Les rats et les fées

Harry Potter - J. K. Rowling
F/M
Gen
M/M
R
Les rats et les fées
Summary
"Snape a toujours été fasciné par la magie noire, il était réputé pour ça quand il faisait ses études. Un type répugnant, avec ses airs doucereux et ses cheveux gras. Quand il est arrivé à l’école, il connaissait plus de sortilèges que les élèves de septième année et il faisait partie d’une bande de Serpentard qui sont presque tous devenus des Mangemorts."Récit de la quatrième année scolaire de Severus Snape à Poudlard, qui tournera au Cluedo macabre.Nouveau chapitre : Le joueur de flûte de Hamelin.
Note
Remarques importantes :- Quand j'ai commencé à écrire cette histoire, en 2003, je venais de finir de lire le tome 4, et le 5 n'était pas encore sorti. Elle est compatible avec le canon jusqu'au tome 6 inclus (à l'exception d'éléments concernant l'âge des personnages, leur généalogie, les Mangemorts, vu que j'avais dû imaginer pas mal de choses). On pourrait dire qu'il s'agit d'une sorte d'UA dans lequel Lily Evans et Severus Snape ne se connaissaient pas avant Poudlard.(Mais j'avais tout de même eu la vision d'un Malefoy pleurant dans une salle de bains et d'un intello avec une besace sans fond avant que ça n'apparaisse dans les livres, s'il-vous-plaît !)- Elle suit la forme des livres, avec un héros (ici, Severus Snape jeune), et son année scolaire. On pourrait d'ailleurs presque l'appeler "Severus Snape et la Potion de Gloire"... Elle devrait comporter 21 chapitres en tout (soit trois parties de sept chapitres chacune).- J'ai suivi l'orthographe originale des noms, à l'exception de Crouch/Croupton et Malfoy - je trouve "Malefoy" plus joli.
All Chapters Forward

Joyeux Noël

 

En son bel habit tâché de sang argenté, le Baron Sanglant flottait en tournoyant dans l'escalier de pierre, le visage inhabituellement triste...

« Hélas », monologuait-il, « faut-il que la solitude soit à jamais mon lot ? J'effraie jusqu'à mes camarades fantômes, jusqu'aux élèves de ma propre maison... Oh, mais voilà le familier de Miss Bella. »

Postée devant l'un des vitraux, une chatte grise aux beaux yeux verts l'observait en bougeant sa petite tête majestueuse, semblable à un hibou. Derrière elle, de gros flocons déchiquetés d'un blanc lumineux tombaient dans l'obscurité comme des bouts de soie, sans faire le moindre bruit.

Une salamandre éclatante glissa son long corps fin sur les marches. Un garçon à la silhouette hâve venait à sa suite.

L'élève sentit la froideur du fantôme lui glacer le sang lorsqu'il descendit les escaliers.

- Bonjour, Baron, dit-il.

- Tu n'es pas le premier levé aujourd'hui, Severus Snape.

Le spectre eut un ricanement sinistre.

- Tu es l'une des rares personnes à ne pas avoir peur de moi, le sais-tu ?

Severus s'abstint de tout commentaire alors que l'âme défunte poursuivait ses circonvolutions vers le haut de la tour. Il s'arrêta plus bas et ouvrit une des petites verrières. L'odeur de la neige et le silence du matin lui rappelèrent Londres, ses réverbères et ses congères poudreuses sur les trottoirs.

Il bailla, frissonna et ferma la fenêtre.

Depuis quelques jours, il était de nouveaux sujet aux insomnies. Il mettait ça sur le dos des crampes qui lui déchiraient les jambes. Il s'était regardé dans la grande glace de la salle de bains une fois habillé et avait eu l'impression qu'il était plus grand qu'en septembre. Un adolescent très mince, semblant plus âgé que la plupart de ses camarades, le front étroit, le nez busqué, de longs yeux noirs. Quelle importance, il ne se voyait presque jamais.

Il trouva le préfet en pyjama dans la salle commune, assis dans un fauteuil, les genoux repliés devant lui, pieds nus. Severus fut surpris par l'expression inhabituelle de ses traits. Son regard était vide, les commissures de ses lèvres tombaient, ses sourcils étaient figés dans une noble immobilité. Il observa plus attentivement son visage, comme il avait observé le sien peu de temps auparavant : des cheveux châtain foncé, les mèches ondulées de la frange au dessus d'un regard vert pâle, un nez droit, quelque chose de grec dans la géométrie des traits. Severus n'avait jamais remarqué qu'il avait tous ces anneaux d'argent aux doigts et se surprit à penser qu'il était dommage qu'il n'ait pas les épaules un peu plus larges.

Lorsque Russell se rendit compte de sa présence, il retrouva son visage, comme un acteur comique arbore la grimace qui a fait son succès et qui est à présent sa marque de fabrique. Ses sourcils se mirent aussitôt en mouvement.

- Ah, tellement de choses à faire pendant ces vacances, Severus... soupira-t-il.

C'était la première fois qu'il l'appelait par son prénom.

- Tu as travaillé toute la nuit ? lui demanda son cadet.

- Non ! Je me suis levé toute à l'heure... Mais c'est le dernier jour de cours.

Il bailla.

- Ça devrait passer vite, conclut-il.

 




L'heure de Flitwick s'écoula rapidement en effet ; Gilderoy Lockhart, assis auprès de Lily Evans, ne lui lançait plus de ces petits clins d'œil ailés, ce qui était bon signe. Le deuxième cours de métamorphose de la semaine avait lieu de 10h à 12h ; il était plus long et rassemblait les deux dizaines d'élèves de Gryffondor et Serpentard.

Black et Potter se retrouvant à plusieurs mètres de distance l'un de l'autre (mais oui, ils étaient toujours là, ils avaient seulement écopé d'une retenue après leur escapade nocturne, pensez-vous), les craintes de Severus se trouvaient néanmoins diminuées : lorsque Black était assis auprès de Lupin, c'était sur le timide Gryffondor que retombait toute sa verve blaguesque. Severus avait déjà eu l'occasion de s'en apercevoir lors des trois années précédentes... Il admirait presque la patience dont faisait preuve l'élément non-hystérique de la fratrie à l'égard de Black. Tantôt ce dernier lui racontait les dernières blagues dont s'était enrichi son vaste répertoire sur les trolls, harpies et autres (ces blagues ne faisaient absolument pas rire Severus), tantôt il croquait le professeur, puis montrait fièrement le résultat à son voisin ; il lui donnait de fausses dragées surprises (Remus s'étonnait de toujours tomber sur « cire d'oreille » ou « épinard »), dessinait « Les Aventures de Remus » (Remus y était bizarrement affublé de courtes oreilles pointues) - mais lui arrivait-il de suivre en cours ? Telle était la question qui hantait Severus Snape, qui ne comprenait pas comment cet imbécile heureux parvenait à avoir des notes similaires aux siennes dans la plupart des matières, à l'exception des potions.

« Aujourd'hui nous allons nous entraîner aux métamorphoses gastronomiques. Vous prendrez ces plumes comme objets de départ. »

Severus regardait tomber les flocons entre deux exercices - il les réussissait tous du premier coup. Poudlard était en ce moment merveilleusement décoré. Pour la première fois de sa scolarité il allait y passer les vacances de Noël, et cela ne le chagrinait guère.

« Melle Hopkins, vous prononcez mal la formule... Bien M. Snape... M. Black, je vous ai demandé de transformer cette plume en brioche, non de chatouiller le cou de votre voisin de devant avec. Hum, c'est mieux. »

Sûr, ce crétin s'y connaît dès qu'il s'agit de faire mumuse avec les aliments...

Sirius avait fait la grimace puis transformé sa plume. Il avait encore davantage abreuvé Remus de clowneries depuis qu'il le savait loup-garou, sans doute pour le consoler de ses malheurs. Si le sagace Serpentard ignorait cela, il commençait néanmoins à avoir des doutes sur les « maladies » de R. J. Lupin. Le garçon aux cheveux châtains semblait à tous un adolescent très fragile : il tombait malade tous les mois, et ce dès que la pleine lune approchait. L'iris qui entourait les pupilles de ses yeux gris se mouchetait d'ambre. Il était enfin constamment fatigué, parfois à la limite de l'épuisement.

Mais pour Severus le cas était indiscutable, la pitrerie de Sirius était congénitale et n'avait rien à voir avec la lycanthropie de son camarade. Black n'était qu'un « cornichon » tombé dans une marmite de potion de chance quand il était petit, se révélant particulièrement malfaisant à qui le voyait sous son véritable jour.

« Parfait M. Potter. C'est une vraie brioche, félicitations ! Je donne cinq points à Serpentard et à Gryffondor. »

Une révolte muette fit sourciller Severus : s'il avait été professeur, il aurait déjà retiré dix points à Gryffondor en raison de l'indiscipline de Sirius.

« Vous pouvez les manger, pour ceux qui les ont réussies », conclut alors McGonagall en souriant.

L'heure du repas approchant, cette proposition fut exécutée avec empressement. Remus, dont le ventre commençait à gazouiller, jeta un regard dépité sur sa brioche verte en forme de bretzel ; Sirius lui donna une petite tape de la main gauche pour qu'il se retourne, sa brioche réussie dans la main droite.

- M. Black, intervint McGonagall d'un air agacé, M. Lupin aimerait bien pouvoir suivre le cours. Cessez de l'importuner.

- Je voulais juste lui donner ma brioche, répondit Sirius.

- C'est une délicate attention, mais je sais bien que vous avez toujours réponse à tout.

Ah-ah. Prends ça, sale petit con.

La brioche resta donc sur le pupitre de son propriétaire, et Remus, livide et clignant des yeux, s'arc-bouta au dessus de sa table, broyé par l'abyssal vide qui grondait au centre de son estomac. Les Serpentard gloussaient. Severus ne riait pas, mais à côté de lui, la tête de hamster de Julius, son voisin de dortoir, pouffait en saccades. Quant à Macnair, il était bien trop tourmenté par les disparitions mystérieuses de ses bouteilles pour s'apercevoir de ce qui se passait. « Cela ne peut être que le Baron Sanglant », murmurait-il.

Remus leva des yeux de tragédien vers l'horloge de la classe : il était onze heures et quart. Heureusement pour lui, le professeur de métamorphose leur tourna le dos un instant, et ce fut sans la moindre incrédulité que Severus vit une belle petite brioche dorée aller se poser toute seule sur la table de Remus, tandis que la gomme à encre de Sirius Black, propulsée par un bras vengeur, allait heurter de plein fouet le front du gondolé Julius sous les applaudissements silencieux de Potter et Pettigrew. Les yeux brillants, Minerva McGonagall pivota sur elle-même au moment où la dernière moitié de brioche disparaissait dans la bouche du supposé loup-garou.

- Professeur ! éructa Baxter. Black m'a lancé sa gomme dans la figure !

- M. Black ! s'exclama McGonagall. Prenez vos affaires et levez vous.

Oui, qu'il sorte de cette classe... S'il vous plaît faites-le sortir de cette classe...

- Oui, mettez vous là, devant le bureau. Plus vite que ça. Voilà. Décidément, vous êtes insupportables dès que vous êtes tous les quatre ensembles. J'enlève cinq points à Gryffondor pour votre comportement dissipé. Et cinq points à Serpentard pour rires injustifiés pendant mes cours.

Julius Baxter ouvrit grand la bouche, mais il n'en sortit rien. Les minutes passèrent, le rose réapparut progressivement sur les joues de Remus qui revenait à la vie, mais semblait confus d'avoir involontairement provoqué cette perte de points. Sa migration ne calma pas Sirius pour autant et la directrice adjointe dut le rappeler plusieurs fois à l'ordre.

« ...M. Black, cessez de vous retourner et concentrez vous sur le cours... »

Puis ce fut la leçon d'astronomie, déplacée en fin d'après-midi pour cause de temps nuageux ; elle eut donc lieu à l'intérieur, dans le planétarium.

Melle Méliès expliquait la position des étoiles et planètes de sa voix semi-comateuse habituelle. Ses cheveux bruns étant coupés très courts, ses lourdes boucles d'oreilles rondes luisaient dans l'obscurité de part et d'autre de son cou comme deux astres d'or. Parfois on voyait ses yeux, ou plutôt ses longs faux-cils de poupée battre la cadence de ses phrases et de ses regards lents, très lents, si lents... Le trimestre avait été long, il faisait noir et chaud sous le dôme étoilé... Remus Lupin tomba à la renverse sur les tapis, englouti par un profond sommeil.

 




Le Gryffondor ne réapparut pas au dîner.

- Où est Gussie ? Il ne vient plus aux repas, s'étonna Avery.

- La dernière fois que je l'ai vu manger c'était hier matin, déclara Lucius.

- Alors il s'alimente, ricana une septième année. C'est quand même un être humain.

- Angus humain ? Tu déconnes ! s'exclama Parkinson.

Sanchez leva l'index et prit un air sentencieux : « Un repas trop copieux alourdit l'esprit ».

- Tu le fais bien ! s'exclama Rosier.

- Cela fait quand même cinq ans que je me demande ce qu'il fait à Serpentard, dit un autre.

- C'est une pauvre petite brebis Poufsouffle égarée, dit Bellatrix.

- Vous croyez qu'un Poufsouffle aurait fait ce qu'il a fait il y a trois ans ? fit Lucius.

- Oui, tu as raison, approuva Avery. C'est plutôt Gryffondor ça.

- Qu'est-ce qu'il a fait ? demanda Bellatrix.

- On était tous devant le gouffre, raconta Sanchez. C'est un endroit pas loin de Pré-au-lard. Il y a plus de six mètres d'un bord à l'autre. Au Moyen-Age, les moldus y faisaient sauter les femmes soupçonnées d'être infidèles ou de pratiquer la magie. Avery disait qu'il faudrait être fou pour sauter ça, et que ça ne l'étonnait pas qu'ils aient condamné tant de femmes. Angus a répliqué qu'il n'hésiterait pas à le faire, lui. On ne l'a pas cru, bien sûr. Alors il a pris son élan, et il a sauté. Une fois de l'autre côté, il a éclaté de rire et s'est mis à se foutre de notre gueule. Il aurait pu se tuer.

- Il a fait ça pour se faire remarquer, c'est tout, affirma Bellatrix de sa belle voix grave. Je ne peux pas supporter les gens comme lui, qui portent leurs opinions comme des chemises et qui rampent devant les professeurs...

L'arrivée d'Angus Russell stoppa net la discussion. Il s'installa devant Lucius.

- Tu t'es enfin décidé à te nourrir ?

- Moi je travaille, moi je ne suis pas comme certains à m'amuser à taper la discute avec tout le monde, moi.

- Il faut que tu manges, Gussie, miella Bellatrix, tu es tout maigrichon.

Les petites narines d'Angus frissonnèrent.

- Mais je ne te destine pas mon corps, Bellatrix, répliqua-t-il d'un ton sec.

Avery explosa de rire, et même Lucius se dérida. Le préfet piqua sa fourchette dans un plat de viande et en retira un steak immense qu'il attaqua férocement. Bellatrix, les joues rouges, semblait furieuse.

- Tout est prêt pour ce soir, annonça la préfette - Pimprenelle Diggory, une élève de septième année aux cheveux de cuivre. Tu as eu une chouette idée, Angus. Ça va nous détendre un peu.

Le préfet avait pensé qu'il serait intéressant d'organiser une veillée étant donné que seul quelques élèves se trouveraient à Poudlard lors du banquet de noël.

Pimprenelle avait décoré la salle commune avec autant de talent que le professeur Flitwick. Severus fut quasiment le seul à garder son uniforme, grignota trois amuse-gueules et alla s'asseoir sur un sofa. Il réfléchissait à la façon dont il allait occuper ses vacances quand il s'aperçut qu'on lui tendait un verre rempli d'une liqueur dorée ; il releva la tête : c'était Angus. Vêtu d'une robe grise à plis amples et le front ceint d'un bandeau vert, il n'avait brusquement plus rien à voir avec le jeune homme populaire à la pluri-activité démentielle, plus semblable à cet instant à un antique augure lui tendant une mystérieuse potion. L'uniforme enlevé, son originalité apparaissait au grand jour : ce n'est qu'alors que Severus réalisa que l'élève consciencieux aux notes excellentes était sans doute en passe de devenir, si ce n'était pas déjà le cas, un sorcier très puissant.

- Un verre de ce spirituel spiritueux, Snape ?

Severus fit non de la tête.

- Allez, laisse-toi tenter...

Il avait prononcé ces mots avec un pétillement dans les yeux, un peu comme Dumbledore lorsqu'il donnait un double sens à ses phrases.

- Je te croyais pro-tempérance, ironisa Severus.

- Pas quand il s'agit de quelques verres les jours de fête. Cela va te détendre un peu.

- Alors allons-y.

- Joyeux Yule.

Le préfet lui donna son verre puis le quitta brusquement pour aller rejoindre Wilkes, Rosier et Avery, comme s'il venait de se rappeler qu'il avait quelque chose à leur dire. Il aborda le petit groupe en faisant jouer son index : - Ah les gars, lança-t-il joyeusement, j'ai découvert des choses sur notre professeur d'astronomie et accessoirement directrice... Si vous saviez... Vous n'oseriez plus aller à ses cours.

- Ton boulot ça n'est pas de surveiller les profs, rétorqua Rosier. Il pourrait t'arriver des ennuis.

Angus haussa les épaules.

- À quoi ça sert de bosser comme un malade pour avoir de super bonnes notes ? fit la voix de Julius derrière le sofa. Moi quand je serai plus à Poudlard, je rejoindrai Vous-savez-qui et je ferai ce que je veux.

- Baxter, fit une voix traînante, t'es tellement crétin que Tu-sais-qui ne voudrait pas de toi pour laver sa vaisselle.

Plus de voix de Julius Baxter pendant cinq minutes.

- Où est Macnair ?

- Il est parti se resservir de la Bièreaubeurre.

- Severus ?

Des cheveux noirs pendirent dans le champ de vision du premier de la classe. Severus leva les yeux : Bellatrix s'était penchée au dessus de lui.

- Tu es fatigué ?

- Un peu, oui.

Elle fit le tour du canapé et s'assit à côté de lui.

- Lucius Malefoy n'est pas venu te parler ces derniers temps ? demanda-t-elle à voix basse.

- Si. Pourquoi, qu'y a-t-il d'exceptionnel à cela ?

Il but une gorgée de son verre. Pas mauvais.

- Je voulais juste te dire de te méfier de lui, répondit Bellatrix. Si tu cherches des amis... Il y a moi, Evan, Roger... Tu peux faire confiance à Avery également, bien qu'il ait de mauvaises fréquentations.

Elle entortilla une de ses soyeuses boucles noires autour d'un de ses doigts.

« De mauvaises fréquentations », songea Severus. Il se rappela les paroles de Dumbledore. « Fais attention à tes fréquentations »... Pff. Il était assez grand pour savoir qui était bon à fréquenter. Bellatrix n'hésitait pas à violer le règlement de façon éhontée ; un peu comme Sirius Black. Evan Rosier lui était sympathique, malgré ses manières de voyou. Idem pour Roger Wilkes. Depuis quelques temps Severus n'appréciait plus Avery - sans doute ses insinuations au sujet de ses rougeurs.

- Oui... Pourquoi devrais-je me méfier de Lucius Malefoy ? s'étonna faussement Severus.

Il tira une autre lampée de ce liquide qui lui réchauffait l'œsophage.

- C'est un hypocrite.

La belle jeune fille lui était de plus en plus désagréable. Pourtant il n'arrivait pas à la détester totalement. Il doutait, et se haït soudain lui-même.

- Pourquoi dis-tu cela ? questionna-t-il, résolu à ne pas lâcher l'affaire avant qu'elle lui ait tout dit.

- Déjà, c'est un Malefoy. Je vois bien de quelle trempe il est. Il ne pense qu'à lui. Les autres ne l'intéressent qu'en tant que moyens ou reflets de son propre pouvoir.

- Très bien. Tu n'as qu'à aller lui dire.

- Il sait déjà ce que je pense de lui. Mais moi je doute que tu saches ce qu'il pense de toi.

Elle se leva, courut elle aussi vers le groupe Rosier/Wilkes, le plantant là. Les yeux du jeune Snape devinrent moites ; il finit son verre d'un coup pour dissiper la douleur naissante au creux de ses intestins.

Il dodelina de la tête. Seuls de petits îlots de conversation surnagèrent alors de sa somnolence, voilés de brume.

« Ce mage noir... Vous-savez-qui... »

« Vous croyez qu'il est le nouveau Grindelwald ? »

« Si Voldemort n'a pas encore pris le pouvoir, cela veut dire que Dumbledore est plus fort que lui. En fait, il y a un point que Voldemort doit atteindre dans le recrutement de ses adeptes et les démonstrations de force ; s'il arrive à ce point, c'est là que tout sera joué, car les opportunistes afflueront. Et à ce moment là, à moins d'un miracle... »

C'était la voix de Russell. Celle d'Avery lui succéda.

« Beaucoup de gens pensent déjà comme lui, tu sais. Toute cette racaille qui nous singe et se mêle à nous... Nos pouvoirs s'affaiblissent et notre identité s'émiette. Si ça continue, le monde des sorciers ne sera bientôt qu'un souvenir. »

« N'importe quoi ! Si vous vous intéressiez à la science moldue comme moi, vous découvririez que les Moldus sont plus intelligents que les Sorciers... Les sortilèges nous sont très utiles, c'est vrai, mais ils n'apportent pas la véritable connaissance. »

« Alors c'est ça tous ces bouquins que tu lis tout le temps... »

« Entre autres... et ? »

« Tu n'en as pas assez de passer ton temps à bouquiner ? Tu crois que parce que tu lis tout le temps ça te rend plus intelligent que les autres ? »

« Oh, bien sûr, toi tu as la science infuse, pauvre petite bécasse inculte. »

« Angus, fiche-lui la paix, un peu... »

« C'est elle qui m'agresse. »

« Tu fais quoi pendant les vacances Walden ? »

« Je vais aller chasser avec mon père... »

« Et toi Daisy ? »

« Moi je vais aller voir un oncle à Londres, vous le connaissez, il tient la célèbre boutique de baguettes ! »

« Mais qui a eu l'idée d'inviter le Baron Sanglant ? »

« Je sens comme un froid tout d'un coup les filles... »

Bientôt plus rien ne surnagea.

« Hé ! Visez ça ! Snape pionce ! »

« Qu'est-ce qu'on fait ? On va pas le laisser là... »

« On peut le monter en haut, nous. »

« Laissez, je vais le faire. »

Avant de s'endormir complètement dans le lieu bien connu où son corps savait qu'il pouvait se laisser aller, Severus vit une chevalière luire un instant près de son visage.

 

 


 



Le lendemain matin, tous les Serpentard qui quittaient Poudlard pour rentrer chez eux étaient en train de se rassembler dans la salle commune, en civil. À présent qu'il connaissait mieux une partie de ses camarades, Severus « voyait » plus de choses que l'année dernière, parce que son attention se fixait sur des points précis.

D'abord il y avait Lucius. Tout habillé d'un noir glacé et paré de ses étincelants bijoux et cheveux d'argent, il était occupé à remplir avec morgue des formulaires que le préfet lui tendait. La couleur sombre de ses vêtements bleuissait ses yeux – associée à la pâleur surnaturelle de ses cheveux, elle donnait un caractère malsain à sa beauté. On pouvait donc être blond et posséder la noirceur plastique d'un mage noir... C'était comme s'il y avait une « teinte » inquiétante dans Malefoy : elle repoussait, mais était tout autant subtilement et puissamment attirante.

Le préfet glissa son regard marécageux et bordé de cernes vers Bellatrix. Stationnant comme eux non loin de la porte du caveau, elle portait une cape pourpre pour sortir dans la neige. Lucius la regarda d'un air approbateur.

- Ah, mon pauvre Lucius, soupira Angus en rangeant les papiers dans son sac, tu ne sais vraiment pas t'y prendre avec les filles. Pour qu'elles s'intéressent à vous, il faut jouer l'indifférence, c'est bien connu.

Comment ose-t-il... C'est le monde à l'envers, pensa Severus.

Lucius jeta au préfet un regard que Macnair aurait qualifié de « meurtrier ».

- La ferme, Monsieur Je-sais-tout, répondit-il avec hauteur.

- Tu es vraiment... méchant, articula Angus avec un petit air blessé.

- Tout le monde ne s'appelle pas Albus Russell.

- Hélas non, je n'ai pas encore atteint sa hauteur.

Lucius ricana.

- En tout cas tu es sur la bonne voie, tu ressembles déjà à une vieille grand-mère...

Le premier de Poudlard fronça les sourcils, l'air amusé. Quant à Bellatrix, elle venait d'apercevoir les deux garçons ; Severus crut alors voir un enfant qui, à la vue de son joujou favori, court vers lui le visage joyeusement excité par l'anticipation. Elle quitta ses blonds acolytes pour rejoindre « Lèche-bottes numéro 1 ».

- Sois gentille Black, répondit le préfet avant que la brune ait prononcé un mot, ne te mets pas dans mon compartiment tout à l'heure.

Bellatrix eut ce même air furieux qu'on lui avait vu au dîner la veille. Mais contrairement à ce qu'attendait Severus, la jeune sorcière prit immédiatement après un air à la fois innocent et hautain, tripotant ses longs cheveux, ce qui était bien plus inquiétant.

- Dis Russell, c'est vrai que quand tu étais petit tu avais une patte plus courte que l'autre ? Comment tu faisais pour marcher ? Tu avais une canne comme les petits vieux ou une béquille comme les infirmes ?

Lucius tressaillit du regard. Le préfet ouvrit la bouche un instant, puis explosa, le doigt brandi comme une baguette : - Tu sais quoi Bellatrix ? Va te faire foutre !

Severus se demanda si cette histoire d'infirmité était vraie car il avait toujours vu Russell avec deux jambes de la même longueur. Quoiqu'il en soit Bellatrix le traita de « minable » et fit demi-tour. Angus baissa la tête et ferma son allait dire quelque chose, quand il fut interrompu par trois minuscules Serpentard blonds qui se mirent à agiter une carte de vœux manifestement artisanale sous le nez du préfet ; Lord Malefoy fit retraite devant les morveux et disparut du champ de vision de Severus.

- Joyeux Noël Angus !

- Merci les enfants, fit le jeune homme en souriant. Si vous voulez que je vous aide pour vos devoirs de vacance, envoyez-moi la copie de vos exercices par hibou... Bon, je crois que tout le monde est là.

Il haussa la voix.

- Personne ne manque ? Alors tous en rang, on me suit jusqu'aux calèches !

Severus songea que Lucius aurait du mal à passer inaperçu dans la gare de Londres vêtu comme il l'était. Il entendit Walden Macnair lui souhaiter de bonnes vacances, puis vit les élèves de sa maison disparaître à la suite du préfet. Deux secondes de silence.

- Moi qui croyais que j'allais avoir le dortoir pour moi tout seul, déclara une voix derrière lui.

Severus se retourna ; c'était Lucius Malefoy, assis sur le divan comme s'il avait été sa propriété personnelle. Il était affalé, mais pas comme l'un de ces bourrins de sportifs, non, il était affalé comme un seigneur.

- Je reste souvent à Poudlard pour Noël, poursuivit-il en accentuant l'ellipse féline de la courbure de ses paupières. Mais toi, c'est la première fois que je te vois rester.

- Mon père préférait que je reste ici.

Lucius eut un instant l'air peiné.

- Oh... Pourquoi ?

- J'ai beaucoup de travail, mentit Severus.

- Je vois... Ce n'est pas grave, j'aurais un peu de compagnie. Mais je ne reste que la première semaine, ensuite je rentre chez moi. J'ai des choses à voir là-bas.

Seul... Avec Lucius. Pendant une semaine. Un mélange d'angoisse et de joie submergea Severus.

- Je crois que je vais aller m'entraîner un peu aujourd'hui, dit l'autre.

Il prit son matériel et partit pour le terrain de Quidditch ; Severus Snape demeura silencieux quelques minutes dans la salle commune déserte, puis descendit s'enfermer dans son cachot, d'où il ne sortit que vers sept heures.

Une partie de son corps espérant trouver le capitaine dans le grand hall, il remonta alors jusqu'aux niveaux humains. Mais les coups dans sa poitrine sonnèrent dans le vide. Il ne vit que des filles et des gamins de deuxième année à la table de sa maison.

Du côté des professeurs, le maître des potions était en train de se faire laminer aux échecs par la directrice de Serpentard. Bhima Agni interpella l'élève lorsqu'il passa près de lui.

- M. Snape, si vous voyez M. Malefoy, demandez lui donc si son magistère de Potion avance.

- Ils ne devraient pas avoir de problèmes, tous les deux, intervint Melle Méliès d'un ton léthargique en bougeant son fou d'une des petites mains qui dépassait à peine de ses longues manches noires crénelées.

- Je vous avais parlé du sujet : « Mettre la gloire en bouteille ».

- Rien que ça. C'est très ambitieux.

- Plus qu'ambitieux même. Mais la potion sera calibrée pour l'un de mes cobayes, un rat. Cela rend la chose faisable, bien qu'extrêmement difficile. Personne ne l'a réussi auparavant.

- Intéressant. Une sorte de dérivé de Felix Felicis ?

- Non, cela va bien au-delà de cela. Malefoy est exceptionnellement doué cela dit.

Il se tourna alors vers Severus.

- M. Snape, encore trois ans à attendre avant que vous puissiez me montrer quelle potion vous serez capable d'inventer. Mais je vous fais confiance.

 




Lucius avait dû manger dehors à l'heure de dîner, ne lui épargnant pas une minute d'attente craintive. Peut-être allait-il passer cette semaine en ne le voyant que deux ou trois fois. Peut-être que cela ne serait pas différent de l'ordinaire après tout. Quels petits sentiments ridicules, pensa-t-il, courir après un garçon comme une jeune fille prépubère, Severus tu me déçois beaucoup. Niant les émois de ses entrailles, il lut jusqu'à vingt-deux heures puis décida de profiter des vacances pour se coucher tôt. Une heure plus tard, il se réveillait. Quelqu'un toussait.

Severus savait que Lucius était enrhumé en ce moment, la floraison de sa toux s'était imprimée parfaitement dans son esprit : ainsi quand il entendait tousser il songeait immédiatement à Lucius, quand il entendait sa toux il le savait proche, et toute toux avait désormais une aura malefoyenne et cette résonance magique, cette qualité inqualifiable dans laquelle scintillait tout ce qui touchait à Lucius.

Le Serpentard ouvrit les yeux : il y avait de la fumée bleue entre les piliers du lit à baldaquin de son camarade ; il avait déjà vu ça.

- Snape, chuchota la silhouette lointaine de Lucius. Tu es réveillé ?

- Oui.

- Viens.

Un geste accompagna cette invitation. Incrédule, Severus se leva et s'avança jusqu'au lit de son blond camarade. Celui-ci était allongé, ses draps, lâches, remontés jusqu'à la taille. La fine chemise blanche de son pyjama était ouverte de deux boutons. Severus remarqua la chevalière à la main baguée qui tenait la cigarette. La même main lui fit signe de s'asseoir sur le lit. Le jeune Snape se crispa.

- Qu'est-ce qu'il y a ? fit Lucius en plissant le front. Tu n'as pas à avoir peur, je ne vais pas te faire de mal tu sais...

Il tira sur sa cigarette et expira un magnifique nuage de fumée bleue. Severus s'assit timidement sur le bord du lit.

- Mets-toi plus à ton aise, dit l'autre en se redressant et en lui faisant de la place.

Snape replia ses jambes et s'assit sur le lit, le cœur battant, face au beau capitaine Serpentard. De nouvelles émotions naissaient confusément en lui, aussi vaporeuses que la fumée bleue qui se dispersait. Plus mal à l'aise que jamais, Severus était partagé entre le désir impérieux de s'enfuir le plus loin possible de son camarade et celui de venir tout près de lui - ou plus exactement d'être amené tout près de lui par ces bras sachant si bien empoigner le souafle.

- Tu connais ? lui demanda Lucius en sortant quelque chose du tiroir de sa table de nuit.

Il lui mit sous le nez un paquet de cigarettes.

- « Magic smoke », lut-il en expirant un magnifique Dumbledore de fumée.

- Tu es doué, dit Severus.

- Essaye.

Il lui tendit sa cigarette. Severus savait fumer, il avait déjà essayé avec une pipe quand il était enfant, mais il ne savait pas faire des ronds. Il lui sembla néanmoins plus facile de cracher des formes avec ces cigarettes magiques ; il réussit à expirer un maladroit serpent - hommage à sa maison.

- Pas mal pour un début, apprécia Lucius en reprenant sa cigarette.

Il la porta à nouveau à sa bouche. Cette cigarette, songea Severus, était cernée par ses lèvres, caressée par la brise chaude de son haleine et peut-être effleurée par l'humide douceur de sa langue... L'adolescent essaya de faire le vide dans son esprit, et Lucius rejeta sa tête en arrière, expirant une bouffée de fumée qui se révéla être un serpent digne de ce nom ; le vaporeux saurien rejoignit lentement le garçon aux cheveux noirs avant de l'entourer de sa longueur comme une corde ligote un prisonnier. Lucius passa à nouveau sa cigarette à son camarade, mais ce dernier ne réussit qu'à produire une petite vipère qui se disloqua en tentant d'envelopper le haut du corps de son aîné.

- Tu as encore des progrès à faire.

Lucius bailla et s'étendit.

- Tu peux finir la cigarette, murmura-t-il en fermant les yeux.

- Bonne nuit, dit Severus.

- Bonne nuit Severus.

Il rejoignit son lit, posa la cigarette et se coucha en rendant un soupir au contact du matelas et des draps ; sans doute aurait-il aimé que Lucius fasse partie intégrante de son lit. Qu'on eut pu dormir en lui comme une momie dort dans un sarcophage, muette et délivrée de tout souci pour l'éternité, protégée par cette force imperméable du bois. Sans doute son vague désir avait le moelleux de cette couche, s'identifiant à l'abandon amoureux auquel il aspirait. Ou au fond la volupté de la fatigue qui sait qu'elle va cesser.

 





La lumière du matin avait envahi la pièce à son réveil.

Lucius Malefoy était occupé à sortir ses vêtements de son coffre, pour décider de ceux qu'il allait mettre.

- Bonjour Severus, dit il sans lever les yeux.

- Bonjour.

Son occupation rappela à Severus des propos qu'avaient tenu Bellatrix quelques jours auparavant, lors d'un énième rejet des hommages et avances que lui avait adressés le capitaine de l'équipe de Quidditch : la jeune fille avait prétendu qu'un homme qui passait trois heures dans sa salle de bains le matin « ne pouvait pas vraiment aimer les femmes ». Les diverses railleries de l'attrapeuse sur le soin que Lucius prenait de sa personne le tracassèrent à nouveau.

- Voyons voir... fit Lucius en réprimant une toux. Nous aimons le noir tous deux, la couleur de ceux qui n'ont plus d'illusions.

Il donna un coup de baguette magique, et Severus Snape se retrouva vêtu d'une robe noire et violette tout droit sortie de la garde-robe Malefoy.

- C'est bien ce que je pensais. Le violet te va mieux qu'à moi. Tu peux la garder si tu veux... Je te la donne.

- Je ne peux pas accepter.

- Considère ça comme un cadeau de Noël, répondit Lucius en haussant les épaules. Je ne l'ai presque pas mise. Elle te va à la perfection.

Se sentant rougir comme l'intérieur d'un poêle, le pauvre petit Snape se demanda ce qui pourrait un jour faire cesser cette sensation de vertige dans son ventre.

 


 

Longtemps après ces événements, Severus considérait encore ces quelques jours comme le meilleur Noël de toute son existence. Le matin qui suivit le réveillon, il s'éveilla juste après Lucius et ils descendirent ensemble dans la salle commune. Ils étaient les premiers levés et la journée de la veille entière avait été passée avec Lucius à la bibliothèque.

Sous le sapin Severus trouva pour lui le septième volume de l'encyclopédie de l'Alchimie - « Voici ton cadeau de Noël, félicitations pour tes résultats, ta tante » - livre qui retint l'attention de Lucius, qui parmi ses coûteux présents avait reçu une boîte de rince-doigts.

Ils étaient en train de feuilleter les livres qu'ils avaient reçu quand il y eut un drôle de bruit dans la cheminée.

« Joyeux Noël tout le monde ! »

Une tête désappointée venait d'apparaître au milieu de l'âtre.

- Il n'y a que vous...

- Bonjour, dit Severus en s'approchant de la cheminée, suivi par Lucius.

- Alors, Monsieur le Préfet ne s'ennuie pas trop pendant ses vacances ?

- Eh bien, laisse-moi te surprendre encore une fois, Lucius... Mais, je travaille. Oui, je me suis installé dans un petit cabanon non loin de la maison, et là je suis tranquille pour lire et réfléchir... Cette vie érémitique ne me fait pas de mal, je dois l'avouer. Le Père Noël a été généreux ?

- Pas assez à mon goût, répondit Lucius.

- Oh, fit la tête d'Angus au milieu des flammes.

- Mais je travaille vraiment.

- Tant mieux. Oh, tu ne sais pas... enfin vous ne savez pas, ce qui m'est arrivé hier ? À cause de ce qu'elle m'avait dit avant de partir, j'avais complètement oublié de faire remplir sa fiche à Bellatrix. Alors hier d'un coup de trans' je suis allé lui rendre visite...

- Voyez vous ça... fit Lucius, le regard brutalement glacial.

- Oui... poursuivit Angus, tout sourire. Le plus désagréable de l'histoire, c'est que sa mère m'a pris pour son petit copain. Vous vous rendez compte ? Elle l'a traitée de « putain » et moi de « voyou ». Je me suis fait jeter comme un malpropre. Bellatrix insultait sa mère, et vice-versa. Mère et fille, vous auriez vu ça, ça chauffait...

Il hocha la tête, l'air songeur, et se mordit la lèvre inférieure, les pommettes hautes.

- Et toi Snape, tout roule ? Je te trouve plutôt bonne mine.

- Rien d'étonnant à cela... le taux de Gryffondor est en baisse, répondit Lucius à sa place.

- Les Gryffondor ne sont pas tous des idiots, je t'en prie Lucius, protesta Angus d'un air indigné que Severus trouva très drôle.

Il sourit intérieurement, mais cela ne dura pas longtemps : le préfet s'était brusquement mis à le fixer d'une façon indescriptible, si attentivement que ses yeux semblaient s'être éclaircis. Que regardait-il donc ?

- J'ai déjà vu cette robe... dit-il.

Un étrange sentiment de culpabilité envahit Severus.

- Lucius, cette robe est à toi, non ? Tu ne l'aurais pas déjà portée à un banquet de Noël ?

Le blond semblait pris au dépourvu, comme s'il ne savait pas quoi répondre. Le brun eut un sourire torve qui donna à son regard quelque chose d'aigu, une insolence moqueuse de korrigan.

- Je vois. Ceci dit... Mon rôle de préfet s'arrête là. 

- Qu'est-ce que tu insinues, espèce d'idiot ?

- Mais rien du tout...

Le visage du préfet se tourna vers la droite, comme s'il voyait quelque chose.

- Oh, dit-il, je crois qu'il y a quelqu'un d'autre sur la ligne... Mais... ne poussez pas... Je suis Angus Russell, enchanté... Argh... Lucius, je crois que c'est ton paternel.

La tête d'Angus disparut, remplacée par celle beaucoup moins aimable d'un homme plus âgé. Ses courts cheveux argentés retombaient en une longue frange d'un côté de son visage, mais celui-ci, pur était presque sans rides ; ce qui surprenait le plus étaient ses yeux, d'un bleu cyan, aux pupilles étroites comme des têtes d'épingle.

- Lucius, comment se fait-il que cet individu occupe ta ligne ?

- Ce n'est pas ma ligne, père.

- Je t'en prie Lucius, un Malefoy ne se compromet pas avec un Russell désargenté.

- Mais je ne me compromets pas, père... vous savez bien que je le hais !

- Comment se fait-il qu'il soit préfet à ta place ? Cela me dépasse !

- Dumbledore...

- Ce Dumbledore est un incapable. Un incapable. Il n'est pas fait pour être directeur. À propos d'incapable, j'ai reçu ton hibou aujourd'hui même. Il est impensable, IMPENSABLE que je te donne à nouveau de l'argent.

- Mais père, j'en ai be...

- Besoin ? Pour quoi faire ? Oh, je sais pour quoi ! Tu t'es trouvé une minette qui te bouffe tout !

- Quoi ! Mais pas du tout !

- Ne me dis pas encore que c'est pour ta potion, c'est ridicule. Trouve un autre prétexte.

- Mais c'est la vérité ! Les ingrédients...

- Est-ce si cher que cela, trois pattes de cafard et un bézoard ?

- Un Malefoy ne saurait se permettre d'inventer une potion à la portée du Commun, père.

Cet argument sembla faire réfléchir Abraxas Malefoy.

- Vous me l'envoyez demain, père ?

- Demande une bourse au Ministère !

- Vous... vous plaisantez ?

- Pas le moins du monde, Lucius.

Son visage disparut.

 

 


 

 

Severus avait dévalé les escaliers tournants de la tour sud pour pouvoir dire au revoir à son camarade de chambrée, lequel lui avait dit la veille qu'il partirait à l'aube.

Il avait cessé de neiger et l'herbe, les pavés et les toits de Poudlard étaient recouverts d'une épaisse couette de neige immaculée. Les fantômes furent étonnés de voir cet adolescent disgracieux et peu sportif courir à toutes jambes à une heure si matinale.

Tandis qu'il traversait le donjon puis le portique, le garçon aux cheveux noirs se demanda s'il pouvait considérer Lucius comme « son ami ». Mais quel genre d'ami ? L'amitié niaise et hypocrite qu'entretenaient James, Sirius, Remus et le moustique Peter ne l'intéressait pas. Pouvait-on dire qu'il était « en camaraderie » avec Lucius ? Ce dernier ne le repousserait-il pas sitôt revenus ses autres camarades plus âgés, notamment Avery et Parkinson ? Severus croyait avoir renoncé à tout espoir d'amitié depuis longtemps. Pourtant longtemps il en avait rêvé, aussi. Mais j'étais désespérément seul, seul à me nouer le ventre seul, ridiculement triste. Il arriva à l'autre bout du cloître, désert et enneigé. Un oiseau noir s'était posé sur la fontaine. Severus se retourna.

Oui, c'était ici, il avait vu quelque chose, alors qu'il n'était qu'en première année. Penser à l'amitié au moment où il traversait cette cour, voir et sentir la même neige, cela lui rappela brusquement qu'il y avait vu quelque chose. À l'époque cela l'avait frappé, à cause de la peine, de cette peine qu'il en avait ressenti. Qu'était-ce donc ? Cela revenait à toute vitesse... Deux garçons revêtus de leur cape et de bonnets. Il les avait vus de dos, et la façon dont ils parlaient laissait présumer qu'ils étaient au moins en quatrième année. Chacun portait une cage, et ils avaient lâché leur hibou. L'un avait alors dit qu'ils volaient ensemble comme ces deux oiseaux, dans la même direction ; l'autre que leur amitié était la plus belle chose qui existe au monde. Ils s'étaient pris la main plus en défi qu'en serment.

Ce jour-là Severus avait souhaité connaître une telle amitié, mais aujourd'hui, était-ce toujours cela qu'il souhaitait ? N'était-ce pas autre chose ? Il ignora le corbeau croassant qui semblait le narguer et reprit sa course, mais il ne devait revoir Lucius qu'une semaine plus tard, le soir de la rentrée : alors qu'il se dirigeait vers la Grande Salle pour y dîner, il entendit tousser et sursauta.

Sa toux vient du fond de sa gorge, quand il tousse je sens vraiment qu'il est vivant, un peu comme si j'écoutais battre son cœur, l'oreille posée contre la paroi de sa poitrine.

Il reconnut ce son, se retourna. Cela ne faisait qu'une semaine qu'il n'avait pas vu Lucius, mais l'angoisse le saisit, car c'était une coupure, et elle pouvait suffire à donner à une personne un vernis d'étrangeté.

C'était le cas : le visage de Lucius était encore plus blafard que lors de ses jours nauséeux d'octobre.

 

 



à suivre

 

 

 

 

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