
Destins croisés
Sur la base. Raven.
Depuis qu’elle était rentrée de Tonlé Sap, Raven s’était enfermée dans la salle de radiotransmission pour lancer des messages sur le talkie-walkie de Clarke. Elle espérait encore au fonds d’elle que Clarke soit vivante. C’était une battante. Elle lui interdisait de mourir ici.
« Allez répond Clarke… répond s’il te plaît » dit-elle en s’acharnant sur le bouton de la machine afin de répéter une soixantième fois le même message avant d’être interrompue.
« Raven ? Viens, on a besoin de toi devant ?
- Franchement, qu’est-ce qu’il peut y avoir de plus important Monty ? Ça ne peut pas attendre ?
- J’aimerais te dire oui mais l’équipe de recherche de l’armée vient de débarquer. Ils veulent voir tout le monde. »
L’équipe de recherche… Wells a dû réussir à obtenir l’aide de l’armée…
Un nouvel espoir se dessina sur le visage de Raven. Elle bondit hors de sa chaise et bouscula presque Monty en passant le pas de la porte. Elle courra en direction du mobil-home où toutes les personnes travaillant sur la base étaient réunies. Le speech venait de commencer. Un homme trapu portant l’uniforme des Casques bleus s’était placé debout sur une chaise afin de faire porter son message.
« Messieurs, dames, votre attention s’il vous plaît. »
Les quelques chuchotements dans la salle se turent automatiquement dès que l’homme prit la parole.
« Comme vous le savez peut-être, Maya Vie a été retrouvée morte un peu plus tôt dans la journée. La potentielle suspecte n’a pas été ramenée sur la base mais est étroitement surveillée au village où le drame s’est produit. Je suis venu pour vous apporter ces informations, mais également pour vous faire part d’une seconde mauvaise nouvelle. Après avoir bouclé le village, nos agents se sont aventurés à proximité et ont découvert un deuxième corps… »
A cette annonce, des faces stupéfaites se dessinèrent sur les visages de la foule. Harper était au bord des larmes, soutenue par Monty qui la prenait par l’épaule en essayant de la réconforter. Wells essayait de faire bonne figure en tant que chef de mission mais des perles de sueur coulaient sur son front et il n’arrêtait pas de tripoter son bloc de papier, mal à l’aise. Miller se tenait la tête dans les mains en fermant les yeux et en se mordant les lèvres. Roma à ses côtés était livide et jouait avec ses doigts. Quant à Raven qui tapait furieusement du pied depuis le début de la réunion, elle avait les yeux grands ouverts avec l’impression d’avoir reçu un coup sur la tête avec cette nouvelle révélation. Aucun d’entre eux n’était prêt à entendre la suite…
« … Il s’agit de John MBengue, deuxième des trois membres envoyés sur cette mission. D’après les premières constatations, il aurait été également assassiné. Nous restons toujours sans nouvelles de Clarke Griffin. L’armée américaine vient de nous envoyer une équipe tactique formée de soldats qui va dès à présent prendre notre relais sur le terrain. Leurs recherches vont s’intensifier mais bien évidemment, dans ces circonstances, votre ordre de mission est suspendu. Pendant que l’armée américaine sera déployée en forêt pour essayer de retrouver le docteur Griffin, l’ensemble des Casques bleus sous mon commandement et moi-même sommes réaffectés à votre protection sur la base. Pour des questions de sécurité, aucune sortie hors de la base n’est tolérée en attendant votre rapatriement aux Etats-Unis.
- Un rapatriement précipité ?
- Oui mademoiselle. A la vue des circonstances, il serait dangereux de vous laisser continuer à travailler sur le territoire. Merci à tous de votre écoute. »
Un à un, les bénévoles de Médecins sans frontières sortirent de la salle et se réunirent autour de Wells pour obtenir des informations supplémentaires. Sauf Raven qui se dirigea vers l’agent qui venait de prononcer son discours.
« Sergent Jones ?
- Mademoiselle ? Vous êtes ?
- Raven Reyes, mécanicienne et en charge de la radiocommunication sur la base.
- Enchanté Madame. En quoi puis-je vous aider ?
- C’est plutôt le contraire… Clarke Griffin est ma colocataire et une de mes amies les plus proches. J’aimerais pouvoir vous aider à la rechercher sur le terrain.
- Désolée madame, les ordres sont clairs. Il est bien trop dangereux de laisser n’importe lequel d’entre vous sortir sans surveillance. De plus, vos compétences vont peut-être nous être utiles ici…
- Monty peut se débrouiller sans moi ! Et je vous assure que je-….
- Je comprends vos sentiments madame, mais cela ne sert à rien de discuter de ce sujet. Je ne peux rien faire, désolé. Et comme je vous l’ai dit, en tant que casque bleus, nous sommes maintenus à l’écart et sommes ici pour assurer votre sécurité. Le travail d’investigation sera mené par une unité de soldats américains… qui vient juste d’arriver. Là, vous voyez ? »
Il lui montra un groupe d’hommes qui venait de passer la clôture de la base. Raven s’apprêtait à répliquer une nouvelle fois au sergent Jones quand elle se figea.
Dans le groupe de soldats, elle reconnut un homme en particulier.
John Murphy.
Lui ? Un soldat dévoué à la cause américaine ? La bonne blague. Elle le connaissait bien. Il était tout sauf fréquentable. Elle avait fait sa connaissance musclée lorsqu’il s’était retrouvé dans une bagarre avec son ex qui lui devait de l’argent. Murphy était un dealeur bien connu de son quartier et elle le croisait bien trop souvent et encore récemment à Los Angeles pour croire qu’il s’était acheté une conduite et était rentré dans le rang. Non, il y avait anguille sous Roche. Pourquoi se trouvait-il ici ?
Sa présence troubla Raven mais Murphy ne l’avait pas encore aperçue. Elle avait une chance de s’éclipser avant qu’il ne la voit. Elle décida de conclure la conversation qu’elle avait et prendre congé rapidement de l’agent Jones.
« Désolée de vous avoir dérangée, cette histoire me mets un peu sur les nerfs. Je retourne en salle de radio.
- Nous sommes tous à fleur de peau, ne vous excusez pas. A plus tard madame. »
Elle hocha la tête et rasa le mur avant de courir en direction de sa chambre. Sur le chemin, elle croisa Harper.
« Harper, rendez-vous dans ma chambre dans 5 minutes. Préviens Monty et Miller mais faites attention à ce que Wells ne remarque rien. Ok ?
- Euh ok…
- Super. A tout. »
Malgré ce que chacun pouvait dire pour la dissuader, Raven s’était décidée. Ce n’était plus l’heure de pleurer et d’attendre dans l’espoir d’un miracle, c’était l’heure d’agir.
Sur la base. Emerson.
Emerson attendait impatiemment que ses futurs collègues arrivent. Après ses manigances, son patron avait enfin pu lui envoyer une équipe en renfort et il avait hâte de sortir de la base. Il n’avait pas été démasqué, bien au contraire : personne n’avait remarqué son manège et son implication dans la mort de Maya. La raison principale, c’est que cela devenait difficile de ne pas rire devant la peur de ces petits bénévoles humanitaires et l’incompétence des casques bleus qu’il avait réussi à berner avec une incroyable facilité pour sortir et re-rentrer sur le camp sans se faire remarquer.
Depuis l’annonce, il avait dû s’entraîner à revêtir une tête accablée, être compréhensif et désolé pour les personnes proches de Maya, des sentiments avec lesquels il n’était pas vraiment familier. Et apparemment, il était plutôt doué, voire très fort en comédie. Broadway l’attendait à la sortie de cette mission. Où peut être plutôt les Bahamas avec tout cet argent qu’il allait touché.
Un seul point venait noircir le tableau : la découverte du corps de John. Après l’appel d’Atom pour annoncer à la base la découverte du corps de Maya, Wells avait décidé d’envoyer plusieurs casques bleus au village afin d’assurer la sécurité de Raven et d’Atom. Emerson qui était rentré sur la base depuis quelques minutes était affecté sur cette mission avec cinq ou six autres collègues. C’est donc dans la plus totale innocence qu’il avait re-débarquer à Tonlé Sap et pour son plus grand plaisir, aucun villageois ne semblait le reconnaître. Il avait réussi à rester inaperçu, c’était le principal.
Après avoir sécurisé le périmètre, il était parti en forêt avec deux de ses collègues pour surveiller les environs. C’est là qu’il était tombé sur John. Ayant la chance d’être le premier à l’avoir découvert, il en profita pour fouiller le corps à la recherche d’indice laissé sur un carnet de notes, son portable… mais rien. Plus que de la tristesse à ce moment-là, il ressentait un profond sentiment de frustration. Si John avait trouvé quelque chose, il l’avait emporté avec lui dans la tombe. Il fallait reprendre tout depuis le début ou espérer que Clarke Griffin sache quelque chose, ce dont il n’était pas sûr contrairement à son employeur. Mais bon, c’était lui qui payait.
Alors qu’il assistait à la conférence du sergent Jones, il vit que l’équipe de soldats venait juste d’arriver de l’aéroport. Il s’éloigna pour aller à leur rencontre et avança sa main vers un des hommes.
« Emerson je suppose ? Je suis Jax. Et voici les gars. »
L’homme qui lui avait parlé lui serra la main. Emerson prit le temps de les dévisager un par un pour installer son autorité sur eux. Il en connaissait quelque uns de vus : Murphy, Elliott, Simon… En tout, ils étaient 18. C’était parfait.
« Bien. Messieurs, comme vous savez, nous avons quartier libre. Je vous apprends que nous n’avons plus besoin de chercher John, nous l’avons retrouvé, mais il ne parlera plus beaucoup... »
Aucun d’entre eux ne s’émut de la nouvelle.
« Votre cible maintenant… c’est elle : Clarke Griffin »
Il montra une photo de la blonde sur l’avis de recherche. De nouveau, Jax prit la parole. Il devait avoir simplement 25 ans à vue d’œil mais ne faisait aucun doute qu’il était le meneur parmi ce groupe.
« Quels sont les ordres concernant cette femme ?
- Nous la voulons vivante. Elle a peut-être des informations que nous recherchons. J’aimerais pouvoir l’interroger sa capture est importante, mais n’oubliez pas d’ouvrir vos yeux : notre objectif premier est de découvrir où se trouvent ces mines de minéraux et ces puits de pétrole. Si John était dans le vrai, elles devraient se trouver à proximité de Tonlé Sap et c’est pour ça qu’il a été tué. Nous allons diriger nos recherches en premier lieu dans ce périmètre.
- J’ai entendu parlé aux alentours de l’existence d’une population… hostile ?
- Elle n’a pas été très hostile quand j’ai dû éliminer Maya… » ricana Emerson « Quoi qu’il en soit, vous êtes autorisés à ouvrir le feu si besoin, mais ne jouez pas aux imbéciles. Jax, allez prévenir le sergent Jones de votre arrivée sur les lieux et dites leurs que vous commencez les recherches dès à présent.»
L’homme s’éloigna et revint 5 minutes plus tard. Entre temps, Emerson avait pris le soin de se changer et de s’armer. Il fit signe à l’équipe de le suivre et ils passèrent le portail de la base menant vers la forêt.
« Ok, un groupe avec moi et le reste, vous suivez Jax au village. Obtenez le maximum d’informations possible. »
Jax pris 6 hommes dont Murphy et s’éloigna vers Tonlé Sap
« C’est parti... »
Sur la base. Raven.
5 minutes plus tard, Harper ramenait Monty et Miller dans la chambre qu’elle partageait avec Raven. La latina était en train de préparer son sac. Miller prit la parole en premier :
« C’est quoi tout ça ?
- Ca, c’est moi en train de quitter cette base. Je pars chercher Clarke.
- Raven, tu sais bien qu’on ne peut pas bouger de la base… c’est trop dangereux et toutes les sorties sont surveillées… »
Raven s’arrêta et les regarda :
« Depuis quand vous tenez le discours de ces mecs ? Il est passé où le Monty qui faisait le mur avec Jasper au lycée ? Il est où le Miller qui avait réussi à nous faire évader de notre retenue en troisième en crochetant la serrure sans être pris par un surveillant ? Elle est où la Harper sans peur qui tacle tout le monde aux rollers derby ? »
Des sourires se dessinèrent sur leurs visages en pensant à ces souvenirs.
« J’ai besoin de faire quelque chose, je ne peux juste pas rester ici à attendre et espérer que Clarke revienne d’elle-même…
- Tu sais bien que ce n’est pas ça Raven… Putain qu’est-ce que j’aimerai être à l’extérieur aider aux recherches mais je ne ferai que les ralentir » regretta Miller « peut-être qu’on peut faire confiance à ces soldats, ils sont entraînés à résoudre ces situations...
- Non, c’est bien ça le problème, c’est pour ça que je vous aie dit de venir ici. »
Des regards inquisiteurs se formèrent quand Raven prononça sa phrase et leur dit de se rapprocher d’elle. Elle baissa la voix.
« Je ne sais pas ce qui se passe mais là-bas, ce ne sont clairement pas tous des soldats américains. Vous vous souvenez de Murphy ?
- Hum, un peu ouais ! Mais quel est le rapport ?
- Tout à l’heure, en discutant avec le sergent Jones, je l’ai vu une arme à la main avec ce groupe de recherche et je crois aussi avoir reconnu encore un ou deux autres zonards dans le groupe…
- Attends, tu déconnes là ?
- Je préférerai. En tout cas, il se passe un truc pas net… »
Harper prit la parole :
« Il faut avertir Wells-
- Non. » la coupa Monty amer « Ca ne servira à rien. On va lui dire quoi ? On connaît un des gars du groupe, c’est un vrai salopard et on ne lui fait pas confiance ? Super ! Wells est beaucoup trop gentil, il va nous dire que Murphy a peut être changé et tout. Tu le connais…
- En plus il a assez à gérer pour le moment… Bref, mon plan, c’est que j’y vais et j’essaye de retrouver Clarke avant eux.
- Tu te rends compte que tu as peu de chances de réussir quand même… ils sont une vingtaine et tu es seule.
- Oui mais qui la connaît parmi eux ? Si Clarke a laissé des indices, je les trouverai.
- Ok, mais je t’accompagne.
- C’est gentil Harper, mais j’y vais seule. Si on disparaît tous en même temps de la base, ça va se faire remarquer. Je vais avoir besoin de vous ici pour m’aiguiller en forêt. J’emmène une radio avec moi. Monty, j’ai besoin que tu restes au poste de contrôle au cas où que j’ai un message à faire passer ou besoin de ton aide sur quelque chose…
- Ca marche Rae.
- Les gars, j’ai besoin de vous pour faire croire que je suis encore ici à tout le monde. Inventez un truc, n’importe quoi, faites croire que je passe ma journée au lit…
- Règle douloureuse comme alibi, ça te convient » lui proposa hilare Miller.
« Au moins, personne ne posera de questions, je valide. » Raven leva sa main pour lui faire un highfive « Dernier point… comme vous avez dit, les sorties sont surveillées. Miller, j’ai besoin de tes doigts de fées pour déconnecter le système de fermeture du portail. Monty, Harper, trouvez une diversion pendant que je me faufile. »
Les deux tourtereaux se regardèrent en souriant.
« Tu peux compter sur nous. »
- Dernier point. Monty, essaye de tenir Octavia informée. Si l’information est déjà tombée elle doit être en train de flipper donc si on peut la rassurer un petit peu…
- Bien sûr. »
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Un quart d’heure plus tard, elle se retrouvait dans la cour, derrière une tente. Miller avait réussi à déconnecter temporairement le système de surveillance et d’ouverture de porte. Il ne restait plus qu’à divertir l’homme de garde. Elle vit Harper et Monty se rapprocher. De loin, elle n’entendait pas ce qui se disait, mais d’après les gestes et les cris, ils étaient en train de simuler une rupture
Finalement, passer sa journée avec Harper à mâter des comédies romantiques sur Netflix avait du bon. Elle aurait mérité un oscar avec toutes ces fausses larmes.
Le garde un peu gêné était en train de se rapprocher d’eux et essaya de les calmer mais Harper et Monty redoublèrent d’efforts. C’était le bon moment pour s’éclipser. Raven n’avait jamais couru cette ligne droite aussi rapidement de sa vie. Son prof de gym aurait été fier d’elle.
20 secondes après, elle était dehors, l’immensité de la forêt devant elle.
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Au bout d’un quart d’heure de marche, elle entendit du bruit derrière elle
« Ils m’ont déjà retrouvé ? Ce n’est pas possible, dites-moi que ce n’est pas vrai… »
Elle n’avait pas emmené d’arme avec elle, seulement un canif qu’elle sortit de sa poche. Elle alla se cacher derrière un arbre. Elle espérait que ça n’allait pas dégénérer car malgré son bon niveau en corps à corps, s’ils avaient des pistolets en face d’elle, elle ne pourrait rien faire.
Le bruit disparut. Elle se redressa, curieuse, afin d’observer les alentours.
Rien.
Peut-être qu’elle psychotait.
« Bouh ! »
Raven aurait hurlé de frayeur s’il ne lui avait pas placé sa main devant sa bouche. Elle se retourna agacée :
« T’es con, tu m’as fait peur ! Qu’est-ce que tu fais là Atom ? »
Le jeune homme lui adressa un grand sourire et prit une pose dramatique.
« Tu me manquais bébé… »
Elle roula ses yeux. Il hurla de rire. Elle sortit sa radio et commença à émettre sur la fréquence qu’elle avait donnée à Monty avant de partir
« Ils te l’ont dit c’est ça ?
- Ne leur en veux pas. Ils étaient inquiets de t’envoyer seuls-…
- Allo Raven ? »
Elle entendit Monty à travers le combiné
« Sérieux les gars, vous avez aussi peu confiance en moi ? Je trouvais ça bizarre aussi que vous ne me reteniez pas plus
- Donc tu as reçu notre petite surprise. »
Elle pouvait sentir à travers l’appareil que Monty, Harper et Miller étaient fiers de leur coup. En même temps, elle les connaissait, elle aurait dû s’en douter.
« Tu ne voulais pas qu’on te déroule un tapis rouge pour ta sortie quand même ? On était obligés Rae. En plus, à deux vous irez plus vite »
Atom prit le relais pour la convaincre :
« Et vu qu’il n’y a plus d’activité, je ne suis d’aucune utilité là-bas. Et on ne le croirait peut être pas, mais je suis un chasseur hors pair depuis toute petit. Donc quand tes réserves de granola seront finies, croit moi, tu seras contente d’avoir un pisteur pour débusquer de la nourriture en forêt…
- J’espère que ça ne durera pas aussi longtemps pour qu’on en arrive là… »
Raven était vraiment contente que ses amis lui envoient Atom. Malgré ce qu’elle pensait, elle sentait qu’elle aurait pu craquer mentalement si elle s’était lancée à la recherche de Clarke seule. Avoir un peu de soutien n’est pas si mal parfois. Atom lui secoua l’épaule en réconfort.
« T’inquiète, on va la retrouver, tous les 5. Ok ? Ne perds pas la foi ?
- Oui, tu as raison. Assez perdu de temps. Let’s go. »
Dans la forêt, Clarke.
Elle avançait comme un robot dans la forêt, livide.
Tout était noir autour d’elle.
Une fois que ses nerfs avaient fait retomber la pression après la découverte de John, une question s’était inévitablement posé. « Et maintenant quoi ? Je fais quoi ? »
Elle était restée assise repliée sur elle-même à juger les pour et les contres pendant plus d’une heure.
Bien sûr elle aurait pu agir sur le coup de l’émotion : elle aurait pu fuir, courir et disparaître dans la forêt, loin de cette femme qu’elle croyait avoir appris à connaître au fil des jours. Avec un peu de chance, elle aurait retrouvé son chemin et aurait pu laisser derrière toute cette histoire. Oubliés Anya, Aden et Lexa et bonjour sa vie tranquille à Los Angeles.
Mais elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas. Ce n’était pas aussi facile. Au fond d’elle, elle était poussée par l’envie de comprendre ce qui s’était passé, de comprendre « le mystère Lexa » qui s’était formé dès la première fois qu’elle avait posé ses yeux sur elle.
Maintenant qu’elle avait fait ce choix, elle devait l’assumer. Mais elle n’était pas sûre d’elle comme elle aurait pu l’être au moment de poser un diagnostic médical ou donner la réponse à 1+1.
La boule au ventre, elle retraça le chemin inverse qu’elle avait effectué une heure plus tôt. A l’approche de leur campement de la veille, elle prit une grande inspiration et essaya de se calmer pour paraître le plus naturel possible. Elle se dirigea vers son sac pour prendre la radio qu’elle avait emmené avec elle lorsqu’elle avait quitté Tonlé Sap la dernière fois. Pendant qu’elle le fouillait, Anya se rapprocha d’elle, la main sur la hanche et le regard blasé :
« Tu en as mis du temps… »
Hum. Si elle avait été d’humeur, elle lui aurait répondu en faisant une blague de mauvais goût comme Raven savait le faire mais clairement, ce n’était pas le moment.
Elle regarda Anya franchement dans les yeux mais elle ne faisait pas assez confiance en sa voix pour sortir un mensonge à la grande blonde qui restait encore suspicieuse à son égard. Elle mit son sac à dos sur les épaules et se dirigea sans dire un mot vers Lexa.
« Peut-on parler en privé ? »
Lexa fronça les sourcils. Quelque chose n’allait pas chez la blonde, elle ne reconnaissait pas ce regard, le bleu azur de ses yeux semblait avoir disparu derrière un voile noir. Elle voulait lui répondre qu’elle n’avait rien à cacher à Anya et Aden et qu’elle pouvait parler librement devant eux mais définitivement, Clarke allait l’air de vouloir lui parler de quelque chose d’important, quelque chose qui la touchait personnellement... et elle avait une vague idée du sujet. Elle ne voulait pas brusquer Clarke, elle lui désigna la forêt :
« Bien sûr… Par ici »
Elle emmena Clarke à l’écart de leur campement. Une fois seules, Clarke fixa longuement Lexa de la tête aux pieds. « C’est incroyable… comment Lexa a-t-elle pu se débarrasser de John qui fait deux fois sa taille ? » Elle était tellement mignonne et douce avec elle malgré son masque sans émotion qu’elle revêtait…
Bien sûr, ce n’était pas la réalité. Quand elle l’avait soutenu pour marcher un peu plus tôt, Clarke avait laissé traîner sa main sur le ventre de Lexa et avait senti que la jeune femme prenait extrêmement soin de sa condition physique si elle s’en tenait compte à la force qu’elle avait dans ses bras et aux abdos qu’elle avait sentie sous ses doigts. Si le sujet n’était pas aussi grave, Clarke ressentirai presque une forme d’admiration pour la force dont avait dû faire preuve la jeune femme face à John. Mais ce n’est pas pour lui tresser des louanges qu’elle voulait lui parler.
Une fois l’inspection terminée, elle connecta son regard à celui de Lexa et répéta une question qu’elle s’était posée en boucle :
« Lexa, comment t’es-tu faite ces blessures ? »
Lexa laissa échapper un sourire en coin. Clarke le jouait donc comme ça. Elles pouvaient être deux.
« Pourquoi me demander quelque chose dont tu as la réponse Clarke ? »
Clarke leva les yeux au ciel et poussa un soupir mais garda son air sérieux et grave :
« Qu’est-ce qu’il t’avait fait ?
- Quelle importance ? Ce qui est fait est fait.
- C’EST IMPORTANT POUR MOI… Lexa… s’il te plaît… »
Sa voix se brisa et ne laissa passer qu’un souffle sur la dernière syllabe. Cela faisait mal au cœur de Lexa de la voir triste mais elle ne pouvait rien changer au passé et John ne méritait de toute façon pas une autre fin. La trahison d’un ami pouvait être quelque chose de difficile à apprendre, elle en connaissait quelque chose sur le sujet et elle ne voulait pas que Clarke ait à subir ça. Cependant, si la blonde voulait la vérité, alors elle lui donnerait. Elle répondrait à toutes ses questions. Elle lui avait sauvé la vie, elle lui devait bien ça.
« Très bien Klark… » Elle appuya particulièrement sur son prénom et prit une voix grave pour lui montrer que la blonde avait toute son attention et qu’elle n’avait pas l’intention de lui mentir «… j’étais en patrouille de surveillance avec Aden aux alentours du village où tu étais basée. Nous avons surpris ton ami erré pendant plusieurs jours dans la forêt à la recherche de quelque chose. Nous n’avons rien tenté contre lui, nous nous sommes contentés de l’observer de loin. Seulement, l’autre jour, ton ami nous a attaqués par surprise. Je n’ai eu d’autres choix que de riposter. Dans la bataille, il m’a lâchement attaqué avec son… pistolet ? » dit-elle en essayant de se rappeler le mot exact désignant cette arme « … mais il n’a pas eu la chance de le faire deux fois. »
Sa voix était froide et dénuée d’émotion. Il n’y avait pas besoin de détails superflus ou morbides. Le message était clair. Mais parmi les informations que venaient de dévoiler Lexa, une en particulier retint son attention.
« En patrouille ? Vous nous surveilliez ? Pourquoi ?
- Peu d’étrangers s’aventurent si loin dans la forêt, proche de nos territoires. Nous surveillions seulement le village pour quelles étaient vos intentions. Les tiennes et celles de ton autre amie étaient pacifiques. Nous n’aurions rien tentés contre vous si… »
Elle laissa sa réponse en suspens mais Clarke sembla se satisfaire de cette réponse.
« Donc dans la forêt, ce n’était pas la première fois que tu me voyais…
- Techniquement, non... »
…Mais je dois avouer que te voir de près et discuter avec toi est bien plus intéressant que de rester t’observer de loin...
Lexa garda cette fin pour elle. Clarke encore désorientée posa une nouvelle question :
« Et tu n’as aucun regrets ?
- Je ne suis pas en position de ressentir des regrets Klark.. Nous sommes qui nous sommes. Dans le monde où je vis nous faisons ce qu’il faut pour survivre. Ce n’est pas heureux je le reconnais, mais parfois, cela se fait avec des sacrifices. »
Des sacrifices ? On parle de sacrifice maintenant ?
Clarke ne s’était jamais senti aussi démunie que maintenant face à Lexa. Elle avait mal. Elle ne savait plus quoi penser d’elle. Son cœur lui disait de repenser aux doux moments qu’elles avaient passés ensemble, aux sarcasmes de Lexa, à ses expressions faciales inimitables, à son entêtement incroyable… tous ces petits instants qui avaient fait d’une certaine manière fondre le cœur de Clarke et lui donnait envie de mieux apprendre à connaître la brunette. Mais au-delà du cœur, sa tête lui disait qu’elle avait en face d’elle une tueuse de sang-froid qui ; d’après le discours qu’elle lui donnait maintenant ; n’hésiterait pas à la liquider si elle lui posait un problème. La gorge de Clarke se serra à cette idée. Elle ne savait plus si elle pouvait lui accorder la moindre confiance. Cette découverte avait brisé leur complicité naissante.
Elle se pencha pour sortir la radio de son sac et la posa devant Lexa :
« Tu vois cette radio Lexa ? Elle est reliée directement à la base où se trouvent mes amis et mon chef. Dès que je suis revenue ici, j’aurais pu les contacter et te délivrer aux autorités. J’y ai pensé pendant cette heure passée seule à côté de son corps. J’ai pensé à toutes les possibilités que j’avais. Au lieu de revenir ici et de me jeter dans la gueule du loup, j’aurais pu fuir aussi. Tu sais pourquoi je ne l’ai pas fait ? Parce que j’avais confiance en toi Lexa, je croyais que nous avions construit une vraie relation de confiance entre médecin et patient, mais il faut croire que je m’étais trompée… »
Médecin-patient, bien sûr.
Clarke se maudissait elle-même. Elle savait au fonds d’elle qu’elle aimait simplement passer du temps avec elle et cela sortait du cadre de son travail…
« Je devais assurer mes arrières. Klark, regarde-moi et soit honnête : comment aurais-tu réagi si la première chose que je t’avais dite quand tu m’avais trouvé avait été que je venais de tuer un de tes amis bien que j’étais dans mon droit de la faire ? Pourquoi es-tu vraiment revenue si tu avais ces préjugés sur moi ?
- Je… »
Elle ne trouva pas les mots. Lexa continua. Ce qui avait été fait avait été fait et la blonde devait comprendre sa situation. Au fonds d’elle, Lexa savait que Clarke comprenait sa position, mais la blonde était trop butée pour reconnaitre qu’elle aurait fait pareil à sa place :
« L’honnêteté et la confiance sont deux choses différentes. Depuis le début, je te fais confiance… » bien plus que je ne le devais initialement pensa-t-elle. « Maintenant, tu me demandes d’agir avec honnêteté et je pense t’avoir répondu honnêtement. Tu me prends pour une meurtrière ? Soit. Mais dis-moi Clarke, ton monde est-il si différent du mien ? »
Une nouvelle fois, elle laissa Clarke bouchée-bée. Si elle l’avait mieux connu, Lexa aurait pu prendre ça pour un exploit car c’en était un. Clarke ne tombait pas souvent à court de mots, ce que Raven, Octavia et même Finn lui faisait remarquer de manière récurrente. Mais ce que Lexa lui disait était juste, elle le savait.
Tous les jours à New-York, des règlements de comptes se produisaient et il n’y avait pas toujours des cas de légitime défense. Des hommes étaient exécutés sur des chaises électriques, des femmes étaient battues par leurs maris, des violeurs sévissaient… bien sûr la violence existait aussi, et peut-être bien plus qu’ici. Depuis qu’elle avait atterri sur ce sol, elle n’avait été qu’accueillie gentiment et généreusement par la population, partout où elle avait pu passer. Et elle ne pouvait pas blâmer Lexa de s’être défendue si John l’avait agressé. Ça, c’était ce qu’elle pensait vraiment. Ce que son cœur lui disait et lui chuchotait à l’oreille : Pardonnes Lexa.
Pour autant, elle ne pouvait pas lui dire. Pas encore. On lui avait toujours appris depuis toute petite que blesser une personne était mal et son cerveau lui intimait l’ordre de ne pas pardonner un meurtre.
« Lexa… je suis désolée… je… »
Pourquoi fallait-il que ce soit si dur ? Pourquoi les mots semblaient s’évaporer dès qu’elle ouvrait la bouche ?
Elle voyait que Clarke luttait entre ses convictions morales et ses sentiments, c’était humain, elle était passée par là elle aussi. Le petit côté borné de la blonde était quelque chose qui avait séduit Lexa dès qu’elle avait commencé à lui parler. Elle lui rappelait sa relation avec Anya, mais ce manque de confiance de Clarke en elle alors que depuis le début, Lexa s’était peu à peu ouverte à elle au risque même de l’inviter à Polis commençait à la blesser. Elle reprit le contrôle de son cœur et déclara sur une voix dénuée d’émotion :
« Je suis désolée que tu le prennes comme cela mais je n’ai pas de temps à perdre avec ça. Si tu veux bien m’excuser… »
Et elle tourna les talons puis disparu dans la forêt, laissant une Clarke désemparée sur place.
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Pendant 5 minutes, elle ne bougea pas et resta de marbre sur place en fixant l’endroit où Lexa se tenait quelques minutes auparavant en se repassant la discussion qu’elle venait d’avoir avec elle : « C’était trop fort ! Ça aurait dû être à moi de lui tourner le dos pas l’inverse… ».
Elle voulait enrager. Elle voulait s’énerver contre Lexa. Elle avait (ce qu’elle pensait être) de la haine en elle. Mais si c’était ça, alors pourquoi elle avait ressenti un grand vide au moment la brune avait disparu de son champ de vision ? Pourquoi avait-elle l’impression d’avoir un poignard creusant un trou dans son cœur ? Et pourquoi ses yeux la brûlaient ?
Elle laissa sa rage éclater et cria, pleura. Pour la première fois depuis plusieurs mois, elle se sentait vivante. Douloureusement vivante.