
Le rituel
Asclépios
Je n'ai jamais compris ni les humains, ni les divinités.
Je n'ai jamais compris pourquoi ma mère, Coronis, une nymphe et la fille du roi Phlégyas, s'était entichée d'Ischys, un vulgaire mortel, alors qu'elle venait de tomber enceinte d'un Dieu qui pouvait les réduire en cendre sur un simple coup de tête. Je n'ai compris pourquoi Artémis, qui se prétend depuis toujours protectrice des femmes, s'était empressée de massacrer ma mère, manquant de m'emporter avec elle.
En revanche, je savais pourquoi Zeus m'avait foudroyé, après que j'aie ramené à la vie son rival Tyndare.
Les Olympiens, du sommet de leur montagne, n'avaient cessé d'observer les êtres qu'ils prétendaient avoir crées à partir de la poussière. Comme des fermiers, ils avaient attendu patiemment que l'humanité sorte de sa coquille, et, en ouvrant ses yeux pour la première fois, s'empreigne de leur image comme un poussin devrait le faire avec celle de sa mère. Obnubilée par la vision d'êtres qui lui étaient supérieurs, elle serait soumise à leur toute puissance, enchaînant les prières et les offrandes, nourrissant leur pouvoir.
Et ces créatures humaines, piégées par leur propre mortalité, verraient dans leur soumission une manière d'atteindre le Paradis promis par leurs créateurs, priant de plus belles, sacrifiant toujours plus à leurs maîtres, sans jamais détourner leur regard des ombres des Dieux qui assombrissaient un peu plus chaque jour la grotte dans laquelle ont les avait placés, sans jamais songer à poser un pied vers l'inconnu.
Vint alors Prométhée. Dans sa main gauche, il portait le salut de l'humanité, et le glaive pourfendeur des Dieux.
Infliger la torture éternelle au fils de Japet et de Thémis* ne changea pas la finalité de cet acte. Avec le feu sacré de l'Olympe entre leurs mains, les humains illuminèrent les murs de la grotte et se rendirent compte qu'ils ne s'agissaient que d'ombres. Alors, en quête de leurs véritables créateurs, ils sortirent de leur tombe, et trouvèrent le reste.
Quand je rendis la vie à Tyndare, un humain et un roi, leader des hommes et victime de la perversion de Zeus**, Cela signifiait une nouvelle menace au pouvoir des Olympiens. Si ils ne pouvaient plus anéantir les mortels comme bon leur semblait, alors leur autorité, déjà mise à mal, se verrait encore davantage réduite. Pour qu'ils puissent conserver leur pouvoirs, les humains devaient rester malades, frêles, et faciles à détruire.
Cet égoïsme, que les Olympiens ne remarquaient et désapprouvaient que lorsqu'ils la voyaient dans les créatures qu'ils avaient façonnées à leur images au fil des siècles, leur était propre. Les autres Dieux, avec qui nous communiquions autrefois, ne semblaient pas souffrir de ce maux. Leurs créations, pour la plupart, vivaient longtemps, voir éternellement, aux côtés de leurs Dieux, dans une paix relative. Des conflits arrivaient, parfois, mais cent ans de guerre dans un autre univers faisaient rarement plus de morts qu'une seule année de guerre dans l'Enfer terrestre bâti et nourri par les Olympiens. Car si les humains avaient finalement appris au fil des années à penser par eux-mêmes, ils n'en restaient pas moins les enfants de leurs parents.
Tout cela pour dire, que non, je ne comprenais pas les humains. Mais je les préférais, et les préférerais à ceux qui m'avaient renié et mutilé autrefois.
Ah, comme mon beau visage me manquait...Même si il ressemblait à celui d'Apollon, qu'importe. Il était à moi. Mais la foudre de cet ingrat de Zeus m'avait définitivement défiguré. La faible consolation qu'était mon côté intact ne suffisait pas toujours à effacer l'affreuse vision de mon oeil vide et de ma peau scarifiée.
Je voulais, je devais faire payer à ce Dieu ce qu'il m'avait fait. Et à mon père, pour m'avoir lâchement renié, alors qu'il m'avait lui-même confié à Chiron pour que j'apprenne à soigner les Hommes. Et ma tante, pour l'assassinat de ma pauvre mère. Je ne voulais juste pas souffrir en faisant cela.
Aider Athéna était la meilleure alternative.
Elle me le devait bien, puisque c'était elle qui m'avait donné le sang de la Gorgone, pour que je puisse ramener Tyndare. Elle ne s'en souvenait plus ? Et bien, tant pis, une dette est une dette.
Son Cosmos et sa protection feraient largement l'affaire.
Mais je dois avouer que je me serais bien passé de leurs simagrées.
Il avait déjà fallu un temps fou à Athéna pour annoncer son "sacrifice" à son armée du bout des lèvres, comme si je lui avais arraché ses organes vitaux. Puis les dits chevaliers avaient enchaînés dans le pathos, pleurant à chaude larmes suite à la déclaration de leur déesse. Comme si la moitié d'entre eux n'avait jamais été ramené du purgatoire par la seule force de ses encouragement dégoulinants de mièvrerie. Et à présent, voilà qu'ils se disputaient au lieu de simplement choisir quelqu'un à ramener. Dire que j'avais expressément réuni mon Cosmos par pure bonne volonté.
Au moins, le thé qui m'avait été servi n'était pas si mauvais. Entre deux gorgées, j'écoutais d'une oreille leurs babillages. Ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur le premier chevalier à ressusciter. Leurs voix criardes faisaient bourdonner mes oreilles.
Deux d'entre eux, je n'aurais su dire leur nom à cet instant, avaient tout d'abord insisté pour commencer par le chevalier du Sagittaire. J'eus donc la bienveillante initiative de leur rappeler qu'il serait plus facile pour moi et de ce fait plus rapide pour eux de ramener ceux qui étaient mort il y a trois ans. Leur mort plus récente rendaient les liens de leurs âmes avec le monde des vivants plus solides. Et comme à l'accoutumée, mon commentaire fut accueillant par des regards foudroyants. Comme si je n'y avait pas suffisamment goûté par le passé.
Lorsqu'ils finirent enfin par restreindre le nombre de candidats, Ils se mirent à imaginer toutes les justifications possibles pour ne pas choisir un chevalier. L'un ne saurait faire face seul à des assauts, l'autre risquait de poser des problèmes, d'être mal accueilli. Des fadaises.
Au bout de près d'une heure d'argumentation, je pris le risque d'être à nouveau assailli par leurs yeux tonitruants, las de leurs babillages.
Je n'aurais jamais cru cela possible, mais le silence de mon ermitage commençait déjà à me manquer.
-"Et si, au lieu de perdre du temps à vous disputez, vous essayez d'en convoquer un ? Si l'un d'entre eux répond, c'est que son âme sera facile à ramener."
Avant que le petit brun ne puisse me lancer une nouvelle salve d'insulte fleurie, Athena l'arrêta d'un geste de la main. Elle avait beau avoir perdu ses pouvoirs, force était de constater qu'elle conservait une certaine prestance divine.
Suffisante pour calmer ce petit humain stupide, tout du moins.
-"....Je vois. Pourriez vous nous indiquer comment nous devons nous y prendre ?"
Je ne pus m'empêcher d'émettre un petit ricanement. Elle n'avait rien gardé de ses souvenirs, pas même les rituels les plus basiques. Je ne serais pas chassé de sitôt.
-"Mmph. Un sacrifice tout ce qu'il y a de plus banal."
Je les vis tressaillir, horrifiés.
-"Un..." Le garçon qui puait les Enfers me lança un regard fou.
"Elle devrait se dépêcher de s'occuper de son cas. Il est dangereux." Songeai-je avant de continuer mon explication.
-"Un poulet, évidemment. Même Zeus ne demanderait un sacrifice humain que pour une occasion beaucoup plus importante." Je levais les yeux au ciel. Le brun tiqua. Pégase. C'était Pégase. Je ne pensais pas m'en souvenir aussi rapidement. "En temps normal, on choisit un lieu en hauteur pour se rapprocher de l'Olympe. Ne faites pas ça, évidement. Allez dans un lieu reclus, tuez le poulet et versez son sang et sa chair sur des braises. Il faut qu'il aie de la fumée. Adressez vos prières à Gaia et Chaos. Ce ne sont pas vos ennemis, ils ont besoin que la terre vive pour s'épanouir. Les Olympiens aussi, mais ils sont têtus. Une fois cela fait, il vous suffira d'appeller les chevaliers. Énoncez leur noms, pensez à eux, n'importe quoi pour qu'au moins l'un d'entre eux vous remarque."
Ils prirent un instant pour absorber mes paroles. Ils semblaient tous encore plus perturbés que Scylla après que Circée l'aie transformée***.
Je souriais en repensant aux frasques de mon ancienne amie sorcière, ignorant totalement le groupe qui me remerciait avant de s'en aller rater leur rituel. J'espérais qu'au moins, lorsqu'ils rentreraient bredouilles, ils auraient au moins la délicatesse de m'apporter un nom pour que je puisse commencer un premier rituel.
C'était la moindre des choses.
-"Aah..." Je soupirais en songeant à la lourde et éprouvante tâche que j'allais bientôt devoir accomplir.
En vérité, le thé était plutôt bon.