
Au service secret de sa Majesté
"Agent 009? Votre nouvel ordre de mission est arrivé.
- Merci Miss Moneypenny, que ferais-je sans vous?
- Oh monsieur Rogers, quel flatteur vous faites!
- Osez me dire que ça ne vous plait pas!"
Je lui fais un petit clin d'oeil accompagné d'un sourire charmeur alors que je m'assieds sur le rebord de son bureau, ouvrant la pochette en carton sur laquelle on a tamponné la mention "Rien que pour vos yeux". Hmm si c'est confidentiel à ce point, c'est que ça doit être du lourd. Mon regard parcourt les feuillets retenus par un trombone, et examine les deux photos qui joignent le dossier. Alors comme ça on a affaire à un transfuge. Un des meilleurs en plus, qui fait partie du quatuor de tête qu'on appelle ''Les cavaliers de l'apocalypse". Bon sang quel sens du décorum... On reconnaît bien là le côté théâtral des soviétiques. Et personnellement, tant qu'on s'appelle ''Guerre'' ou ''Famine'', passe encore, mais le pauvre type qui héritera du titre de ''Pestilence''. Soyons sérieux... J'étouffe un rire alors que j'attrape le verre de cristal contenant un whisky de vingt ans d'âge, sans glaçon, tendu par ma chère Moneypenny, et en bois une longue gorgée.
"Merci trésor."
Je reprends ma lecture. Donc, après avoir accédé au sommet, notre agent, Yasha, aurait subitement décidé de passer à l'Ouest, et quitter la mère Russie pour se jeter dans les bras de sa Très Gracieuse Majesté. Mes supérieurs ont tout organisé pour son rapatriement jusqu'à notre douce et verte Albion, et je lis qu'il va venir grâce à un sous-marin mis sous pilote automatique, qui le fera quitter Moscou pour arriver à Southampton. Et c'est là que je le récupèrerai, avant de me charger de son évaluation. Sa réputation le précède, Yasha Baranov, dit Hiver. Un des meilleurs des services secrets russes, un de leurs poulains les plus prometteurs. Pourquoi déciderait-il de tout quitter pour recommencer à zéro ici, alors que les hautes sphères du Kremlin lui ouvraient les bras? Pourquoi rejeter la couronne alors qu'on était en marche pour le trône? C'est étrange, et je compte bien profiter du temps d'évaluation pour me renseigner davantage sur ce qui l'a poussé à retourner sa veste. Parce que, même si je connais parfaitement bien les règles de l'échiquier international, fils et petit fils de diplomate, membre de la noblesse anglaise, petit-neveu de la reine, je n'aime pas y jouer. Enfin, pour moi, tous ceux qui renient leur patrie sont suspects. Si on aime son pays, on ne le quitte pas, surtout si on le servait avec autant de zèle et de conviction, et que sa vie n'était pas menacée. Les deux photos en noir et blanc sont les deux seules qu'on soit jamais arrivés à voler et on ne distingue que vaguement ses traits, son visage engoncé dans le col relevé d'un manteau d'hiver, une toque sur la tête et une cigarette aux lèvres, et une autre au volant d'une Traban, encore en train de fumer. Curieux, nous avons le même âge, et finalement, des parcours plutôt similaires même si moi je suis resté fidèle à la Reine. Je referme le dossier et effleure la joue de notre secrétaire du bout des doigts avant de finir mon whisky et me relever.
"Moneypenny? Mettez-moi en relation avec le relais de chasse je vous prie.
- Tout de suite agent.
- Ne vous avais-je pas dit de m'appeler Steve?
- Oui m...Steve.
- Voilà qui est mieux..."
Je lui souris et entre dans mon bureau, décrochant le téléphone une fois que la communication a été établie. C'est Jonas, le vieux garde-chasse qui décroche. Je lui dis de préparer la maison pour mon arrivée dans quelques heures, de prévoir un dîner pour deux, tout comme installer deux chambres. Après quelques directives je raccroche, et file, non sans avoir roucoulé quelques secondes auprès de ma perruche préférée. Je repasse par mon appartement pour me changer, troquant la chemise et le veston pour un pull à col roulé, et le pantalon de costume pour quelque chose de plus décontracté. Je prépare un sac de voyage avec des affaires pour deux semaines, scelle mon appartement, puis je retrouve avec plaisir ma fidèle Aston Martin sagement garée dans le parking souterrain.
Je profite de la balade à tombeau ouvert sur les routes désertes en pleine campagne, arrivant finalement à Southampton une heure et demie avant que le colis n'apparaisse. Tant qu'à faire... je me fais indiquer un des meilleurs restaurants de la ville, passe une soirée agréable avant de retrouver enfin les docks. Il fait nuit noire, et le moteur de la voiture est coupé, seuls les phares sont allumés, et moi, négligemment assis sur le capot, une cigarette entre les lèvres. Dieu que je déteste attendre.
Heureusement, je finis par voir l'eau s'agiter, bouillonner, et le couvercle s'ouvrir. Le couvercle d'un...cercueil? Bon sang ils ne cesseront jamais de m'étonner. Je me relève et m'approche de l'eau, venant lui tendre la main pour l'aider à sortir de ce...vaisseau pour le moins singulier. Et une fois face à moi, je la lui serre avec un sourire qui se veut chaleureux bien que mon arme soit chargée, et à portée, si besoin et lui adresse quelques mots de bienvenue en russe.
"Eh oui nous avons une belle journée. L'hiver vient tôt vous ne trouvez pas?"
Bien, il m'a donné le code, c'est lui.
"Je suis l'agent 009, mais vous pouvez m'appeler Steve. Cigarette?"
Je lui tends mon paquet qui contient mon briquet, avant de pivoter pour lui désigner ma voiture.
"Si vous voulez bien me suivre, je vais nous emmener là où nous allons passer un peu de temps ensemble tous les deux. C'est moi qui vais être chargé de votre évaluation. Est-ce que tout va bien? Vous avez fait bon voyage?"
Tout en discutant je m'installe au volant et referme la portière avant d'allumer le moteur. Une fois installé, j'ai un petit sourire à son égard.
J'ai une conduite un peu... sportive, j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur...
Et dans un léger rire j'écrase l'accélérateur et mon Aston démarre dans un crissement de pneus.