
Chapter 16
Thérèse rentra chez elle à très petite vitesse pour revivre encore et encore ce qu’elle avait vécu. Arrivée à proximité de sa maison, elle préféra s’en aller vers la falaise parce que le souvenir de Carol... rentrer chez elle sans préparation , sans réflexion ça aurait été prendre le manque dans la gueule ...
la lucidité serait pour plus tard...
Ce fut , imprégnée du souvenir de leurs échanges, qu’elle descendit en douceur cette falaise qui lui avait apporté Carol. Puis, atteignant la plage de galets et de sable mélangés, elle se réfugia dans sa grotte et s’y reposa dans le souvenir de la présence de Carol dans ses bras et de la douceur de sa main sur sa joue... elle ne se laverait pas tout de suite.
Elle s’assit sur son rocher préféré , ramena ses genoux à hauteur de son visage et imagina sur ce qui aurait pu arriver si elle avait saisi l’occasion du geste de Carol pour esquisser elle aussi quelque chose... mais le sentiment si prégnant et dominateur était celui de la compassion et de l’espérance.
La compassion pour le martyre que Carol avait subi de sa mère . L’espérance parce que Thérèse était en pays connu ; Carol n’était plus cette femme hautaine et riche car l’aisance et l’élégance naturelles cachait bien des horreurs.
les deux femmes adultes que je connais ont subi le même harcèlement, la même mise en danger, le même grignotage de leur confiance en elles, les mêmes doutes.
Donc Carol est veuve et sa solitude l’amène à draguer ou alors elle cherche un autre homme? Thérèse aurait à affronter un fantôme certainement beau et séduisant parce que Carol ne pouvait avoir épousé qu’un homme beau et séduisant
En tout cas elle n’a pas l’air trop navrée de son veuvage... donc elle n’était pas heureuse.
Elle n’était pas une déesse, pas une Messaline, même pas une mante religieuse... simplement un être humain qui se battait maladroitement ,quitte à se blesser elle-même ,avec les armes que lui avait prodiguées la nature ;
elle n’en fut que plus désirable aux yeux de Thérèse. Et bien entendu il ne s’agissait pas que de sexe ... Thérèse voulait plus beaucoup plus, et ce désir d’accomplissement devenait lentement et surement le chemin de sa propre vie.
Elle était plus qu’un physique de mannequin; elle était ... elle ne vivait peut-être pas d’une façon pleine et complète ,
mais elle avait de l’épaisseur et Thérèse en fut rassurée. Elle n’était pas amoureuse d’une image, d’un mythe mais d’une femme sensible...
il pourrait y avoir un avenir ensemble et il serait radieux.
Mais Thérèse devait aussi se méfier d’elle-même : une partie d’elle était perpétuellement en colère contre elle et contre le reste du monde. Cesser d’être toujours la gentille fille pour faire exister le côté sombre qui lui avait permis de survivre pendant l’école , pendant le travail et pendant les agressions de toute sorte qui l’avaient fait parfois vaciller.
Ses histoires d’amour s’étaient toujours mal terminées et une peur latente en était désormais la toile de fond.
« les histoires d’amour finissent mal en général »
Thérèse leva la tête pour admirer la mer si ténébreuse qu’elle se confondait avec les nuages bas; il fallait partir car il allait pleuvoir de nouveau quand une urgence la ramena sur terre. Elle avait promis de téléphoner à sa maman à 16 heures et il était 18 heures .
« Merde " et elle courut vers la ferme de Gaëlle...
=====================================
Carol connaissait chacun des virages qui allait de la côte à chez elle... elle les connaissait mais elle les redécouvrit à la faveur des paroles de Thérèse :
« J’aime les courbes ... rien que les courbes... les seins qui remplissent mes mains, »
Ses mains se creusèrent légèrement et spontanément à ce rappel. Comme la terre frémit pour annoncer le plus terrible des séismes , son corps frémit comme il ne l’avait jamais fait. L'amour physique ne lui avait rien apporté juste le sentiment de conformité pour se rallier à un état exigé par la société. Le but n'était pas le bonheur personnel…c'était la reproduction d'un modèle linéaire et indémodable permettant aux hommes de tout contrôler. Quant aux femmes réduites à leur fonction biologique… leur épanouissement n'était pas au programme. Carol , pas du tout intéressée par les thèses féministes, avait pris lentement conscience qu'elle n'était qu'une matrice. De toute façon elle se considérait comme frigide et ce qui s'était passé , il y a trois semaines dans la backroom était à mettre sur le compte du hasard ou de ce que lui avait glissé à l'oreille Thérèse? L’instinct de survie , l’envie de l’acte, l’assouvissement de quelque chose qu’elle ne connaissait pas mais qu’elle redoutait comme le paysan qui espère la pluie mais craint l’orage dévastateur... mais elle ne s’y arrêta pas... ça passerait comme s’était évanoui son envie d’absolu quand elle s’était marié.
L’esprit bouleversé dans ces pulsions elle se sentait incertaine et ,oui, elle savait déjà qu’elle ne sortirait plus à la recherche d’un amour qui était là. Elle devait juste s’y résoudre ... la présence et la gentillesse de Thérèse avait bouleversé son ordinaire. Mais elle fit le vide en elle car elle ne se sentait pas assez forte pour prendre un chemin de traverse. L’anxiété était redevenue sa poire d’angoisse et elle en goûta l’amertume.
Il fallait s'en tenir à ses résolutions…ne plus jamais être seule avec elle…mais sa gentillesse , sa tendresse comment les éviter? Comment les décourager tout en ne la décevant pas? Comment lui dire de s'éloigner tout en faisant qu'elle ne s'éloigne pas?
Qu'est-ce qui me retient ainsi, qui m'empêche d'aller à fond ?Ta culpabilité ma chèrie, ton éternelle culpabilité , le fonds de commerce de la religion judéo-chrétienne que ta mère t'a enfoncé dans le crâne et que les religieuses ont relayé toute ta scolarité
"vous voulez voir le diable Carolyne? Regardez vous dans un miroir"
Les mains de Carol se crispèrent une fois encore sur le volant et c'était volontaire. Elle repoussa ces idées noires et repensa à cette délicieuse après-midi que le hasard lui avait accordée.
=========================================
Dans une odeur de pluie et de fraîcheur Margot scrutait son jardinet ; elle avait enlevé les mauvaises herbes sauf celles qui avaient des fleurs. Elle leva brusquement la tête en entendant le tonnerre gronder au lointain et se rua dans la cuisine où Rindy buvait une citronnade maison dans la grande cuisine . Elle partagea son inquiétude avec sa grande sœur :
"où est maman? ça fait longtemps qu'elle est partie….elle n'est jamais là; je passe ma vie à l'attendre
-tu as raison et il y a eu un orage tellement violent et je sais qu'elle a l'habitude de se promener au bord de mer du côté des falaises".
Margot promena son regard inquiet sur sa sœur qui avala le reste de son verre . Elles allèrent toutes les deux vers l'entrée de la maison balayée par les vents de l'orage qui avait éclaté prés de la côte et qui pénétrait les terres y apportant l'air marin. Rindy posa la main sur l'épaule de Margot.
Elles profitèrent du vent frais qui traversait la maison de part en part en la rafraîchissant. Un sourd grondement à la rudesse familière se fit entendre.
"Dydy j'entends le bruit du moteur…c'est maman
-Gogo je ne veux pas de ce diminutif Rindy c'est déjà un diminutif…oui c'est le grondement d'une Porsche.
-Nerin elle arrive…"
Rindy se baissa et saisit les épaules de sa petite sœur :
"tu es infernale
-c'est vrai…mais tu m'aimes?
-je t'adore petite sœur
-moi aussi grande sœur…oh Dydy maman est là"
Carol était à peine sortie de la voiture que Margot se précipita dans ses bras:
"maman tu étais où ?…tu es partie depuis si longtemps…tu fais du jogging maintenant? Qu'est-ce que tu es belle , maman; tu brilles comme une boule de Noël sur un sapin
-et vous êtes mes deux anges"
Carol savait pourquoi elle était encore plus belle aux yeux de Margot, mais passa outre…comment ne pas être aussi transparente? Elle prit le sac qu'elle avait posé sur le siège passager et se retourna alors que Rindy approchait.
Elle prit Margot dans ses bras.
Rindy considéra sa mère d'un regard interrogateur :
"tu n'étais pas partie en robe? Toujours tes yeux aussi… révélateurs…il doit y avoir du Thérèse dans l'air.
-c'est une longue histoire … on rentre … il va encore pleuvoir"
Elles gravirent les marches du perron de marbre et déposa la petite fille au seuil de la porte.
Comme pour ne pas contrarier ce qui venait de se dire la pluie retomba et Carol remarqua la même danse de l'eau sur les carreaux que chez Thérèse…
"alors maman dis nous ce qui s'est passé " .
Carol n'oublia rien mais passa sous silence certaine conversation . Rindy écouta d'une oreille pour mieux retenir ce qui se passait devant elle et ce que cachait sa maman
"alors elle m'a accueilli , elle m'a fait du thé ; comme j'étais trempée elle m'a prêtée des vêtements et on a parlé
…quoi Rindy?"
C'était quoi le plus difficile pour la fille aînée de Carol : garder son sang-froid ou s'empêcher de rire.
"tu as dit qu'elle avait un chat … Garp? C'est ça?...ben elle t'a aidé alors elle peut venir ici…avec son chat. J'aurais ce que je veux comme ça" dit Margot en arborant le plus moqueur et fûté des sourires.
Carol se dit encore une fois que l'intuition de Margot relevait de la sorcellerie…elle lisait dans les pensées de sa maman
Elle avait le sentiment d'avoir affaire à un chœur antique comme dans les pièces grecques qu'elle jouait dans son collège privé en Suisse. Le chœur antique représente la voix du peuple...en l'occurrence c'était la voix de son adorable petite fille qui lui semblait avoir un bon sens qui manquait au commun des mortels…comme à elle d'ailleurs.
Sa fille aînée attendit que Margot s'éloigna…
"maman je ne t'ai jamais vue de toute ma vie aussi ….rayonnante…cette jeune femme t'aime à n'en pas douter…et cet amour te fait du bien
-oui elle m'aime bien… comme une amie que je n'ai jamais eue…rayonnante? Comme quand j'ai mes deux filles?
-une amie?...non maman elle est amoureuse de toi…et ça te plaît…
-qu'est-ce que tu en sais?...que ça me plaît…"
Rindy se rapprocha encore plus près et chuchota :
"je l'ai rencontrée il y a 2 semaines ; elle était assise sur le banc prés des acacias avec un curieux chat blanc
Je te l'ai dit et tu es montée te coucher sans mot dire…ben j'en sais quelque chose parce , chaque fois que tu la rencontres , tu as un sourire qui va d'une oreille à l'autre et tes yeux pétillent"
Carol déglutit et fronça les sourcils, elle se souvenait en effet…elle avait commencé à redescendre pour questionner Rindy et finalement elle avait laissé tomber.
"c'est un hasard …elle voulait profiter du calme du village…qu'est-ce qu'elle pouvait bien vouloir?"
Rindy nota les infinies rétractations qui parcouraient les yeux et les lèvres d'une Carol qui évitait le regard de sa fille
-toi…être près de toi, te voir de loin…c'est ce que font tous les amoureux transis? je lui ai demandé si elle était amoureuse de toi et elle est repartie sans rien dire…qui ne dit mot consent…dis maman pour changer de sujet l'école de Margot a appelé . Ils t'attendent lundi en huit pour l'inscription.<
-alors il y a une place qui s'est faite ; on est sauvé parce que je ne voulais pas que notre Margot se retrouve à NY
-et Mamy ?
-elle est d'accord malgré que cela signifie la séparation d'avec sa petite fille…on veut être ensemble toutes les deux…toi à Oxford et tu rentreras toutes les semaines ; Margot à l'école ici et je la verrais tous les jours"
Rindy caressa les cheveux de sa maman qui s'était blottie contre elle :
"tu vas bientôt me rattraper…
-c'est fait maman …regarde…" et Rindy serra Carol contre elle et l'embrassa à la racine des cheveux…en haussant les pieds.
Carol se sentait nostalgique du temps passé dans cette petite chaumière mais Margot la réclama à cors et à cris.
Et c'était mieux ainsi que ses envies de mère passent avant que ses envies de femme…reproduisant ainsi le modèle de pensée que lui avait imposée son éducation. Passer au-dessus de ces murs qui l'emprisonnaient dans un rituel rassurant, s'avérait si difficile.
Thérèse me l'avait dit…la prison...mes envies de femme…mon envie de cette femme
Elle avait toujours choisi le confort contre l'affirmation , la dénégation face à l'évidence ;ce que n'avait pas fait Thérèse . Elle s'en ressentit amoindrie , amère, encore soumise, pas encore révoltée.
Elle monta dans sa chambre et mit une robe de coton blanc bouffante et des sandales de cuir à lacet.L'élégance avait toujours été son refuge. Elle lut l'approbation dans les yeux de ses filles.
Après le repas , la soirée fut occupée par une partie de Monopoly qui vit Margot bousculer toutes les règles du jeu. Carol n'y fut jamais autant impliquée que cette soirée là sous les yeux amusés de Rindy qui ne s'arrêta pas à l'air
blasé et distrait de sa maman.
Elle savait qu'il y avait ou anguille sous roche ou un éléphant dans la pièce. Carol saurait-elle gérer les complications et les chausse-trapes qui l'attendaient, elle qui n'avait aucune éducation sentimentale; c'était certainement la première fois que quelqu'un l'aimait de cette façon .Rindy soupira si fort que Carol et Margot se tournèrent vers elle :
"laissez tomber …je vais mettre des hôtels sur la rue de la Paix…ça vous coûtera un os…"
Elles éclatèrent de rire toutes les trois et Carol comprit que si c'était un réel plaisir d'être à trois , ce serait bien d'être à quatre ; elle ne demandait pas le bonheur 24/24 ça n'existe pas , mais une communion à quatre.
Rester elle-même était essentiel à ses yeux et elle ne le sacrifierait pas . Oui être accomplie sans se renier…
Objectif lointain.. Infimes possibilités de réussite… un homme ne supporterait pas qu'elle reste indépendante. En u clin d'œil son rêve de famille idéale s'était écroulée ; à quel moment?
Quand Thérèse t'a tendue la main au bord de la falaise… ou quand elle t'a parlé dans le dancing…
La limpidité de sa vision avait l'acuité d'un poignard effilé , parce que toutes ses certitudes passées s'étaient écroulées.
Reconstruire , se reconstruire ….
"maman tu joues ou tu rêves?" demanda une de ses filles….
"je rêve en jouant…ou je joue en rêvant…je ne renoncerais ni à l'un ni à l'autre"
Et elle les enveloppa d'un regard aimant et tranquille.
La partie battait son plein quand elles entendirent toutes les trois des pneus crisser sur le gravier de la cour.
=======================================
Thérèse raccrocha toute blême. Gaëlle s'en inquiéta:
"que se passe-t-il ?"
Thérèse s'assit :
"ma maman a été hospitalisée , un voisin l'a trouvée évanouie dans son jardin…..je dois y aller et la ramener ici…et on commence la semaine prochaine les travaux pour la boulangerie…merde"
Elle arpenta la grande cuisine de long en large :
"bon je vais aller la voir et réfléchir à ce que je peux faire…demain matin je démarre tôt et je vais aux Sables ..
Je vais à Godberghen prévenir Carol que je ne sais pas venir…je suis sûr que Dominique l'a appelée et l'a insultée
-ah tu avais rendez-vous?
-je n'ai pas son téléphone…oui un rendez vous
-on peut le trouver
-non je veux lui dire de vive voix; je préfère"
Gaëlle sourit :" dis moi plutôt que tu as envie de la revoir
-c'est vrai…tu me connais comme si tu m'avais tricoté… je te tiens au courant…on pourrait la loger provisoirement à la
boulangerie … la grande chambre est en bon état…en attendant mieux; je ne peux plus et je ne veux plus la laisser seule"
Thérèse connaissait par cœur cette route. Entre retrouver Carol, Jacqueline hospitalisée, la boulangerie à restaurer pour le moins, tout se précipitait. Le plus urgent ramener sa maman près d'elle. Elle songea à l'argent qu'elle avait de côté, à ce commerce dans lequel elle investissait , les réparations urgentes qui s'imposaient. Aurait- elle assez d'argent pour tous ces projets…elle n'avait rien sauf son métier, sa moto vieille de 20 ans qu'elle réparait elle-même et son chat Garp récupéré à la SPA et dont personne ne voulait parce qu'il faisait peur.
Elle eut vingt fois l'envie de faire demi-tour. Elle pressentait ce qu'elle allait connaître en entrant chez Carol…un monde où l'argent ne manquait pas.
Thérèse n'était pas vaniteuse ; elle était simple, modeste , se contentant de peu et ça ne l'aidait pas du tout. Devait-elle réduire Carol à son argent et à son aisance apparente il est vrai ? Devait-elle agir comme tout le monde agit? Non.
C'est là , sur ce point là, qu'elle pouvait appuyer …
nous sommes comme les autres et nous ne le sommes pas.
Nous nous ressemblons et nous sommes différentes.
Vous me catégorisez et je fais de même avec vous.
Briser les préjugés , les jugements hâtifs que chacune entretient vis-à-vis de l'autre pour enfin être….
Consciente de l'ampleur de la tâche elle ralentit un peu et se remplit du silence qui l'entourait…
Nos voix résonneront dans cette soirée d'Août finissant …
J'ai toujours envie de vous demander des choses?
Je peux?
Elle était si anxieuse qu'elle se gronda elle-même et arriva un peu vite dans la cour de Carol ; elle dut délicatement négocier son arrêt pour ne pas glisser sur les cailloux véritable piège pour les deux roues.
Elle vit aussi que trois personnes , trois adorables personnes la regardaient du haut du perron de cette splendide demeure. Comment savaient-elles…le gravier bien sûr.
Carol impériale et ses deux reines.
Carol fut la première à s'approcher ; Thérèse arracha son casque et le mit à son bras, ébouriffa ses cheveux qu'elle savait indisciplinés et admira, une fois encore, l'incroyable sensualité de Carol… la robe de coton égyptien certainement à en voir le soyeux du tissu et les cothurnes dans un cuir si souple pas de maquillage
…dans le simple appareil d'une beauté qu'on arrache au sommeil… cet oxymoron racinien devait trouver sa justification un moment ou l'autre ….ça sert d'avoir étudié les classiques, pensa Thérèse qui eut un regard à la limite de l'indécence , loin de toute politesse guindée mais cela dura le temps d'un éclair.
Puis Thérèse jeta un œil alentour ; c'était splendide . La grande maison en pierre de taille contrastait avec les autres maisons faites de briques rouges et cette particularité ne pouvait qu'attirer son œil curieux; cependant ce n'était l'objet principal de ses préoccupations.
Elle sut qu'une fois encore elle éprouverait la puissance de l'argent dont elle avait fait connaissance si jeune.
Dans l'école catholique qu'elle avait fréquenté dans sa prime jeunesse si Dieu et ses servantes étaient partout l'ombre du fric l'était aussi. Bien qu'il y eut un uniforme obligatoire destiné à niveler les catégories sociales diverses qui la fréquentaient , c' était un leurre. Alors c'était les chaussures …
Thérèse adorait les chaussures de golf mais les vraies étaient trop chères…alors sa maman et elle s'étaient rendues dans une chaine de magasins bon marché et avaient acheté des chaussures bicolores…
toute fière Thérèse arriva dans l'école avec ses nouvelles chaussures. Mais les meneuses de la classe se moquèrent d'elle
Et la blessure qu'elle en garda la hantait encore…et puis il y avait ses cousines plus riches et les fêtes de famille étaient un calvaire…
Il fallait déjà pouvoir stabiliser la moto sur l'épaisse couche de graviers et elle se décida pour la béquille latérale
Carol mit crânement ses mains aux hanches et fit saillir involontairement ses seins ,ce qui ne lui échappa pas .
"hey bien chèrie que se passe-t-il ?" la douceur de la voix contredisait l'attitude.
Thérèse , pensive ne répondit pas et Rindy se retourna , surprise, vers sa maman.
Il y eut un silence , léger comme une plume d'oiseau , entre elles mais la petite fille surgit entre elles deux :
"toi aussi elle t'appelle chèrie? Moi aussi c'est quoi ton nom? …parce que moi c'est Margot"
Carol se rendit compte que cette jeune femme avait sur elle le pouvoir de la faire sortir de sa réserve ; elle s'était pourtant juré que plus personne n'interviendrait dans sa vie. Les autres étaient des objets qui ne pourraient pas l'atteindre. Le monstre froid tissé de culpabilité , forgé par la haine de sa mère la protégeait dans ces moments si dangereux où elle aurait pu s'impliquer…et souffrir.
Avoir essayé de se faire aimer par sa mère et avoir échoué l'avait corrompue et elle s'interrogeait parfois sur la froideur qui imprégnait ses relations avec les autres , pour peu qu'ils lui manifestent de l'intérêt. Bien entendu elle savait que sa quête des week-end ne servait à rien…elle le savait comme elles savaient d'autres choses ou pas.
L'incertitude était la toile de fond de ses relations avec les êtres vivants. Aimer c'était rentrer dans la zone de tous les dangers.
Elle ne m'a pas regardé , elle m'a dévoré…j'avais l'impression d'être nue…
Thérèse avait été surprise de l'accueil de Carol.
Elle m'a appelée chèrie?
"je m'appelle Thérèse …Carol cette robe vous va à ravir" Thérèse ressentit cette incroyable beauté et elle détourna le regard pour ne pas se trahir, parler pour ne pas regarder,…Et elle se sentit si maladroite et si gauche devant l'élégance innée de Carol; mais elle ne s'empêcha pas de laisser ses yeux traîner.. Ce désir soudain et inopportun la détacha du moment présent.
Comme elle hésitait à gravir les marches du perron , Carol se retourna et lui prit la main gauche et Margot la main droite :
"merci pour le compliment…serais tu flatteuse?
-non les flatteurs mentent..je ne sais pas mentir
-bon…soit ,comme c'est la première fois que tu viens ici , je vais t'aider et puis tu sembles si émue…Thérèse"
Pourquoi prononce-t-elle mon nom ainsi?...un mot lui revint de loin gemütlichkeit …elle avait toujours aimé ce mot et elle apprécia que, en dépit de ses inquiétudes, Carol lui procure une atmosphère chaleureuse qui la réconfortait tant.
Cependant Thérèse hésitait…ce n'était pas comme cet après-midi où l'urgence les avait précipitées dans la chaumière.
Du tout. Elle hésitait parce que ça allait être…nouveau...le perron était haut et les marches de marbre polies par le temps , leur bord arrondi par des milliers de pieds ou par le temps. Savait-elle ce qui l'attendait?
Elle hésitait parce que le monde où l'argent n’était pas un problème l'avait toujours blessée. Que cette facilité à avoir la tuait alors qu'elle essayait juste d'être…peut-être y a-t-il une licorne dans le jardin? Ou un psychiatre ?
Carol, tirée vers le bas, se retourna et perçut immédiatement le recul de Thérèse :
"allez viens ..je n'ai pas l'habitude de manger mes invitées…enfin pas tout de suite" le tout accompagné d'un large sourire.
Thérèse remarqua ce sourire et combien il avait été rare jusqu'à présent ; elle s'en régala et franchit allégrement
Les dernières marches. Elles attendirent Margot qui avait plus de mal avec les hautes marches.
Et, accompagnées de son babillage , elles pénétrèrent toutes ensemble dans la grande entrée.
"aussi grande que ma maison" pensa immédiatement Thérèse.
Elle aurait voulu la prendre et l'emmener sur sa moto dans sa robe blanche et , près des falaises, se faire une fin à la Thelma et Louise… pour enfin mettre un terme à la brûlure qui la consommait depuis longtemps sans qu'elle le sache.
Ne fantasme pas Thérèse, reste les pieds sur terre et regarde la réalité en face…La brutalité est là dans cette maison et c'est sa maison.
Elle allait découvrir un monde qui lui serait hostile parce que si différent de son quotidien.
C’est sa maison.