À Brooklyn

The Avengers (Marvel Movies)
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À Brooklyn
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Summary
À Brooklyn, rien ne se passe comme prévu.Voici comment Bucky et Steve sont devenus amis inséparables et comment cette amitié a surpassé le déni et le refoulementVoici aussi comment Steve a entamé sa carrière d'artiste, et comment Bucky est entré dans l'armée.Un Slowburn, de l'art, de l'Histoire, un quartier et des garçons sans pères, dans le New York de la Grande Dépression.
Note
Si je vais jusqu'au bout, de 1931 à 2023, cette histoire sera racontée en cinq parties avec tous les tropes qu'on aime : friends to lovers, ennemies to lovers, triangle amoureux, slowburn, memory loss etc.Mais pour le moment, nous sommes à New York pendant la Grande Dépression, et Steve et Bucky sont de tout jeunes adolescents.Il n'est pas nécessaire d'avoir vu aucun film pour la lire. Les parties suivantes seront davantage intégrées dans leur récit, je vais m'efforcer de les rendre cohérentes en elles-mêmes mais le but n'est pas de re-raconter la saga, plutôt ce qui se passe entre les scènes.Malgré les recherches que j'ai effectuées, si des éléments historiquement improbables demeurent, je recevrai volontiers vos remarques.En ce qui concerne le passé des personnages, j'ai mélangé les sources, entre le film et les comics.Bonne lecture à vous
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Chapitre 43

Quand vient le vent d'octobre, on s'enferme le jour dans les galeries, le soir dans les théâtres, transportés par les voix des chanteuses, les lumières qui métamorphosent la scène en réalité, la réalité en rêve, le rêve en vérité.

Le froid au fond des poches, l'opéra et le jazz bataillent dans la tête, éternelle querelle des anciens et des modernes que disputent encore, sur le trottoir, les étudiants qui traînent un peu, le temps d'une cigarette – Steve grogne intérieurement. L'agilité surnaturelle des Nicholas Brothers a éclipsé le désir de voler. Steve seul a le sourire un peu jaune. C'est le plus beau spectacle que j'aie jamais vu, je n'en doute pas mais je ne me sentirai pas à ma place dans ce monde tant que les enfants de nos esclaves danseront pour nous divertir, que je sentirai leurs cendres sous mes pieds, leur sang dans le coton de mes habits. On lui presse l'épaule. Croyant qu'un camarade le rappelle à son attention, Steve sourit plus franchement mais à côté de lui, Samuel arrondit les yeux. C'était Wallace. Pour le saluer, Steve se détourne avec reconnaissance du nuage de tabac, lègue sa place aux amis du sculpteur, habillés de cravates rouges et vertes, ravis de polir leur aura savante auprès des apprentis. Leur groupe planté dans la rue fait tiquer des passants qui n'osent rien dire.

« On va finir la soirée au Red's, dit Wallace à Steve, comme si c'était un secret.

- Harlem ?

- Oh, tu connais ? s'étonne-t-il. Ça alors...! Mais tu caches bien ton j...

- Pas vraiment, rectifie Steve avant qu'un malentendu ne s'étende, je sais seulement que c'est à Harlem. Je me suis baladé là-bas il y a quelques années.

- Avec James ?

- Oui. »

Wallace balance d'un pied sur l'autre, mais même dans son hésitation, il est le maître du monde.

« Je me demande si c'est ton genre. »

Steve travaille trop pour avoir l'énergie de sortir, et il sait déjà que la fête, ce n'est pas son truc, enfin ça pourrait l'être si – avec une multitude de si qui déferlent comme du plomb, il a la flemme de compter. Il hausse les épaules, adorablement ignorant :

« Je ne pense pas. »

Wallace hausse les sourcils, les yeux pleins de petites méduses électriques prêtes à te happer ou te brûler, ce surplus de vie qu'il insuffle à son art, son tyran intérieur à l'odeur poivrée de lavande.

« C'est bizarre, insinue-t-il adorablement contrarié. D'habitude, j'arrive à savoir.

- C'est quel genre ? finit par demander Steve, intrigué.

- Mauvais genre, répond-il après un silence.

Tous les genres. »

Il danse d'une jambe sur l'autre, la moue exquise. Wallace, c'est le genre de gars qui fera dire, un siècle plus tard : « Hum, si j'étais de l'autre bord, il serait mon genre ». Le genre à faire craquer certains de ceux qui disent ça.

Non ? s'épouvante Steve, sans savoir si l'épouvante est un sentiment approprié. Wallace ? s'exclame aussi la surprise incrédule. Il veut bien dire... ? Bucky ne s'était pas trompé ?

« J'ai bien compris ? murmure Steve, étranglé.

- Je crois, vu ta tête.

- Es-tu une... une fairy ?

- Oh Steve, tu t'y connais donc bien plus qu'on ne le penserait...

- Eh... ! balbutie Steve incapable de rien articuler pour se défendre.

- Non, répond Wallace, avec une compassion très patiente. Bien que j'aie un respect profond pour elles, personnellement je ne me costume pas, je ne vends rien non plus – et je n'achète pas. Je ne suis ni un punk, ni un wolf, on ne vit plus forcément les choses comme ça.

- Comment ça, pas un punk ?

- Oh, tu sais, c'est le nom que les brutes donnent aux mômes qui se mettent sous la protection d'autres gars en échange de... (il grimace) faveurs.

- Hum hum », acquiesce Steve d'une voix blanche.

Il toussote et reprend :

« Tu... fréquentes des hommes, alors ?

- Ça, oui. Voilà. »

Et il lui dit ça si calmement, comme si c'était recevable ? Mais comment, enfin... ça se fait ? Comment on en arrive là ? C'est... ça va à l'encontre de tout... Je n'arrive pas à croire qu'il m'invite, cet idiot. Steve proteste :

« Ce n'est pas du tout mon genre !

- Ah, tique Wallace déçu. J'ai perdu.

- Ce n'est pas un jeu ! proteste Steve.

- Pourquoi pas ? »

Il sourit, toujours mutin, à Steve, en marchant à reculons vers Theodore qui l'attend pour quitter le seuil du théâtre et s'encanailler dans les rues licencieuses.

Steve les revoit quand il ferme les yeux, allongé sur son lit, dessins fantastiques derrière ses paupières, arabesques

Comme si une faille s'était ouverte dans l'autre monde et avait permis le passage à sa rencontre d'un démon pourpre au sourire d'ange

Un démon qui fréquente les plus grands artistes et réalise les plus prodigieuses sculptures de sa génération

Qui s'est arrêté en plein vol pour lui sourire

Steve écrase l'oreiller sur sa tête. T'es bête : c'est ce que font les démons : te séduire, en dansant dans les cabarets nocturnes !

Une farandole de jeunes gens qui continuera de mener cette vie de débauche sans jamais connaître...

L'accomplissement du foyer, auprès d'une épouse et d'enfants, dans le droit chemin de la vertu, de la famille, dans le bal des générations qui se succèdent pour peupler la terre, tel que l'ont ordonné Dieu, et la nature

Hm, égoïste, disait-il, je comprends.

Enfin, le bonheur du foyer, ce que j'en connais...

Ma mère n'a jamais été aimée, et mon père ? Un vagabond détraqué

Et moi aussi, je désespère de me marier jamais. Cela se produira par miracle, ou par dépit, de la part d'une vieille fille qui méritera mieux.

Moi aussi je suis pris au piège dans un corps maladif, maigre et difforme, comme ceux de Schiele, un corps qui me lâchera bien avant l'âge mûr

Et toujours regardé de travers

Refusé dans les académies viriles et militaires

Moi-même, la nature a voulu que je meure à la naissance

Pathologique

Mais on ne parlait pas de moi :

Wallace fréquente des garçons, c'est insensé

Steve repense aux dessins de Schiele

Peut-être l'enfant terrible de Vienne a-t-il bien fait de dessiner les lesbiennes sous leur forme réelle, pervertie et corrompue

Le diable est séduisant

Et Dieu a dit -

Dieu a dit beaucoup de choses, oui.

Steve soupire.

Wallace fréquente des garçons. Embrasse. Des garçons. Les prend dans ses bras, et tout un tas d'autres choses dont je suis ignorant, Sainte Marie Mère de Dieu, sauvez mon âme, je ne veux pas savoir les détails.

Je me demande si c'est ton genre...

Pourquoi a-t-il dit ça, cet imbécile ? Il voulait probablement me tester, me ridiculiser. Si ça se trouve, il n'est pas comme ça du tout. C'était pour m'entraîner là-bas, me mettre en robe, me maquiller, prendre des photos, et les faire circuler dans tout Abundale : elles serviraient de cibles à fléchettes, et je serais renvoyé pour prosti – beurk. J'ose à peine y penser. Ha ha ! je ne suis pas tombé dans le panneau - on n'est plus au collège, et pas à l'armée, mais je me méfie

Par contre, lui n'a pas du tout l'air de se méfier que je le dénonce à n'importe qui

Peut-être qu'il a confiance en moi

Confiance en lui

Tu rêves

C'est surtout qu'il a bien vu que je n'ai pas d'ami

Steve travaille. Il essaie de penser à ses cours et compositions, en peignant à la chaîne ces bibelots stupides, et n'y parvient pas, et s'énerve. Les entrelacs, les corps de statues. Arrête ! C'est comme quand je pensais aux filles, ça occupe toute ma tête, et je ne parviens pas à m'affranchir de ce devoir, cette pression. Je donnerais n'importe quoi pour être un homme comme les autres, tandis qu'eux se tiennent ouvertement en marge, alors qu'ils sont beaux garçons, qu'ils ont tout pour plaire, pour réussir ! Réfléchis bien. C'est le fait qu'il le vive si tranquillement qui me choque ? Le fait que je n'arrive plus à savoir si c'est bien ou... . Non, c'est immoral. La loi est claire, elle a châtié les marins de Newport. Est-ce une posture d'artiste à la Harold, pour bousculer les conservateurs ? Est-ce que je devrais faire quelque chose, le dénoncer ? 

Non. Il ne m'a rien fait d'offensant, à moi

Ni à personne d'autre, à ce que je sache, Theodore a l'air plutôt, hum, consentant

À la société, bon,

S'il ne veut pas se marier, écoute, ça fera une épouse malheureuse de moins

Il ne laissera pas de fille enceinte derrière lui, comme le père de Bucky,

Quoi, tu approuves ?

Eh, je te parle !

Tu approuves ?

 

« Steven.

- Salut Wallace.

- Mon départ approche. Je quitte l'état le trois novembre.

- Eh, félicitations !

- Merci. »

A nouveau, ce petit silence, comme si aucune parole ne pouvait le distraire ou lui convenir. Comme s'il espérait désespérément une parole qui sauve.

« Tes œuvres vont me manquer. Et nos conversations. Merci pour tout. »

C'était trois fois rien de conversations, mais elles ont suffi à lui redonner confiance à chaque fois. Steve se demande ce que c'est que de côtoyer quelqu'un comme Wallace chaque jour. Est-ce que son ombre diminue quand on le connaît bien ? Steve ne le connaîtra jamais bien, il ne le regrette pas, même s'il est inévitablement frustré. Il se demande ce que cela fait de le fréquenter chaque jour. Ce que cela fait d'en être aimé.

« Tu travailles sur quoi, en ce moment ?

- J'essaie une composition hyperréaliste, à la Rockwell.

- On quitte la science fiction ?

- J'y reviendrai sûrement. »

Wallace acquiesce, comme s'il la voyait déjà.

« On fait une dernière soirée au Red. »

Son regard invite Steve qui pouffe, le cœur affolé :

« Pourquoi tu insistes ? Tu sais que je ne suis pas comme ça.

- Parce que tu as besoin de t'amuser un peu. C'est un bel établissement, la musique est bonne, tout le monde est sympa. Viens voir, ne t'en fais pas. Si ça se trouve, ça ne te plaira même pas.

- Tu es bête » rit Steve.

Il se surprend d'avoir envie de dire oui comme on dit un gros mot. Mais Steve, arrête de te précipiter la tête la première dans l'interdit ! Cela n'a rien d'anodin, ni de banal, ni rien à quoi tu puisses te raccrocher ! Ce n'est pas parce que tu te sens un peu seul et marginal qu'il faut faire des choses que tu risques de regretter. Theodore interpelle son ami. Dans les yeux noirs qu'il tourne vers lui, on voit le cœur de Wallace battre, muet, épris de tout son âme.

Qu'est-ce que cela fait, d'être regardé ainsi ?

« Je passerai te prendre. Jeudi, vingt et une heures. Tenue correcte exigée. »

Steve étouffe son ricanement dans un ongle qu'il ronge.

Je ne vais pas y aller quand même, c'est dingue, ce n'est pas moi,

Enfin, si, me frotter un peu à l'interdit, c'est vrai, bon

Haha, si Bucky était là, on -

Oui, non, ne pas penser aux conneries de Bucky maintenant

« Si un mec faisait ça à West Point, il serait viré sur le champ »

C'est vrai

Reprends-toi, Steve, tu n'es pas comme ça

Punk

Il éclate de rire tout seul dans sa chambre, et s'interrompt, la honte au ventre

Ah Wallace, tu es redoutable, voilà que je doute ! C'est insensé

Steve, te rends-tu compte, c'est Wallace qui t'invite : le plus brillant, le plus gentil avec toi depuis longtemps

J'ai donc besoin de ça pour me sentir appartenir à quelque part ? c'est par flatterie que je dis oui, par orgueil

Steve, tu ne vas pas accepter quand même, c'est un sous-monde, pas ta place

(je n'ai pas le sentiment de réussir à me faire ma place ici même déjà, alors...)

Tu devrais être outré qu'on t'invite ! Qu'est-ce qui ne va pas dans ta tête ?!

Que dirait maman, si elle était là ?

Moi debout sur la table à beugler, tout ce que je sais, comment est-ce qu'elle m'enguirlanderait en beauté ?

Steve se perche sur une chaise

Elle dirait "non mais ça ne va pas la tête ? Où vas tu te perdre en dépravations ?! Ça ne te suffit pas de te battre avec le premier venu, il faut en plus que tu te compliques la vie là-dedans aussi ?"

Maman, c'est juste une soirée dans un bar, je ne vais pas me balader en robe au bras d'un garçon !

"Alors va dans un bar correct, fils indigne !"

Steve hoche la tête, s'apprête à sauter, mais on le retient par les bretelles

Elle dirait "oh tiens, emmène-moi avec vous, j'ai bien envie de danser moi aussi !"

Steve sourit, les yeux embués, son cœur s'accélère

elle dirait fais l'amour pas la bagarre, tiens, ça te changera

(oh mon dieu non, maman n'aurait jamais dit ça)

il halète

maman tu me manques tant, je suis perdu

elle aurait dit

la tête lui tourne

"fais ce qui te rend heureux

mon chéri

Bucky est parti, tu es si seul

fais ce qui te rend heureux, tu ne fais de mal à personne"

non, elle n'aurait pas dit ça

si ?

Elle m'aurait retenu, non ?

Steve halète, un clou dans la poitrine, il manque de s'étaler par terre en descendant de sa chaise

merde

Il s'adosse au lit, et tente de se reprendre

voilà, je n'ai qu'à ne pas y aller, le destin a décidé pour moi

(destin, mon œil, sale corps pourri)

Steve serre le poing et se traîne vers la boîte où il range ses médicaments

« J'avais dit tenue correcte et je te trouve en caleçon... Oh bordel Steven, qu'est-ce que c'est ? fait Wallace d'une voix blanche, entré dans sa chambre comme chez lui.

- De... L'adré... naline, pour... mon asthme... bredouille Steve qui recouvre ses esprits, une seringue vide à la main.

- Oh, j'ai eu peur que ce soit de la morphine.

- Ça me ressemble... tellement », gronde Steve, outré.

Wallace tire galamment sur le drap pour l'aider à se couvrir et s'assoit à côté de lui, par terre. Steve tourne la tête. Il est si près, son visage qui embrasse des garçons. Il a un frisson en détournant le regard. Wallace presse doucement son genou contre le sien.

« Hey. Je suis désolé que ça te mette dans tous tes états.

- Ah non, c'est pas ça, c'est l'asthme. »

Il ne voit pas la moue dubitative de son ami, déjà debout. Il cherche une chemise, se coiffe à la Bucky, les mains fébriles. Dans cette petite chambre où ce n'est pas Bucky mais Wallace, le plus talentueux des élèves d'Abundale, devenu familier, qui l'invite, avec sa compassion très patiente. 

« Ce que tu portes, là, c'est très bien.

- T'es sûr ?

- T'es chou.

- Tais-toi.

- Steven ?

- Hum ?

- C'est juste un bar. Je sais que tu n'es pas comme ça, on sort, c'est tout. Personne ne saura que tu n'es pas comme ça, et même s'ils le savaient, tant que tu ne les emmerdes pas, ils s'en fichent. »

"Personne ne saura que t'es pas comme ça", "si ça se trouve ça ne te plaira pas" : il en a de bonnes, Wallace, c'est le monde à l'envers. Steve le scrute en douce dans le miroir. Son regard flâne sur ses dessins au mur, il ne pense probablement déjà plus à lui, Wallace c'est un démon infiltré de l'autre monde venu le pervertir avant de disparaître à nouveau.

J'arrive à peine à y croire

Que je marche à ses côtés sur le trottoir, dans le métro, que le néon écarlate de ce club m'appelle. Qu'est-ce qui va se passer, à quoi cela ressemble, derrière cette porte ? Sous l'enseigne, Theodore se penche pour embrasser sa joue.

Steve se sent impudiquement voyeur, son coeur se serre.

Par contre, il entend très bien ce conducteur beugler « Alors les putes, ça suce ? » par la fenêtre de sa voiture, quant à lui jeter sa chaussure sur le rétroviseur, t'inquiète, les réflexes sont tenaces. Wallace glapit, Steve retrousse ses manches, se dirige avec détermination, à moitié chaussé, vers le bonhomme qui a garé sa voiture sur le trottoir et claque la porte. « Eh, dis ! clame-t-il sans le laisser en placer une. Tu as pensé à te mêler de tes affaires ? Tu sais qu'on s'en fiche de ton avis de vieux frustré ? »

Attends, s'étrangle Theodore, c'est le petit gars paumé d'Abundale qui avance là, furieux ?

« Qu'est-ce qu'il a bouffé ?

- Je... L'ai vu s'injecter de l'adrénaline mais... Aaah ! »

Voilà que l'individu empoigne Steve par le bras et lui file une bonne droite. Pas bien rassurés, Theodore et Wallace avancent pour le défendre. Steve, sonné, titube et se tourne à nouveau vers son assaillant, mais il a regagné sa voiture. « Bande de dégénérés, va ! » beugle-t-il encore à la fenêtre. Le jeune homme tremble de rage, il en a du mal à remettre son soulier. Theodore fronce les sourcils en le voyant en extirper une feuille de journal. Il secoue les bras, se tourne vers Wallace, désolé jusqu'au fond du ventre. Et blême, il recule, de deux, trois pas.

« Tu ne viens pas ?

- Non, j'ai fait assez de scandale comme ça.

- Qu'est-ce que tu racontes ? Viens. »

Steve secoue la tête, hésitant. Rien que d'imaginer ces garçons qui dansent et s'embrassent, il en titube.

« Je suis désolé, Wallace. Je ne me sens pas à ma place, ici.

- Tu n'es même pas entré ! »

Steve hausse les épaules, avec un sourire égaré.

« Steven...

- Bonne nuit. Amusez-vous bien. Et bon voyage aussi. Merci pour tout. »

Wallace lui envoie un baiser. Steve a un petit rire, se frotte la nuque, trébuche, et détale dans la direction du tram.

« Et donc, il n'est pas comme nous ? demande Theodore.

- C'est ce qu'il dit.

- Moi je dis que personne ne nous a jamais défendus comme ça.

- C'est ça ou il aime beaucoup trop se battre. »

Steve atteint sa chambre sans s'en rendre compte, nauséeux sans savoir pourquoi, sans doute à cause des connexions, pas même des pensées, qui explosent partout dans sa tête et l'enivrent, rien qui ne dise son nom, rien qui ne révèle sa forme, et il écrase les mains sur ses paupières en chutant dans l'oreiller.



Le lendemain, Theodore l'attend en bas de son immeuble, à l'heure où Steve se rend à l'académie. Il regarde son oeil tuméfié en silence, arrache une bouffée de sa cigarette et fait signe de marcher.

« Une heure après que tu es parti, il y a eu une descente de police au bar. Probablement que le gars qui t'a frappé est allé leur dire qu'il y avait des pédales agressives dans le coin. Avec eux, c'est pile ils gagnent, face tu perds : ils arrêtent les gars qui dansent ensemble parce que c'est immoral, mais aussi les gars habillés en filles, en s'appuyant sur une vieille loi à la con.

- Je suis désolé... balbutie Steve.

- Tu ne pouvais pas savoir, soupire-t-il. Ça partait d'une bonne intention. Comme ça au moins, tu n'as pas vécu une première sortie trop traumatisante. »

Steve souffle, pas certain de vivre une autre "première sortie" de ce genre. Mauvais genre. Tous les genres.

« Enfin, ne t'inquiète pas, fait-il en écrasant sa cigarette. Ni Wallace ni moi n'avons été arrêtés. On en a vu d'autres.

- Êtes-vous fâchés ?

- Hein ? Non. Non, pas du tout. Mais toi, dis-moi une chose, Steve. Est-ce que tu étais fâché que ce mec t'ait vu ? »

Steve secoue la tête.

« Je n'y avais même pas pensé.

- Tu es vraiment curieux » murmure Theodore.

Il presse son épaule, lui adresse quelques vœux de bonne continuation et prend congé au coin de la rue qui mène à Abundale.

Qu'est-ce qui m'a pris ? pourquoi, c'est vrai, ai-je pris parti pour un combat qui n'était pas le mien et qui a mis mon ami dans la panade ? Faut te ressaisir Steve. Quand c'était les gars de la rue, au moins, c'est sur toi que ça retombait. Mais comme Harold qui lorgne des lesbiennes pour satisfaire un instinct pervers, tu t'es lancé dans le combat pour satisfaire... Quoi ?

J'ai gâché la dernière soirée de Wallace, parce que je n'y comprends jamais rien à rien. Qu'est-ce que je croyais ? ridicule, battement d'ailes face à l'ouragan

Mais ma colère a bien la taille d'un océan !

« But Steevy had a heart as big as a whale » tu parles !

Pourtant, à cet homme tout donne raison, la police, la loi. La morale, les mœurs. La foi.

Steve, tu te dresses donc contre tout ça ? la police, la loi. La morale, les mœurs. La foi.

Eh bien !

Steve hoquette au milieu de la rue, des larmes d'excitation dévalent ses joues

Eh bien, oui ! je hais cette légalité si elle ne porte la couronne ni de la justice, ni de la liberté !

Steve, que dirait ta mère ?

Qu'est-ce que j'en sais, moi !

Wallace n'a pas fait le choix provocateur de se mettre en marge ! Il n'a rien à voir avec Harold, Harold qui n'a rien compris, qui défend le mauvais 

Wallace n'a pas décidé, rien du tout ! il n'a renoncé à rien, il est comme ça, et c'est tout !

Il faut le voir, avec Theodore, si tu les voyais maman, ils sont beaux à pleurer, amoureux comme si peu ont déjà été aimés ! 

Wallace n'est ni égoïste, ni pathologique, et certainement pas plus instable qu'un autre

Si on accepte que nos garçons bien virils se soulagent sur des fairies jusqu'au dégoût,

C'est à croire que c'est l'amour qui vous révulse, vous !

 

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