Les rats et les fées

Harry Potter - J. K. Rowling
F/M
Gen
M/M
R
Les rats et les fées
Summary
"Snape a toujours été fasciné par la magie noire, il était réputé pour ça quand il faisait ses études. Un type répugnant, avec ses airs doucereux et ses cheveux gras. Quand il est arrivé à l’école, il connaissait plus de sortilèges que les élèves de septième année et il faisait partie d’une bande de Serpentard qui sont presque tous devenus des Mangemorts."Récit de la quatrième année scolaire de Severus Snape à Poudlard, qui tournera au Cluedo macabre.Nouveau chapitre : Le joueur de flûte de Hamelin.
Note
Remarques importantes :- Quand j'ai commencé à écrire cette histoire, en 2003, je venais de finir de lire le tome 4, et le 5 n'était pas encore sorti. Elle est compatible avec le canon jusqu'au tome 6 inclus (à l'exception d'éléments concernant l'âge des personnages, leur généalogie, les Mangemorts, vu que j'avais dû imaginer pas mal de choses). On pourrait dire qu'il s'agit d'une sorte d'UA dans lequel Lily Evans et Severus Snape ne se connaissaient pas avant Poudlard.(Mais j'avais tout de même eu la vision d'un Malefoy pleurant dans une salle de bains et d'un intello avec une besace sans fond avant que ça n'apparaisse dans les livres, s'il-vous-plaît !)- Elle suit la forme des livres, avec un héros (ici, Severus Snape jeune), et son année scolaire. On pourrait d'ailleurs presque l'appeler "Severus Snape et la Potion de Gloire"... Elle devrait comporter 21 chapitres en tout (soit trois parties de sept chapitres chacune).- J'ai suivi l'orthographe originale des noms, à l'exception de Crouch/Croupton et Malfoy - je trouve "Malefoy" plus joli.
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Innocents lutinages

Chapitre 13

Innocents lutinages





Severus Snape était resté dans un coin, son gobelet de remède à la main, les yeux étincelant dans l'obscurité. Le ciel était d'un bleu parfait dans les hautes fenêtres de l'infirmerie, la lune ressemblait à celle d'un album d'enfant.

Fendant le groupe, Albus Dumbledore s'approcha de la jeune fille et souleva délicatement un de ses poignets dont la chair, sous les garrots qu'avait serrés l'infirmière, était blanche comme celle d'un poisson mort.

- Une tentative de suicide, dit-il.

Erwin McAlistair, le médipsychomage, lui tendit la paire de ciseaux qu'il avait retrouvée près de la piscine.

- Il n'y a que ses empreintes dessus, commenta-t-il.

- Ainsi meurent les fleurs… murmura Dumbledore.

Severus, involontairement, porta la main à ses cheveux.

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles

La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,

Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…

– On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie

Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir ;

Voici plus de mille ans que sa douce folie

Murmure sa romance à la brise du soir.


McAlistair se tut.

Devant l'air interrogateur de Sirius, il crut bon de préciser : « Rimbaud ».

- Félicitations M. Black, vous lui avez sauvé la vie, annonça Dumbledore.

- Pauvre petit, il doit être choqué, ajouta Mme Pomfresh en faisant les bandages de la Gryffondor.

- Non, ça va, affirma Sirius en plongeant ses mains dans ses poches, l'air ferme.

Fanfaron, pensa Severus en plissant les yeux. Un pauvre petit de presque un mètre quatre-vingt...

- Je veux qu'il reste un peu ici une fois que j'en aurais fini avec la demoiselle, commanda l'infirmière au directeur.

- Oh, mais bien sûr Pom-Pom. Si vous le jugez nécessaire, répondit Dumbledore.

- Pourquoi s'est-elle entaillée les veines dans cette piscine ? Pourquoi s'y est-elle baignée vêtue ? s'interrogea à voix haute le professeur McGonagall.

- Elle désirait sans doute qu'on ne la retrouve pas nue je suppose, déclara Severus.

C'est alors que tout le monde s'aperçut de sa présence. Severus alla poser son gobelet près du lavabo.

- Il a raison, opina Dumbledore. Mais que faites-vous ici, M. Snape ?

- Il avait mal au ventre, expliqua Mme Pomfresh.

Sirius lui adressa un regard moqueur.

Tu peux te moquer, héros à une mornille… Qu'est-ce que tu fichais dans la salle de bains des préfets ?

- Je retourne dans mon dortoir, précisa le Serpentard avant de quitter la pièce.

- Ça se complique… murmura McAlistair à son assistant, en regardant la jeune fille étendue.

Gwénolé Kouign-Aman rajusta ses lunettes rondes sur son nez, l'air songeur.

- Non, je ne crois pas, patron, répondit-il.

- M. Black, intima Pomfresh à l'adolescent réticent, enfilez cette chemise et couchez-vous là.

 

* * *

 


Ce fut ainsi que pour la deuxième fois depuis le mois de septembre, Sirius Black se réveilla très tard le matin dans un des lits de l'infirmerie.

Une légère nausée habitait sa gorge. Il ne comprenait pas l'absence d'obscurité, pourquoi il ne tenait pas dans ses mains sa couverture pourpre...

Il leva les yeux et reconnut alors le carrelage blanc ainsi que la peinture verte. Les hautes vitres étaient saturées de buée. On n'entendait pas le bruit des pas de l'infirmière.

Sirius tourna la tête à gauche, rencontrant le regard insistant de la jeune fille qu'il avait sauvée la veille. Elle avait un visage bizarre, des cheveux blonds tirant vers le roux et des yeux clairs, tombants et trop larges…

- Salut, lâcha Sirius de sa nouvelle voix grave en reboutonnant hâtivement les premiers boutons de sa chemise de pyjama.

- Excuse-moi, je ne voulais pas te gêner, répondit la jeune fille en détournant les yeux.

- Non, c'est pas grave... répondit le garçon, le regard distraitement rivé à ses draps.

Il hasarda un rapide coup d'œil vers la gauche.

- Ça va mieux ?

- Oui.

Plus à l'aise, le garçon assit sa nouvelle orientation en s'appuyant du coude sur son oreiller.

- Moi j'm'appelle Sirius.

- Je sais.

- Ah ?

- Qui ne connaît pas Sirius Black. J'ai même entendu dire que c'était toi qui faisait les caricatures dans le journal de l'école.

- C'est vrai, répondit Sirius.

Le gris de ses yeux pétillait.

- Tu dessines vraiment très bien. Et tu es un as au Quidditch… T'es le meilleur de ta classe. Tu fais les quatre cent coups avec tes amis. Tout le monde parle de toi à Poudlard… Par contre, tu ne dois pas savoir comment je m'appelle.

Le pétillement disparut. La fille ne laissa pas à Sirius le temps de corriger son air embarrassé.

- Mon prénom c'est Magda. Je suis en sixième année.

- Et… Ça va mieux ?

Elle haussa les épaules et lui demanda : - Tu connais Nicholas Steir ?

- Ouais bien sûr. C'est un poursuiveur de l'équipe de Serdaigle. Il est plutôt sympa comme type.

- Tu savais que je sortais avec lui ?

- Ah bon ?

Magda baissa la tête.

- Cela faisait longtemps que j'étais amoureuse de lui.

Sirius remua sur sa couche… C'était le genre de confidences qui vous mettait mal à l'aise.

- Je n'aime pas vraiment le Quidditch à la base, déclara-t-elle. Du moins ça m'ennuie. Regarder des gens voler après une balle et une autre qui va tellement vite qu'on n'a même pas le temps de la voir… Mais j'allais quand même aux matchs, juste pour le voir. Tout ce temps perdu tu sais… Rester là à le regarder. Dans la grande salle, à la bibliothèque, en cours de potions. Il me suffisait de croiser une fois son regard pour être heureuse toute la journée… Tu te rends compte ?

Son camarade baissa la tête, le regard éteint.

- Cela peut paraître tellement stupide pourtant, poursuivit-elle. Mais tout me semblait si beau, et noble chez lui. Alors, quand sa bande est venue se joindre à nous à Hogsmeade, j'avais l'impression de vivre un miracle. Et le lundi qui a suivi, il est venu me parler après un cours. C'était vraiment miraculeux. On est sortis ensemble… Ce week-end, il m'avait invitée à Hogsmeade. On est allés se promener dans les environs. C'était si étrange… Je le connaissais depuis seulement une semaine, mais moi je croyais vraiment le connaître. Pourtant, tout ce qui l'intéressait maintenant, c'était qu'on… Il n'y avait plus que…

Elle se tut, serrant le drap entre ses mains, les yeux vagues, comme si elle voyait son souvenir défiler devant elle.

- Je n'arrêtais pas de voir son regard, ce regard si différent quand il me pressait… Ce regard… C'était le regard le plus horrible que j'avais jamais vu. Je n'étais qu'une chose pour lui, il était incapable de se mettre à ma place.

Sirius détourna la tête.

Magda se redressa un peu en s'appuyant sur un coude, puis le considéra avec ses grands yeux tristes.

- Tu ne le vois pas ?

- Voir quoi ? De quoi tu parles ?

- Lui ? Tu ne le vois pas ? Il est juste là ! Il dit que seules les personnes malades peuvent le voir...

Sirius regarda dans la direction qu'elle avait désigné. Mais il n'y avait que la condensation à la surface des vitres roulant devant le paysage blanchâtre.

Magda éclata en sanglots.

 

* * *



- Severus, quelle bonne surprise ! s'exclama Gwénolé Kouign-aman en se retournant d'un coup sur sa chaise tournante, derrière le comptoir des emprunts.

- Encore vous !

- Alors dis-moi, que cherches-tu aujourd'hui, par cette belle mâtinée ?

- Je voulais juste savoir si tous les fantômes de Poudlard étaient répertoriés.

- Tu n'as donc pas lu L'Histoire de Poudlard ?

- Je la connais quasiment par cœur, répondit Severus d'une voix doucereuse. Mais seuls ses plus célèbres fantômes y sont mentionnés.

- Je ne peux pas vraiment te renseigner moi-même. Je ne m'y connais pas vraiment en la matière. Tu devrais peut-être demander au professeur Dumbledore.

- Je ne voudrais pas le déranger pour une chose d'une si petite importance. Néanmoins, de tous les livres que j'ai lu, tous disent qu'un fantôme est l'âme d'un mort.

- C'est une définition discutable, Severus.

- Mais si je vois le fantôme de quelqu'un, il est nécessairement mort. De plus, je vois le fantôme de la personne à l'époque où elle est morte.

- Cela me semble logique. Mais, vois-tu… Je me demande si la meilleure solution d'avoir une réponse à tes questions ne serait pas de demander directement à un fantôme. Nick Quasi-Sans-Tête ou la Dame Grise te répondraient volontiers, j'en suis certain.

- Je vais essayer ça alors, se dit Severus pour lui-même. Quand Mademoiselle Pince reviendra-t-elle ?

- Je ne sais pas. Elle est en congé maladie.

- C'est bien la première fois qu'elle tombe malade, marmonna Severus en quittant la bibliothèque pour gagner la cour.

Toute la neige tombée la semaine passée avait fondu, et le soleil faisait miroiter les toits. Bellatrix était assise sous le portique, entourée de ses deux camarades, croisant ses longues jambes androgynes recouvertes de bas de laine.

- Snape, constata simplement l'aristocratique Evan Rosier, sans se donner la peine de lever le nez.

- Bonjour, répondit Severus en s'avançant vers eux.

- Ça va ? fit Wilkes.

- Tu as l'air préoccupé, opina Bellatrix.

- En fait… Je cherche le Baron Sanglant.

- Le Baron Sanglant ?

- J'ai quelques questions à lui poser.

- Quoi ?

- Des histoires de fantômes.

- À propos de morts, t'as entendu parler de cette fille de Gryffondor qui s'est suicidée hier soir ? dit Wilkes.

- Elle n'est pas morte, précisa Severus.

- Tu crois que ça a un rapport avec le suicide de Russell ? demanda Rosier.

- Je n'en sais rien, répondit Severus.

Il regarda Bellatrix, dont la peau du visage était devenue intégralement rose, et le regard, noir. Severus se demanda alors s'il n'y avait pas du vrai dans ce que lui avait dit Macnair, si Russell s'était vraiment contenté de lui faire remplir des formulaires pendant les vacances…

Il se souvint de la manière dont Russell avait accentué le mot « petit copain » quand il leur avait parlé dans la cheminée, et se demanda si la présence d'un cadet (lui) n'avait pas contraint Russell à employer un code, si cette accentuation n'était pas destinée à signaler à Lucius qu'il lui avait raflé… la poule convoitée.

- Quand on y pense, Fayot-en-chef n'avait aucune raison de suicider, opina Rosier d'un air sinistre. Il tenait bien trop à ses petites fesses. Pas vrai, Bella ?

- Qu'est-ce que t'es en train d'insinuer, Evan ? Que la Fourmi s'est faite tuer ?

À ce moment-là, Wilkes sembla avoir reçu la Révélation, et se dressa d'un coup.

- Mais oui ! Et si tout ça n'était qu'un grand complot ? Je veux dire… Qui nous dit que cette fille s'est vraiment suicidée elle aussi ? Qui nous dit qu'un meurtrier ne rôde pas dans Poudlard ?

- J'étais dans l'infirmerie quand ils ont ramené son corps, répliqua Severus avec une sécheresse qui l'étonna lui-même. Ils ont examiné ses poignets et vu qu'elle s'était tranché les veines.

Wilkes se rassit, et son cadet aux cheveux gras ne put s'empêcher de ressentir une grande satisfaction devant son air dépité.

- Mouais… fit Rosier, l'air agacé. Et si on allait plutôt se dégourdir les jambes près de lac ?

- Bonne idée, approuva son ami.

Bellatrix ne répondit pas. Elle gardait les yeux rivés sur le mur d'en face, avec le visage buté d'une petite fille.

- Tu viens Snape ?

- Je ne sais pas…

- Allez, fais pas ton rabat-joie… Ce serait bien que les gens te voient sans bouquin dans les mains de temps en temps, tu sais. Et on a encore une bonne heure devant nous avant le déjeuner.

Tandis qu'il quittait l'enceinte du château en compagnie du trio, Severus se demanda comment il devait comprendre ce qui était en train de se passer. Constatant que Lucius Malefoy avait réussi à l'attirer dans son camp, la bande de Bellatrix avait-elle décidé de reprendre l'offensive ?

Un quart d'heure plus tard, ils étaient tous assis au bord du loch, sur un carré d'herbe préalablement séché.

- Allez, Evan. Montre à Bella ton super tatouage.

- Montre-le plutôt à Snape.

- Tu veux voir le tatouage d'Evan, Severus ? chuchota la fille Black.

- En fait…

Rosier n'attendit pas sa réponse. Il retroussa sa manche, lui tendit son avant-bras. Sur l'endroit, bien en évidence, était dessinée une croix dont les branches étaient de taille égale ; au dessus était inscrit deux lettres, I et D : « Mort aux Impurs »…

Il tourna la tête sur le côté pour regarder Severus, pointant sur lui ses grands yeux bleus un peu tombants, verdis par le temps assombri. Severus ne pouvait pas s'empêcher d'être à chaque fois étonné par la blondeur de ses sourcils et de ses cils, dont la longueur semblait comme le prolongement de celle des mèches brillantes de sa frange. L'idée étrange qu'il fut une sorte de déclinaison miniature de Lucius (dans un genre différent cependant) l'avait déjà effleuré.

- Alors ? Mon père va faire la tronche s'il le voit. C'est un adepte des discours mesurés et de la parlote.

- Franchement, moi j'ai pas hâte d'être adulte, lança Wilkes en s'allongeant. Les adultes c'est tous des faux-culs.

- Les parents, c'est une espèce qui ne devrait pas exister, déclara Bellatrix. Tu n'es pas d'accord avec nous, Snape ?

Severus ne répondit pas.

- Il paraît que ta mère est une Prince ?

- Oui, répondit le cadet en baissant la tête.

- C'est une très bonne lignée, assura Bellatrix. Tu sais… Moi c'est mon père qui est mort, quand j'étais gamine.

Mais Rosier venait de sortir de sa sacoche en cuir une sorte de bottin qu'il agita sous le nez de Bellatrix.

- Oh non, pas encore ça !

- C'est instructif, ma vieille.

- C'est quoi ? C'est quoi ?

L'échoppe de Pan. Le plus gros catalogue d'articles érotiques du monde de la sorcellerie. Tiens Snape, tourne les pages pour nous, qu'on se marre un peu...

Mais les yeux du jeune Serpentard se plissèrent à la vue de la couverture. Sous le nom de la boutique, un jeune homme dont la tête était surmontée de petites cornes et d'oreilles de chèvres, et dont les jambes, sous la tunique, se terminaient par deux sabots, jouait de la flûte, entouré de deux jeunes filles nues.

Un satyre.

- Tourne, tourne. Matez toute cette collection de potions aphrodisiaques... Et là de la lingerie sorcière qui galbe tout le corps.

- Mais à quoi ça sert cet onguent ? demanda Wilkes.

- Tout le monde n'en a pas une aussi petite que toi, Roger.

- Ah ah, très drôle.

- Les homos s'en servent quand ils s'enculent.

- C'est vraiment dégueulasse, quand même, de faire ça, opina Wilkes.

- Quand on va montrer ça à Crabbe et Goyle, ils vont en faire une de ces têtes.

- Malefoy se sert sûrement de ce genre de choses, ajouta Bellatrix avec un sourcil de Cléopâtre. Severus, à ta place je me méfierais quand je me retrouve seul dans une pièce avec lui... Il va peut-être lui venir des idées bizarres.

La pauvre ignorait que Lucius en possédait déjà un tube dans son coffret de toilettes, songea Severus en se remémorant sa découverte du week-end précédent.

 

 

* * *

 


Smoooke… on the water…

Loin du lac, Sirius s'étais assis sur le bord de son lit d'infirmerie et tentait de reproduire les positions de doigts de son pote Eric sur une guitare imaginaire.

- Tu connais ? demanda-t-il à une Magda perplexe. « Tin tin tin, tin-tin tin-tin… »

- Je vois que vous commencez à vous sentir mieux.

Sirius Blackmore se retourna : c'était McGonagall. Cette dernière fut la première visiteuse des deux alités – si l'on excepte Walden Macnair, qui venait consulter les médipsychomages comme souvent. La directrice de Gryffondor informa d'abord Magda qu'Albus Dumbledore, puis sa mère, viendraient lui rendre visite dans l'après-midi, et lui adressa des paroles réconfortantes.

- Madame madame, j'peux sortir quand ?

- Quand Mme Pomfresh le jugera bon. Au moins tant que vous êtes ici, vous vous tenez tranquille.

Sirius adressa un regard désespéré à Mme Pomfresh qui disparut dans le local à remèdes pour toute réponse. Après un sourire pincé, McGonagall frappa à une porte située non loin de son lit. La tête bien coiffée d'Erwin McAlistair et ses yeux clairs perçants apparurent dans l'embrasure.

- Minerva ! Entrez tout de suite, je vais nous préparer du...

La fin de sa phrase se perdit avec la fermeture de la porte.

- C'est du joli, marmonna Sirius à sa camarade. Remarque, ils vont bien ensemble. Je me demande ce qu'ils peuvent faire, à leur âge… Ils doivent se réciter des sonnets de Shakespeare, ce genre de vieux trucs.

Il se mit à se gratter le menton, avec un sourire quasi amoureux, comme si son regard nébuleux voyait toutes les choses qu'il pourrait raconter à James dès son retour au bercail. Il colla son oreille contre la cloison.

« Vous vous souvenez que je ne sucre pas mon thé ? »

« Hé bien, un théinomane comme moi sait se rappeler de ce genre de détails. »

« Oh, je n'arrive toujours pas à y croire. C'était vraiment un garçon admirable, Erwin. Toujours prêt à aider les autres, et si passionné, avide de connaître. Etonnant, quand il est arrivé ici. Je crois que durant mon professorat, le seul qui nous ait autant surpris, au niveau des connaissances déjà acquises, ait été M. Snape. »

De l'autre côté du mur, Sirius grimaça.

« Mais ce n'était pas du tout le même caractère, la même application. Vous vous rendez compte que le pauvre Russell avait fini par rendre ses devoirs sans répondre aux premières questions ! Pour ne pas avoir de trop bonnes notes ! Nous avons toujours pensé que c'était à cause de l'attitude de ses camarades en première année. Il était devenu une sorte de tête de turc. Quoiqu'il en soit, il avait mis fin à son système depuis septembre. Sans doute à cause des ASPICS, et peut-être d'un regain d'intérêt pour la sorcellerie. Il a tout de suite été premier. »

« Prenant la place de Malefoy », nota McAlistair.

« Certes. Mais je ne pense pas que Malefoy… Russell n'a jamais eu de problèmes avec Malefoy il me semble, au contraire. Quoique Malefoy soit suffisamment vicieux pour… Excusez-moi. »

« Vous n'êtes pas sans savoir que sa mère a reçu un sortilège d'Oubliettes. Sort lancé très maladroitement puisqu'il lui a fait perdre jusqu'à la mémoire de son fils. Seul un étudiant serait capable d'une telle maladresse. Elle a dû l'apercevoir, ou même le surprendre, et il aura voulu effacer ce souvenir de sa mémoire. »

« Un étudiant… Mais qui ? »

« Vous avez bien parlé de Malefoy. »

« Je ne sais pas… C'est une accusation grave… »

« Nous avons déjà au moins un témoin, qui fournirait un mobile, à défaut de véritables preuves… »

Sirius ouvrit grand les yeux, et s'efforça de coller encore davantage son oreille contre le mur…

« Mais, vous devez bien avoir plusieurs pistes. »

« C'est exact. Cependant, vous comprenez bien que je ne peux pas me permettre de vous en dire plus pour l'instant. »

Des Aurors, comprit le Maraudeur. Ce ne sont pas des Psychomages mais des Aurors...

La voix d'Magda fit irruption dans son autre oreille.

« Sirius ! »

Mme Pomfresh venait de sortir de la buanderie. Sirius se décolla du mur, arborant un visage innocent.

- Je vois, fit l'infirmière. Une telle grimace prouve que vous êtes encore capable de jouer la comédie, ce qui chez vous est un signe de bonne santé. Bon, vous pouvez sortir.

 

* * *


De retour au château, Severus, Bellatrix, Wilkes et Rosier tombèrent sur un couple inhabituel traversant le hall : Lucius Malefoy accompagné d'Alan Jodorowsky, le Serdaigle noir d'origine moldue qui était Préfet en chef. Mais l'entente entre les deux garçons de haute taille semblait loin d'être parfaite…

- Bon sang mais t'as de la confiture dans le cerveau ou quoi, Malefoy ? C'est pourtant pas compliqué. Un enfant de quatre ans…

- J'ai autre chose à faire de plus important, grogna Lucius. …Bonjour.

- De plus important ? Ah, vous tombez bien les bosseurs, ricana Jodorowsky. J'arrive plus à m'occuper tout seul du bureau d'aide aux devoirs et Malefoy est prétendument trop occupé.

- Les rondes et ce genre de conneries pleines de bons sentiments c'est fait pour les gens comme toi Jodorowsky : sans passé, sans projets et sans avenir.

- Hé, fais-moi le plaisir de baisser un peu le menton, Mussolini. Je n'arriverai jamais à comprendre comment des personnes bien ont pu s'intéresser à toi.

- Personnes bien ? Je ne vois pas de qui tu parles, répliqua Lucius avec un sourire glacial. Mais puisque tu insistes pour aider les nécessiteux et les pauvres d'esprit… Snape voudra peut-être me remplacer au bureau… Ça améliorera d'autant plus sa cote auprès de Dumbledore.

- Tu as été nommé préfet ? constata Severus à la vue de l'insigne constituée d'un P posé sur un serpent.

- Qui voulais-tu que ce soit d'autre ? s'étonna le blond en haussant les sourcils avec orgueil, tout en jetant un rapide coup d'œil vers Bellatrix.

- Al' ! Al' !

Une Serpentard aux cheveux et au visage rouges venait de faire irruption.

- Qu'est-ce qui se passe, Pimprenelle ?

- J'peux vraiment pas cet aprèm, j't'assure ! J'ai trois kilomètres de parchemin à rendre pour lundi !

La préfette braqua sur Lucius les yeux géants que lui faisaient ses lunettes.

- Malefoy ! C'est à toi de me remplacer !

- C'est bête Diggory, moi aussi je suis occupé cet après-midi figure-toi, mon magistère ne peut pas attendre. Mais il n'y a pas de problème, je suis sûr que Severus…

Bellatrix venait de sortir définitivement de sa torpeur et éclata de rire.

Et Severus eut beau se mordre les lèvres, trois heures plus tard il découvrait la décoration du local de l'APADI, l'Association Préfectorale d'Assistance au Désespoir Intellectuel.

À gauche, une table croulant sous les dossiers, surmontée par les portraits du Che et de Martin Luther King, vers laquelle Alan Jodorowsky, qui l'accompagnait, se dirigea immédiatement. À droite, une autre presque nue, et il n'y avait rien sur les murs.

- Tu prends ce bureau-là. C'était celui d'Angus. Tu vas voir, en fait c'est pas compliqué. Les gens viennent frapper quand ils ont un problème avec un truc, et selon ce que c'est, on le dirige vers toi ou moi en fonction de nos compétences. T'es bon en quoi ?

- Sortilèges, DFCM, potions surtout, répondit Severus en s'asseyant.

- Ok. L'important c'est la pédagogie. Tu essayes de te mettre à la place de l'élève en difficulté, d'épouser son point de vue pour comprendre pourquoi la connection ne se fait pas dans son cerveau.

- J'essaye de me mettre à sa hauteur, quoi, dit son cadet avec un sourire mauvais.

- Tout à fait.

- Hum, ça n'a rien à voir, mais… Tu connaissais bien Russell, je me trompe ? Dis-moi, il ressemblait à quoi à 11 ans ?

- Angus à 11 ans ?

- Pure curiosité, anticipa Severus en tripotant machinalement l'encrier.

- Bien, en fait… Je ne le fréquentais pas vraiment à cette époque. Il n'était pas très sociable comme type. Enfin, pas qu'il ne parlait pas, ça c'était plutôt le contraire il saoulait tout le monde, mais il était assez spécial. Je ne sais pas, c'est difficile à décrire comme sentiment. Il y avait quelque chose de… différent je crois qui émanait de lui, et qui vous mettait profondément mal à l'aise. Et le fait qu'il boitait n'arrangeait pas les choses. Tu sais ce que c'est, les grosses disgrâces physiques…

Oui merci je sais, grogna le Serpentard en son for intérieur. Puis il se redressa sur son siège, les sourcils froncés.

- Tu dis qu'il boitait ?

- Oui, il avait une jambe plus courte que l'autre, et tordue. Les bienfaits de la consanguinité, n'est-ce pas ? Il s'est fait opérer par Dumbledore à la fin de la première année, un truc qui a fait beaucoup de bruit. Et après ça les gens ont arrêté de le traiter de petit vieux, et de trucs pires. Il a beaucoup changé à ce moment-là.

- Changé… répéta Severus. Et physiquement, il ressemblait à quoi ?

- Plus petit et plus fin que la normale. Très pâle… Souvent une motte de poussière dans les cheveux, un sparadrap quelque part et un mouchoir dans la main. Je me souviens qu'il arrêtait pas de se moucher, ce qui n'était pas très… Hum. C'est tout ce que tu voulais savoir ?

- Je crois.

- Bon je vois que t'as du papier et de l'encre sur la table. Pour le reste t'as qu'à jeter un œil dans le gros tiroir, Angus mettait les trucs utiles dedans.

Severus aligna son matériel devant lui, puis fit coulisser le tiroir. Mais il n'y avait rien à l'intérieur. Que du noir… Un noir trop noir pour être une simple obscurité.

- Jodorowsky…

- Ouais ?

- Tu es bien sûr qu'il y a quelque chose dans ce tiroir ?

- À vrai dire je n'en suis pas certain à 100%. Pimprenelle n'a jamais osé y mettre la main.

Contemplant quelques secondes le vide intersidéral qui s'étendait entre les cloisons de bois, Severus se souvint alors de la besace sans fond que Russell avait utilisée le jour du premier match de Quidditch de l'année. Rassuré, il risqua dans le tiroir le bout de son index. Pas d'impression de froid, d'oursin mordeur… Plongeant son avant-bras entièrement, il tapa contre un premier objet, sans aucun rapport apparent avec les études, qu'il sortit sur le bureau. Mais c'était loin d'être le dernier.

Un esprit maniaque aurait pu s'amuser à dresser la liste complète de ce qui se trouvait dans ce tiroir cosmique, car la collection en était abracadabrantesque. Severus y avait trouvé, entre autres : un sac de pompons vert et argent, un opéra de Mozart, une boîte de thé vert, des paquets de cartes de Chocogrenouilles, un bulletin de notes, des Annales de BUSES et d'ASPICS, une photo des élèves de la maison Serpentard avec des petites cornes rouges et une moustache dessinées sur la tête de Bellatrix, une photo de l'équipe de Quidditch (Severus la glissa dans sa poche car Lucius y était particulièrement photogénique), les programmes officiels de l'école, un livre sur les perles, un autre sur les samouraïs, un soutien-gorge, une toupie, un aviron dédicacé, un kilt traditionnel, un flacon de Man Spirit – l'Eau des Sorciers qui ont le Charme –, une paire de gants bleu pervenche, un chapeau de la même couleur, un kit de manucure en étui brun, une casquette, des chaussettes rouges et jaunes à petits triangles, un sachet de poisson séché…

Severus ouvrit ce dernier article.

- Ne me dis pas que tu manges de ça toi aussi, s'étonna le préfet avec dégoût.

- Quoi ?

- J'adorais Angus tu vois, c'était mon pote, mais quand même… Il lui arrivait encore d'avoir de drôles de goûts parfois.

- Il mangeait ça ?

- En fait… Je ne l'ai jamais vu en manger devant moi… Mais une fois il m'en a proposé en affirmant que c'étaient des chips chinoises super bonnes. Bien sûr, j'ai demandé à regarder la chose : à Poudlard, il faut jamais accepter comme ça la nourriture qu'on vous propose… On a vite fait de se retrouver transformé en crapaud ou affecté d'une gastroentérite carabinée.

- Du poisson… dit Severus d'un air froid et exagérément méditatif. C'était peut-être ça le secret de son intelligence.

Alan Jodorowsky rit.

Les gens m'écoutent et rient à mes traits d'humour. Serais-je en train de devenir moins impopulaire ? se demanda le Serpentard tandis qu'il rayait d'un grand trait rouge la page d'exercices d'un élève de première année venu demander de l'aide.

- Ceci est un torchon d'inepties, est-ce que tu t'en rends compte, au moins ? Comment est-ce possible d'écrire de telles absurdités… En plus il y a trois fautes d'orthographes, là-là-et-là. Quoi, pourquoi est-ce que tu me regardes comme ça ? Tu ne vas pas pleurer tout de même ?

 

* * *


Deux semaines passèrent, janvier devint février.

Les Médipsychomages continuaient leur mission à Poudlard, mais seul Sirius et James savaient que McAlistair était en réalité un Auror chargé d'enquêter sur la mort de Russell. « Ça explique que Croupton fils l'ait déjà vu chez son père… » confia l'attrapeur à son meilleur ami.

Remus Lupin demeurait volontairement à l'écart, et Peter Pettigrew oscillait d'un groupe à l'autre. On aurait pu penser qu'il avait fini par ne plus savoir quelle attitude adopter par peur de se brouiller avec l'un ou l'autre clan, qu'il avait choisi de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, mais au fond Severus voyait bien que malgré l'obséquiosité et la lâcheté intrinsèques à son caractère, le petit rondouillard éprouvait de la pitié pour le frêle Maraudeur qui pendant trois ans avait été son compagnon dans l'ombre des deux autres.

Parfois, Sirius cessait d'ignorer Remus, le couvant d'un regard qui avait perdu toute fixité angoissée – on y décelait presque une sorte d'intelligence apaisée. Mais ces regards, loin de réconforter son camarade, semblaient accentuer sa souffrance. À force de sourires et d'écoutes complaisantes, le loup-garou parvint péniblement à se faire quelques connaissances à Serdaigle, mais aucun nouvel ami.

Blackmore (« quel surnom ridicule », pensa Severus) traînait de plus en plus avec Salinger et Jodorowsky, concurrençant Potter dans le roulement de mécaniques et le sentiment de faire partie des Grands. On le voyait également souvent avec la Fille Facile de Gryffondor, ce qui fit chuchoter la gente féminine et ne contribua pas à rétablir la réputation de l'ex à Steir. L'attitude du jeune Black à l'égard de Severus gagnait en revanche de jour en jour en agressivité. Il ne cessait de le provoquer, débarquant à l'APADI pour prétendument venir discuter avec son « vieil ami Alan », mais en réalité le ridiculiser devant les autres élèves, placardant des affiches mettant en garde la population contre le Vampire de Poudlard, lui renversant négligemment de l'huile sur la tête en cours de potion. Merlin soit loué, les interventions de Lucius ainsi que la protection rapprochée de la bande à Bellatrix épargnaient au Serpentard les dérapages les plus graves, mais de vampire il devint animal domestique, le « Caniche de Lucius Malefoy ».

Et il ne pouvait guère trouver de consolation dans la sollicitude de ses professeurs, car Agni, crispé, se montrait désagréable avec tout le monde, Marlene McKinnon l'avait pris en grippe depuis l'une de ses réflexions racistes, et Mme Méliès, dans son épuisement, s'était enfermée dans un autisme taciturne.

La deuxième rumeur importante de ce mois de février naissant concernait Metellus Honeytaste, le seul efféminé notoire de Poudlard. Severus l'avait entendue diffusée par Sanchez et Parkinson, qu'il avait définitivement identifiés comme étant les deux commères mâles de Serpentard. Les deux condisciples avaient entendu dire par un Serdaigle qui le tenait d'un Poufsouffle que la semaine passée, Honeytaste s'était envoyé en l'air avec un mystérieux inconnu dans les toilettes pour filles abandonnés du deuxième étage.

- Vous avez une idée de qui ça peut être ? demanda Severus en sortant de sa cabine de douche.

- Tu nous écoutais ? constata Parkinson en étirant vers ses tempes ses petits yeux en amandes.

Severus baissa la tête et se dirigea vers le lavabo de gauche ; le nez retroussé et les joues prononcées de Parkinson lui donnaient l'air d'un cochon en train de se faire la barbe.

- Non, j'ai juste entendu.

- Pour te dire la vérité, moi et Gabriel séchons encore. Ceci dit le fait que ça se soit passé dans les chiottes de Mimi Geignarde aurait tendance à indiquer que le mystérieux enculeur inconnu n'est pas un Poufsouffle.

Gabriel Sanchez s'essuya le visage puis attacha ses longs cheveux noirs.

- Tout ce qu'on sait c'est qu'il portait des chaussettes blanches, déclara-t-il, ce qui ne nous avance guère.

- Et que ce n'est pas un mec de notre classe, du moins un Serpentard.

- Pourquoi ?

- Pff, Snape, on a des têtes à se faire touiller le chaudron moi et Gabriel ? Quant à Lucius, le jour où il arrêtera de courir après les nanas…

- Il reste Avery…

- Avery ? Attends, il est pas capable de choper une fille, alors parlons pas d'un mec…

A ces mots, un garçon tout mouillé sortit de la dernière cabine de douche occupée.

Ainsi que l'avait décidé la Loi de Murphy, c'était Avery naturellement. Les yeux obstinément fixés sur l'entrée du dortoir, il traversa la salle de bains à toute vitesse.

 

* * *

 


- Oh, je sens venir les premiers frémissements du printemps, Severus. Ne les sens-tu pas sous tes pieds, et comme disséminés dans l'air ?

- Non.

Gwénolé Kouign-Aman, dont le bureau disparaissait sous un chantier artisanal assez mal défini, vida d'un trait son verre de liqueur.

- Je t'en sers un verre ?

- Non merci. Je voudrais voir votre chef.

- Il n'est pas là, répondit tristement le breton. Il est parti se promener avec Minerva.

Et dire que c'est lui qui m'accuse d'aimer les hommes, pensa Severus. Il ferait mieux de s'examiner lui-même avant d'accuser les autres.

Gwénolé jeta un sort de séchage sur la petite poupée blonde dont il venait de finir les yeux, et en fit tourner la minuscule tête vers Severus.

- Les travaux manuels, Severus. En nous réconciliant avec notre corps, ils purgent notre âme.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Des marionnettes pour la kermesse de l'école.

- C'est bientôt ? demanda Severus, se représentant déjà les indicibles souffrances que le mot « kermesse » sous-entendait : inondation de foule, infiltration nauséabonde de parents dans tous les recoins de l'école, cohorte de couples se tenant par la main comme des attardés mentaux, décoration de mauvais goût, liesse bon marché et profusion de crêpes et de Julius Baxter brandissant des barbes à papas et autres sucettes géantes.

- La semaine prochaine. Après l'anniversaire de Lucius. Tu as prévu de lui offrir quoi comme cadeau ?

- Mais de quoi je me mêle ?

- Je dis cela pour t'aider, dit le psychomage en se resservant un verre d'eau de vie. Il serait peut-être temps d'y réfléchir. Tu veux voir le patron à quel sujet ?

Il sortit le cahier des rendez-vous et regarda l'élève dans les yeux, d'un air exceptionnellement sérieux.

- Alors ?

- La raison exacte est que je suis actuellement sujet à des hallucinations. D'après mon autodiagnostic je suis en train de vivre les premiers symptômes de la folie.

 

* * *


Au crépuscule, tandis que la lande tremblait sous la brise d'une cornemuse invisible, une fumée à l'odeur suspecte avait envahi le plus haut dortoir de la Tour des lions.

Les tapisseries médiévales et les murs de pierre nue avaient été recouverts par des tentures indiennes. Eric Salinger, Alan Jodorowsky et Sirius Black étaient affalés sur un parterre de coussins à même le sol, se passant une cigarette de calibre inaccoutumé, dont la combustion se mêlait à celle des bâtons d'encens. Les yeux écarquillés, Black n'arrêtait pas de répéter Six o'clock en dévisageant le cercle de la pendule. Un disque portant la simple inscription « The Stooges » tournait sur la platine.

- Ça m'a rappelé ce moment de Tommy tu vois… ajouta Jodorowsky.

- Quand il se fait martyriser par son cousin ?

- Non, quand on le confie à son oncle pervers.

- Vous savez… je crois qu'on a tous un monstre à l'intérieur de nous, déclara Sirius, dans un de ses grands moments philosophiques qui en général n'étaient jamais suivis de mise en pratique.

- Ouais…

- C'est profond…

Les yeux mi-clos, comme assommés par le poids d'une réflexion intense, les trois garçons s'abîmèrent dans le silence, bercés par la voix lancinante d'Iggy.

Tonight

I hold myself tight

I won't fight

I won't fight

Then I whisper to me

Then I whisper to me

Then I 'll lay right down

and I 'll lay right down

on my back

on my bed

in my hotel *


Derrière l'étole bariolée, le soleil était sur le point de se coucher, de même que plus bas, dans la fenêtre de l'infirmerie.

La jeune fille aux longs cheveux qui était assise en face des deux hommes se cachait le visage dans les mains, le corps secoué de longs soubresauts.

I'll be shakin' I'll be tremblin'

I'll be happy, I'll be weak


Elle avait fondu en larmes en plein milieu d'un cours. McAlistair se pencha au-dessus d'elle.

And I'll love you,

- Oui, ne te retiens pas, cela te fera du bien.

Elle retira ses mains, regarda de côté. Son visage rouge était mouillé de larmes.

and I'll love you

- Je pleure, et je ne sais même pas pourquoi je pleure. Quelle honte. Quelle honte…

- Ne vous inquiétez pas pour cela, Melle Black. Demain ils ne s'en souviendront même plus… Et il n'y a aucune honte à être amoureuse.

La jeune fille éleva vers lui de grands yeux étonnés. Le psychomage lui tendit son mouchoir pour seule réponse, puis se rapprocha de son apprenti.

- Combien de temps ? murmura-t-il à son oreille.

- Trois mois je crois.

Il passa une main sur le front blanc et pur de la jeune fille. Ses yeux se fermèrent.

- Regarde, on dirait presque une sorte de figure mystique…

- Oui. On pourrait en faire une jeune bergère de crèche.

Gwénolé avait sorti d'un bocal une petite figurine de plâtre.

- Voilà qui était beaucoup plus efficace qu'un philtre d'amour…

- Pauvre Russell… murmura McAlistair. En être réduit à ça.

- Pauvre ? Ce n'est pas le mot qui me vient à l'esprit.

L'Auror tendit la main pour recevoir la statuette de femme – une flèche dorée était fichée dans sa poitrine, à l'endroit du cœur. Il éleva la main droite ; d'un coup de baguette, le fétiche ensorcelé s'enflamma. Et quand il ne resta plus rien dans la paume de l'homme, Bellatrix ouvrit à nouveau les yeux, comme si le monde entier lui apparaissait soudain complètement différent.

Gwénolé soupira et regarda les lambeaux de brume qui mourraient au-dessus du lac, enflammés par le crépuscule.

- Libérez vos cheveux, jeunes filles… L'hiver touche bientôt à sa fin.

 


à suivre

 



You took my arm and you broke my will

You made me shiver with a real thrill

You took my arm and we walked along

Down the road to a quiet song

I looked into your cool cool eyes

I felt so fine, I felt so fine

I floated in your swimming pools

I felt so weak, I felt so blue

Ann, my Ann…

I love you…

Ann, my Ann…

I love you… right now !


(Ann, The Stooges, 1969)

 

 

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