses lunettes.
- Quoi ? Tu n'as pas entendu ce que je viens de dire ?
- Ça ne te suffit pas que je sois morte !
- Et alors, j'aimerais être à ta place si tu n'avais pas eu l'idée saugrenue de rester à Poudlard, le pire endroit du monde sorcier.
Mimi ne répondit pas, comme si elle ne comprenait pas ce qu'il disait.
- Mais… Dis-moi, au moment où tu es… morte, tu étais… comme tu es maintenant ?
- Qu'est-ce que tu veux insinuer par là ?
- Non, je veux dire est-ce que lorsqu'on meurt on a forcément la forme qu'on avait à l'âge où on est mort ?
- Mais qu'est-ce que tu racontes ?
- Tu n'as jamais vu le fantôme d'Angus à l'infirmerie ?
- Angus Russell est devenu comme moi ?
- En quelque sorte.
- Tout nu ou habillé ? s'exclama Mimi pleine d'espoir.
- Habillé bien sûr !
Mimi joint les mains et regarda le ciel.
- Oooh… Je me souviens de lui, quand il est arrivé ici… Tout le monde était méchant avec lui, comme avec moi. "Déguerpis, sale boiteux ! T'habites dans une poubelle, comme un rat ? Tu te coiffes en te roulant dans la poussière, comme les vieux rats croûteux ? Sale rat ! Sale rat ! Sale rat !" …MON AME SOEUR !
Bon sang… Elle croit qu'elle s'est trouvé un copain !
Au moment où la morose Mimi disparaissait en s'évaporant comme de l'eau trop chauffée, une voix que Severus connaissait bien résonna dans la salle de bains, et des bruits de pas se firent entendre sur le carrelage.
« Tu es là Severus ? »
Lucius apparut, en uniforme ; il s'approcha de la piscine, mit un genou à terre et se pencha par-dessus la mousse. Tel le chien au sortir du bain, tout penaud d'être vu dans une situation où il se sent on ne peut plus mal à l'aise, Severus rabattit ses cheveux mouillés derrière ses oreilles, ce qui faisait d'autant plus ressortir son nez busqué. Lucius eut un petit rire étouffé.
« Il trouve mon visage comique », pensa tristement Severus.
- Mais dis-moi… fit Lucius, ça fait drôlement envie de te voir là-dedans. Hé, ne rougis pas… On est entre hommes, non ? Je suppose que ça ne te dérange pas si je te rejoins.
Joignant l'action à la parole, il retira son pull sans manches. Quand il commença à ouvrir sa chemise, le cœur de Severus se mit à battre à toute vitesse.
- Entre amis, tout est commun, déclara Lucius en nageant vers le fond de la piscine.
Severus fut traversé par un trait de mélancolie à ces mots. Depuis combien de temps seulement connaissait-il vraiment Lucius ? Il revit le visage de ce dernier encore enfant sur l'ancienne photo de classe de la salle commune : oui, qu'est-ce que cela peut faire de voir grandir celui qu'on aime, peu à peu, pour devenir ce que Lucius était devenu ? Severus n'avait pu voir que la fin de cette évolution. Lucius avait quatre ans de plus que lui : quand il était arrivé à Poudlard, le petit blond était déjà le plus grand de sa classe. Mais, si seulement cela avait été le cas, s'il avait passé toutes ces années avec lui… quel amour il en aurait ressenti, quelque chose d'inexprimable. Et soudain à cette idée, une douleur horrible le prit au ventre, comme un mauvais pressentiment, l'intuition de quelque chose d'atroce.
« Ça ne va pas ? »
Lucius était derrière lui et venait de croiser ses bras autour de son cou.
« Tu as l'air triste. »
J'ai toujours l'air moins triste que toi...
« Tu ne dis rien ? »
Severus sentait le contact de ses bras mouillés sur sa peau elle-même glissante, c'était étrange. Lucius ramena ses bras. On l'entendit activer les robinets.
« Je vais tous les épater avec mon magistère de potions, tu vas voir », déclara le blond.
Severus se retourna. Son camarade avait une grosse boule de mousse ressemblant à de la chantilly dans la main droite.
« C'est du shampooing », précisa-t-il en voyant l'air consterné de Severus.
Mais ce n'était pas le shampooing qui effrayait le plus Severus… A présent Lucius était face à lui. Il se rapprochait, enfonçant dans sa chair ses yeux clairs de gorgone, approchant son corps blanc comme de la neige glacée.
« Tu ressembles à une vélane », murmura Severus, paralysé, le corps comme morcelé par un désir immense, mais confus.
« Une vélane ? Tu trouves que j'ai quelque chose… de féerique ? »
Il se moquait de lui.
A cet instant, Severus sentit ses mains étaler la mousse sur ses cheveux. Le visage de Lucius était tout près du sien à présent. Il ne le dépassait plus que de quelques centimètres. Le regard de l'adolescent glissa sur son cou ni trop large ni trop fin, ses épaules athlétiques… Il se sentait rougir, cuire comme une brioche au centre d'un four.
« Alors, qu'est-ce que tu en penses ? » demanda Lucius en malaxant habilement le cuir chevelu de son cadet.
« … »
Ses doigts avaient tendance à descendre dans sa nuque. Rouge, incroyablement amolli, Severus était totalement désarmé, et une sensation familière commençait à émerger dans son bassin, une sensation qui annonçait d'habitude quelque chose de fort ennuyeux.
Les beaux yeux gris de Lucius étaient mi-clos, il avait ramené la tête de son cadet contre sa joue pour mieux la frictionner. Les yeux fermés, Severus respirait péniblement dans son cou, le visage rose. A présent Lucius ne se contentait plus de faire mousser le shampooing sur la tête de son ami, il en frottait également le haut de son dos fin et blanc. La fine rainure qui marquait la colonne, semblable à la vertèbre centrale des sardines, était animée par un mouvement faible, comme un animal souffrant.
Lucius le regardait étrangement en respirant péniblement. Severus eut un murmure qui ressemblait à un sanglot, tant le bas de son ventre le faisait souffrir. La bouche entrouverte, son blond camarade le pressa alors entièrement contre lui, comme s'il voulait l'apaiser ou se l'approprier. Mais à ce moment précis son regard sembla traversé par quelque chose, il tressaillit et le repoussa violemment, sortit immédiatement de l'eau et commença à se sécher. Cette fois c'était son visage qui était rose… de colère.
Severus sentit sa tête tomber en avant, infiniment honteux. Mais il ne pouvait même pas sortir de l'eau pour le suivre. Il se contenta de rejoindre le bord. Puis apercevant sa serviette, il la tira et se débrouilla pour sortir de la piscine, la taille déjà enveloppée dans l'épaisse serviette trempée.
- Lucius, attends !
Le fils Malefoy se retourna. Il avait enfilé son uniforme et peigné ses cheveux en arrière. Le pivotement de son profil et ses yeux gris… Son corps ainsi voilé, il était pour lui presque davantage attirant que nu.
- Il n'est que sept heures, anticipa le jeune Malefoy. Tu as le temps…
Mais Severus ne pouvait pas le laisser partir avant d'avoir obtenu une explication. Pour rien au monde il ne voulait revivre les affres qu'il avait connus au mois de janvier, lorsque Lucius ne lui adressait plus la parole. S'armant de courage, il demanda :
- Tu es fâché contre moi ?
Lucius parut d'abord surpris de cette franchise. Puis il le considéra froidement, mais cela ne dura qu'une poignée de secondes. On eut dit maintenant qu'il souffrait, mais non de sa propre douleur.
Tendant le bras, il posa sa main sur la joue pâle de Severus, la caressant légèrement.
- Bien sûr que non, que je ne suis pas fâché contre toi. …Pourquoi le serais-je ?
II
Le garçon connaissait chaque poussière de cette chambre par cœur, il l'avait parcourue des yeux pendant dix ans, chaque jour des heures et des heures, et la nuit quand la toux, la nausée ou la tristesse le tenait éveillé dans l'angoisse.
Il n'y avait que dommages à vivre ainsi, aucune raison valable, mais les enfants s'habituent plus facilement que les adultes à la souffrance, et ils sont peu capables de se représenter le plaisir, hors de l'instant immédiat. Le malade n'avait aucun point de comparaison, alors il pensait que sa vie était normale, bien que la plupart des enfants qu'il voyait lors des soirées avaient l'air bien plus solides et moins pâles que lui.
C'est pourquoi il évitait de se regarder dans le miroir – « pâle comme la porcelaine » n'était pas une expression exagérée. Des demi-lunes grises fardaient le dessous de ses yeux, qui brillaient dans la pénombre de sa chambre, lumière des phares scintillant sur la mer bleue embrumée.
Il n'y avait aucun intérêt et bonheur à vivre ainsi, mais il n'avait que onze ans, et son naturel le poussait à mettre de la bonté et de l'agrément dans de petites choses : les nouveaux livres de la bibliothèque, les jours où sa mère lui portait le petit-déjeuner, ses tenues si élégantes et toujours différentes, les jours où les Médicomages ne venaient pas l'observer…
Oui, il connaissait chaque détail de cette chambre car il avait essayé d'en tirer toute la vie nécessaire pour continuer la sienne. Certains auraient dit qu'ils faisaient partie de ces personnes qui survivent avec d'autant plus de force qu'elles ont souvent côtoyé la mort…
Car elle aussi, il la connaissait parfaitement. Combien de fois avait-on déclaré qu'il était perdu, qu'il ne passerait pas la nuit !
Il l'avait devinée et sentie, pendant dix ans, chaque jour des heures et des heures, et la nuit quand la toux, la nausée ou la tristesse le tenait éveillé dans l'angoisse. Dans la nuit derrière les volets de sa chambre… Dans la lumière fausse qui lui montrait sur les glaces son visage spectral et cerné sous ses cheveux presque blancs.
Oui, Lucius Malefoy avait appris à connaître la mort depuis son plus jeune âge.
* * *
Le mois de son anniversaire, il déplaça sa raie du milieu au côté, ce qui, recréant une frange presque entière sur son front, produisit ce phénomène étrange, qu'il semblait plus jeune après avoir eu dix-huit ans qu'au début de l'année, lorsque Severus l'avait croisé sur le quai de la gare.
Ce dernier en était d'autant plus hypnotisé, qu'une plus grande surface de ses cheveux étant ainsi exposée à la lumière et la reflétait, son regard gris se trouvait alors mystérieusement balayé par les pointes d'or de ses cheveux.
Severus ne pouvait s'empêcher de contempler cette nouvelle image de son visage. Ses yeux étaient involontairement attirés par la finesse de ses traits, soulignée par la frange, et jamais rassasiés ; il regrettait de ne pas avoir déjà dix-huit ans, pour pouvoir être dans sa classe et le contempler secrètement…
Il l'avait peu vu cette semaine, sans même aborder le fait que Bellatrix commençait à lui tourner autour. Evitait-il volontairement Severus, après ce qui s'était passé dans la salle de bains des préfets ? Ou bien était-ce dû à une surcharge de travail ? Il s'était vite avéré que Lucius prenait son nouveau grade de préfet très au sérieux... Certes, on ne le voyait guère à l'APADI (1), il avait délégué à Severus, intronisé contre son gré suppléant non officiel de Malefoy. Mais cela ne résumait pas tout son labeur. Faisant preuve du sérieux d'un futur homme d'Etat, Lucius avait repris les dossiers de son prédécesseur, et fait de la lutte contre l'alcoolisme estudiantin son cheval de bataille. Autant dire que la dite guerre, notamment contre les bouteilles cachées de Walden Macnair, homme qui ne fut jamais capitaine de soirée de toute sa vie, constitua le volet le plus ardu de ce chantier. Lucius semblait notamment connaître l'enchantement qui avait permis à Angus de transformer sa baguette en bâton de sourcier et détecteur anti-alcool ; ce qu'il n'avait pas prévu c'était qu'elle le mènerait droit sur le gisement le plus important de l'école, à savoir un Psychomage breton d'1m90.
« Puis-je savoir, honorable Lucius, pourquoi cette baguette vibre en me regardant ? » s'enquit l'Illustre Imbibé.
Comme d'habitude, on aurait dit qu'il riait en parlant, et il n'y avait rien qui agaçât davantage Lucius.
« Je ne sais pas », répondit-il avec une grimace de mépris. « Il faut croire que c'est un diagnostic éthylique. »
« Ah, Lucius Malefoy… Pourquoi faut-il que tu sois toujours aussi négatif ? Et aussi émotif ? »
Lucius écarquilla les yeux.
Gwénolé ne lui laissa pas le temps de répondre et disparut derrière un groupe d'élèves.
Quelques heures plus tard, Lucius découvrait grâce à sa baguette une oreille collée sous un morceau de tapisserie de la salle commune. Un habile syllogisme l'amena à conclure devant Severus qu'il s'agissait d'un dispositif d'espionnage émanant du Français, dont même l'oreille possédait un taux élevé d'alcoolémie. Quelle était la raison de cet espionnage, cela, Severus l'ignorait, même si Walden Macnair aurait sans doute eu une théorie à lui proposer.
* * *
Les obligations préfectorales n'étaient néanmoins pas l'unique raison de la disparition de Lucius, qui passait toujours des heures à la bibliothèque et dans la salle de travail de leur maison.
Severus le retrouva assis sur le sol dans la chambre, un soir, entouré de ses papiers répandus, de sa plume et de ses cahiers, la tête dans les mains.
« Je suis nul… » murmurait-il entre ses dents. « Je ne suis qu'un nul… »
« Qu'est-ce qui se passe ? »
« Il se passe qu'il est impossible de se concentrer dans cette école et que même si ce n'était pas le cas, je ne comprends rien à rien, parce que je ne suis qu'un idiot. »
Severus le fixa de ses yeux noirs, puis sans rien dire, se baissa pour ramasser les papiers qui l'entouraient. Les feuilles volantes étaient couvertes de la belle écriture de Lucius : fine et soignée, avec des majuscules à grandes boucles. Mais les cahiers étaient différents. Leurs couvertures étaient d'un gris bleu assez triste, le papier jauni et la texture un peu gondolée. Quant à l'écriture, ce n'était pas celle de Lucius. Elle était nette, mais rapide et penchée vers l'avant ; les lettres étaient toutes liées, et il n'y avait quasiment aucune rature, seulement des points d'interrogation.
« Ce ne sont pas tes cahiers. »
Lucius ôta les poings de ses yeux rougis.
« Non, ce sont ceux d'Angus, pour le magistère », dit-il en reniflant.
« Le magistère d'alchimie ? »
« Oui. Il m'avait laissé ses notes. Mais il y a plein de choses que je ne comprends pas. Mon père avait raison... Je ne suis qu'un bon à rien. »
Ses récriminations finies, il tourna la tête, intrigué par le silence de Severus ; celui-ci s'était assis contre le mur à ses côtés, et tournait les pages de ses longs doigts maigres, une lueur dans ses yeux charbonneux.
« C'est brillant. »
« Ah bon ? Tu comprends ce qu'il y a écrit ? »
« Oui. Il est proposé une solution au Dilemme de Paracelse, pour parvenir à lier les ingrédients de la potion. »
« Je sais… Le problème c'est que je ne comprends pas cette solution. Tu la comprends, toi ? »
« Oui, enfin je crois… C'est un raisonnement très mathématique en revanche… Presque trop. On pourrait peut-être l'améliorer en mettant en œuvre des connaissances plus précises dans la pratique expérimentale des potions. »
Lucius eut un drôle de sourire en biais.
« Alors tu es plus intelligent qu'Angus… Je ne savais pas que c'était possible. »
« J'ai ma matière de prédilection, c'est tout. »
« Tu es intelligent », répondit-il, l'air sombre. « Moi tout ce que je sais faire, c'est lire et travailler, comme un bon fils à papa. »
III
Le magnifique crocodile empaillé qu'on avait accroché au plafond au-dessus de la table des convives était sans conteste le clou de la décoration du dîner d'anniversaire organisé par Alexandre Avery.
Après avoir remercié son camarade et dansé avec une Bellatrix étrangement beaucoup moins revêche que par le passé, Lucius Malefoy vint prendre place aux côtés de Severus, près des gâteaux apéritifs. Revêtu pour l'occasion de la belle robe violette que lui avait offerte son aîné, Severus était occupé pour sa part à détailler la tenue des musiciens, d'excentriques justaucorps noirs serrés en bas par des bottes montantes d'ouvrier. Son regard remonta le long du bras sec et pâle du contrebassiste, orné de sinistres insignes noirs. Les doigts de Wilkes tapotaient les cordes en rythme, créant comme une ligne d'escalier descendant, tournant en boucle sur elle-même, telle la danse d'un fou ou le monologue fermé d'une obsession. Sur cette assise venait s'élever la mandoline stridente d'Evan Rosier, qui en vertu de quelque procédé magique n'avait rien à envier aux guitares électriques moldues. Le corps tendu et agité d'une énergie négative, ses cheveux jaunes sur ses yeux tombants, Rosier beuglait :
J'sais pas quoi faire !
J'sais pas où'aller !
Mon père s'est marié avec un sang sale !
Et moi j'compte pour que dalle !
« C'est tellement recherché ces paroles », murmura Lucius en se servant une petite tartine de caviar.
Quand t'as la rage
Contre les sages
Qui croisent les bras
Quand rien ne va !
« Quoi, tu n'admires pas ces magnifiques couplets ? » murmura Severus d'une voix veloutée.
Lucius eut un sourire de travers et tourna la tête sur le côté.
Si t'es un homme
Prends ta baguette !
Prends pour perpète !
Et nettoie Rome !
« Pourquoi Rome ? »
« La rime, Severus, la rime. »
C'est pas trop tard
Pour sauver des vers
L'identité sorcière !
« La musique d'aujourd'hui, ça ne vaut vraiment rien », maugréa Lucius, grand amateur d'harpe et d'harmonium devant l'éternel.
« Macnair n'est pas là ? » demanda Severus à Avery.
« Il n'a pas voulu venir. »
« Malgré les boissons ? » s'étonna Severus.
« Je crois qu'il a peur de Lucius. Lucius m'a dit qu'il avait raconté aux Médipsychomages qu'il avait assassiné Angus et maquillé ça en suicide. »
Lucius tourna la tête, avec son habituel air de sphinx.
« Je n'ai jamais entendu de toute ma vie quelque chose d'aussi ridicule. »
« Oui, c'est complètement idiot », renchérit Avery.
« Il paraît qu'il me faisait chanter aussi. Et quoi encore… »
« Il te faisait chanter ?! » s'exclama Avery.
« Il ne me faisait pas chanter ! » s'insurgea Lucius. « C'est Macnair ou quelqu'un d'autre qui a eu cette idée stupide. Et je me suis fait cuisiner pendant deux heures par ces prétendus Médipsychomages. Je mettrais ma main à couper qu'ils ne sont pas plus Médipsychomages que toi et moi. Qui s'appel 'kouign-aman', déjà ? C'est un nom de gâteau. »
« Tu crois que ce sont des Aurors ? »
« Si Gwénolé Kouign-Aman est un Auror », intervint Severus, « ils ne sont pas prêts de trouver le meurtrier ».
« Alors lui, je ne peux vraiment pas le supporter », murmura Lucius.
« Moi non plus », dit Severus l'air réflexif.
« Moi aussi », ajouta Avery.
« Ils ne se rendent pas compte qu'ils sont sur le point de ternir la réputation d'un innocent », déclara Lucius en trempant les lèvres dans son verre d'Hypocras.
« Et cela signifie que, pendant ce temps, le véritable assassin, lui, court toujours. »
« Et si des Aurors sont à Poudlard... » réalisa Avery avec horreur, « c'est qu'il est sans doute ici ».
Le reste de la soirée ne fut guère joyeux. Wilkes et Rosier ayant regagné la table pour dîner, le rock des Damiers laissa la place à de vieilles symphonies du XIXème siècle.
Severus était assis en bout de table aux côtés des frères Lestrange, qui ne parlaient guère, sauf quand il fut question de la généalogie des différentes familles de sang pur, et de la manière peu ragoûtante dont certaines s'y étaient prises pour éviter de se mélanger avec des Moldus.
« Les Black, les Malefoy, les Rosier et autres… » soupira Pimprenelle Diggory. « Ils ont fini par être tous cousins… ! Et ils ont toujours nié que la multiplication des Cracmols aux XIXème et XX siècles en était la conséquence... »
« C'est ce qu'on toujours pensé les Russell… Ils ne voulaient ni se mélanger aux Moldus et perdre leur identité, ni perdre leurs pouvoirs magiques en se reproduisant en vase clos et en attrapant des maladies débilitantes. »
« Alors comment ont-ils fait ? »
« Ils sont allés chercher du sang neuf ailleurs, et ce sang devait être magique. Certains disent – mais c'est un racontar de grand-mère – certains disent qu'ils ont contracté des unions contre-nature avec des créatures magiques. »
Rabastan poursuivit, malgré l'air incrédule de Snape et Diggory.
« On dit qu'ils ont procréé avec les nixes, les sirènes maléfiques qui hantent les marécages du nord. C'est pour cela qu'ils ont tous les idées noires, dans cette famille. »
« Ça ne les a pas empêchés de disparaître », déclara Rodolphus Lestrange.
« Exact mon frère, ni de dégénérer, car les mélanges de ce genre comportent des dangers. »
« Lesquels ? »
« Faire naître des monstres. Ou des êtres non viables. »
Le dernier morceau de fromage disparut des plateaux. Et tandis que Berlioz faisait trembler sur les murs des ombres fantastiques, un gros gâteau à la crème apparut devant Lucius, qui dut s'y reprendre à plusieurs fois pour souffler ses bougies.
Il avait sans aucun doute minci depuis l'an dernier, mais la fonte d'épaisseur du joueur de Quidditch ajoutait à sa beauté, semblant révéler chez lui un naturel plus profond, ce que remarqua Severus avec un étrange pincement dans l'estomac.
« C'est le moment des cadeaux ! » lança Bellatrix en se tordant les mains.
« Tu as pensé à moi, Bellatrix ? »
« Bien sûr, Lucius… »
« Mais qu'est-ce que c'est ? »
Devant la splendeur de ce présent (un sablier à asticots), Severus se demanda si par hasard, il ne se pourrait pas que ce fût elle qui lui ait envoyé des rince-doigts à Noël.
Grimaçant, Lucius continua d'ouvrir ses cadeaux : un épervier pour remplacer son ancien hibou, des livres, ainsi qu'une petite bouteille de potion qui se révéla être du parfum concocté de manière artisanale.
« Merci Severus », chuchota Lucius en l'embrassant sur les joues.
Mais Severus eut beau les jours suivants se repasser le film de ce baiser de remerciement dans la tête, il ne parvint jamais à s'en remémorer la sensation, comme si son cerveau s'était éteint au moment où les lèvres de Lucius touchaient ses joues.
A présent le visage de Lucius s'éloignait de lui au ralenti, tandis qu'un Macnair ensommeillé et en pyjama sortait de la tour des dortoirs pour traverser la salle jusqu'à la grande table, un paquet dans les bras.
« Walden Macnair… Tu descends juste pour venir m'offrir un cadeau ? » demanda Lucius.
« C'est pas ça… Y'avait une chouette qui tapait à la fenêtre… Alors j'ai ouvert. Elle portait un colis. Je crois que c'est un cadeau pour toi. »
« Ça m'est bien adressé… Mais en poste restante ? »
« C'est sans doute tes parents », dit Avery.
« Non, je l'ai déjà eu celui-ci. Et ça vient de la Poste française. »
Il coupa les fils du colis, pour découvrir avec satisfaction un emballage cadeau. Mais sous l'emballage, il y avait une sorte de coffre en pierre.
« On dirait une urne », dit Bellatrix.
Lucius fronça les sourcils, plus pâle d'un ton. Mais rien ne laissait encore prévoir la réaction qui allait être la sienne quand il ouvrit l'enveloppe qui accompagnait l'urne. Car toute couleur sembla alors abandonner son visage ; un unique frisson parcourut son corps, puis ses mains se mirent à trembler. Il essaya d'ouvrir la bouche pour parler, mais aucun mot ne réussit à franchir ses lèvres. Avery voulut regarder ce qui sur cette carte d'anniversaire avait pu le mettre dans un tel état de choc, mais Lucius la referma avant qu'il en ait eu le temps.
Il se leva, l'urne et la carte dans les bras, l'air sonné.
« Je… Je monte aux dortoirs. Je… Je ne me sens pas très bien. Que personne ne me dérange. »
Et il disparut dans l'escalier.
« Hum, ça doit être un truc bien honteux pour qu'il veuille pas nous le montrer », dit Rosier.
« Du genre ? » demanda Wilkes.
« Je sais pas, une commande à L'Echoppe de Pan par exemple », répondit le jeune blond, l'air exagérément hilare.
« …Tu crois que Malefoy connaît cette boutique ? »
* * *
Lucius redescendit au bout d'un quart d'heure… pour annoncer qu'il allait se coucher. Plusieurs personnes lui demandèrent ce qui se trouvait dans cette étrange urne en pierre ; il répondit tantôt qu'il s'agissait des cendres de son arrière grand-père, tantôt que c'était un jouet, sans qu'on sache au juste s'il était sérieux ou ironique.
Quoiqu'il en soit, les jours suivants, il parut à la fois inquiet et moins mélancolique qu'à son habitude. Severus le vit même sourire une ou deux fois. Quant à Macnair, ses rapports avec les Médipsychomages semblèrent singulièrement se refroidir le dimanche qui suivit, quand il se pavana devant des Serpentard de première année avec sa carte Chocogrenouille de Voldemort.
« Mais qu'est-ce que c'est que ça ? » demanda Gwénolé en lui tirant la carte des mains.
« C'est une carte collector du Seigneur des Ténèbres ! » clama fièrement Macnair.
« Trop la classe, on savait même pas qu'elle existait ! » dirent John, Jack et Jim.
« Sans doute parce qu'elle n'existe pas justement », répondit Gwénolé l'air sévère. « Venez voir ça, patron. »
Erwin McAlistair prit la carte du bout des doigts.
« Non, ils n'auraient jamais sorti une carte pareille. Je vais vérifier dans le catalogue, mais c'est sans doute un faux. »
« Si c'est le cas, c'est une réplique parfaite. »
« Où l'avez-vous trouvée, monsieur Macnair ? »
« Je ne l'ai pas trouvée », bredouilla l'adolescent. « Je l'ai achetée… à Honeydukes. »
Les deux Médipsychomages se regardèrent.
« Je vais l'analyser avec Minerva », conclut McAlistair.
Severus, témoin de la scène, adressa un sourire mauvais à son camarade tombé en disgrâce.
« Oh, et Severus… » ajouta Gwénolé avant de s'éloigner. « N'oublie pas que tu as pris rendez-vous avec nous demain. »
IV
Le lendemain, Severus préféra attendre à l'extérieur, appréhendant de revoir le fantôme de l'infirmerie.
Cela faisait presque deux mois que les Médipsychomages étaient ici maintenant, et il se demandait bien comment Gwénolé faisait pour toujours se trouver à quelques mètres de lui, où qu'il aille dans Poudlard lorsque c'était hors des cachots. D'ailleurs, tandis qu'il s'amusait à faire craquer sous son pied la mince couche de glace qui recouvrait la pelouse, il entendait encore sa voix…
« Le problème c'est que je n'ai toujours rien contre lui. Rien de rien. Pas la moindre paillette de preuve tangible. Et il a un alibi parfait le jour de la mort de Russell. »
Severus se retourna mais ne le vit pas. Puis il s'aperçut que cette voix venait de l'intérieur du cabinet, dont la fenêtre était entrouverte. Il retint son souffle. La voix de McAlistair se fit entendre à son tour.
« Qu'allons nous faire maintenant ? La perquisition chez lui et le Véritasérum n'ont rien donné. »
« Il faut pourtant qu'on le coffre. Si l'on n'a pas de preuves, hé bien… On en inventera une. »
« Dumbledore ne sera jamais d'accord. »
« Nous n'avons pas besoin de lui demander son avis. »
« C'est risqué… Nous pouvons perdre son soutien, et nous n'avons vraiment pas besoin de ça. Parfois, j'ai l'impression qu'il se doute de quelque chose. »
« Hum, tu as raison… Il nous faut d'autres éléments. »
« Tu dois voir Snape maintenant non ? Essaye de le faire parler. Il sait peut-être quelque chose sur Malefoy. On les voit souvent ensemble ces derniers temps. »
« Oui… »
« Utilise le Véritasérum s'il le faut. »
« Si je fais ça, je vais perdre sa confiance. »
« Je n'ai pas l'impression que ce genre de garçon fasse confiance à qui que ce soit. »
La fuite était encore possible… Severus s'y apprêta. C'était oublier l'ubiquité cartoonesque de Gwénolé. Sans qu'il ait le temps de se rendre compte de grand-chose, Severus se retrouva bientôt dans son bureau.
Les cheveux blonds noués en catogan luisaient dans la demi-obscurité de la pièce. Gwénolé souriait, à nouveau vêtu de bleu.
« Alors, qu'est-ce qui t'amenait ici, Severus ? Un petit verre ? »
« Non merci pour le verre », répondit Severus, les yeux posés sur son t-shirt Alan Stivell.
« Si j'ai demandé une consultation… c'est parce que je crois que je suis en train de devenir fou. »
« Vraiment ? »
« Je vois des fantômes. »
« C'est un peu normal ici. »
« Je veux dire des fantômes comme ils ne devraient pas être. »
Gwénolé plissa les yeux.
« Qu'entends-tu par là ? Des fantômes de personnes vivantes ? »
« Pas exactement… En fait, j'ai vu le fantôme d'Angus Russell, dans l'infirmerie. »
« Hé bien, Poudlard a peut-être gagné un nouveau fantôme officiel. Mais pourquoi dis-tu qu'il est comme il ne devrait pas être ? Ce n'est pas de cela que tu étais venu me parler dans la bibliothèque ? »
« Si. Ce fantôme… Il n'est pas comme Russell était quand il est mort… Russell avait dix-sept ans… Le fantôme en avait onze ou douze. »
Songeur, Gwénolé se frotta le menton, qu'il avait mal rasé ce jour-là.
« C'est très intéressant, ça… Très intéressant… T'a-t-il parlé ? Dit quelque chose ? »
« Juste une phrase. Une drôle de phrase. Pauvre petite Sirène, ou quelque chose du même style. »
« Oui, c'est ça ! » murmura Gwénolé comme pour lui-même, les yeux brillants.
Puis il ajouta, à destination de Severus : « Je me demande si ce fantôme n'est pas la manifestation de quelque appel psychique… Hum je veux dire, et si Russell essayait de nous dire quelque chose par-delà le royaume des morts ? Et si ce fantôme était là pour lui accorder vengeance ? »
« Lui accorder vengeance ? »
« Nous indiquer qui l'a tué. »
« Vous êtes un psy ou un Auror, au juste ? »
Gwénolé laissa retomber un regard goguenard sur le morne et sombre garçon qui venait de lui lancer cette pique inattendue.
« Moi, un Auror ? Tu trouves que je ressemble à un Auror ? »
« Pas du tout. Ce qui me fait encore davantage penser que vous en êtes un. »
Gwénolé lui servit un verre d'eau et le posa devant lui.
« Hé bien… Je pense que tu as besoin d'hydrater les cellules de ton cerveau Severus. J'ai l'impression que tu laisses vraiment trop courir ton imagination. As-tu consommé une substance prohibée ces derniers temps ? »
« Pas encore », répondit calmement Severus en repoussant le verre du dos de la main.
« Tu ne veux vraiment pas boire ? » dit Gwénolé en le fixant des yeux.
« Non », répondit Severus, l'esprit fermé.
« Dans ce cas… »
Severus ne comprit pas tout de suite ce qui lui arrivait : il sentit juste quelqu'un derrière lui tenir les bras, et Gwénolé n'était plus derrière son bureau.
« Je suis désolé Severus », murmura le Médipsychomage.
Il décapsula d'un regard la petite fiole remplie de liquide transparent qu'il avait sortie de sa poche. Erwin McAlistair entra en silence par la porte donnant sur l'infirmerie. Severus voulut lui demander de l'aide, mais il savait que c'était inutile, et d'ailleurs Gwénolé ne tarda pas à lui verser d'autorité le contenu du flacon dans la bouche, en s'efforçant tant bien que mal de l'empêcher de le recracher.
« Il sait que nous sommes Aurors », dit Gwénolé.
« Qui te l'a dit ? » demanda Erwin McAlistair.
« Personne, je vous ai entendus par la fenêtre. »
« Je vais le faire se tenir tranquille Gwénolé. Occupe-toi de l'interroger. »
Erwin McAlistair tendit sa baguette et Severus alla tranquillement s'asseoir sur sa chaise.
Gwénolé put se réinstaller derrière son bureau, et il plongea à nouveau ses yeux dans ceux de Severus.
« Il faut que tu saches tout d'abord que nous ne faisons pas cela pour te causer du tort. Nous avons besoin de renseignements pour notre enquête. Nous n'avons pas pu obtenir tout ce que nous voulions. Et nous pensons que tu peux nous aider. »
« Vous n'avez pas le droit de faire ça. »
« C'est là que tu te trompes Severus… Mais laisse-moi plutôt regarder dans ton esprit… Voyons ça… »
Il revenait toujours au même endroit.
Là où était Lucius, les moments qu'il avait passés avec lui. Et il pouvait tout voir et tout comprendre, ce qu'il ressentait dans ces moments-là… Severus sentit une honte terrible s'abattre sur lui, comme s'il était entièrement nu devant eux.
« Où étais-tu pendant les vacances de Noël ? »
« A Poudlard. »
« Pendant toutes les vacances ? »
« Oui. »
« Tu n'en es pas sorti une seule fois ? »
« Non. »
« As-tu vu Lucius Malefoy pendant ces vacances ? »
« Oui. Il est resté à Poudlard pendant la première semaine. »
« Ensuite, il est reparti chez lui ? »
« Je crois. »
« T'a-t-il proposé d'entrer dans une confrérie liée à la magie noire ? »
« Non. »
« Sais-tu s'il l'a déjà proposé à d'autres personnes ? »
« Je ne sais pas. »
« D'autres personnes te l'ont-elles déjà proposé ? »
« Non. »
« Est-ce que Lucius Malefoy a reçu des paquets, des cadeaux pour son Noël ? »
« Oui. »
« Te souviens-tu lesquels ? »
Comme pour les autres questions, Gwénolé chercha et trouva.
Erwin McAlistair prit la parole : « Selon toi, Lucius Malefoy avait-il des mobiles pour tuer Angus Russell ? »
« Il a dit à son père qu'il le haïssait. Et il veut sortir avec Bellatrix, alors qu'elle semblait préférer Russell. »
« Je te confirme Severus que Miss Black préférait Russell, mais c'était loin d'être en raison de son charme ravageur... A moins que l'on entende charme au sens de 'sortilège'... Un de tes camarades m'a dit que Lucius Malefoy détestait perdre, et qu'il avait une sorte de complexe d'infériorité vis-à-vis de Russell. »
« C'est Macnair qui vous a dit ça ? Je crois maintenant que c'était vraiment le cas. Il est jaloux de son esprit. Il pense n'être pas assez intelligent par rapport à ce que son père attend de lui. »
« Très bien… Très bien… Parlons de toi maintenant Severus... Qu'est-ce que tu ressens pour Lucius ? Est-ce que tu le hais toi aussi ? Tout le monde semble se haïr pour une raison ou pour une autre dans cette école. »
« Non... Je ne le hais pas. Je l'admire. »
« Tu l'admires seulement ? »
« Je l'aime. »
« Et penses-tu qu'il y a une chance que tu sois jamais payé de retour ? »
« Non, je suis bien trop laid. Mais parfois... Parfois il est étrange avec moi. »
« Etrange ? »
« Il est... gentil. Il… Il me touche. »
Erwin McAlistair haussa les sourcils.
« Il te touche ? »
« Il me met du parfum… Il me lave les cheveux... »
« Voyez-vous ça. »
« Il me serre dans ses bras... Il me fait des présents. »
« Penses-tu que Lucius Malfoy ait des penchants homosexuels ? » demanda McAlistair.
« Je ne sais pas. Je crois que oui, parce qu'il a un produit pour homosexuels dans son coffret de toilette, mais je crois qu'il aime aussi les filles, car il a vraiment l'air d'apprécier Bellatrix. »
« Il aime Bellatrix ? »
« Il lui fait tout le temps la cour », s'entendit répondre Severus. « Il fait le beau devant elle… On dirait une espèce de paon ridicule quand il fait ça. »
Gwénolé sourit.
« Tu es jaloux de cette demoiselle Black ? » demanda-t-il.
« Non… Mais je n'aime pas voir Lucius paraître idiot comme cela. C'est comme si je ne le reconnaissais plus tout à coup… Et je ne déteste pas complètement Bellatrix. »
« Pourquoi ? »
« J'ai l'impression qu'elle me considère. »
« Et tu recherches beaucoup cela, la considération, n'est-ce pas Severus ? »
« Oui… Je ne déteste pas Bellatrix. C'est moi que je déteste. »
Un frisson le parcourut de la tête aux pieds. Poussé par le Véritasérum, il répondait à toutes les questions, mais fulminait intérieurement. Jamais il n'en avait autant voulu à quelqu'un ; sur cela, il ne pouvait justement pas mentir. L'Auror le fixait intensément des yeux, se promenant librement dans son âme ; alors Severus tâcha de mettre toute la haine qu'il ressentait dans son regard.
« C'est si facile à voir, Severus… Si facile de t'avoir par ce biais-là… Ne vois-tu pas que c'est ce que fait cette Bellatrix ? »
Se focaliser sur sa haine… C'était comme jeter un sort sans formule ou sans baguette… De la pure énergie qu'il déversait dans l'âme de celui qui lui faisait face. Il projetait cette haine sur ses sentiments les plus profonds, pour les toucher comme il avait touché les siens ! Un instant les yeux de Gwénolé disparurent pour être remplacés par un ciel sans fin semblant se confondre avec la mer. L'eau bougeait lentement, transparente, au-dessus du sable. Deux petits pieds marchaient sur les galets, vers une vieille cité fortifiée brumeuse et blanche, couronnée par une statue d'or brandissant une épée. Mais il y avait des avions dans le ciel, qui faisaient un bruit terrible. La vision ne dura même pas une seconde : les pierres blanches de l'édifice étaient déjà devenues plus lisses, c'était la peau blanche d'un visage… Un visage qu'il avait déjà vu, cheveux noirs et regard bleu, impression de netteté et de droiture… Un idéal d'humanité, un modèle pour tous.
L'Auror fit tomber le flacon vide d'un mouvement brusque et le contact visuel se rompit ; Severus cligna des yeux et se tourna vers McAlistair, reconnaissant le visage.
Gwénolé se mit à rire.
« Tu es si naïf décidément Severus… Le véritable amour n'est pas le même chez tous les hommes », déclara-t-il, jamais à court de lieux communs à distribuer à la jeunesse.
Mais n'était-ce pas seulement pour coller à son rôle de Médipsychomage ? Ou pour agacer et pousser à bout ceux dont il voulait tirer les vers du nez ? (2)
* * *
« Je crois que nous avons été clairs. Maintenant, il faut que des têtes tombent. »
Gwénolé Kouign-Aman se tenait debout devant le bureau de Dumbledore. Mais ce dernier lui tournait le dos et regardait à travers le vitrail de sa fenêtre, faisant glisser le long ongle de son index sur le fil de métal noir.
« Qu'entendez-vous précisément par têtes, Guinoleus ? »
« Katherine Méliès et Bhima Agni. »
« C'est hors de question », murmura Dumbledore.
« Dans ce cas, si ce n'est pas eux, ce devra être Lucius Malefoy. »
« Pourtant je ne vois aucune raison de faire arrêter Lucius Malefoy pour le moment. »
« Aucune ? Il a torturé un de ses camarades de classe jusqu'à ce que mort s'en suive… »
« Le problème, mon cher Gwénolé, c'est que je suis persuadé de son innocence. Un acte d'une telle cruauté ne peut être le fait… que de sectateurs de Lord Voldemort. »
« Dont Lucius Malefoy fait justement partie. »
« Je ne le pense pas. De plus, j'ai reçu une intéressante visite tout à l'heure. Une visite de Severus Snape. »
« Oh. »
« Il a affirmé que vous lui avez fait boire du Véritasérum, puis obliviaté. »
« Affabulations Albus. »
« Affabulations mon cher Gwénolé ? Un simple sort exécuté sur Severus Snape nous permettrait de savoir ce qu'il en est. »
« Bon. Dans ce cas … Avant que nous partions, je demanderais seulement la démission de Mme Méliès. D'ailleurs je ne pense pas que les parents d'élèves seraient heureux d'apprendre que leurs enfants se retrouvent régulièrement dans les parages d'un vampire. Sans même aborder le fait que l'un des élèves est un loup-garou. Choisissez, Albus. »
« Ai-je vraiment le choix ? » soupira Dumbledore.
V
Les ballons de la grande kermesse de Poudlard s'élevèrent jusqu'au plafond du grand hall en même temps que les têtes tombèrent.
Ce fut Katherine Méliès qui fit ses valises, le matin même, talonnée par un Bhima Agni catastrophé.
« Un scandale, un véritable scandale ! »
« Je l'avais dit, qu'il y avait un truc entre eux », dit quelques heures plus tard Walden Macnair devant le stand des Amis de la France.
Julius Baxter lui tendit la crêpe chaude enroulée à l'intérieur d'un papier graisseux.
« Tu crois vraiment qu'ils sortaient ensemble ? » demanda Snape en vérifiant que Gwénolé n'était pas dans les parages.
« C'est évident. »
Mais le regard de Julius avait dévié de sa crêpe bretonne.
« Ben dis donc Waldy, c'est quoi cette protubérance ?
Macnair sortit une patte de lapin de sa poche, ce qui résorba le renflement équivoque.
« Mon gri-gri contre le mauvais œil. »
« Tu sais que Lucius est au courant que tu leur as dit ? »
« Que quoi ? »
« Il sait que tu l'as accusé de meurtre. »
« Je sais ça ! Il m'a même montré les chatons creux de ses bagues. Je suis un homme traqué maintenant. »
« Un homme traqué ? » répéta Julius.
Les choses semblaient maintenant aller pour le mieux pour Lucius. Il était allé régler quelques comptes avec Macnair, s'était débarrassé des Aurors en poussant Severus à aller se plaindre auprès de Dumbledore (en le voyant revenir de sa séance de psychothérapie, il avait tout de suite compris ce qui s'était passé), son magistère avançait à nouveau grâce à l'aide de Severus et comble de surprise… Bellatrix ne l'envoyait plus paître comme un malpropre. Mais c'était peut-être trop tard, car depuis son anniversaire, il n'était plus que froid et ironique avec elle. Il était même moins affectueux avec Snape, ne tombant plus dans les excès de caresse qu'il avait pu avoir par le passé. Cela ne blessait pas Severus, car Lucius faisait preuve envers lui d'attentions différentes, et qui le touchaient encore plus : il lui parlait à présent comme s'il était son égal. Et Severus, plein de la fierté de ce nouveau statut, ne se privait pas de parler en son nom.
« Si tu arrêtes de répandre des rumeurs sur lui », conseilla-t-il à Macnair, « je crois qu'il te laissera tranquille. »
Mais le dit Macnair continuait d'expliquer à Julius : « Il y a du poison dans ses bagues, tu comprends. C'est un grand maître empoisonneur. Il a sans doute tué Russell comme ça, avec du poison dans son thé aux framboises. »
Severus lui lança un regard plus acéré qu'un sabre de samouraï.
« Ok, j'ai rien dit. Oubliez ce que j'ai dit. »
« On fait quoi maintenant ? »
« D'après le programme, sur la petite scène il y aura le groupe de Rosier et Wilkes à 14h00. Puis une représentation du Petit Théâtre de Guinoleus à 15h30. Ça par contre je ne sais pas ce que c'est. »
« Moi si », pensa Severus en se souvenant des marionnettes qu'il avait vues Gwénolé Kouign-Aman fabriquer dans son bureau.
« Sur la grande scène il y a les membres du club de théâtre qui jouent Macbeth de Shakespeare. »
« Pas très intéressant tout ça… » murmura Severus, résolu à aller se perdre dans les stands.
Cela tombait bien, il repéra Bellatrix devant le stand du Renard de Poudlard. Elle s'était très maquillée ce jour-là, ce qui surprit Severus, et elle portait une ancienne robe couleur taupe avec des canons de dentelles et une jupe à panier. Tss… Sans doute des appâts pour séduire Lucius, et tel qu'il le connaissait, il allait sûrement mordre à l'hameçon, même si toute cette toilette la vieillissait d'une bonne dizaine d'années.
Mais il lui fallait mettre sa rancœur de côté pour quelques instants au moins. Il se dirigea vers elle et l'interpella.
« Bellatrix… Tu n'aurais pas vu Lucius ? »
Derrière elle, la couverture du nouveau numéro du journal était accrochée en grand sur tous les murs du stand. On y voyait la photo d'une femme moldue d'âge mûr, en tailleur, avec comme légende : « Margaret Thatcher, le nouveau visage du parti conservateur. »
La jeune fille se tourna vers lui, le considérant de sa figure poudrée où ressortaient ses grands yeux sombres et froids, presque grecs.
« Je ne suis pas Bellatrix. »
« Mais… »
« Je suis sa mère. »
Severus remarqua que les poils de ses avant-bras s'étaient dressés. Cela devait être l'antique instinct de son âme reptilienne… Tout son corps lui suggérait de s'éloigner de cette femme dangereuse, comme la souris sait qu'il lui faut s'éloigner du chat.
« Je ne l'ai pas vue », poursuivit-elle. « Sais-tu où elle est ? »
« Non. »
« J'ai cru voir Lucius Malefoy du côté du club d'arithmancie… As-tu vu son père, ou Orion Black ? »
Mais elle n'eut pas de réponse à sa question, Severus avait disparu.
* * *
Lucius se trouvait effectivement au stand d'arithmancie, en train d'attendre qu'on lui termine son horoscope numérologique de l'année. Mais à voir le visage contrit de l'apprenti numérologue, les prévisions n'étaient guère brillantes.
« J'ai vu la mère de Bellatrix », lui murmura Severus.
« Merveilleux… C'est une vraie harpie celle-là… Heureusement que mon père n'a pas pu venir, je n'ai vraiment aucune envie de le voir. »
« Tu as prévu quoi après ? »
« J'irais bien jeter un œil au concert, histoire de rire un peu. Tu viens avec moi ? Alexandre doit venir aussi. Il paraît qu'ils ont trouvé un batteur. »
« Ça commence bientôt, dans dix minutes. »
« Oh, laissez tomber pour l'arithmancie. De toute façon, on ne peut rien faire contre le destin. »
* * *
Ce que le club de théâtre n'avait pas prévu, c'était que lorsqu'on réunissait les familles un jour de fête, les tragédies se produisaient surtout en dehors de la scène.
La chanson Death of a muggle du groupe d'Evan Rosier provoqua un tollé et l'on vit le père de Wilkes bondir sur scène pour asséner une calotte retentissante à son fils, tandis que sa nouvelle femme, habillée en moldue, se cachait le visage dans les mains. Le père d'Evan aussi était présent, et il le tira jusqu'au bureau du directeur pour qu'il fasse ses excuses.
L'incident échauffa les esprits des membres de l'APADI et du journal de l'école, et particulièrement de Sirius, déprimé par la vision de ses parents accompagnant Regulus qui mangeait une barbe à papa, et de Remus assis tout seul dans un coin de la grande salle, à faire semblant de lire des dépliants.
« Quelle bande de crétins », murmura Lucius. « Ils cherchent vraiment les ennuis. »
Les instruments furent rangés en catastrophe, et l'on installa à la place le petit théâtre de marionnettes, qui attira sur les bancs un public nettement plus jeune.
« Lucius, je n'ai pas tellement envie de regarder le spectacle de marionnettes… »
« Je ne te force pas à rester toujours avec moi », répondit sèchement son aîné.
Severus se tourna vers Avery, qui haussa les épaules comme s'il ne comprenait pas.
Il y avait beaucoup d'enfants dans l'assistance, premières années, parents, et frères et sœurs. Severus crut reconnaître Regulus Black, le frère de Sirius. Quant à John, Jack et Jim, ils s'étaient installés au premier rang.
« C'est amusant », fit remarquer Lucius. « Ces trois gamins devant, ils te ressemblent un peu. »
« C'est vrai qu'ils ont un peu le même look que Sna… Severus », confirma Avery.
« Je ne sais pas pourquoi ils veulent me ressembler. Il n'y a vraiment rien à vouloir copier. »
« Ne dis pas ça », se contenta de déclarer Lucius.
« Oyez ! Oyez ! »
Gwénolé était apparu sur scène, en jeans, tongs, et chemise à jabot.
« Voici un conte du Petit Théâtre de Guinoleus… Mais aujourd'hui nous ne commencerons pas par des histoires aussi connues que celles de Cendrillon… »
A ses mots, Severus eut l'impression que son regard s'arrêtait sur lui.
« …ou celle de cette pauvre Blanche-neige… »
Avery tapa sur l'épaule de Lucius. Près du stand de cuisine, Bellatrix et sa mère étaient en train de discuter vivement.
« Non, aujourd'hui je vais vous raconter une légende de mon pays d'origine. Une légende bretonne. Celle de la ville d'Ys. »
La lumière baissa, et Gwénolé disparut derrière son théâtre.
Au bout de quelques instants, les rideaux miniatures s'ouvrirent tout seuls.
« Ça me rappelle mon enfance », murmura Lucius d'un ton joueur à ses deux amis.
« Moi cela me rappelle surtout le Véritasérum », songea Severus.
Une petite musique de harpe se fit d'abord entendre, puis les décors se hissèrent sur le bord de la fausse scène. A droite, un petit fort aux créneaux découpés ; derrière, un paysage de ciel et de mer.
La voix du Psychomage commença à raconter : « Il était une fois, en Bretagne, une jeune fille blonde de votre âge, nommée Dahud. Elle était la princesse d'une ville fortifiée, un merveilleux château au bord de l'océan, Ys, gouverné par le vieux roi Gradlon, son père. »
Une petite marionnette blonde apparut au sommet du fort. Ses cheveux étaient blonds et lisses, sa robe argentée et ses yeux bleu-gris.
« Seule et désœuvrée dans l'île de sa forteresse immense et vide, Dahud n'avait jamais aimé personne. Même ses jouets ne trouvaient grâce à ses yeux. Ils se ressemblaient tous, ils étaient sans visage, pour elle ils se dissolvaient dans la banalité de son quotidien et les limbes de sa solitude. Les uns après les autres, elle les avait brisés, et à présent… à présent elle s'ennuyait. »
Le vent se mit à souffler à l'intérieur du théâtre, les vagues de la mer apparurent en ombres chinoises, et l'on entendit le bruit des vagues.
« C'est bien fait quand même », opina Avery.
« Mais Dahud ne devait pas toujours rester seule. Un jour elle rencontra un étranger, vêtu de rouge. Il vint et marcha vers elle, sur la jetée. »
L'ombre de l'inconnu se projeta sur le chemin de garde, devant la poupée aux longs cheveux blonds. On ne voyait aucun détail à l'intérieur de sa silhouette, seulement de l'ombre, et les contours de sa cape et de ses bottes.
« Il était si attirant… si différent… Et elle était si seule… »
Encore une fois, Severus sentit son ventre lui faire mal, se sentant étrangement visé. Il jeta un coup d'œil à Lucius, tout de pourpre vêtu ce jour-là…
« Et il lui parla, car il était un grand maître pour ce qui était du discours et des mots. Et il lui montra… un serpent. »
L'ombre d'un python apparut dans la main de l'Etranger, à la fois droit et ondoyant comme les serpents de la statue de l'ancienne déesse.
« Ce que je te propose, lui dit-il, c'est de connaître le fond des choses. Mais était-ce le serpent de la connaissance ou le serpent du mensonge ? Sa langue était bien celle d'un serpent. Il berça Dahud de ses propos mensongers, lui faisant miroiter des choses qui n'existaient pas, et l'innocente jeune fille lui donna les clefs de la ville, car elle l'aimait d'amour… »
La nuit tomba à l'intérieur du théâtre.
« Mais savez-vous qui était cet étranger ? » murmura Gwénolé. « Le savez-vous ? Celui qui avait enchanté Dahud… Celui qui avait aussi enchanté les enfants de Hamelin… C'était le diable... Le diable, les enfants… ! Mais qui sait seulement à quoi l'on peut reconnaître les démons ? »
* * *
« Quel conte à dormir debout », déclara Lucius qui était sorti fumer une cigarette.
« Tu crois que ça a un rapport avec son nom ? »
« Je n'en sais rien. »
« On aurait peut-être dû attendre Avery. »
« Alexandre ? En vérité, je n'aime pas ce flagorneur. Mais ne lui répète pas. »
« Il n'est pas bien méchant pourtant. »
Lucius eut un rire bref.
« C'est bien là le problème. Il est gentil. Mais seulement parce qu'il ne pourrait pas faire de mal à une mouche… Et s'il paraît souvent avoir de la compassion… pour toi par exemple, ou pour d'autres, c'est uniquement parce qu'il est lui-même incapable de supporter la douleur. C'est un lâche. Il suit les plus forts, voilà tout. Mais si un jour tu es en danger, ne compte pas sur lui pour venir te sauver. »
Son regard se perdit dans les ombres de la forêt interdite.
Severus préféra ne rien dire. Il revint à Gwénolé.
« Gwénolé, il est tout le temps en train de parler d'amour. Je trouve ça vraiment ridicule. En plus il a l'air d'en pincer pour McAlistair. »
« Tu crois qu'il est gay ? » demanda Lucius l'air à la fois dubitatif et intéressé.
« Il s'habille de façon extravagante... »
« C'est un "hippie". »
Severus fut attendri par cette déclaration sans trop savoir pourquoi.
« Le véritable amour, il n'a que ce mot à la bouche… » soupira Lucius. « Pff, ça n'existe pas. Il n'y a que l'admiration, et les affinités. »
Il écrasa son mégot et ils rentrèrent.
* * *
Elisabeth Bathory-Black se poudrait soigneusement le visage avec une grosse houppette blanche, semblant accorder peu d'importances aux remontrances agressives de sa fille.
« Puisque je te dis que ce n'est pas moi qui t'aie envoyé cette lettre explosive, Bella », répondit-elle calmement. « Je ne vais pas te le répéter dix fois. »
« Tu mens, comme toujours… Tu ne sais faire que ça ! »
« Ce n'est pas la peine de crier devant tout le monde, ma chère. Et je ne vois pas pourquoi je te cacherais une chose pareille. Il n'y a aucune honte à corriger les enfants qui le méritent. Cela prouve que l'on se soucie d'eux. »
« Parce que tu te soucies de Narcissa peut-être ? Cela fait presque deux mois qu'elle est introuvable, mais ça n'a pas l'air de t'attrister beaucoup. Tout ce qui compte pour toi c'est ton imbécile d'amant ! »
Mme Black tendit sa grande main froide et manucurée et l'abattit sur la joue de sa fille. C'était déjà la deuxième gifle de la journée, mais ce n'était pas grand-chose comparé à la bagarre qui venait de se déclencher à quelques mètres de là, portant à son paroxysme l'hystérie de la foule.
Irrité par l'affaire de la chanson du groupe de Rosier, Sirius Black avait apostrophé Severus Snape et Lucius Malefoy, s'enquérant de leur stand de recrutement pour les « Jeunesses hitlériennes ». Lucius n'avait pas répondu, ne comprenant pas l'allusion, mais Severus avait répliqué par les injures habituelles. Sirius Black avait ri.
« Pff, le petit caniche de Lucius Malefoy a des opinions ? Mais j'ai étudié l'histoire moldue avec Eric et Alan. On sait d'où ils viennent les gars dans ton genre, et celui de Rosier et compagnie… Les tarés qui s'enrôlent avec les fascistes… En fait c'est tous des pauvres RATÉS! »
Lucius Malefoy n'avait ensuite pas eu le temps de retenir son cadet, qui avait expédié Sirius Black dans la pile de conserves du chamboule tout.
« Je t'ai mis en colère Snivellus ? Qu'est-ce que j'y peux si t'es qu'un raté de la vie ? Pauvre, laid et stupide, on peut dire que tu cumules les critères de recrutement ! »
Mais emporté par sa verve, Black baissait sa garde...
Severus fut sur lui en une seconde et plaça ses mains autour de son cou. Arqué au-dessus de lui, et tels qu'on pouvait les voir de loin, avec leur teint pâle et leurs longs cheveux noirs, ils semblaient deux frères jumeaux luttant l'un contre l'autre, ou un homme tentant de mettre à mort son propre reflet dans un miroir. Quant à Lucius Malefoy, comme plongé dans un état second, il semblait incapable de réagir, les yeux fixés sur les mains de Severus serrant le cou de Sirius Black… Ce fut à ce moment-là que le cri perçant de Bellatrix retentit.
« Je sais que c'est toi ! C'est toi qui l'as tué, je t'ai vue ! »
Elle se tenait la joue, tremblante, et désignait sa mère, le regard dément.
Les yeux de Severus s'écarquillèrent, il desserra involontairement son étreinte, alors que Remus Lupin et son père venaient au secours de Sirius.
Quant aux deux Médipsychomages ils étaient déjà loin, et de tout ce qui c'était passé cette année-là, Severus ne devait connaître le fin mot que des années plus tard.
FIN DE LA SECONDE PARTIE
à suivre
Alan Stivell - Ys
Scène coupée
Discussion entre McAlistair et McGonagall sur la carte Chocogrenouille du Dark Lord (non conservé dans la version finale)
« Alors, Minerva, quelles sont vos premières conclusions ? »
« Ce n'est pas une simple carte, Erwin. Elle permet à celui qui possède la deuxième de voir et d'entendre ce qui se passe près de celle-ci. »
« Je me suis rendu chez Honeydukes. Ils déclinent toute responsabilité naturellement. »
« Mais ce que je ne comprends pas Erwin… Si c'est un dispositif d'espionnage, pourquoi avoir choisi Voldemort ? »
« Hé bien soit c'est par goût de la plaisanterie, soit pour être sûr que son possesseur la conserve en raison de sa rareté. »