
Conversation silencieuse
« Hank parait nerveux. »
« Il ne l’est pas. »
Jean arqua un sourcil en direction du professeur, assis de l’autre côté de la table.
« Vous en êtes sûr, professeur ? »
Charles jeta un coup d’œil furtif en direction de son ami de longue date. Celui-ci se tenait face à eux, l’équipe des X-Men, et marmonnait maladroitement dans sa barbe des paroles inaudibles et donc incompréhensibles à leurs oreilles.
« Bon, d’accord, il est peut-être un peu nerveux… admit Charles. C’est la première fois qu’il dirige ce genre de réunions, il faut le comprendre. »
« N’est-ce pas plutôt parce que Raven se tient à côté de lui et qu’il veut l’impressionner ? »
Charles tressaillit, ce qui fit sourire Jean. Il était toujours mal à l’aise concernant les relations amoureuses de sa sœur, ce qu’elle trouvait plutôt mignon – et amusant, il fallait l’admettre.
« Jean… »
Le ton faussement réprobateur du professeur ne l’inquiéta pas, au contraire : elle sourit de plus belle.
« Quoi ? Nous savons tous les deux que c’est la vérité. »
« Je… »
Un raclement de gorge les interrompit.
« Jean ? Charles ? Avez-vous quelque chose à partager avec le reste de l’équipe ? »
Les deux télépathes pâlirent sous le regard désapprobateur que leur adressa Raven, comme un parent surprenant ses enfants à échanger des messes basses dans son dos.
« … Non, répondirent-ils en chœur, d’une petite voix.
— Alors arrêtez vos tours d’esprit et concentrez-vous, tous les deux.
— Oui m’dame. »
Néanmoins, dès que Raven détourna son attention d’eux…
« Comment a-t-elle su ? »
« Aucune idée, Jean. Parfois, je me dis que ma sœur a un sixième sens pour détecter les conversations télépathiques. »
« Peut-être parce qu’elle a vécu avec un télépathe pour frère ? »
Charles sourit.
« Peut-être bien. »
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Un danger
Erik avait l’impression d’être le seul à voir l’évidence et à s’en méfier, entouré de personnes insouciantes et trop optimistes.
Il avait vu de quoi cette fille était capable et s’inquiétait des dégâts qu’elle causerait un jour ou l’autre, des gens qu’elle pourrait blesser – Charles, Raven…
« Sois prudent avec cette fille, Charles. »
Charles fronça les sourcils.
« Jean ? Pourquoi ?
— Parce qu’elle est imprévisible. Instable. »
Il regretta son choix de mots en voyant Charles se renfrogner, prêt à défendre sa protégée. Erik ne lui en tint pas rigueur plus que ça : il aurait fait pareil pour ceux qu’il aime.
« Qu’est-ce qui te faire dire ça, Erik ? Tu as un don de prémonition maintenant ?
— Je n’en ai pas besoin pour savoir que cette gamine emmagasine beaucoup de choses et que, tôt ou tard, il lui faudra les extérioriser, répondit-il posément. Tu as vu ce dont elle était capable, contre En Sabah Nur. Si ses émotions la dominent, les choses pourraient vite mal tourner. »
Charles se calma et esquissa un sourire empli de mélancolie et de tendresse.
« Cela me rappelle un autre… »
Erik leva les yeux au ciel. Inutile de s’acharner : Charles ne changerait pas d’avis.
Il tourna les talons, prêt à partir, quand son ami l’interpela :
« Et cette personne, dit-il avec ferveur, peu importe combien les gens répétaient qu’elle était dangereuse, ne m’a jamais déçue ni laissée tomber. Je ne fais donc pas de soucis pour Jean. »
Erik secoua la tête, cachant son sourire. Du Charles tout craché.
« J’espère que vous avez raison, professeur. »
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Ça reste entre nous
« Alors… Vous avez un rendez-vous ? »
Charles arqua un sourcil en direction de Jean. Ce n’était le genre de conversations auquel il s’attendait quand son élève était entrée dans son bureau pour s’asseoir sur son canapé, un sourire aux lèvres.
« Peut-on savoir comment tu es au courant de ça, jeune fille ?
— Vous n’avez songé qu’à ça tout l’après-midi. Vos pensées étaient plutôt bruyantes à ce sujet.
— Tu m’as espionné tout l’après-midi ? »
Sous son regard inquisiteur, Jean grimaça, mal à l’aise. Elle perdit contenance et ajouta d’un ton piteux :
« Je suis désolée. Je n’aurais pas dû faire ça sans vous demander la permission. C’est juste que… votre esprit est beaucoup plus paisible que le mien, alors je préfère me concentrer dessus. Vous voulez que j’arrête ?
— Non. Bien sûr que non, s’empressa de répondre Charles avec douceur. Je sais mieux que quiconque les difficultés que peut traverser un télépathe. Si cela t’aide, fais-le. Je te demande juste de garder pour toi ce que tu apprends, d’accord ? »
Jean lui adressa un sourire reconnaissant.
« D’accord. Merci, professeur. »
Ses yeux se mirent à briller de malice.
« Et bonne soirée avec Erik. »
Charles la dévisagea, troublé.
« Comment… ?
— Pas besoin de lire dans vos pensées pour savoir que c’est avec lui que vous avez rendez-vous. »
Charles parut sur le point de protester mais se ravisa pour la fixer avec intensité – mais s’il essayait de l’intimider, c’était raté : Charles Xavier était beaucoup de choses mais intimidant n’en faisait pas partie.
« Ça reste entre nous. C’est compris, Jean ?
— Bien sûr, professeur. »
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Le bon moment
« Non. C’est pas le bon moment. »
Autour de Peter, tous poussèrent de gros soupirs.
Peter refusait toujours de révéler à Erik Lehnsherr son ‘‘grand secret’’ – rapidement découvert par ses amis, parce qu’il n’était pas doué pour garder des secrets – quand Magneto, son père, passait à l’école – en général pour voir Charles, car lui aussi était très mauvais pour trouver une excuse valable à ses visites impromptues.
« Le bon moment pour quoi ? »
Les adolescents sursautèrent. Ils n’avaient pas remarqué que M. Lehnsherr les avait entendu – et voilà qu’il venait vers eux !
Il avait beau être ami proche – intime – du professeur Xavier, il restait Magneto à leurs yeux et cela suffisait à les intimider. Ororo et Scott bégayèrent, Kurt se mura dans le mutisme et Peter s’agita nerveusement. Seule Jean resta sereine et lui sourit, le regardant droit dans les yeux sans flancher.
M. Lehnsherr soutint son regard un instant, avant de tourner son attention vers Peter.
« Tu as quelque chose à me dire, petit ? »
Peter se tourna vers la télépathe, l’air outré.
« Jean ! s’exclama-t-il. Tu lui as parlé par télépathie ?
— Tu avais besoin d’un coup de main, se justifia-t-elle en haussant les épaules.
— Mais…
— Je crois d’ailleurs qu’il vaudrait mieux qu’on vous laisse. »
Les autres approuvèrent vivement et se dispersèrent à toute allure.
« Bonne chance avec ton père, Peter. »
« Sors de ma tête, Jean ! »
Peter l’entendit rire, avant de se retrouver seul à seul avec son paternel…
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Relation et Parentalité (partie 1)
S’il y avait bien une chose qu’avaient en commun Erik et Charles, c’était leur caractère surprotecteur envers leurs enfants.
« … Elles sont très proches l’une de l’autre », commenta Erik.
Charles approuva d’un hochement de tête. Non loin d’eux, assises sur l’herbe dans les jardins, Jean et Wanda discutaient paisiblement, des expressions heureuses sur le visage.
« C’est vrai, reconnut-il. Tu penses que c’est une mauvaise chose ?
— Pas exactement mais… »
Erik se tut un instant, avant de jeter un regard prudent à son ami.
« C’est ma fille, Charles. J’ai déjà perdu ma famille. Je ne veux pas que cela se reproduire avec Peter ou Wanda.
— Donc tu te montres surprotecteur, le taquina Charles. Ne t’en fais pas, elles ne risquent rien. Je sais que tu as peur mais il faut qu’on les laisse se débrouiller par elles-mêmes, qu’elles forgent leur propre expérience.
— Tu en parles comme si cela te concernait directement, que tu comprenais ce que je ressens. »
Charles sourit.
« Parce que c’est le cas, Erik : à bien des égards, Jean est comme une fille pour moi. »
Erik fredonna distraitement, pensif. Puis il ajouta d’un ton sans équivoque :
« Si elle brise le cœur de Wanda, je jure qu’elle le regrettera – et ce même si c’est ton enfant, Charles. »
Charles éclata de rire.
« Je crois que je dois te donner le même avertissement, mon ami. »
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Relation et Parentalité (partie 2)
« Tu as l’air heureuse, Jean. Plus que d’ordinaire. Il y a une raison particulière à cela ? »
Entendre la voix du professeur dans son esprit ne l’étonna pas.
Parler par télépathie avec lui alors qu’ils regardaient une émission de télévision ridicule avec les autres dans le salon était devenu une habitude pour eux. Peter et Scott riaient aux éclats d’une blague, qui laissait Ororo et Kurt perplexes et un Hank bien embêté essayant de la leur faire comprendre – sans grand succès.
« C’est grâce à Wanda ? »
Jean rougit. Elle ne voulait pas vraiment en parler maintenant au professeur. Elle s’y attendait néanmoins : elle avait passé ces dernières heures à penser à Wanda. Impossible que Charles ne l’ait pas remarqué.
Elle haussa donc les épaules avec autant de désinvolture que possible.
« Elle est… gentille, répondit-elle avec hésitation. On s’entend bien grâce à nos dons. C’est agréable de pouvoir en discuter avec quelqu’un de son âge – sans vouloir vous offenser, professeur. J’apprécie ce que vous faites pour moi et la confiance que vous m’accordez mais avec Wanda c’est… différent, vous comprenez ?
« Je comprends, la rassura-t-il avec un sourire entendu. Cependant… Fais attention avec Erik dans les parages. Il est un brin surprotecteur. »
Elle n’en doutait pas : elle avait déjà eu un aperçu de comment il se comportait avec Peter depuis que celui-ci lui avait révélé être son fils. Parfois, elle entendait Peter regretter d’avoir dit la vérité à son père, parce que désormais Erik était tout le temps sur son dos, à exercer son autorité parentale – pour le meilleur comme pour le pire.
Elle jeta un coup d’œil vers Charles, qui la regarda avec espièglerie. Elle plissa des yeux.
« Je n’ai pas peur de votre petit-ami, professeur », déclara-t-elle avec défi.
Elle gloussa en voyant le visage de Charles se décomposer. Croyaient-ils vraiment que Wanda et Jean étaient aveugles et ne remarquaient pas leur attitude l’un envers l’autre ? Bien sûr qu’elles avaient découvert la relation qu’entretenaient leurs tuteurs.
« M-mon… mon quoi ? » bafouilla Charles, dont le visage s’empourprait.
Mon Dieu, il était tout aussi mauvais qu’elle quand il s’agissait de cacher ses sentiments. Au moins, elle savait de qui elle tenait ça…
Depuis sa place sur le canapé, Peter se pencha en arrière et les dévisagea tour à tour avec suspicion.
« De quoi vous parlez, tous les deux ?
— Rien ! » s’empressèrent-ils de répondre, les joues rosies.
Ce n’était décidément pas le bon moment pour avoir ce genre de conversations télépathiques…
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Terreurs nocturnes
Aussi loin que Jean s’en rappelait, elle avait toujours fait des cauchemars.
À force, ils ne la dérangeaient plus mais elle souhaiterait désespérément qu’ils cessent, afin de ne plus causer de problèmes à quiconque en faisant trembler tout le manoir et en manquant de le mettre à feu.
Elle craignait qu’à cause de ça les gens finissent par en avoir assez d’elle, se lassent d’elle et des complications qu’elle occasionnait sans cesse.
Malheureusement, ses angoisses ne servaient qu’à alimenter davantage ses mauvais songes, emplis de cris de douleurs et de flammes dévastatrices.
« Jean ? »
Son cœur tambourinait dans sa poitrine, battait la chamade.
« Réveille-toi, Jean… »
Peu importe combien elle essayait de les chasser, ses démons persistaient à s’accrocher.
« Jean ! »
Et comme à chaque fois, la voix du professeur résonnait dans son esprit et la libérait du cauchemar qui l’entravait.
Il était assis au bord de son lit et lui tenait la main, la fixait avec inquiétude. Sa voix, douce et chaleureuse, répétait :
« Ce n’était qu’un rêve, Jean. Tu n’as rien à craindre. Tu es en sécurité. Tu vas bien. Nous allons tous bien. »
Il lui souriait d’un air rassurant. Alors Jean s’autorisait à le croire, à se persuader que ses cauchemars ne voulaient rien dire. Qu’elle ne blesserait pas les gens qu’elle aimait et que ceux-ci ne la craindraient pas et ne l’abandonneraient pas à cause de ça.
Ils restèrent ainsi jusqu’à ce que ce moment de paix soit interrompu par Erik, qui déboula en urgence dans sa chambre, regardant partout à la recherche d’une potentielle menace.
« Tout va bien, petite ? demanda-t-il, essoufflé.
— Tout va bien, Erik, répondit Charles pour elle, un sourire aux lèvres. Étais-tu… inquiet ? »
Erik se figea, un air impassible sur le visage.
« Non. »
Charles gloussa et se pencha vers sa protégée.
« Il s’inquiétait pour toi. C’est une évidence. »
Jean lui renvoya son sourire complice.
« Eh ! Qu’est-ce que vous vous dites, tous les deux ? »
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Protéger de la vérité
« Qu’est-ce que tu as fait, Charles ? demanda Raven d’un ton accusateur.
— Je l’ai protégée, déclara-t-il, inflexible.
— En lui cachant la vérité ? Je connais une autre façon de désigner ce que tu as fait : tu lui as menti. »
Charles ne répliqua pas. Un mensonge ? C’était ce qu’elle pensait à ce sujet ?
Raven pouvait dire qu’il avait eu tort d’agir ainsi si c’était ce qu’elle voulait. Il ne regrettait pas son geste, car comment aurait-il pu dire la vérité à Jean ?
Expliquer à une enfant en deuil que son père – son vrai père – ne voulait plus d’elle parce qu’il la tenait pour responsable de la mort de sa mère ? Qu’il avait peur d’elle et de ses pouvoirs ? Qu’elle était, selon lui, une cause perdue ?
Ce n’était pas juste. Et Charles n’avait pas eu le cœur d’exposer une enfant à cette cruelle vérité. Il n’était peut-être pas digne d’être le père de Jean mais M. Grey non plus.
Mais ça, Raven ne pouvait pas le comprendre sans l’avoir vu de ses propres yeux, d’avoir ressentir la peine et la douleur qu’il avait ressenti en découvrant une enfant être rejetée et abandonnée par la seule famille qui lui restait.
Voilà pourquoi Charles eut peur de ce qu’ils les attendraient à leur arrivée, en retrouvant Jean.
Jean allait être blessée – peut-être même dévastée – par la vérité, sans qu’il ne puisse rien faire pour l’en empêcher.
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Sans famille
Erik aurait dû l’aider. Charles disait toujours qu’Erik aidait les autres en cas de besoin, qu’il prenait soin des Mutants. Apparemment cela ne s’appliquait pas à elle.
N’était-ce donc qu’un autre mensonge du professeur ? Elle voulait le croire mais commençait à se dire que le problème était tout autre.
Peut-être que le problème, c’était elle.
Cela expliquerait pourquoi Charles lui avait menti, pourquoi Erik avait refusé de l’aider et pourquoi Raven était morte…
Elle n’avait pas de maison, pas de famille. C’était ce qu’elle avait dit à Scott et aux autres. Elle en avait d’abord ressenti une profonde colère, qui l’avait submergée. Mais maintenant…
Jean ne savait pas ce qu’était ce pouvoir en elle mais voulait qu’il s’en aille, qu’il la laisse. Il la faisait se sentir vivante mais blessait tout le monde autour d’elle, se nourrissait de sa détresse et de ses peurs et transformait ses émotions en un maëlstrom infernal qui menaçait de la dévorer vivante.
Elle ignorait comment s’en sortir, se débarrasser de toute cette misère en elle.
Elle comprenait enfin pourquoi Charles buvait autant. Il cherchait ainsi à se dissocier du monde, engourdir tout ce qu’il ressentait et le blessait au quotidien.
Elle aussi avait besoin d’un verre.
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Charles
« Jean ! »
Ce fut sur le professeur que son regard s’attarda.
Ses yeux bleus profonds comme l’océan, qui avaient le don de l’apaiser quand elle était plus jeune, la scrutaient désormais avec inquiétude et désespoir. Comme si le professeur savait ce qu’elle s’apprêtait à faire.
Jean sentit sa détermination vaciller à sa vue mais, paradoxalement, n’en fut que plus déterminée à en finir une bonne fois pour toutes. Un feu brûlait dans sa poitrine, ferme et résolu.
Pourtant il y avait tant de choses qu’elle voudrait dire à Charles.
Qu’elle était désolée – tellement, tellement, désolée – pour la mort de Raven, qu’elle lui pardonnait de lui avoir menti – elle lui avait déjà dit dans le train mais voulait le lui répéter, pour qu’il en soit persuadé –, qu’elle était reconnaissante pour tout ce qu’il lui avait appris et donné.
Elle voulait le remercier de lui avoir offert un foyer et une famille.
Mais elle manquait de temps. Alors elle se contenta d’un regard, espérant que celui-ci puisse transmettre au professeur toute l’affection qu’elle lui portait.
Parce qu’il avait toujours suffi d’un regard pour qu’ils se comprennent.
« Merci pour tout, professeur. »
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Au revoir
Elle était là, assise face à lui, à lui sourire. D’ordinaire il lui souriait en retour mais pas cette fois : la volonté lui faisait défaut. Alors il se contenta de la regarder, essayait de graver son image dans sa mémoire.
Jean pencha la tête, confuse.
« Vous semblez triste, professeur. »
« Je le suis », répondit-il avec douceur.
Parce qu’il savait que ce n’était pas réel. Ce n’était pas Jean qui se tenait face à lui mais son souvenir.
Jean était morte, du moins selon les normes physiques de ce monde. Charles préférait se dire qu’elle était libre, quoi que cela implique.
« Je suis désolée, articula-t-il péniblement. Je n’aurais pas dû te cacher la vérité. »
Peut-être les choses se seraient-elles passées autrement s’il ne l’avait pas fait…
Jean secoua la tête.
« Vous ne pouvez pas changer le passé, professeur, dit-elle avec magnanimité. Les gens comptent sur vous. Il faut que vous passiez à autre chose. »
« Je sais mais… »
Il ferma les yeux et déglutit. Pourquoi son esprit avait-il décidé de le tourmenter de la sorte ?
« Et toi ? » demanda-t-il enfin.
Elle lui sourit de nouveau.
« Ça ira pour moi. Je vais bien maintenant. »
Il acquiesça avec lenteur. Il devait partir, il en avait conscience mais cela n’en rendait pas moins ces adieux douloureux.
Il prit une profonde inspiration et laissa sortir ces mots qui l’avaient rongé de l’intérieur ces derniers temps, qu’il n’osait pas prononcer par peur de rendre toute cette situation plus réelle et inexorable qu’elle ne l’était déjà.
« Au revoir, Jean. »
Ils se regardèrent une dernière fois.
La voix de Jean résonna dans son esprit, de ce ton sincère et complice qu’elle ne réservait qu’à lui, témoin de l’affection et la confiance qu’ils se vouaient l’un à l’autre.
« Au revoir, Charles. »
Quand il cligna des yeux et revint à la réalité, il fut l’obscurité de sa chambre qui l’accueillit.
Jamais le manoir ne lui avait semblé si froid et dépourvu de vie que maintenant.
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Se pardonner
Erik perdait mais il ne se souciait pas vraiment de la partie d’échecs qu’il disputait. Il n’était pas venu à Paris pour ça mais pour remonter le moral de son vieil ami.
« Je comprends ce que tu ressens, Charles. La perte d’un enfant est une douleur dont on ne se remet jamais complètement. Mais tu dois aller de l’avant, pour Jean et tous ceux qui sont encore là. »
Il n’obtint aucune réaction, seulement un regard vide et terne, triste.
« Raven ne voudrait pas que tu restes ici à te morfondre, réessaya-t-il.
— Tu en es sûr ? rétorque Charles avec amertume – une amertume adressée à lui-même. Elle dirait plutôt que c’est tout ce que je mérite : elle désapprouvait le fait que j’ai caché la vérité à Jean. »
Pensif, Erik laissa ses yeux vagabonder sur l’échiquier avant de reprendre :
« Tu as fait ce que tu pensais être le meilleur pour sauver une enfant du chagrin, même si tu avais tort de le faire. Hank m’a dit que Raven a essayé de raisonner Jean avant… avant qu’elle ne meure. C’est ce que tu as fait tout au long de cette affaire, quand Jean elle-même ne croyait pas qu’elle était toujours la même personne qu’avant. Raven l’aurait compris et t’aurait pardonné, comme Jean l’a fait. »
Il regarda Charles droit dans les yeux et termina :
« Parce que quelqu’un nous a appris que ce ne sont pas nos erreurs qui nous définissent – et il faudrait que ce quelqu’un comprenne que cela s’applique aussi à lui. »
Ce furent les bons mots à dire.
Charles lui sourit et ses yeux se remirent à briller d’une lueur claire, emplie d’espoir, qu’Erik pensait disparue à tout jamais. Cela lui réchauffa le cœur.
« Je gagne, déclara Charles en posant sa dernière pièce d’échecs avant de lever son verre. À Raven. Et à Jean. »
Erik l’imita en levant son verre.
« À elles… et à nous. »
Jean leur avait offert un avenir. C’était à eux maintenant de veiller à ce que son sacrifice n’ait pas été pas vain.