
Un Accueil Chaleureux
Maybe I’ll be there to shake your hand,
Maybe I’ll be there to share the land;
That they’ll be givin’ away,
When we all live together, we’re talkin’ ‘bout together, now…
- “Share the Land” The Guess Who, 1970
Sirius Black savait effectivement qui il était. Ou plutôt, Remus avait l’impression qu’il en savait bien plus à son sujet que ce qui pouvait être deviné sur la plaque “R. Lupin” à l’extérieur de la porte. James, semble-t-il l’éternel gentleman, était îtervenu pour les présenter l’un à l’autre, mais Sirius se contenta de regarder Remus de haut en bas avec des yeux perçants avant de hocher la tête. C’était le même regard que celui qu’on avait quand on se baladait seul dans l’East End ; un regard qui disait : “Je te vois, et si tu essaies quoi que ce soit, je te découpe.” Mais en Sirius, avec ses cheveux noirs en bataille, sa chemise mal rentrée et ses chaussures brillantes, Remus voyait plus un prince prétentieux qu’un gamin des ruelles.
“On n’a normalement pas de nouveaux ici en onzième année”, dit Sirius, comme s’il faisait une observation. Il semblait finir chaque phrase avec un haussement de sourcil. Ça rappelait les ministres guindés qui visitaient la propriété de son père.
“J’ai entendu ça”, répondit Remus. Il se redressa, adoptant une posture ouverte avec les épaules bien en arrière — un peu comme Tomny le faisait quand ils se retrouvaient à fixer les ennuis. C’était une manière d’afficher une forme de domination, mais ça marchait toujours avec Tomny. À la surprise de Remus, un coin des lèvres de Sirius se leva légèrement, bien qu’il ne se soit toujours pas avancé dans la pièce. James fronça les sourcils tandis que Peter réinsérait sa cuillère dans sa bouche.
“D’où tu viens ?” demanda Sirius.
“Il vient de Londres,” répondit James à sa place.
“Londres,” répéta Sirius sans grand enthousiasme. “super. Trois sur quatre maintenant. Tu dois te sentir chanceux.”
Donc pas lui, pensa Remus. Il ne dégageait pas cette énergie, en tout cas. Remus avait connu Sirius Black depuis à peine deux minutes, et déjà il en était presque sûr, il avait compris le personnage. Probablement issu d’une vieille famille avec de la fierté ancestrale, peut-être même un cousin éloigné de la Reine. Des écoles comme Hawkings en étaient remplies, non ?
Tu vois, la voix de Tomny résonna dans sa tête. Cela lui donna presque envie d´appeler l’aîné par téléphone ou de l’attraper par le cou ; les deux options étaient tout aussi irréalistes, étant donné qu’il était à des heures de Londres et que Tomny n’avait même pas de téléphone.
“Et toi ?” demanda-t-il, en frappant ses doigts contre le dessus de son coffre. “D’où vient ta famille ?”
Sirius abandonna son sourire narquois et Remus remarqua un muscle de son cou qui se contracta. James, voyant le changement de ton chez son ami, lui posa une main sur l’épaule et le poussa doucement.
“Allez, Sirius, raconte-moi ce qui s’est passé avec Reg et son groupe.”
“Ouais… » commença Sirius, toujours les yeux fixés sur Remus.
“On va te laisser t’installer, Remus, » dit James, d’un ton serviable. “Tu viens Pete ?”
Peter se leva précipitamment de son lit, posant son bol de curry vide de côté. “J’arrive !”
James tourna son ami vers la porte, et Sirius glissa ses mains dans les poches de son pantalon, envoyant ses cheveux sombres hors de ses yeux d’un mouvement de tête. “Ravi de t’avoir rencontré, Remus,” appela James en ouvrant la porte et en sortant, Sirius le précédant.
Peter attrapa la poignée de la porte après les deux garçons et sourit.
“N’hésite pas à mettre mes affaires de côté, Remus. On échangera les couvertures plus tard. À plus !”
Remus fit un signe de la main pour dire au revoir, juste par politesse, avant que la porte ne se referme avec un clac lourd et qu’il se retrouve enfin seul. La chambre elle-même était suffisamment spacieuse et présentait une grande forme rectangulaire avec quatre murs sombres et un sol en bois. Les lits étaient disposés en face les uns des autres, formant un carré, avec des tapis rouges s’étendant sur les allées entre. La salle de bain était convenable aussi, avec des installations blanches et des carreaux propres, bien que les deux seules fenêtres de toute la pièce se trouvaient sur le mur du fond, loin des lits de Remus et Peter.
La pièce était déjà en désordre avec divers objets appartenant aux garçons : une robe traînant par terre, des manuels neufs laissés en tas, des baskets jetées sous les lits, des stylos et des papiers éparpillés sur les tables de chevet. Ce n’était pas un chaos total, juste ce genre de désordre organisé qu’on retrouve lors des déménagements, un petit bouleversement avant que tout trouve sa place. L’un des garçons avait déjà accroché quelques affiches de football entre les poteaux de son lit. Remus reconnut vaguement le nom “Arsenal Club”, mais l’homme bien bâti affiché sur l’affiche, pris en plein coup de pied avec un ballon, était totalement inconnu. Il devina que le lit devait être celui de James, ce qui signifiait que l’autre devait être celui de Sirius.
Décidant qu’il valait mieux revendiquer sa place avant de complètement se faire dépasser par ses nouveaux colocataires, Remus traîna ses malles (toutes généreusement étiquetées “R. J. Lupin” en relief doré) jusqu’à son lit dans le coin et commença à remplacer les affaires de Peter. Heureusement, il semblait que l’autre garçon ne soit pas trop pressé de déballer, car les seules choses sorties de sa malle étaient une paire de chaussettes (espérons qu’elles soient propres), un emploi du temps scolaire, un vieux bombers qui, même Remus devait l’admettre, avait un style plutôt cool, et un paquet de chips à moitié mangé.
Il jeta tout cela dans la malle ouverte de Peter, puis traîna les malles et les autres à travers la pièce. La troisième était particulièrement lourde, et il se demanda brièvement si Peter avait une collection de pierres qu’il n’avait pas encore déballée et mise en vitrine.
Quand les malles furent toutes remises en place, Remus traversa la pièce pour aller à la fenêtre la plus proche et fit sauter le loquet, la faisant glisser vers le haut. La fenêtre ne bloquait pas comme celle du dernier dortoir où il avait été, mais cette pièce n’avait même pas la moitié de la taille de celle-ci, et ses fenêtres s’étaient coincées uniquement parce qu’elles n’étaient pas censées s’ouvrir. Ce qui n’avait cependant pas empêché les garçons de forcer les bords collés pour une rapide cigarette ou une évasion discrète.
Remus coinça une cigarette entre ses dents et l’alluma, sentant la fumée remplir ses poumons alors qu’il profitait enfin de son premier moment de paix depuis son départ de Londres. La chambre donnait sur la pelouse et l’allée du dortoir et, en fumant, il eut tout le loisir de voir un couple assis sur l’herbe, à côté de l’un des griffons en pierre. Il les observa tranquillement jusqu’à ce que leurs câlins affectueux deviennent plus sérieux, et il dut tourner l’épaule pour ne pas les fixer, choisissant de fixer les arbres de l’autre côté de la route. Lorsqu’il eut terminé sa cigarette, il se tourna vers la fenêtre et tapota légèrement le mégot sur la brique du bâtiment avant d’aller aux toilettes pour évacuer les preuves. Un coup d’œil rapide dans le miroir de la salle de bain lui apprit qu’il avait passé toute la journée avec la moitié de ses cheveux complètement aplatis contre son crâne. C’était probablement un effet secondaire des quelques heures qu’il avait réussi à dormir dans le train.
Mouillant légèrement ses cheveux, Remus se passa les doigts dans ses boucles brunes avant de soupirer. Tout ce à quoi il pensait, c’était les manuels scolaires qu’il avait eus tout l’été mais qu’il n’avait pas touchés, ou la nouvelle paire d’Oxfords qu’il allait sûrement galérer à casser, ou le fait qu’il devrait se tenir à côté des lits de James ou Sirius chaque fois qu’il prendrait une cigarette ou une pause. Les seuls vrais vêtements qu’il possédait étaient un uniforme gris sport et rouge cardinal (la couleur de la Maison de Godric, censée « promouvoir l’école et la fierté de la Maison tout en connectant les étudiants à travers les années et niveaux dans un élan de camaraderie »). Selon le règlement scolaire, il devait garder ses pantalons bien repassés et ses notes élevées, sinon son père en entendrait parler. La nouvelle réalité était qu’il avait échangé les coins de rue crasseux de Londres et les vieux hommes qui se comportaient plus comme des mères que comme des chauffeurs contre les mathématiques et les couvre-feux, et à moins qu’il ne trouve un moyen de s’en sortir, il allait passer les dix prochains mois bien et réellement désolé. Mais pour l’instant du moins, se sentir désolé pour lui-même était à peu près tout ce que Remus pouvait faire.
Se penchant à nouveau sur l’évier, il se splasha de l’eau sur le visage, grimaçant à cause du froid avant de pousser ses mains en arrière sur sa tête et de serrer fortement son cou. Peut-être, pensa-t-il sarcastiquement, que s’il pinçait assez fort, il se réveillerait dans l’appartement de Tomny pour découvrir que tout ça n’était qu’un mauvais rêve.
Au final, tout ce que Remus eut à la fin, ce fut un bleu.
* * *
Les autres garçons revinrent de la même manière que Sirius était apparu ; rapidement et avec beaucoup d’enthousiasme. Il était presque six heures et demie quand ils arrivèrent, chacun avec leur chemise retroussée jusqu’aux coudes et des taches d’herbe sur leurs pantalons comme s’ils s'étaient roulés dans un champ. Remus se redressa rapidement sur son lit lorsque la porte s’ouvrit brusquement, essayant de se donner une contenance en tripotant les papiers qu’il avait laissés sur sa table de chevet.
“Pete, mon pote, tu dois sortir tes assiettes,” dit James. “Ça sent comme le undhiyu de ma mère ici.”
“Je vais le faire,” promit Peter, entrant avec un plateau entre les mains. Il sourit en voyant Remus et se tourna vers lui. “Salut Remus, je t’ai apporté à dîner.”
“On s’est dit que tu devais avoir faim,” dit James, gentiment, marchant à reculons vers son lit. C’était en effet celui couvert de posters de football. Sirius entra en dernier, les cheveux éparpillés comme les autres, avec un sourire suffisant et satisfait sur le visage.
“Merci,” dit Remus en balançant ses jambes hors du lit tandis que Peter posait le plateau sur sa table de chevet.
“Pas de problème,” acquiesça Peter, retournant à son lit et jetant un regard furtif à son bol de curry taché avant de saisir un petit sac de toilette et de disparaître dans la salle de bains.
Le dîner était composé de saucisses et purée avec un tiramisu en dessert et un coca à boire. Remus souleva doucement le plateau de la table de chevet et le posa sur ses genoux, mangeant pendant que les garçons continuaient leur déballage. Semblant déjà bien organisé, Sirius choisit de se rendre au lit de James et d’ouvrir l’un de ses coffres. Remus regarda en silence, ouvrant sa canette de boisson et se demandant à moitié si Sirius allait commencer à plier les sous-vêtements de son ami. L’intérieur du coffre était rempli à ras bord de vêtements et de chaussures scolaires, que Sirius repoussa pour découvrir une grande boîte noire. Il frappa son dessus avec enthousiasme, ce qui produisit un bruit métallique comme si elle était vide.
“Eh Pete, tu les as?” appela Sirius, presque euphorique.
Peter répondit de la salle de bains ; “Ouais, je les ai, attends juste.”
“Tu ne les as pas abîmés, hein?”
“Non, je ne les ai pas abîmés .”
“Bien.” Poussant la boîte métallique, Sirius sortit une sorte de mallette du coffre de James et la souleva pour la poser sur le dessus de son armoire avant de revenir au coffre. “Purée James, fallait vraiment que tu remplisses ça avec tes chaussures de foot? Ça pue.”
“C’est pas ma faute si le truc pèse une demi-tonne,” dit James depuis son lit, où il feuilletait tranquillement un magazine de football. “T’as de la chance que je l’aie ramené du tout.”
Avec un ricanement, Sirius souleva la boîte du coffre de son ami et se tourna de nouveau vers son armoire. En faisant cela, Remus aperçut plusieurs cadrans et boutons et comprit enfin. Incapable de se retenir, il avala sa bouchée de purée et l’interpella : “C’est un stéréo ?”
Sirius s’arrêta à mi-chemin de son lit, tenant la hi-fi contre sa poitrine et fixant Remus comme s’il avait complètement oublié sa présence. “Ouais,” répondit-il sans ton, avant de tourner le dos et de poser la stéréo sur l’armoire avec la petite mallette, qui se révéla être une platine qu’il avait équipée comme un petit coffre. Il y eut un bruit de froissement, puis Sirius commença à trier plusieurs câbles, reliant les haut-parleurs de la hi-fi à la platine et enroulant chaque fil derrière l’armoire jusqu’à la prise murale.
“Tu vas finir par déclencher un incendie un jour,” commenta James, écartant les rideaux de son lit pour que Sirius puisse brancher.
“On mettra ça sur le dos des vieilles lampes de chevet,” répliqua Sirius. “T’as les posters ?”
“Ouais.” Jetant le magazine sportif de côté, James descendit de son lit et fouilla dans la poche du toit de son coffre, en sortant plusieurs feuilles de papier pliées. La plupart étaient sales — jaunies au dos et déchirées aux coins comme si elles avaient été décrochées et accrochées à plusieurs reprises — mais Sirius les prit et les trièrent, mordillant sa lèvre inférieure, un sourire en coin. Tendant la plupart sous un bras, il ouvrit le plus grand, révélant l’image en noir et blanc de Mick Jagger hurlant dans un micro.
“Tu m’as manqué, Mick,” soupira Sirius avec nostalgie.
“Purquoi pas l’embrasser, tant que tu y es?” dit Peter, sortant de la salle de bains.
Sirius abaissa le haut de l’affiche pour la plier en deux. “Ça te plairait, hein Pete ? Désolé, mais faut payer pour le show complet.”
Peter souffla du nez en riant et se dirigea vers ses valises, basculant le plus lourd sur le côté et l’ouvrant. “Viens les chercher alors, Black,” appela-t-il, et déposant les posters de côté, Sirius se précipita vers son coin et commença à fouiller.
Remus regarda avec curiosité, avant que ses yeux ne se posent sur James, qui regardait aussi avec un petit sourire. Croisant son regard, James lui fit un clin d’œil avant de lever la jambe et de poser son menton sur son genou. Un peu perturbé, Remus se tourna à nouveau vers leurs autres colocataires et puis, sous ses yeux, Sirius commença à sortir album après album après album. Il sortit toute une collection du coffre de Pete — une pile de disques, là, en plein air, certains si propres qu’on aurait dit qu’ils sortaient tout juste des emballages. Ce n’était pas les mélodies monotones de violon ou le doo-wap qu’on entendait dans le salon commun, mais des groupes comme The Animals, Pink Floyd, The Sweet, Led Zeppelin, et d’autres que Remus ne connaissait pas. Sirius vibrait presque de joie, et cette fois il suivit les conseils de Peter — plantant de gros baisers directement sur des albums comme Transformer et Physical Graffiti.
“Un accro et sa drogue,” observa James, tandis que Sirius se ventait avec un autre LP.
“C’est de l’ecstasy pour l’âme, Potter.”
Remus était presque en train de mordre sa fourchette de jalousie lorsque Peter le surprit en train de le fixer. Il s’avança, tout content de laisser Sirius prendre le contrôle de son coffre, et s’assit au pied du lit de Remus comme s’ils se connaissaient depuis des années.
“Ils font toujours des saucisses et de la purée tous les mardis,” dit Peter en désignant le dîner de Remus. D’un geste décontracté, Remus se redressa un peu dans son lit, poussant son menton vers Sirius et parlant doucement pour que seul Peter l’entende.
“Je pensais pas qu’on vous laisserait avoir un setup dans les chambres.”
“Oh, normalement, on n’est pas sensés, mais personne nous dénonce. Le dernier qui l’a fait s’est retrouvé avec toutes ses culottes affichées sur le mât du drapeau de l’école.”
Remus haussait un sourcil. “Tu as accroché les sous-vêtements d’un mec sur un mât de drapeau ?”
“Ouais. C’est pour rigoler, mais la plupart des gars aiment la musique de Sirius, et il ne la met vraiment à fond que la première semaine.”
“Pourquoi juste la première semaine ?”
“Arrêtez de faire les commères là-bas,” lança Sirius. Il avait transporté une grosse pile d’albums jusque sur son lit et était en train de faire l’inventaire. Peter lui fit un doigt d’honneur avant de se tourner à nouveau vers Remus.
“Entre toi et moi, c’est carrément insupportable, mais tu tiens bon pendant quelques jours et après ça se calme.”
“Tenir bon pourqu—”
Soudain, la pièce fut envahie par un cri de réverbération assourdissant, la hi-fi de Sirius balançant un riff de guitare frénétique. La musique était si forte qu’elle avait dû faire trembler toutes les portes de Brick Lane à Whitechapel. Peter se plaqua les mains sur les oreilles, et James sauta presque d’un mètre de son lit, mais Sirius, lui, ne fit que sourire en jetant la tête en arrière vers le plafond tandis que le chanteur hurlait ;
‘1—2—3—4!’
Élevant les bras comme s’il tenait une guitare, Sirius grattait l’air à chaque note du riff d’ouverture.
“BIENVENUE À HAWKINS !” cria Peter, tandis que les cymbales s’écrasaient et que Slade commençait ce qui devait être leur performance la plus bruyante en dortoir.
'I don’t want to drink my whisky like you do,
I don’t need to spend my money but still do,
Don’t stop now a c'mon—
Another drop now c'mon—
I wanna lot now so c’mon—
That’s right, that’s right!
I said Mama but we’re all crazy now!'
Encore à moitié étourdi, partagé entre l’appréciation de la chanson—c’est Slade ! C’est Slade dans notre putain de chambre—et l’horreur de son volume, Remus baissa les yeux pour découvrir qu’il avait renversé son tiramisu sur son plateau.