À Brooklyn

The Avengers (Marvel Movies)
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À Brooklyn
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Summary
À Brooklyn, rien ne se passe comme prévu.Voici comment Bucky et Steve sont devenus amis inséparables et comment cette amitié a surpassé le déni et le refoulementVoici aussi comment Steve a entamé sa carrière d'artiste, et comment Bucky est entré dans l'armée.Un Slowburn, de l'art, de l'Histoire, un quartier et des garçons sans pères, dans le New York de la Grande Dépression.
Note
Si je vais jusqu'au bout, de 1931 à 2023, cette histoire sera racontée en cinq parties avec tous les tropes qu'on aime : friends to lovers, ennemies to lovers, triangle amoureux, slowburn, memory loss etc.Mais pour le moment, nous sommes à New York pendant la Grande Dépression, et Steve et Bucky sont de tout jeunes adolescents.Il n'est pas nécessaire d'avoir vu aucun film pour la lire. Les parties suivantes seront davantage intégrées dans leur récit, je vais m'efforcer de les rendre cohérentes en elles-mêmes mais le but n'est pas de re-raconter la saga, plutôt ce qui se passe entre les scènes.Malgré les recherches que j'ai effectuées, si des éléments historiquement improbables demeurent, je recevrai volontiers vos remarques.En ce qui concerne le passé des personnages, j'ai mélangé les sources, entre le film et les comics.Bonne lecture à vous
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III - Gatsby

En été, les jours se ressemblent jusqu'à un soir où le crépuscule a la fraîcheur des citronnades après une journée au bord de la rivière, la fraîcheur d'août qui tire à elle les aubes jaune pâle de septembre. Bucky ramène ses frères dans l'immeuble et redescend s'asseoir avec Steve sur l'escalier baigné de soleil couchant. Tout est calme dans le quartier, mais entre eux bourdonnent encore les rires de Michael, le fracas des grues, le clapotis lointain de l'eau. Bucky soulève en souriant la manche de Steve. Il a fini par bronzer, regarde ! Ses petits pieds si fins, qu'il a ôtés de ses chaussures usées, sont un peu plus clairs aussi, les veines y colorent des méandres. Les yeux de Bucky remontent la ligne de ses chevilles, ses mollets. Ils se détaillent l'un l'autre, avec curiosité, sans dire un mot. La vendeuse de citronnade lui a souri, à Bucky. Elle a au moins seize ans. Il lui a accordé une fossette. Steve observe.

Le soleil décline paresseusement. Il rejette la tête en arrière et soupire, les coudes appuyés sur la pierre. Des adolescents bruyants passent, sur une caisse à roulettes.

« Oh non... murmure Bucky.

- Quoi ?

- Je vois ce truc dans tes yeux.

- Quel truc ?

- Le truc qui dit : j'veux faire ça !

- Quoi, tu ne veux pas finir les vacances en beauté ? »

Bucky rejette ses cheveux en arrière en souriant.

« Steve. » dit-il de sa voix grave.

Steve.

Steve n'aime pas quand il fait ça : quand il lui donne l'impression d'avoir voulu jouer au grand et d'être à côté de la plaque. Alors il pouffe de rire et se lève prêt à rejoindre son immeuble, en sautillant afin de dégager l'embarras

Mais à chaque fois, juste après, Bucky dit quelque chose comme :

« Steve ! »

Il se retourne. Bucky n'a pas bougé. Steve regarde encore la forme de son poignet qui repose sur son genou replié, une posture d'adulte un brin... présomptueuse peut-être, quelque chose qui sonne faux pour le moment un déguisement trop grand ; il regarde la façon dont le bleu acier de ses yeux contraste avec sa peau dorée c'est presque surnaturel, et la craquelure de poussière, laissée par l'eau saumâtre, la sueur et la terre sèche, qui descend sur les muscles de son cou, sous le col de sa chemise. La frange qui glisse, ruban souple sur son front.

« J'ai envie d'aller à Harlem. »

Bucky a oublié Manhattan. C'est qu'à Harlem, quelque chose d'autre gronde, pas tapageur comme le plus haut des grattes-ciels, quelque chose de nocturne qu'on goûte dans le swing à la radio ou entre les pages de certains journaux.

Le Nègre parle des fleuves  (Lanston Hughes)

J'ai connu des fleuves
J'ai connu des fleuves anciens comme le monde et plus vieux que le flux
du sang humain dans les veines humaines.

Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.

Je me suis baigné dans l'Euphrate quand les aubes étaient neuves.
J'ai bâti ma hutte près du Congo et il a bercé mon sommeil.
J'ai contemplé le Nil et au-dessus j'ai construit les pyramides
J'ai entendu le chant du Mississippi quand Abe Lincoln descendit à la Nouvelle-Orléans,
et j'ai vu ses nappes boueuses transfigurées en or au soleil couchant.
J'ai connu des fleuves:
Fleuves anciens et ténébreux.

Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.

Ce n'est pas le genre de poème qu'on apprend à l'école. Bucky a toujours eu un faible pour l'inédit, et Steve pour l'interdit.

Leurs cheveux palpitent doucement dans le courant d'air et à chaque fois que le tram s'arrête, il leur semble que le ciel descend d'un degré de plus sur leurs épaules. La chaleur moite constelle leurs fronts, envahit les vêtements qui collent à la peau. Lower east side, Midtown... Ils saisissent des instantanés de théâtre urbain – Regarde ce chien ! Ce vélo neuf dans la vitrine, ah tais-toi, la blessure est trop récente. Pourquoi ils se crient dessus ces deux-là ? Je suis sûr qu'il a regardé la fille en robe rouge, là... Tiens mais regarde, il vient de jeter un autre coup d'oeil ! - et continuent leur route, éblouis par l'air couleur de plomb, dense et brillant, qui les conduit vers l’autre monde. Le coude de Bucky effleure celui de Steve au fil des légers déséquilibres du wagon. Central Park. Des Noirs montent, des Blancs descendent. Quand ils lèvent la main pour se désigner un bateau, un gars à sa fenêtre, une corniche ouvragée, leurs peaux brûlantes frottent l'une contre l'autre.

« This is the end of the line, signale le contrôleur.

End of the line » répète Bucky.

Il saute sur la route, évite de justesse une voiture et lève le nez, le sourire large, les lèvres prêtes à chanter sous l'orage.

« Allez ! Où sont les quartets, les saxos aux fenêtres ? Je vais écrire à Variety ! Remboursez, remboursez nos rêves ! »

Harlem n'a rien d'étranger, il y a les mêmes immeubles en brownstones, les mêmes pavés qu'à Brooklyn. Il n'y a pas de jazz derrière chaque fenêtre, comme dans leurs fantasmes, pas de danseurs de claquettes dans les rues, de big bands qui rivalisent de toit en toit. Il y a une foule plus dense encore qu'à Manhattan, qui s'entasse dans des immeubles en ruines, parce que la crise n'épargne personne, et surtout pas les migrants venus du Sud. Il y a la même misère hébétée que chez eux, avec en plus des regards curieux ou hostiles envers ces deux gamins blancs venus là comme au musée des curiosités.

Tu y croyais vraiment ? n'ose pas demander Steve.

Tout est caché derrière les façades, ils n'allaient pas tout dévoiler, comme ça !

Tout est caché, et même réservé aux blancs constatent-ils en regardant les affiches de l'Apollo et du Cotton Club.

Ce n'est pas pour les enfants, glisse une femme qui passe près d'eux.

On reviendra dans quelques années, sourit Steve à Bucky.

On n'est pas chez nous dans ces rues-là, on serait chez nous dans les clubs, c'est tout. Si on était riches, si on venait en taxi applaudir les artistes, assis sur des sièges de velours rouge, là, on serait à notre place ; mais pas dans les rues où l'on croise des gamins, des ouvriers, et des chômeurs.

L'asphalte dessine des flaques, l'air ondule autour des immeubles, c'est un drôle de rêve. Un immense soupir de Steve fait craquer le ciel. L'orage tonne à grands fracas, déchirure d'or dans le gris jaunâtre, des tremblements sous les pieds, Bucky frémit de rire. Ils laissent la place aux dames sous les porches des boutiques et des auvents, et continuent de marcher sous la pluie tiède qui désaltère leurs gorges et leur peau. Je veux l'eau de ce ciel, le goût de ces rivières ! A ta santé Hughes !

Bucky chante sur les percussions désaccordées du ciel, et Steve en a mal aux joues à force de sourire.

Où sont les fanfares, les big band et les saxos ?

Mais écoute, Bucky

écoute ce qui gronde sous le blues, le swing et bientôt le jazz

sous la surface étincelante des rivières

écoute le flux profond et impétueux

écoute l'orage déguisé en fête

écoute les artistes qui refondent le vermeil de l'art à coups de tambour

et jouent encore les saltimbanques devant les bourgeois

ça gronde encore, on ne verra rien venir

Dans le tram de retour, Steve grelotte dans ses vêtements froids qui empestent l'humidité, la transpiration de la journée et celle de ses voisins dont les corps le bousculent, les coudes dans les côtes, épaules dans la tête. Bucky et lui n'ont pas pu rester sur la plateforme celle fois. N'y pense pas, ça va passer, dans quelques stations, ça sera fini, encore une station, encore une... Le sang se retire de ses joues, et des taches blanches dansent devant ses yeux. Le train ralentit. Il sent à peine ses bras se frayer un chemin parmi les passagers. Enfin il trébuche : l'asphalte. Le malaise reflue légèrement. Dans son grincement essoufflé habituel et insupportable, le tram repart.

« Eh, non, ne fais pas ça, gamin, EH ! »

Bruit de chute, un cri.

« Ça va, fils ? » demande un vieillard.

Steve lève péniblement la tête.

« Mais ça va pas la tête !

- Mais Steve...

- Sauter du tram en marche ? Mais t'es con ou quoi ?

- C'est toi qui es parti sans prévenir, là, qu'est-ce qui t'a pris ?!

- J'avais envie de vomir.

- Oh.

- C'est passé.

- Je vois ça. »

Bucky a bêtement cru qu'il avait été menacé ou il ne sait quoi. Il se sent stupide mais comme Steve est encore verdâtre, il pose une main sur son épaule et lui déclare de sa voix la plus solennelle :

« Tu peux vomir devant moi tu sais.

- Ah, tais-toi crétin.

- J'essaie de te mettre en colère pour te changer les idées, ça a l'air efficace.

- Haha... Mais sauter du tram en marche !

- Mais tu crois que j'allais te laisser tout seul ici, vraiment ?

- Il fallait descendre à la station suivante, je t'aurais retrouvé là-bas !

- ... Ah. Oui. »

Et comme il n'y a rien d'autre à faire, ils se remettent en marche. Brooklyn est encore terriblement loin, ils ont fait à peine la moitié du chemin. Allez, serre les dents, peut-être que le prochain tram sera moins bondé, que tu pourras rester près d’une fenêtre.

« Je n'ai pas d'argent pour un autre billet » déclare Bucky.

Alors ils marchent encore, beaucoup.
Toutes nos escapades finissent par des errances.

« Hey ! »

Ils tournent la tête vers une camionnette rose et vert pâle. C'est la vendeuse de citronnades, incroyablement fraîche malgré les relents sombres de l'orage.

« Vous allez à pied jusqu'à Brooklyn ? s'étonne-t-elle.

- Sauf si tu nous embarques. » sourit Bucky, audacieux.

Elle échange ils ne savent quels mots avec le patron, au volant, et monte derrière avec eux, pour surveiller. L'air est assez frais, Steve ferme les yeux, assis par terre entre deux congélateurs, et tente d'oublier son malaise. Elle rit avec Bucky. Steve l'entend, de loin, raconter ses jeux au basket, dans la rivière, les livres qu'il lit, leur escapade à Harlem, ça le fait sourire, dans le noir.

« Ça va vieux ? » fait-il en tapotant sa cheville. Steve lève un pouce. Bucky laisse sa main là.

La caravane s'arrête. Ils descendent, et comme Steve ne sait pas où se mettre, mais gars ou fille c'est pareil quand Bucky est si à l'aise avec les autres, il remercie chaleureusement le conducteur et s'éloigne sans interrompre son ami.

« ... Et c'est là qu'on s'en est rendu compte, avec Steve, hein Ste... Où est-il ? s'écrie Bucky en se retournant, une poignée de secondes plus tard.

- Il est parti en courant, vers là » indique la jeune fille.

Là ? Mais ce n'est pas du tout la direction de son immeuble, qu'est-ce qu'il fout, encore ?

- Je suis désolée, comme il a dit au revoir, je pensais que... »

Bucky ne l'entend pas. Comment est-ce possible, on ne faisait que discuter, est-il vexé, ennuyé ? Ça ne lui ressemble pas. Parti s'embrouiller plus loin ? Ça me dérange que ça lui ressemble tant.

« Je vais... Je te remercie Daisy, on se reverra, hein ? Je dois le retrouver, c'est... C'est un peu con, hein ? » rit-il sans joie.

Il se précipite dans la direction qu'elle a désignée, scrute les rues.

« STEVE ? »

Il progressevers leur quartier, on ne sait jamais, il l'attend peut-être sur le porche de son immeuble, comme tous les soirs.

« Eh, Bucky ! »

C'est à la brutalité de son soulagement que Bucky mesure combien il a été inquiet. Ou combien il a été ridicule ? Steve rit au bout de la rue, blême et déterminé, comme après un combat, un peu... Un peu quoi ? Grisé ? Mais il n'est pas blessé, à peine essoufflé. Il glousse quand Bucky le prend par l'épaule.

« Qu'est-ce que tu fichais ? aboie-t-il.

- J'ai vu un truc. Mais en fait, c'était pas ça. »

Bucky fronce les sourcils en haussant les épaules : tu crois que je vais me contenter de ça ? Mais ses cheveux dorés dansent dans le vent du soir, ses dents mordent son sourire, blanches, écarlate, et tout est lumineux, ça se masse dans ses yeux.

Un peu électrique.

« Elle s'appelle Daisy ? se souvient Steve, en bas de l'immeuble. Et toi Buchanan. Comme dans Gatsby le Magnifique ! C'est le livre préféré de ma mère, c'est l'histoire d'un homme qui emménage à coté d'un manoir où il y a des fêtes extraordinaires...

- ... En face de la lumière verte.

- Tu connais ?

- Mon prof d'anglais nous en a parlé l'année dernière alors je l'ai lu. Mais je n'ai pas aimé. En plus t'es dégueu, Buchanan il traite mal sa femme ! »

Steve ricane.

« Te marie pas avec elle, alors.

- Calme-toi, hein, on en est pas là. Et toi, t'es qui dans cette histoire, hein ? Gatsby qui convoite ma femme ?

- Non ! se récrie Steve.

- Carraway, l'admirateur éperdu qui raconte l'histoire du héros ? »

Steve grimace et secoue la tête à nouveau, en riant. Il laisse la conversation s'éteindre d'elle-même tant elle lui semble hasardeuse. Il n'aime pas vraiment commencer à parler sans savoir où ça le mènera.

« Faut pas souhaiter être Gatsby, murmure Bucky, les bras croisés sur les genoux, le menton dans le coude. C'est triste son obsession du passé. You can't repeat the past, n'oublions pas. Ouais, notre avenir ne semble pas très glorieux pour le moment, n'empêche que j'ai quand même envie de m'y précipiter en courant !

Moi, je voudrais pouvoir dire quelque chose d'aussi beau que ce poème de Hughes. Parler au passé comme si c'était de l'Histoire. » 

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