
Heda
Tour de Polis
Murphy se tenait debout les mains posées sur le rebord du balcon de sa chambre. Il était arrivé une heure plus tôt accompagné du détachement de soldat Skaikru venu prêter mains forte à ce qui restait l’armée de la coalition. Il regardait à l’horizon pensif. Soudain, deux mains se glissèrent sous ses bras et vinrent se poser sur son torse. Le jeune homme sentit le poids de sa compagne se serrer contre son dos et l’enlacer avec tendresse.
« A quoi penses-tu ? » Demanda Emori.
« Je pense qu’il est temps de partir… » Répondit-il.
« Tu ne comptes pas te battre pour protéger la cité ? » Demanda la jeune femme en posant sa tête contre l’épaule de Murphy.
« J’ai remplis ma part du marché, j’ai aidé Clarke, j’ai aidé Marcus alors que je ne leur devais rien. Je ne crois pas à la solution de Becca et de toute manière, Polis va tomber. Ça va être un bain de sang et il ne restera personne à sauver. » Répondit-il sûr de lui.
« J’espérais que tu décides de partir… » Dit-elle en le serrant plus fort.
Murphy se retourna vers la jeune femme et lui caressa le visage en murmurant :
« S’il nous reste que quelques jours sur cette terre, je ne veux pas les passer à me battre. Je veux juste que toi et moi nous soyons ensemble. »
Emori lui sourit et Murphy l’embrassa avec amour.
Au même moment, au sommet de la tour.
« En es-tu sûre ? » Demanda Roan à Indra.
« Oui intendant, l’armée des clans dissidents sera là aux premières lueurs de l’aube. Ils arriveront par la plaine à l’Est de la cité.»
« Leur nombre ? » Demanda le chancelier Kane en se tenant le menton.
« Indéfinissable, nos éclaireurs ont dit qu’ils n’avaient jamais vu autant d’hommes. »
« Quel est votre plan intendant ? » Demanda Becca.
« Les clans qui me sont encore fidèle ont envoyé leurs guerriers, mais beaucoup sont encore en chemin, ils ne seront pas arrivés à temps. Je vais mettre tous les guerriers disponibles à l’entrée de la ville, la bataille aura lieu dans la plaine. Je propose que le Skaikru assure la deuxième ligne de défense au sein de la cité. Leurs armes auront plus d’efficacités en embuscade dans les rues. Si la première armée tombe, il ne restera que vous et la garde d’Azgeda pour sauver Polis. »
« La garde d’Azgeda ? Pourquoi vos hommes ne se porteraient pas également en première ligne avec les autres clans ? » Interrogea Indra.
« Parce qu’il faudra d’autres guerriers pour épauler le Skaikru pour défendre la ville et les guerriers d’Azgeda sont les hommes auxquels je fais le plus confiance. Leur force n’est plus à démontrer. »
Indra n’aimait pas du tout cette idée, pas plus que Kane qui lui aussi avait l’air suspicieux. Ils ne savaient pas si Roan pensait vraiment ce qu’il disait. Les hommes de Roan étaient-ils réellement là pour protéger la ville ou est ce qu’il ne se tramait pas autre chose derrière leur dos.
Becca quant à elle écoutait le plan de bataille mais ne laissait rien paraitre de ses pensées.
« Indra Kom Trikru vous mènerez la première armée ! »
Cette annonce fît l’effet d’une bombe dans l’esprit de Marius Kane.
« Et vous Intendant ? » S’empressa-t-il de demander.
« Je dirigerai la seconde armée, je tiendrai la ville et protégerai le peuple si Indra venait à échouer. Je serais le dernier rempart comme mon serment me l’impose. »
Indra et Kane étaient méfiants, mais ils n’avaient pas d’autre choix que de lui obéir. Roan était l’intendant de la coalition, le Skaikru l’avait placé à ce poste et il n’était plus question de faire marche arrière. Désormais, ils étaient obligés de lui faire confiance même si tout leur disait de faire l’inverse. Roan allait il les trahir ? Ils étaient obligés de courir le risque.
Quelques heures plus tard dans les rues de Polis.
Il faisait encore nuit, Marcus avait posté ses hommes à des endroits stratégiques pour piéger toute personne qui essaierait de franchir les limites de la ville. Lui-même s’était installé sur un toit accompagné de deux de ses hommes. A travers la lunette de son fusil d’assaut il pouvait apercevoir l’armée conduite par Indra former une ligne au milieu de la plaine.
« Quelle folie… » Pensa-t-il.
Il pensa que les natifs avaient perdu la raison, que ce peuple sans chef n’était plus conduit que par la folie qui s’était emparée d’eux à l’approche de la fin du monde. Ce que l’homme du ciel n’avait pas compris c’est que si certains des natifs avaient choisi de se battre pour espérer survivre, la majorité souhaitait simplement mourir en guerrier plutôt que d’être condamné à attendre une mort lente et sans honneur. Se battre pour son clan et mourir l’épée à la main voilà ce que les natifs avaient choisi.
Cette civilisation qui semblait encore bien primitive pour les gens de l’arche était bâtie sur la notion d’honneur, de gloire et de sacrifice. Sans guide légitime il ne restait que la loi du plus fort. Roan n’était pas Heda, son autorité n’avait pas permis de garder la coalition soudée jusqu’à la fin du monde. Seul un véritable Heda aurait peut-être pu maintenir l’ordre et trouver le moyen de faire accepter l’inévitable en désignant les humains qui pourraient survivre avec l’aide de Becca.
En observant les milliers de flambeaux qui brillaient dans l’obscurité, Marcus ne pût s’empêcher de s’interroger sur ce qu’il aurait pu faire différemment pour éviter ce chao. Cette question tournait en boucle dans son esprit. Une image lui revînt à l’esprit, celle de Heda. Qu’aurait fait Lexa si elle avait été encore de ce monde ?
En cet instant, il repensa à l’énigmatique commandant. Il se rappela ce qu’il avait ressenti le jour de leur première rencontre. Cette frêle jeune femme qui avait partagé sa geôle se faisant passer pour une simple servante pour mieux l’épier et comprendre à quel genre d’ennemi elle avait affaire.
Sa jeunesse, la douceur de ses traits, son air candide tout cela avait immédiatement éveillé chez le chancelier un sentiment protecteur vis-à-vis d’elle. Il s’était fait berné, celle qu’il voyait comme une jeune femme vulnérable s’était en un instant métamorphosée en combattante, en chef de guerre. Elle avait désarmé et mis à terre en un éclair le grand Thélonius. Et c’est lorsqu’elle avait revêtu sa cape de Heda qu’il fût frappé par la noblesse qui émanait d’elle. Lexa aurait pût demander à quelqu’un d’autre de jouer ce rôle à sa place pour ne pas s’exposer. Mais, en vrai chef elle s’était mise en danger. Pour juger d’elle-même en ne faisait confiance qu’à son instinct…Avec intelligence et courage elle avait regardé l’ennemi dans les yeux et avait cherché à comprendre qui il était. Ce jour-là Lexa avait su percevoir l’humanité qui se dégageait de lui et ressenti que ses intentions étaient louables. Elle avait vu au-delà de l’ennemi, même s’ils étaient de deux mondes différents, elle avait compris qu’ils étaient semblables…Des humains avec leurs forces et leurs faiblesses. Marcus avait choisi de se sacrifier pour sauver son ami et son peuple, ce geste honorable avait convaincu le commandant que la paix était possible avec ce peuple.
Tandis que la peur s’emparait peu à peu de lui, Marcus regrettait la disparition de la jeune femme qui lui avait au fil du temps inspiré tant de respect. Il posa ses yeux sur son avant-bras qui portait la marque de la coalition, son allégeance à Heda était inscrite dans sa chair. A quelques heures de la bataille, il réalisa qu’il avait un point commun avec les natifs, il avait partagé la même foi que tous ces gens envers cette charismatique jeune femme. Lorsqu’il s’était incliné devant elle et prit sa marque il était devenu son sujet. Le chancelier avait cru en sa capacité de le protéger lui et son peuple.
Lui l’homme qui venait de l’espace, l’homme civilisé qui se pensait étranger aux croyances de ces clans primitifs. Il se surprit à prier l’esprit de Lexa de leur venir en aide.
Les premières lueurs de l’aube commençaient à percer les nuages. Des détonations de tambours retentirent dans la plaine. Indra montée sur son destrier de guerre leva les yeux vers l’horizon, la grande armée se dressait à quelques centaines de mètres face à elle. Comme annoncé, il y avait là plusieurs bannières, les clans dissidents s’étaient réunis pour prendre la capitale d’assaut. C’était une immense armée. A cet instant la guerrière repensa à la glorieuse bataille contre l’armée du nord qui s’était déroulée des années auparavant. Indra le savait cette fois-ci il n’y aurait nulle gloire et nul vainqueur, puisque seule la mort les attendaient tous tôt ou tard. Elle se souvint des mots de son commandant de l’époque et sentit son cœur se serrer.
C’était maintenant à elle de galvaniser les troupes, il fallait donner à tous ses hommes le courage de défendre la ville au prix du sang. Elle fît avancer son cheval le long de la ligne et hurla pour se faire entendre de tous ses guerriers.
« Ai nou sapin raun. IA mana jomp dans! IA na ste yuj kos IA gonplei nou ste odon kom nau ! Oso throu daun ogeda ! Trikru nou mettre daun, daun throu osir !Polis kik raun ona IA tombom ! »
« Je suis sans peur. Je veux combattre! Je vais être forte car mon combat n’est pas encore fini ! Nous nous battons ensemble ! Trikru n’abandonnez pas, battons-nous ! Polis vit dans mon cœur ! »
Les guerriers commencèrent à pousser des cris de guerre et à brandir leurs armes pour faire écho aux tambours de l’ennemi.
Indra leva la main pour se faire entendre. Le silence revînt dans les rangs. En balayant ses guerriers du regard puis en désignant du doigt la tour de Polis derrière eux.
« Je me bats pour Polis ! Je me bats pour l’héritage de Heda ! »
Elle s’interrompit un instant avant de lancer son cheval au galop devant la ligne en haranguant ses soldats.
« Pour qui vous battez vous ?! »
« Heda ! » Répondit d’une seule voix les guerriers.
« Pour qui vous battez vous ?! »
« Heda ! »
Indra s’époumonait en parcourant la ligne.
« Pour qui vous battez vous ?! »
« Heda ! »
Le grondement de l’armée de Polis fît cesser les tambours des clans adverses. Indra avait réussi à les ébranler. Le doute sembla s’installer dans l’armée adverse qui devint silencieuse. Ces milliers d’hommes écoutaient le cri de guerre des derniers clans de la coalition. L’évocation du commandant qui retentissait dans les airs les avaient réduit au silence. Dans quelques instants ils le savaient ils se battraient à mort mais un court moment leur volonté semblait anéantie par ce rappel à leur croyance.
Les chefs de clans sentaient que leurs hommes étaient en plein doute, il fallait agir vite. Ils se mirent à crier d’avancer vers l’ennemi. Les rangs se mirent en marche lentement dans la plaine.
Indra cessa de crier voyant l’ennemi en ordre de marche. Elle fît signe à ses hommes de serrer les rangs, l’ennemi avançait lentement vers eux, une charge serait inutile. Indra devait garder ses hommes camper sur leurs positions boucliers et lances en avant, prêt à faire bloc pour contrer la vague qui tenterait de les submerger.
Elle descendit de son cheval et lui mît une claque sur la croupe pour la faire déguerpir et prit place parmi ses hommes. Son souffle commençait à s’intensifier, sa main se crisper sur la garde de son épée, ses pieds s’ancrer profondément dans le sol. Le ciel était rosé et les premiers rayons du soleil qui couvraient peu à peu la plaine de sa douce lumière rendaient l’image incroyablement surréaliste.
L’armée ennemie n’était plus qu’à une centaine de mètres lorsque soudain elle s’immobilisa. Indra et ses hommes se regardèrent incrédules. Soudain, ils entendirent plusieurs hommes de l’armée dissidente s’écrier.
« Flamme ! Flamme ! »
Indra ne comprenait pas cette brusque interruption. Puis, elle tourna la tête vers la ville derrière elle et au-dessus de la tête des guerriers qui se tenait dans son dos, elle aperçut le sommet de la tour de Polis. La flamme du commandant était à nouveau allumée. Cette flamme qui avait été éteinte après la mort de l’usurpatrice Ontari, venait subitement d’être rallumée. La flamme n’avait de raison d’être que pour signifier l’existence de Heda. Indra était complétement médusée, étais-ce une ruse de Roan pour jeter le trouble sur l’ennemi ? La guerrière n’en savait rien, mais cela avait stoppé leurs adversaires. Est-ce que cette ruse allait suffire ? Non, il était certain que cela n’arrêterait pas tous les guerriers venu conquérir Polis. Cependant, plusieurs dizaines de combattants commencèrent à faire demi-tour.
Les chefs de clans vociféraient des ordres pour exhorter leurs guerriers à serrer les rangs et d’abattre les déserteurs. L’armée se remit en marche, Indra cria à nouveau à ses hommes de rester concentrer sur l’ennemi. Cependant, des chuchotements retentirent parmi ses soldats jusqu’aux oreilles de la guerrière.
« L’esprit du commandant est avec nous. »
Ces murmures firent bondir le cœur d’Indra dans sa poitrine. Elle le savait la foi était puissante et donnerait du courage à ses hommes.
L’affrontement était maintenant imminent, l’immense armée était à moins de cinquante mètres des portes de Polis. Indra pouvait presque distinguer leurs peintures de guerres sur leur visage. Les archers d’Indra commençaient à décocher des salves meurtrières.
C’est alors que l’impensable se produisit…Un faisceau lumineux de couleur bleuté vint s’abattre au milieu de la plaine entre les deux armées. Comme tombée directement des cieux cette lumière s’évapora laissant apparaitre une silhouette qui figea instantanément sur place les milliers de guerriers.
« Cessez le feu ! » Hurla Indra.
La plaine redevint silencieuse. Tous avaient les yeux rivés sur cette apparition. Puis des doigts tendus se levèrent un à un des deux côtés en direction de la personne qui se tenait là debout au milieu du champ de bataille. Des voix s’élevèrent les unes après les autres à mesure que les hommes reconnaissaient celle qui se tenait là devant eux.
« Heda ! »
Cela ne pouvait pas être réel…Indra n’arrivait pas à en croire ses yeux. Comment cela était-il possible ? Leksa kom Trikru se tenait là, debout en tenue de Heda, sa cape rouge pendait le long de son dos.
Une agitation gagna les rangs des guerriers de chaque côté de la plaine. Le nom du commandant était sur toutes les lèvres. Mêmes les chefs de clans étaient totalement déboussolés.
Soudain, Leksa leva la main vers le ciel, comme elle avait l’habitude de le faire pour ramener le silence. Les milliers de guerriers se figèrent sur place. Une fois l’assistance à l’écoute elle cria d’une voix forte et claire :
« Je suis Leksa kom Trikru ! Je suis votre Heda ! »
Cette annonce remua l’ensemble des lignes, tous les guerriers se regardaient complétement hébétés certains se jetèrent immédiatement à genoux en signe de soumission. D’autres qui n’y croyaient toujours pas la dévisageait. Un des chefs de clans sortit de sa ligne et cria :
« Cela n’est pas possible Leksa kom Trikru est morte ! Qui es-tu ? »
Tous tendirent l’oreille pour entendre la réponse de cette apparition. Réponse qui ne se fît pas attendre.
« Je te l’ais dis, je suis Leksa, je suis ton Heda, Heyulf chef du clan Yujleda ! »
L’homme qui n’y croyait toujours pas se retourna vers ses hommes et cria :
« Ne croyez pas cette chose ! Heda est morte ! C’est une ruse de notre ennemi ! »
Il saisit l’arc d’un de ses archers, banda l’arme et décocha une flèche droit sur Leksa qui resta totalement immobile. Indra retint sa respiration.
La flèche monta haut dans le ciel avant de redescendre droit sur Leksa. Le projectile passa à travers elle avant de percuter le sol.
Les deux armées s’agitèrent à nouveau. Des cris retentissaient de tous les côtés, les hommes se jetaient à terre en signe de soumission devant cette apparition revenue d’outre-tombe et qui semblait désormais invincible.
« Je suis revenue d’entre les morts ! Mon esprit vit toujours protégé par la flamme ! » Cria Leksa en balayant les armées de son regard perçant.
« Je vous demande à tous de déposer les armes ! Obéissez et vous verrez à nouveau le soleil se lever demain et les jours suivants ! Résistez-moi et vous subirez mon courroux ! » Cria-t-elle avec autorité.
Heyulf lança : « Nous sommes tous condamnés à mort ! Que feras tu fantôme ?»
« Laisse à Heda le soin de commander la mort, et inclines toi devant moi ! » Répondit Leksa.
Les guerriers de l’armée d’Indra qui ne s’étaient pas encore inclinés, se jetèrent immédiatement à genoux, en criant « Heda ».
Indra sortit du rang et marcha en direction de l’apparition, elle voulait la voir de plus près elle avait un besoin viscérale de plonger son regard dans celui de celle qu’elle avait servi toutes ces années. Une fois qu’elle arriva à sa hauteur, l’émotion la gagna tandis qu’elle sentit les yeux verts du commandant se poser sur elle. Leksa esquissa un sourire et dit à voix basse :
« Indra…je suis contente de te revoir… »
Indra sentit ses jambes vaciller, elle tomba à genoux en disant :
« Heda… » D’une voix tremblante.
« Relèves toi Indra…Désormais, il n’y a plus de raison d’avoir peur… » Lui dit-elle comme elle l’avait fait des années auparavant sur le champ de bataille contre l’armée du nord.
Heyulf se tourna vers ses hommes cherchant du soutien. Le chef de clan fût stupéfiait de constater que tous ses hommes avaient laissé tomber leurs armes et se tenaient à genoux la tête baissée. Le chef de clan belliqueux vociféra des menaces pour les exhorter à reprendre les armes mais il ne trouva aucun appui.
Leksa regarda Indra et lui dit :
« Tu peux faire quelques choses pour moi ? »
« Commandant je suis à vos ordres. » Répondit la guerrière.
« Fais taire cet imbécile ! » Lui dit-elle en désignant Heyulf d’un hochement de tête.
Indra esquissa un sourire en répondant entre ses dents :
« Avec plaisir… »
Indra se dirigea droit vers le guerrier, qui continuait à rager contre ses hommes sans s’apercevoir que la guerrière progressait dans sa direction.
Lorsqu’il se retourna en direction de Heda sa tête se sépara de son corps, tranchée d’un coup sec par l’épée d’Indra. Sa tête roula sur l’herbe aux pieds du défunt commandant. Indra toisa du regard les hommes de l’armée ennemie prosternés devant elle :
« Mort au traitre. Qui n’est pas loyal subira le même sort.»
Pas un seul homme n’osa relever les yeux. Tous tremblaient devant l’heda ressuscitée.
Leksa se posta aux côtés d’Indra et demanda aux chefs de clans dissidents de se sortir du rang. Ils se présentèrent les uns après les autres tremblants.
« Vous avez trahis votre parole, vous avez trahi ma coalition. En ces temps de troubles vous n’avez pas respecté votre serment. Je vous laisse le choix, renouveler votre allégeance en vous inclinant devant moi ou mourrez sur le champ. »
Un a un, ils s’inclinèrent et renouvelèrent leurs vœux. Leksa les écouta prêter allégeance à la coalition puis dit à voix haute pour bien se faire entendre de tous.
« Puisses vos paroles prononcées devant vos guerriers avoir plus de poids cette fois-ci. Trahissez mon héritage une fois de plus et même dans la mort je viendrais vous chercher pour réclamer votre sang. »
« Pas une arme ne franchira les portes de Polis, que ceux qui souhaitent y trouver refuge entrent en paix dans la ville. Pour les autres vous êtes libre de vous retirer dans vos territoires, et faites savoir que l’esprit de Heda est vivant et qu’il va vous protéger comme il l’a toujours fait. Renvoyez vos ambassadeurs à Polis, ils seront accueillis au sein du conseil. »
Une guerrière au visage peint en rouge demanda :
« Heda…La fin du monde approche…qu’en sera-t-il du choix des élus. »
Leksa dévisagea la jeune femme sans laisser paraitre le moindre doute.
« Si fin du monde il y a, je choisirai les élus. Que ceux qui veulent se soumettre à ce choix entrent dans la ville. Mais quoiqu’il arrive sachez-le, la mort n’est pas la fin.»
Becca n’avait pu prononcer ces mots, Roan n’avait pu prononcer ces mots, aucun dirigeants ou ambassadeurs n’avait l’autorité suffisante pour décider de vie et de mort sans que cela ne tourne au fiasco. Mais, Heda avait le courage et l’influence pour le faire. Au-delà de la figure d’autorité conférée par son statut de commandant, Leksa venait de devenir une figure divine pour son peuple. Qui d’autre qu’une Heda revenue d’entre les morts pouvait bien être légitime pour garantir la survie de l’humanité. Elle avait été leur guide dans la vie, maintenant elle était aussi leur guide dans la mort. Quoiqu’elle décide désormais, ils la suivraient d’un côté ou de l’autre.
A la grande surprise d’Indra la majeure partie de l’armée ennemie repartit en direction des territoires. La réapparition de Heda leur avait redonné espoir mais leur avait aussi fait accepter l’éventualité de mourir. Ils plaçaient leur destin dans les mains de Heda et s’en remettaient à elle. Repartir chez eux auprès de leur famille et ne pas risquer le courroux de Heda dans l’autre monde leur sembla la meilleure solution. Les autres ainsi que l’armée d’Indra entrèrent dans la ville en cortège derrière leur Heda qui ouvrait la marche. Elle voulait que tout le monde la voit et que l’annonce de son retour se répande partout dans la ville.
Lorsque Kane aperçu l’hologramme marcher aux côtés de Indra, il crut avoir une hallucination. Les gens dans les rues exultaient de joie, d’autres n’arrivaient pas à retenir leurs larmes à l’idée que leurs prières aient été entendues et tous sans exception se prosternèrent sur son passage.
Leksa venait de sauver la ville. Elle avait évité que les clans ne s’entretues et tous lui en était infiniment reconnaissant. L’espoir revenait dans les cœurs des hommes et des femmes de la cité. Etrangement personne ne semblait faire cas du fait que Heda ne soit pas faite de chair et de sang. Pour le peuple c’était l’esprit de Heda, un fantôme, une divinité renvoyée sur terre pour les sauver ou les guider à travers le voile de la mort. Indra, Kane et les quelques dignitaires qui avaient aperçu Becca au sein de la tour savaient qu’il s’agissait d’un hologramme mais cela leur été totalement égal. L’important était d’avoir un guide qui ferait l’unanimité et autour duquel tous se rassemblerait. Seule la parole de Lexa comptait désormais car c’était la seule qui pourrait maintenir l’ordre.
Durant sa traversée de la ville, Leksa ne dit pas un mot, Indra se contenta de marcher à ses côtés avec cette impression bizarre que tout ça n’était pas réel. Le commandant avait remis son masque qui ne trahissait aucune émotion, mais en vérité son cœur hurlait. Elle était anéantie de voir ce que son peuple était devenu en son absence. Dévastée de constater que la coalition avait volé en éclat et que l’instinct de survie avait encore poussé les hommes à se conduire avec toute la bestialité et la bêtise dont ils pouvaient faire preuve en de pareille circonstance. Une fois de plus, le poids écrasant des responsabilités reposait sur ses épaules. Hormis son devoir envers son peuple, une chose habitait son esprit en permanence…Clarke.
En traversant la ville, elle aperçut la statue à son effigie érigée sur la place. Ce témoignage d’amour de son peuple la bouleversa mais, cachée derrière son masque de commandant elle ne laissa rien paraitre de ses sentiments. Seule Indra remarqua dans son regard l’émoi de Heda.
Lorsqu’elles arrivèrent au pied de la tour, Indra constata que Roan n’avait pas menti. Il était posté avec ses hommes derrière des barricades pour protéger le symbole de Polis. Bien sûr, il n’était pas possible de savoir ce que Roan aurait réellement fait si la bataille avait vraiment eu lieu. La Trikru préféra penser que l’intendant aurait été à la hauteur et aurait agi en serviteur de la coalition.
Roan regarda Leksa kom Trikru s’avancer vers lui, le peuple et les guerriers de Polis dans son sillon. Il s’inclina devant Heda.
Lexa sentait tous les regards sur elle scrutant sa réaction face à l’intendant. La défunte Heda décida de parler à voix haute pour se faire entendre d’un maximum de gens et que ses mots soient répétés aux quatre coins de la cité. Même si imaginer Roan sur son trône la dégoutait au plus haut point, Lexa avait compris que Clarke n’avait pas pu faire autrement pour conserver son héritage. Il fallait qu’elle redonne de la légitimité au roi d’Azgeda devant témoin, pour qu’à l’avenir il apparaisse comme son substitut et qu’il soit obéit.
« Roi Roan, intendant de la coalition, protecteur de Polis relèves-toi. Viens avec moi… « mon ami » j’ai à te parler. »
Même Roan sembla surpris de cet effet d’annonce. Il se releva et accompagna Heda dans la tour, suivis de près par Indra et Kane. Une fois de plus, Lexa garda le silence jusqu’à ce qu’elle entre dans la salle du trône et que les portes ne se referment derrière eux. Elle balaya la grande salle du regard comme pour s’assurer que rien n’avait changé. Elle s’approcha du trône et fît mine de glisser sa main sur celui-ci. Bien sûr, elle ne pouvait pas sentir le bois sous sa paume. Elle resta silencieuse devant son trône puis se retourna vers Indra, Kane et Roan qui étaient accrochés à ses lèvres.
« Aujourd’hui nous avons évité un désastre ! Comment en êtes-vous arrivés là ? » Son ton avait changé, d’un seul coup la colère était apparue sur son visage.
Roan s’apprêtait à répondre, mais Lexa ne lui en laissa pas le temps.
« Peu importe ! J’ai faits rallumer la flamme de Polis, bientôt tout le monde saura que Heda est revenue. Je vais réinstaurer la coalition et m’assurer que l’ordre soit maintenu. » Déclara-t-elle avec conviction.
« Où est Becca Prim Heda ? » Demanda Roan.
« Becca reviendra rassures toi…C’est elle qui m’envoie pour remettre de l’ordre. »
Lexa regarda Indra et ajouta :
« Sous les ordres de Becca, Octavia kom Skaikru s’est rendue à la base du lac et a fait appel à moi pour stopper cette guerre. Elle s’en remet à mes choix quant à la suite des opérations. Je sais qu’il ne nous reste que peu de temps avant que les centrales n’explosent et je ferais ce qu’il faut pour que l’humanité survive en désignant des élus et en ramenant Becca pour qu’elle exécute son plan. Mais j’ai l’intime conviction qu’il faut encore attendre car je crois fermement en la réussite de la mission de Clarke kom Skaikru. »
Marcus ferma les yeux soulagé d’entendre qu’il n’était pas le seul à croire que Raven et son équipe pouvait revenir avec de bonnes nouvelles.
Dissimulée derrière son masque de Heda, Lexa semblait sûre d’elle. En réalité cela n’était qu’une façade, elle avait menti à son peuple en disant qu’elle pouvait commander la mort, elle avait menti lorsqu’elle disait savoir ce qu’était la mort. Oui elle était décédée, mais en réalité son esprit n’était pas mort et elle n’avait pas accomplis son voyage jusqu’au bout. Lexa avait laissé croire à une résurrection, son bluff n’avait d’autre but que de stopper la guerre pour gagner du temps.
En réalité, elle n’avait aucune certitude quant à ce qu’il allait advenir. La jeune femme ne savait pas non plus comment elle pourrait choisir qui vivrait et qui mourrait si cela devenait nécessaire. L’important était que tous la croit capable de les guider et qu’elle fédère autour d’elle toutes les consciences. Son retour avait fait renaitre l’espoir dans le cœur de tous ces gens. Elle devait cultiver ce sentiment et s’en servir pour maintenir l’ordre et assurer le futur de l’humanité. La seule chose qui la rassurait, était son intime conviction que Clarke était toujours en vie quelque part. Encore une fois elle allait se battre pour elle, pour lui assurer un futur, pour qu’elle n’ait pas fait tout cela en vain.
« Indra, mets en place des patrouilles dans la ville, assures-toi que tout reste sous contrôle. Chancelier Kane je vous suis reconnaissante pour votre loyauté envers la coalition, vous pouvez vous retirer, je vous ferais appeler si j’ai besoin de vous. Quant à toi Roan reste un instant nous devons parler. »
Marcus et Indra hochèrent la tête et se retirèrent. Laissant Roan seul face à Heda.
Lexa se retourna les mains dans le dos vers la fenêtre qui donnait sur le balcon. Le soleil était haut dans le ciel.
« M’envies-tu toujours la place de Heda, roi d’Azgeda ? Maintenant que tu sais ce que c’est que de s’asseoir dans ce trône es-tu toujours avide de pouvoir ?» Demanda Lexa.
« Non…Heda. » Répondit Roan avec sincérité.
Lexa se retourna vers lui en le fixant intensément dans les yeux.
L’homme ne mentait pas, Lexa en était certaine.
« Je ne pensais pas le dire un jour mais je dois admettre que je suis soulagé de votre retour. » Dit-il.
« Un retour provisoire Roan. Ma place n’est plus ici…Le moment venu tu reprendras ton rôle d’intendant comme il l’a été convenu au départ. Mais, j’ai maintenant la certitude que tu sauras céder ta place lorsqu’un enfant du sang se présentera pour me succéder. »
« Si nous vivons assez longtemps pour le voir…oui… »
« C’est ça qui t’as perdu et qui a fait que les clans se sont retournés contre toi. » Déclara Lexa.
« Tu n’as pas su inspirer la foi, tu es toi-même habité par le doute, les ambassadeurs n’ont pas cru en ta protection, ils ont lu la peur en toi. »
Roan savait que Leksa avait raison, s’il avait écouté Marcus, s’il avait attendu avant d’annoncer au conseil que la cause était perdue. S’il n’avait pas exposé le plan de Becca tout aurait été différent. Et malgré son erreur, s’il avait été en mesure d’aller jusqu’au bout en affirmant qu’il désignerait de façon impartiale les élus, il aurait peut-être pu éviter tout ça. Mais, Roan n’était pas Lexa.
Une longue minute de silence s’écoula avant que Roan ne demande :
« Comment peux-tu être certaine que le Skaikru va réussir ? »
Lexa sourit avant de répondre :
« Je n’ai pas de certitude…mais je l’ai dans le cœur… »
Cette réponse énigmatique laissa Roan songeur.
« Si demain soir nous n’avons pas de nouvelle de Clarke…je commencerais à désigner les élus et Becca prendra ensuite le relais. Cela te rassures-t-il ? » Demanda Lexa.
« Heda je me plierai à votre jugement. » Répondit Roan en baissant la tête en signe de soumission avant de se retirer.
Lexa resta un moment seule dans la salle du trône. Tous ses souvenirs de sa vie passée lui revinrent en mémoire, les bons comme les mauvais. Elle se dit qu’elle ne regrettait rien et que toutes les décisions qu’elle avait dû prendre en tant qu’Heda elle les assumait pleinement les bonnes comme les mauvaises. Leksa se dirigea vers son ancienne chambre, là encore rien n’avait bougé depuis sa mort. Elle caressa les meubles du regard et sentit l’émotion l’envahir. La jeune femme avait tant de souvenirs ici aussi, mais ce n’était plus des souvenirs de Heda il s’agissait de ses souvenirs de femme. Certains étaient merveilleux d’autres très tristes comme le jour horrible où elle avait découvert la tête tranchée de son amante Costia. Malgré cela elle n’avait pas souhaité changer de chambre car, ce funeste souvenir lui avait permis de ne jamais oublier que ses décisions de femme pouvaient avoir de graves conséquences. Et puis, il y avait eu Clarke… La femme qui avait ranimée son cœur et lui avait redonné espoir. Un bonheur de courte durée mais qui était à la hauteur du sacrifice. Jamais, elle n’avait aimé si intensément. Elle pensa que beaucoup de gens passent dans la vie sans jamais ressentir cet amour-là. Lexa s’estimait chanceuse d’avoir ressenti pareil sentiment et jamais on ne pourrait lui arracher ce précieux souvenir.
Soudain, un son retentit, quelqu’un frappait à la porte. C’était Indra qui demandait la permission d’entrer.
« Entres Indra. »
« Commandant, selon vos ordres j’ai envoyé des patrouilles, on ne me rapporte aucun incident, Polis a retrouvé son calme. »
« Je suis heureuse de l’entendre… » Lui répondit-elle debout au centre de la pièce ses mains dans le dos.
«Commandant…je souhaiterai m’entretenir avec vous… » Dit la guerrière hésitante.
« Je t’écoutes Indra. »
La guerrière s’approcha de Leksa qui lui accordait toute son attention.
« Heda, je souhaitais m’excuser… »
« T’excuser ? Mais de quoi pourrais-tu bien avoir à t’excuser ? » Demanda Lexa en fronçant les sourcils, incrédule.
Indra se jeta à genoux aux pieds de la jeune femme.
« J’ai failli à ma tâche, j’avais le devoir de vous protéger et je n’étais pas là lorsque…je vous ai tourné le dos Heda…ma rancœur et ma soif de vengeance envers le Skaikru m’a aveuglé et détourné de mon devoir… »
Lexa fit la moue, si elle avait pu la toucher elle l’aurait saisi par les épaules pour la relever mais elle ne put se contenter que de lui ordonner de se relever.
« Tu n’as rien à te reprocher, ta présence n’aurait rien changé. C’était mon heure…mon esprit devait quitter mon corps, probablement pour me conduire à ce jour. Tu as été mon plus fidèle guerrier, tu m’as bien servi et je ne connais personne de plus loyal que toi Indra. »
Lexa lui sourit avec un air qui trahissait une profonde sympathie. C’était la première fois qu’elle avait une attitude aussi familière avec celle qui avait été son second pendant si longtemps.
« Je ne peux pas être plus fière. Lorsque je t’ai vu à la tête de l’armée pour défendre Polis, pour défendre notre peuple, pour défendre mon héritage, j’ai éprouvé une immense fierté et une reconnaissance que tu ne peux imaginer. »
Indra se redressa en haussant le menton, au garde à vous elle fît un effort surhumain pour ne pas trahir son émotion.
« Heda mon plus grand honneur est de vous servir. »
« Alors saches que bientôt je vais repartir…mais toi tu vas rester ici. Tu ne seras jamais plus mon second Indra… Tu as un autre rôle à jouer maintenant. Aujourd’hui tu es Indra Kom Trikru défenseuse de Polis et en tant que telle je vais m’assurer que tu obtiennes les honneurs et les responsabilités que tu mérites, enfin si tu le veux bien. »
«Je ferais tout ce que vous demanderez Heda. »
« Et je sais que tu le feras bien. » Dit-elle en souriant à nouveau.
Indra salua Leksa kom Trikru et se retira. Une fois dans le couloir la guerrière sentit un poids tomber de ses épaules, celui de la culpabilité, elle avait eu la chance de recevoir l’absolution pour ce qu’elle avait considéré être sa plus grande erreur. Heda lui avait fait ce cadeau, la guerrière pouvait maintenant aller de l’avant.
Le soir venu, Lexa se rendit au sommet de la tour à côté de l’immense brasier qui illuminait Polis. Celui-là même qu’elle avait fait allumer par le garde au matin pour prévenir de son retour les armées sur le point d’en découdre. Après, avoir demandé au garde de la laisser seule, elle contempla sa cité. Des milliers de petites lumières apparaissaient aux quatre coins de la ville. La nuit était tombée sur Polis et le spectacle offert à son regard était magnifique.
« Clarke…il est temps que tu rentres… » Pensa-t-elle.