
All that glitters (is not gold)
Aucun événement notable ne vint troubler la troisième semaine d’octobre. Les nuits du jeune Snape furent paisibles et il consacra la majeure partie de son temps libre à expérimenter de nouvelles potions. Après sa mésaventure avec les Serpentard, Sirius semblait se tenir tranquille, mais en vérité lui et James étaient fous de rage, et c’était Remus qui les tempérait. Le fait était surtout que le premier match de la saison était proche, il allait opposer Gryffondor à Serpentard, et la préparation de cette rencontre occupait intensément les deux Maraudeurs – surtout James, le plus doué. Mais Severus ne se faisait pas d’illusion, le calme de ses ennemis ne pouvait être que le signe de la préparation d’un nouveau coup tordu surgi des imaginations débridées de Black et Potter, ces êtres infects qui semblaient extraordinairement intarissables en la matière.
Quant à Lucius Malefoy, il ne lui adressa pas un seul mot durant ces quelques jours, et le quatrième année se fit à l’idée que le faible intérêt que ce garçon froid et prétentieux avait pu lui montrer avait été donné mécaniquement et indifféremment, comme un chef distribue des bons points à ses soldats.
« Salut Severus ! Comment ça va ? »
« Toi ?! » s’exclama Snape en jetant un regard meurtrier à l’élève de Serdaigle.
« Ah Sevy, Sevy, Sevy, je vais finir par croire que tu m’évites... »
En disant cela Lockhart lui donna une petite tape sur les cheveux – mais à ce contact il retira sa main immédiatement. Il s’assit à sa gauche dans la grande salle.
« Qu’est-ce que tu fais ? » demanda-t-il d’un ton détaché.
« Mon devoir d’histoire de la magie. Celui que nous devons rendre après-demain », répondit sèchement le Serpentard. « Et j’ai besoin de concentration, si tu vois ce que je veux dire. »
Il se pencha sur sa copie. Lockhart jeta un coup d’œil discret sur cette dernière. Puis étala son rouleau de parchemin devant lui, ouvrit son livre, donna un pli à son front. Severus continuait son travail en silence en poussant de temps à autre de grands soupirs d’agacement, tandis que le regard de son camarade semblait étrangement attiré vers la droite.
« À quoi bon s’acharner ? » pensa soudain à haute voix le Serpentard. Je vais encore avoir une mauvaise note.
« Une mauvaise note ? » s’étonna Lockhart, qui semblait désarçonné. « Mais tu es très bon élève... On m’avait dit... »
« Pas en histoire de la magie malheureusement. L’année dernière je n’avais que douze de moyenne. Catastrophique. Je me demande si je ne vais pas me résoudre à aller demander conseil aux meilleurs dans cette matière... »
Il tourna ses terribles prunelles vers son voisin.
« Tu vois qui... »
« Hum... Non », répondit Lockhart en se grattant le menton.
« James Potter, Remus Lupin et Sirius Black. J’irais les voir ce soir sans doute... Ils sont très sympathiques. Par contre ils doivent être dans la salle commune de Gryffondor en ce moment... »
« James Potter... Ce n’est pas l’as du balai ? »
« Si. »
Un quart d’heure plus tard, Lockhart s’apercevait qu’il avait oublié une tâche urgente à accomplir et quittait la pièce, au grand soulagement de Severus.
« LuPin », corrigea Evan Rosier, « c’est LuPin ».
« J’avais compris », grommela Avery. « Mais c’est vrai qu’il ressemble à un lutin. Il a un long nez et de grands yeux. »
« Mais qu’est-ce que vous faites près de la porte d’entrée des Gryffondor ? » s’étonna un jeune homme brun aux yeux verts qui passait dans le couloir.
« On regardait les tableaux, Russell », dit Rosier.
« Si c’est une sottise pour nous faire perdre des points... »
« J’apprenais aussi de l’onomastique à mon aîné », prétendit Rosier.
« De l’onomastique, voyez-vous ça… »
« Angus, nous sommes encore libres de nos mouvements, que je sache ? »
« Avery, ne joue pas à ce petit jeu avec moi. Je sais très bien quand vous avez de mauvaises idées derrière la tête. Cette stupide histoire de petits pois nous a déjà assez discrédités. Si seulement j’avais été là, ça ne ce se serait pas passé comme cela... »
« Il le méritait », dit Rosier.
« Je ne veux pas le savoir, Evan. Nous aurions pu perdre cinquante points. »
Une tête blonde passa derrière Rosier et disparut derrière la Grosse Dame.
« Relevez donc de vrais défis au lieu de faire les agitateurs improductifs », poursuivit-il. « Depuis que le directeur est un Gryffondor, nous devons redoubler nos efforts. »
« Justement », expliqua Rosier, « on rabroue le caquet de ces jeunes cabots. Il faut les dresser de bonne heure. »
« C'est la solidarité », ajouta Avery.
« N’importe quoi... Bon ! Je vous laisse, j’ai des choses à faire, moi... »
Il continua son chemin et disparut dans le donjon.
« Qu’est-ce que j’en ai à faire de ses calculs merdiques... » siffla Rosier en retroussant les lèvres.
« C’est un type sympa, je le connais, mais en ce moment il devient très con. »
Une tête aux cheveux blonds ondulés sortit de derrière la Grosse Dame et passa devant eux.
« Bonjour les amis ! » fit le garçon.
« Bonjour. »
Il s’éloigna.
« Tu le connais toi ?! » s’étonna Avery en se tournant vers Rosier.
« Non... »
« Qui était-ce ? » lâcha James en ouvrant de grands yeux effrayés, une fois que le blondinet fut sorti de la tour des Gryffondors.
« Gilderoy Lockhart, Serdaigle », répondit Remus avec un petit sourire. « Anciennement élève à Beauxbâtons, mais d’origine anglaise. Très bonne réputation. L’école et lui. Excellent en Quidditch, mais ne le pratique plus suite à un accident survenu alors que son équipe menait 350 à 20. Connaît les meilleures potions à usage dentaire et s’est déjà retrouvé face à une goule, un vampire, une gelée ocre, un troll de Norvège et une plante carnivore. »
« Comment sais-tu tout ça Moony ? » s’étonna Sirius.
« Il suffit d’écouter les gens », répondit Remus en lui tapant affectueusement sur l’épaule. « Le peu de ses paroles que j’ai pris un jour en cours de route alors qu’il parlait avec des filles m’en a appris beaucoup sur lui, étant donné qu’apparemment il n’ouvre la bouche que pour parler de lui-même. »
Severus devait malheureusement revoir Lockhart le lendemain après-midi, lors du cours de sortilèges que les quatrième années de Serpentard et Serdaigle avaient en commun. À la fin de l’heure, Gilderoy se tourna vers le taciturne adolescent aux allures de croque-mort et lui décocha un sourire lumineux doublé d’un furtif clin d’oeil.
« Ah, Severus, quelle modestie ! »
Le Serpentard tenta de maîtriser ses mains pour ne pas l’étrangler sur place.
« Tu n’osais pas t’autoproclamer crack de Poudlard en Histoire de la Magie – mais James Potter et Sirius Black m’ont révélé ton véritable mérite, et que tu étais incollable sur l’histoire de... la magie noire, et tout ce qui est un tant soit peu inquiétant et lugubre. Ne fais pas cette tête, tu n’as pas à te sentir gêné... Mais non, ça n’est pas de la gêne... »
Un soupçon d’inquiétude émana de sa voix.
« Tu es furieux », poursuivit-il, « furieux contre Sirius parce qu’il m’a fait ton éloge ? Mais, Lucius Malefoy m’avait bien dit qu’il n’y avait pas meilleur que toi... »
Au nom de Lucius, Severus eut un geste brusque.
« Lu... »
« Oui », coupa vivement Lockhart, « un élève de dernière année de ta maison... Lucius Malefoy. Lors des premiers jours de classe je lui avais demandé quelques informations histoire de prendre mes marques dans ce nouveau collège, alors il m’a dit que James Potter de Gryffondor n’était pas trop mauvais en Quidditch, 'pour un Gryffondor', et que 'le meilleur élève de cette école c’est Severus Snape'. »
Severus parut d’un coup si absorbé dans ses pensées qu’il ne remarqua pas le regard que ses camarades filles fixaient sur lui et Lockhart en murmurant : un mélange d’effroi et de déception.
« Ce n’est pas ce que te diront les professeurs », répondit soudain Severus d’un ton sec. « Ils ne distribuent des notes que dans les matières qu’il leur plaît d’enseigner, et qu’ils ont parfois choisies de manière tout à fait arbitraire... »
« Certes », acquiesça Lockhart en souriant et en bougeant les yeux, comme quelqu’un qui n’a pas compris une blague.
Stupide Lockhart. Lui, Severus, avait de bonnes notes. Potter et Lupin avaient de bonnes notes. Mais selon le palmarès, le meilleur de leur classe, c’était Black. Et qui ne semblait pas faire le moindre effort pour être aussi brillant. Ce... crétin.
Oui. Car lui, il était bête... ! C’était injuste, tellement injuste. Ce vaurien, ces vauriens qui ne manquaient pas une occasion de violer le règlement – auquel ils étaient pourtant TOUS soumis - sans jamais s’en faire et qui s’en sortaient toujours sans être véritablement puni, et même parfois avec les honneurs, ces moins que rien resquilleurs, insouciants, orgueilleux... Qui se croyaient si supérieurs aux autres tout en feignant d’apprécier tout le monde, Poufsouffle, Serdaigle, et compagnie, et toujours le nez au vent à débiter des sornettes pour se faire valoir. Qu’ils étaient tous aveugles de ne pas voir ce qu’il était en réalité. Qu’ils étaient tous à en pleurer dans l’erreur en le préférant à lui.
Il venait de le voir, tout à l’heure, dans l’escalier. Il était avec Pettigrew et ce dernier faisait semblant de vomir en le voyant.
« Mais non Peter », avait dit Sirius en ricanant, « c’est plutôt lui qui va finir par se faire vomir à force de faire des trucs répugnants... »
Pettigrew avait éclaté de rire ; Black s’était mis à fixer Snape un demi-sourire sur les lèvres, immobile comme une statue.
Ses cheveux noirs comme des ailes de corbeau encadraient son visage plein et resplendissant de santé, la fine arête de son nez, ses yeux clairs à la courbe longue et arrondie, brillants comme des émaux… Des fois Severus se demandait si ce gamin stupide se rendait compte de ce à quoi il ressemblait.
Severus lui-même ne s’en était pas aperçu immédiatement, car voyons il ne faisait pas attention aux visages des gens, rarement à ceux des filles, encore moins à ceux de ses camarades masculins. Mais l’attitude bizarre de certaines élèves à l’égard de Sirius lui avait fait observer la physionomie de ce dernier, et il s’était rendu compte. Il le haïssait alors déjà. Il le haït encore plus.
« Tu es pitoyable Black », avait alors lâché Snape, les dents serrées, l’abdomen contracté.
Puis il s’était retourné d’un coup pour lui montrer tout son mépris, entraînant un ample mouvement claquant et élégant de sa cape, et il s’était éloigné, et son reflet au détour d’un miroir s’était soudainement jeté à sa vue comme un crachat.
Le jour J arriva enfin.
Un grand nombre d’élèves, n’appartenant pas forcément aux deux écoles qui allaient s’affronter, s’étaient déplacés pour assister à cette rencontre qui promettait d’être la plus excitante de l’année.
Une poignée de filles délaissait tout de même ce sport. Dans le salon des Gryffondor, trois amies avaient préféré rester au chaud pour commenter – entre autre – le spectacle qui s’offrait à leurs yeux : l'un de leur camarades de classe s’était endormi sur la table où il avait été occupé il y a déjà longtemps à finir un devoir urgent.
« Il est mignon en fait... »
« Ne parle pas trop fort, tu vas le réveiller... »
« Quand il dort comme ça, il a l’air moins fatigué que d’habitude... »
Elles gloussèrent.
« Mais Black est bien plus beau... C'est dommage qu'il ait un sale caractère... Et qu'il soit un Black. »
« Anna, chut ! »
Remus Lupin bougea et releva la tête, provoquant un repli en arrière des trois adolescentes ; il se hissa d’un coup, le regard hébété.
« Je me suis endormi », réalisa-t-il en se frottant les yeux.
Son regard se posa sur le trio.
« Où sont passés les autres ? » demanda-t-il.
« Ben, ils sont au match. »
« Déjà ! Quelle heure est-il ? »
Il sortit sa montre de sa poche.
« Oh non ! Il a commencé depuis plus d’une heure ! »
Remus se leva précipitamment, revêtit sa cape et son écharpe, et sortit en courant de la tour. Il traversa le donjon et le parc au pas de course, et parvint en nage aux abords du terrain de Quidditch.
Il s’accorda une minute pour reprendre son souffle, puis releva la tête.
Il n’y avait personne dans les gradins et le terrain était désert. Le match était déjà terminé, il avait dormi trop longtemps... Il allait s’en retourner quand la vue d’une tache le fit tressaillir. Intrigué, il marcha dans sa direction. Non, ses yeux ne le trompaient pas.
Au milieu du pré, il y avait une minuscule flaque de sang et des gouttes éparses sur une trajectoire qui sortait du terrain. Les accidents n’étaient pas rares durant les matchs, et certaines équipes étaient connues pour leur conception particulière du rôle des batteurs. Il était toutefois rare que le sang coule.
Dans le doute, Remus courut à nouveau, cette fois vers l’infirmerie, le ventre noué par l’appréhension.
à suivre