
Main tendue
Le courrier tombait peu à peu dans la Grande Salle où les élèves étaient occupés à prendre leur petit-déjeuner. Il avait été décidé que le match de la veille serait reporté à la fin de la saison, mais les élèves s'inquiétaient surtout pour le poursuiveur blessé ; ce matin-là, même le fantôme de Gryffondor vint s'enquérir de l'état de santé du jeune Sirius Black.
« Nous venons d'aller le voir à l'infirmerie », répondit Remus avec un petit rire aigu. « Il pourrait jouer le rôle principal dans le Roman de la Momie. »
Il était très rare que l'adolescent sorte ce genre de blague très contestable, y compris depuis que Sirius avait commencé à avoir sur lui une influence douteuse dans le domaine de l'humour.
« Et il n'est toujours pas réveillé », compléta James en ramassant le muffin de Remus qui était tombé par terre de façon inexpliquée.
« J'espère qu'il nous reviendra vite... » opina Sir Nicholas, le visage grave.
« En tout cas Madame Pomfresh a dit qu'elle pourrait sans doute redonner sa forme initiale à son nez. Et ma mère m'a déjà envoyé des colis de friandises pour lui par hibou-express... » ajouta-t-il en montrant les paquets au fantôme. « Depuis qu'il est venu chez nous pendant les vacances elle l'adore... »
« C'est vrai qu'on lui donnerait tout de suite l'absolution au petit Black ! » lança Peeves qui venait de se glisser aux côtés de Nick Quasi-Sans-Tête. « Gueule d'ange, mais sale caractère ! Dites, les enfants… »
Il papillonna des cils et prit une voix mielleuse.
« …vous ne trouvez pas ça bizarre ? »
« Qu'est-ce que tu veux insinuer par là, Peeves ? » gronda Sir Nicholas.
« Je veux dire... il y a une justice en ce monde, non ? C'est ce qui arrive quand on se moque de la tête des autres... Il a été puni par le Bon Dieu ! À ta place je ferais attention James ! »
« Et pourquoi ça ? » demanda vivement l'adolescent en fronçant les sourcils.
Peeves eut une espèce de rire satanique – si tant est qu'on puisse avoir un rire satanique lorsqu'on porte un costume orange vif surmonté d'un gros nœud papillon – avant de s'exclamer en roulant des yeux : - Regarde comment j'ai fini !
Et il s'évanouit comme une bulle de savon qui éclate.
« Ne l'écoutez pas, il est fou », déclara Nick Quasi-Sans-Tête.
Un dernier oiseau pénétra dans la Grande Salle - c'était un cormoran - ; il laissa choir une enveloppe sur la table des Serpentard avant de s'en retourner avec grâce.
« Regardez ! Une lettre d'outre-mer pour Snape ! »
- C'est tes parents, Severus ?
- ... oncle... Salem... comprit Macnair dans le murmure à peine audible de son camarade occupé à lire la courte lettre qu'il venait de recevoir.
Une fois qu'il l'eut terminée, il déplia le journal qu'un hibou lui avait apporté par voie normale. La manchette titrait : « VOLDEMORT défie le ministère de la magie ». Le jeune Snape commençait à parcourir les sous titres (« Victoire écrasante des Frelons », « Les dernières découvertes de la science des potions : interview de Bhima Agni ») quand la voix d'Avery interrompit sa lecture.
- Tu devrais l'ouvrir Bellatrix...
Severus tourna son regard vers la gauche. Bellatrix Black tenait dans ses mains une enveloppe rouge.
- Inutile, répondit calmement Bellatrix. Je sais déjà ce qu'il y a dedans.
- Comment fais-tu pour être aussi calme...
- On s'habitue à tout.
Elle posa la lettre sur la table et releva sa longue chevelure, inclinant légèrement la tête pour montrer à son aîné un trait rouge et épais sur sa nuque. Un murmure pluriel de dégoût suivit son geste, tandis qu'un autre élève de sixième année dont Severus ne se rappelait plus le nom fixait le cou blessé, la bouche entrouverte et les yeux humides.
- Elle bouge Bellatrix... s'inquiéta Avery en désignant la lettre.
- Je m'en fiche de sa lettre, répondit Bellatrix en l'immobilisant du poing droit.
Mais la lettre explosa, ensanglantant les mains de la jeune fille comme si elle avait été remplie de lames de rasoir ; la Serpentard bondit hors de sa chaise, les larmes aux yeux.
- La garce, la garce, siffla-t-elle en sortant de la Grande Salle les mains enveloppées dans sa serviette.
- Bienvenue au CGPC, commenta tranquillement Lucius en continuant à ouvrir son courrier.
Severus se risqua à demander à Evan Rosier – qui était dans la même classe qu'elle – qui était la personne dont parlait Bellatrix.
- C'est sa mère qui lui a envoyé cette lettre, répondit sobrement Rosier avant de sortir de table avec Wilkes.
- Le CGPC ? s'étonna Avery.
- Le CGPC, le Club des Gosses de Parents Cinglés, expliqua Lucius. Tu ne connais pas ? Tu as bien de la chance.
- Toi tu as reçu une lettre de ton père.
- Oui, il m'engueule au sujet de mon argent de poche. Il se demande où passent toutes ces sommes que je dépense. Qu'est-ce qu'il croit ? Ça coûte cher les études...
- Au fait Lucius, dit une fille de dernière année, tu as toujours prévu de te laisser pousser les cheveux une fois l'année terminée ?
- Oui et j'ai hâte de voir la tête de ma chère mère.
- Je ne comprends pas qu'on puisse s'habituer à ça, dit Avery les yeux posés sur son café comme si celui-ci avait été rempli de chenilles dégoûtantes.
- On peut finir par s'habituer à beaucoup de choses, intervint Angus Russell. Comme on peut finir par prendre goût aux choses. Les champignons par exemple. Quand j'étais petit, je détestais ; maintenant, j'aime bien.
- Il y a une différence entre les champignons et la souffrance, répliqua Avery.
« Russell sort parfois des trucs bizarres, comme ça... » murmura un quatrième année à Macnair.
- Quoiqu'il en soit je dois parler à Bellatrix ce soir, déclara le préfet. Nous devons avoir une petite discussion.
- Pourquoi tu me dis ça à moi ? demanda Lucius.
- Je n'y peux rien si tu te sens visé, répondit sèchement Angus.
Il se leva et quitta la salle. Severus songea que lui aussi n'allait pas tarder à sortir de table, le cours de Flitwick commençant dans un quart d'heure. Il était ennuyeux, mais la suite était plus intéressante : cours de potion. De plus, aujourd'hui Sirius Black ne serait pas là.
Il n'y avait personne dans le cachot quand il entra, la pause n'étant pas terminée. Le calme de la pièce était reposant. Severus goûta un instant ce silence puis alla s'asseoir près du mur où il occupa ses mains gelées en installant son nécessaire à potions sur son pupitre. Ses camarades arrivaient au fur et à mesure, les uns parlant de la dernière dissertation, les autres de l'accident de Sirius.
- Pff ! J'en connais un que sa mort aurait même réjoui ! lança James en se tournant vers son ennemi.
- Je ne suis pas un assassin Potter, répliqua Severus. La mort des autres ne me réjouit pas.
Mais ils n'eurent pas le loisir de discuter plus avant car Bhima Agni, le directeur de Serdaigle, fit irruption dans la salle, telle une vive flamme dans son ample robe jaune safran. La porte se referma en claquant derrière lui.
« Il les a, on est cuits », entendit chuchoter Severus derrière lui.
- Bonjour tout le monde, dit Agni d'une voix plombée par l'agacement. Je crois que j'ai des choses à vous rendre.
Ce ne fut pas sans satisfaction que Severus vit le visage de James révéler une grande inquiétude alors que l'enseignant s'avançait au milieu des rangées, une liasse de parchemins dans les mains.
- Commençons par le haut de la pile... pour ménager mes nerfs... Severus Snape ?
Severus leva la main. Agni lui tendit sa copie.
- C'est à nouveau excellent. Vous êtes l'aigle qui survole la plaine de la médiocrité, Monsieur Snape. Sirius Black, ça va... Où est M. Black ?
- Il est... en convalescence à cause de son accident, dit James.
- Vous lui donnerez sa copie ? ...Remus Lupin ? Peut mieux faire. Même si c'est toujours mieux que vos désastreuses potions. Bon. Je viens de passer les trois seules copies acceptables. Melle Ollivander ? Vous comptez peut-être trouver vos BUSES dans un paquet de Chocogrenouilles ? M. Macnair, c'est trop court. M. Pettigrew...
Un garçon très petit et rondouillard leva une main tremblante.
- C'est très mauvais. Et d'après ce que m'a dit le professeur McGonagall, la quatrième année de vos études est bien partie pour être similaire aux trois premières... Vous comptez rester à la traîne derrière les autres toute votre vie, M. Pettigrew ? M. Potter, les devoirs rédigés à la va-vite entre deux cours ne m'intéressent pas. Vous m'aviez habitué à mieux. Mademoiselle Hopkins, vous n'avez pas compris le...
James se tourna vers Remus avec une expression ayant l'air de dire « Mais comment a-t-il deviné ? ». À côté de lui, Peter avait l'air désespéré.
- Voilà qui est fait, conclut Agni une fois toutes les copies distribuées, et sa colère semblait s'être mystérieusement évanouie. Aujourd'hui je vais essayer de vous apprendre la potion dite de la « Belle-au-bois-dormant ». Qui peut me dire en quoi elle consiste ?
Severus et James levèrent la main en même temps.
- Oui M. Potter ?
- C'est une potion d'endormissement.
Severus leva les yeux au ciel.
- Bien sûr M. Potter, mais qu'elle est sa particularité ?
- Durant le sommeil, qui peut être très long, le corps ne vieillit pas.
- C'est exact. Cinq points pour Gryffondor.
Julius Baxter, un élève de Serpentard, leva la main.
- M. Baxter ?
- À quoi cela nous sert de l'apprendre si on n’a aucune occasion de s'en servir ?
- Pour l'amour de la science M. Baxter. Vous ne savez pas ce que c'est ? Plus sérieusement, si vous avez un jour besoin d'une bonne dose de sommeil réparateur cela peut s'avérer très utile. Et surtout, cela va nous servir d'exemple pour pratiquer un genre nouveau de distillation. M. Pettigrew, rendez-vous utile, allez chercher les alambics dans le placard du fond.
Peter se leva et alla regarder dans les placards.
- Je ne vois pas d'alambics professeur.
- Non seulement vous êtes idiot mais vous êtes aussi aveugle ? s'exclama Agni en le rejoignant.
Peter s'écarta de lui tout craintif alors que le maître de potions regardait à son tour dans les placards.
- Mais où sont-ils passés ? Il y en avait une dizaine...
Des rires étouffés se firent entendre parmi les élèves ; Agni se retourna brusquement.
- C'est Novalis qui a dû les prendre pour ses cours d'alchimie, murmura-t-il. Les dernières années sont assez nombreux je crois... Mais peut-être qu'il ne s'en sert pas en ce moment... Pettigrew, retournez à votre place s'il vous plaît. Il faudrait aller voir... Voyons... il nous faut un élève sérieux... qui ne risque pas de se « perdre » dans les couloirs...
Agni décocha à James une œillade acérée sous son gros sourcil noir.
- M. Snape ? Allez-y donc, si cela ne vous dérange pas.
Severus se leva et traversa la salle, ne pouvant s'empêcher d'avoir un sourire ironique à la vue du glorieux 7/20 de James Potter.
Ce dernier tendit à Peter le parchemin initialement vierge où il venait d'écrire : « Un cafard immonde vient de franchir cette porte ». Peter lut, et y ajouta : « Quel pauvre type », avant de lui rendre.
Le Serpentard jugea préférable de prendre le chemin le plus classique pour se rendre au cours de Novalis ; entre les escaliers pivotants et Peeves qui rôdait en quête d'un mauvais coup, il valait mieux se montrer prudent lorsqu'on se promenait seul. Il parvint ainsi sans problème à l'embranchement familier.
À gauche, l'escalier sombre qui montait en colimaçon menait au planétarium ; la directrice de Serpentard devait s'y trouver en ce moment, plongée dans ce qu'elle appelait de « profondes méditations »… Severus emprunta le long couloir de droite qui menait à la classe d'alchimie.
Des portraits animés de ses plus grandes figures jalonnaient le couloir ; Zozime, Synésius,Théosébie, Agrippa, Paracelse, Flamel, cessaient un instant leurs occupations pour lui souhaiter le bonjour... Le sol lui aussi était décoré, d'une sorte de marelle : un corbeau était peint sur la première dalle, puis une autruche, un dragon, un pélican, et au final, un phénix. La peinture semblait très ancienne, comme tout ce qui se trouvait à Poudlard. Sous le corbeau, à la base de la marelle, il était inscrit « Ludum tuum est ».
L'alchimie n'était enseignée qu'à partir de la cinquième année de scolarité, et restait une matière optionnelle. Severus Snape possédait cependant les sept premiers volumes de la « Grande Encyclopédie Illustrée de l'Alchimie », un classique de la vulgarisation, qu'il avait lue lorsqu'il avait à peine sept ans. Bien sûr, il n'avait pas compris grand-chose au texte à la première lecture du premier tome, mais les photographies des cristaux et des roches l'avaient fasciné dès le tout début. Il y trouvait de la beauté.
Tandis qu'il remontait le corridor il songea ainsi avec plaisir que bien que n'assistant pas à ces cours, il connaissait déjà la jaune transparence du souffre de Sicile, cubique comme si la Nature avait voulu donner corps à ses arithmétiques pensées ; il savait que le plomb, que le commun croyait de ce noir bleuté si dense et parfait, pouvait prendre la forme de translucides cristaux de différentes figures et couleurs ; il savait également que les yeux de Lucius heurtant de front la lumière avaient la clarté bleue de la Smithsonite que colore le cuivre.
Il s'arrêta, s’apercevant avec terreur qu'il venait de faire acte d'un lyrisme bêlant au sujet des yeux d'un de ses camarades. En vérité, mis à part cette analogie avec la Smithsonite, il ne savait pas grand-chose de Lucius Malefoy, excepté qu'il était un jeune homme d'une insupportable suffisance. La raison du scintillement étrange de son nom lorsqu'il heurtait son oreille, il l'ignorait…
Il ne s'y intéressait pas, bien que ce fait à ce jour inexpliqué l'aidât à supporter, parfois, la rudesse de sa vie. Et sa vie, c'était travailler sans relâche, accumulant les lectures et les exercices, prenant des notes interminables à la lueur de la bougie, le poignet affaibli et nerveux. Mais le jeune Snape avait au fond la sourde conscience que chaque volume lu était comme une marche de plus qui lui permettait de s'élever vers des cimes éclatantes où tout ce qui faisait la vie des autres et le calvaire de la sienne n'avait plus d'importance.
« Bien Eric : le soufre avec le mercure... »
Severus se trouvait devant la porte de la salle de classe. Il hésita un instant puis frappa.
- Oui ? fit la voix de Novalis.
Le Serpentard entra ; il était déjà venu dans cette salle observer les morceaux de roches exposés dans les vitrines sur les côtés de l'estrade. Son regard glissa du vieux Novalis à la trentaine d'élèves qui était là - des dernières années de toutes les maisons - et, vers le fond de la classe, buta sur Lucius Malefoy qui comme tous ses camarades venait de lever les yeux vers le nouvel arrivant.
- Bonjour, qu'est-ce qui vous amène ici, jeune homme ? fit Novalis.
- C'est M. Agni qui m'envoie. Il a besoin de ses alambics pour le cours de potion.
- De ses alambics ?
- Il pensait que vous les aviez pris car...
- Nous n'avons pas pris ses alambics jeune homme, c'est sans doute quelqu'un d'autre. Mais voyez... (il désigna Eric Salinger qui était debout devant le tableau noir recouvert de formules bizarres) aujourd'hui nous faisons de la théorie, alors vous pouvez prendre les nôtres. Ils sont rangés dans une caisse dans le placard du fond, là bas voyez-vous... Nous ne les avons pas encore utilisés depuis la rentrée. Vous pouvez aller les chercher.
Severus descendit l'allée centrale, alors que Salinger avait repris sa résolution de l'exercice et que tous les regards y étaient revenus. Sauf un.
Mais pourquoi me fixe-t-il comme ça... Va tout droit Severus, tout droit, Severus, droit devant toi, ne te retourne pas...
Il réussit à atteindre le placard sans accident et se chargea de la caisse. En se retournant, il se rendit compte que Lucius Malefoy le regardait toujours, le visage posé sur son bras replié.
Que se passe-t-il ? Qu'est-ce qu'il regarde ? Mais... il me sourit ! Il doit se foutre de moi... Il pense peut-être que je vais faire tomber la caisse.
Severus commença à remonter la rangée, lentement, en gardant son regard attaché à un point imaginaire de l'horizon. Mais sa tentative d'évasion fut stoppée par une main qu'il sentit tirer faiblement le tissu de sa robe de sorcier... Or il se trouvait au niveau de Malefoy. Or il le reconnut du coin de l’œil juste avant d'éprouver la présence de deux mains, en entonnoir, en deçà de son oreille. Une haleine chaude lui chuchota alors des paroles dont il ne comprit pas un strict mot ; il eut tout de même la force de se tourner vers Lucius - à vrai dire il n'avait pas le choix. Que faire ? S'il se faisait répéter la chose, il aurait l'air ridicule ; de plus, ils risquaient de se faire réprimander par Novalis. Enfin, c'était peut-être une moquerie, et le visage de Lucius avait l'expression exacte de quelqu'un qui vient de se moquer – le jeune Snape connaissait bien ce type d'expression pour l'avoir vue un nombre incalculable de fois sur les visages de Black et Potter.
« Non, regardez bien, Eric... nous nous sommes trompés ici... et ici... »
Il n'y avait rien à faire d'autre que de sortir tristement de la salle pour aller apporter ses alambics à Agni.
- Ce n'est pas lui qui a pris les miens ? s'étonna Agni. Bien... encore des élèves qui volent du matériel, ça commence à devenir inquiétant... Je vais dire à Argus de se montrer plus vigilant, sans quoi nous allons bientôt être conduits à verrouiller les portes des salles de cours.
Cette affaire de murmure raté tourmenta Severus durant les heures suivantes. Le regard alternativement perdu dans la contemplation du bouillonnement de sa potion et le relief esquinté du pupitre, il passait en revue les explications et leur degré de crédibilité, tandis que le fantôme de la voix de Malefoy sur sa joue réapparaissait sans cesse. Il ne croisa pas le jeune homme à midi, et une fois le cours de Mme Chourave terminé il se hâta de rejoindre les appartements de sa maison pour tenter d'oublier tout ça dans ses calculs d'astronomie.
- Cela ne me plaît pas du tout de constater que des gens de ma maison, qu'on a placés sous ma responsabilité, fassent de la magie noire pendant les matchs de Quidditch !
Si la salle commune des Serpentard n'avait pas été située au sous-sol on aurait entendu la voix d'Angus Russell résonner à des lieux à la ronde.
- Tu ne dis rien Bellatrix ? Qu'as tu à dire pour ta défense !
- Je n'y suis pour rien si Sirius Black a été heurté par ce cognard, répondit l'attrapeuse en continuant d'écrire sur son rouleau de parchemin.
- Tu pourrais au moins t'arrêter d'écrire ! siffla Angus Russell, qui, à cette heure mystique où tous les honnêtes anglais se préparent à prendre le thé, ressemblait plus, par une voie mystérieuse de la transmutation des corps, à la bouilloire de Mme Chourave qu'à un honorable préfet.
- Mais je te le répète Russell, je n'ai rien fait.
- Je l'ai vu, Bellatrix. Ce poursuiveur était immobile, comme stupéfixié. Oh, je sais que la stupéfixion est facilement détectable, alors que d'autres sortilèges le sont beaucoup moins... L'ultima angustiae par exemple.
La jeune fille s'arrêta d'écrire ; le préfet devait avoir visé juste.
- Je sais lire sur les lèvres Bellatrix, tu as avoué ton crime à ton capitaine à la fin du match... je me trompe ?
- Tu as dû mal lire alors.
- Oh, c'est un sort très difficile à lancer et qui requière une grande puissance, mais quasiment indétectable, c'était bien pensé, il suffit d'avoir un morceau du corps de la personne visée et de la tenir pour lancer le sort... Pas besoin de la fixer du regard, ou de pointer sa baguette sur elle... Juste saisir l'échantillon entre le pouce et l'index... L'échantillon ?
Il se redressa, comme s'il venait de comprendre quelque chose.
- AVERY ! ROSIER ! hurla-t-il en s'élançant vers l'escalier qui menait au dortoir des garçons.
Il se retourna devant l'arcade du passage, les joues en feu.
- Bellatrix, tu es en retenue tous les soirs pendant un mois. Tu verras ça avec le concierge. Je lui dirai que tu as commis de très gros écarts de discipline...
Severus comprenait la sévérité de la punition ; l'Ultima Angustiae était un sort d'hallucination morbide particulièrement épouvantable. Les deux complices kidnappeurs d'échantillon de Black apparurent derrière le préfet. Ils semblaient avoir suivi toute la discussion depuis la pièce du haut.
- N'en fais pas toute une histoire, protesta Rosier. On voulait juste lui faire une petite frayeur, histoire de le déconcentrer un peu...
- Une petite frayeur ?! s'égosilla Angus. Une petite frayeur ? Vous voulez que je vous fasse vivre votre propre mort ? Vous voulez que je le fasse ? Je peux le faire !
Avery et Rosier se regardèrent.
- Euh... non, répondirent-ils avec une grimace piteuse.
- Je me démène pour que notre maison ne soit plus vue comme un vivier de futurs mages noirs, et vous, qu'est-ce que vous faites ! Vous vous amusez à balancer des Ultima Angustiae comme on écrase une mouche ! Non mais je rêve, là ! Ou plutôt c'est un cauchemar !
Avery et Rosier baissèrent la tête, mais pas Bellatrix.
- Que ferez vous, tous, quand j'aurai eu mes ASPIC et qu'il n'y aura plus personne pour veiller sur vous ?
Severus n'avait jamais vu Angus Russell dans un état pareil. Constatant qu'il lui serait impossible de travailler dans le caveau des Serpentard, il fit demi-tour et prit le chemin de la bibliothèque où il avait un livre à emprunter.
Il ne fut pas tranquille bien longtemps ; mais dans la seconde qui suivit le moment où il fut dérangé il se rappela de cet après-midi passé à la bibliothèque comme aujourd'hui, début octobre, lors de laquelle il avait essuyé l'assaut inaugural de l'énergumène blond de chez Serdaigle et été bousculé par Lucius Malefoy. Oui, c'est encore la même chose, toujours la même chose...
- C'est quoi ?
Severus se retourna et le regard qui plongea en lui eut l'effet immédiat de pétrifier son muscle cardiaque.
- Tu lis quoi ?
- Qu-Quoi ? bégaya le jeune Snape encore sous le choc de ces yeux soudainement braqués sur lui.
- Ce livre... précisa Lucius avec un petit sourire. C'est quoi ?
- « Les Secrets des Liches », répondit Severus en lui montrant la couverture tout en baissant les yeux. Tu... tu l'as lu ?
Le visage de Lucius Malefoy devint rose de gêne l'espace d'une seconde.
- Non, avoua-t-il. Et je ne l'avais jamais vu dans les rayonnages...
- C'est parce qu'il vient de la réserve. Agni m'a donné une autorisation.
- Je vois...
Ses doigts longs et fins tournèrent les pages puis s'arrêtèrent sur le nom de l'auteur.
- Snape, c'est quasiment de la magie noire...
- Agni m'approuve, il dit qu'il me faut la connaître.
- « Qu'il te faut la connaître » ?
- Il m'a dit qu'il me voyait mal finir apothicaire une fois diplômé, répondit timidement Severus en détournant la tête.
- Et il te voit faire quel... métier ? demanda Malefoy froidement.
- Cela risque de te faire sourire...
- Vas-y.
- Professeur... de DCFM.
Lucius rit.
- En effet... dit-il d'un air snob, le sourire aux lèvre. « Combattre les forces du mal »... Il n'y avait que Dumbledore pour inventer une semblable stupidité ! Mais je sais bien que ce n'est pas le premier livre de magie noire que tu lis.
- Je m'en suis déjà procuré par d'autres moyens. Ma mère en possédait beaucoup. Et Agni me permet d'en emprunter dans le fond de la bibliothèque depuis cette année. Certains sont introuvables ailleurs, ou bien coûtent une petite fortune.
- Tu es un grand soutireur de livres, à ce que je vois... J'en connais un autre, le plus grand soutireur de livres qui ait jamais existé.
Lucius Malefoy souriait, mais Severus se sentait atrocement mal à l'aise. C'était la première fois qu'ils discutaient ensemble, et la première fois que Lucius lui parlait aussi longuement. Il faisait tout son possible pour maîtriser les tremblements de ses mains, alors que son ventre était affreusement noué. Soudain il eut l'impression que son aîné s'était rapproché, s'était penché.
- Agni est un bon professeur, dit Lucius d'une voix basse et grave. Il m'a signé beaucoup d'autorisations. À moi et à d'autres. On m'a dit beaucoup de choses à ton sujet, Snape... Je crois que nous aimons les mêmes choses. Toi et moi savons quels chemins sont les plus passionnants à emprunter. Nous refusons les voies faciles et convenues, qui mènent au confort d'une vie sans histoire. Car c'est une vie déjà acquise, une vie de mort. Les voies les plus passionnantes sont les plus vitales... Et ce pour quoi tu veux vivre... ? La grandeur... Déchiffrer de fabuleuses énigmes... Repousser les limites de ce qui a été fait... Tu sais comme moi que le bien et le mal ne sont que des fictions inventées. Et tu en avais assez des petits sortilèges stupides tout juste bons à préparer son café sans efforts... La magie la plus grande n'est accessible qu'aux meilleurs, et ce sont les meilleurs qui se tournent vers elle.
Il se tut un instant.
- Tu traînes souvent avec Macnair en ce moment, non ? Vous êtes amis ?
Severus pensa que le plus simple était de dire la vérité.
- Pas vraiment. Mais comme nous sommes dans la même classe...
Le visage de Malefoy changea d'expression ; on eut dit du soulagement.
- Macnair n'est pas vraiment quelqu'un de très intéressant... dit-il.
- Lucius ?
Un élève de troisième année l'appelait.
- Qu'y a t-il ?
- Russell veut te parler.
- Il ne peut pas attendre ?
- Non, il m'a dit qu'il était pressé, il doit prendre le thé avec Mme Chourave.
Malefoy soupira.
- J'arrive. Hé bien... bonne lecture Snape...
Il s'en alla, avec un bizarre sourire de travers, probablement sans se douter qu'en cinq ridicules minutes une révolution cosmologique venait de s'opérer dans l'univers de son camarade.
« Vous êtes ici pour apprendre la science subtile et l'art rigoureux de la préparation des potions. »
Le sorcier aux cheveux sombres renommé pour son savoir dans la magie noire venait d'abaisser la liste qu'il avait lue à haute voix ; ses yeux étaient vides et froids comme l'entrée d'un tunnel.
« Ici on ne s'amuse pas à agiter des baguettes magiques, je m'attends donc à ce que vous ne compreniez pas grand chose à la beauté d'un chaudron qui bouillonne doucement en laissant échapper des volutes scintillantes, ni à la délicatesse d'un liquide qui s'insinue dans les veines d'un homme pour ensorceler peu à peu son esprit et lui emprisonner les sens. Ceci dit, aux quelques privilégiés... »
Il sembla diriger un instant son regard vers le plus pâle élève de Serpentard, comme pour le désigner.
« ...qui possèdent des prédispositions... »
Ce n'était pas qu'une impression. C'était bien Draco Malefoy qu'il avait regardé en repliant les longs pans de sa cape noire.
« ...je pourrais apprendre à mettre la gloire en bouteille, à distiller la grandeur, et même à enfermer la mort... dans un flacon. »
Cette poétique entrée en matière fut suivie d'un long silence.
Snape constata avec satisfaction que le fils de Lucius avait bu chacune de ses paroles, l'air émerveillé, ses yeux gris grand ouverts.
Lors de ce premier cours, le maître des potions s'acharna sur Potter et chacun eut droit à de sévères critiques, sauf Draco Malefoy pour qui il semblait éprouver de la sympathie.
à suivre