
Chapter 1
Chapitre 1
Combien de temps s'était-il écoulé ? Combien de temps avait passé depuis l'effondrement du mur ?
La lumière verte qui avait enveloppé l'arpent d'une étreinte protectrice avait disparu et l'air était à présent chargée d'une épaisse couche de poussière ainsi que d'une odeur de sang.
Un cri brisa le silence, rapidement suivi d'un autre.
La peur. La douleur. Le sang. La mort.
De plus en plus de corps s'effondraient sur le sol à mesure que les assaillants avançaient dans l'Arpent, écrasés par le poids des 5 géants ou tués par les addicts à l'ambroisie. La terre tremblait et à chaque seconde qui passait, le danger devenait plus proche encore.
Les rues étaient en proie au chaos le plus total. Les gens couraient dans toutes les directions, essayant de retrouver leurs familles, leurs amis et leurs enfants, la peur inscrite sur leurs visages.
Étaient-ils assez forts pour retenir les Estres ? Avaient-ils seulement une chance ? Ou cette nuit serait-elle leur dernière ?
De nombreux Particuliers avaient couru vers l'entrée de la boucle dès que le bouclier s'était effondré, mais aucun d'entre eux n'était encore revenu et cela ne semblait pas avoir beaucoup ralenti les Estres, peut-être parce que tout le monde s'attendait à une armée de Creux et non à cinq Estres géants et des dizaines d’addicts à l'ambroisie.
Les ennemis se rapprochaient, détruisant les bâtiments et ne laissant derrière eux que chaos et destruction. De la fumée s'élevait des bâtiments et remplissait l'air, rendant la respiration difficile.
Au milieu de tout ce chaos se trouvait le bâtiment du ministère dans lequel les Particuliers et les Ombrunes s'étaient entassés comme si le bâtiment pouvait les protéger du danger qui s'approchait.
« Si nous parvenons à rassembler tous les guérisseurs à l'intérieur, nous pourrons plus tard amener les blessés ici, déclara l'un des Ombrunes.
– Ne serait-il pas préférable d'utiliser un bâtiment plus éloigné, afin que les Estres mettent plus de temps à l'atteindre ?" intervint Millard.
–Si le bâtiment est trop éloigné, aucun des blessés n'arrivera à temps. De plus, je ne pense pas que nous ayons le temps d'emmener tout le monde ailleurs, répondit Mlle Wren en regardant par la fenêtre. »
Les premiers addicts à l'ambroisie commencèrent à apparaître dans leur champ de vision, suivis par les géants occupés à détruire de nouveaux bâtiments.
« C'est réglé, dans ce cas. »
Ce fut sur ces mots que Mlle Avocet partie, suivie par Mlle Wren et Francesca.
Miss Peregrine regardait toujours par la fenêtre, observant attentivement comment les ennemis se rapprochaient à chacun de leur pas.
Plus loin, on pouvait entendre les autres Ombrunes essayant de classer les Particuliers en groupes afin que la particularité de chacun puisse se montrer utile pendant le combat.
Elle essaya de réprimer le sentiment de peur qui montait en elle, mais cela devenait de plus en plus difficile à chaque seconde qui passait.
« Alors ça a commencé, murmura Miss Peregrine. »
Miss Coucou posa une main sur l'épaule de la plus jeune, espérant que cela la réconforterait au moins un peu.
« Nous survivrons, c’est ce que nous avons toujours fait. »
Elle sourit doucement.
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Ils étaient si nombreux, d'où venaient-ils ? L'armée semblait inarrêtable, éliminant les Particuliers les uns après les autres.
« Toujours aussi convaincue que nous allons survivre ? demanda Miss Peregrine en se baissant pour éviter l'acide noir provenant d'un des Estres géants.
–Ce serait dommage si ce n'était pas le cas. J'avais prévu de me teindre les cheveux en violet quand j'aurai 150 ans, répondit Miss Coucou en riant légèrement. »
Alma la regarda et haussa un sourcil.
« Tu n’es même pas proche de tes 150 ans, Isabelle. »
Miss Coucou pencha la tête sur le côté et regarda l'autre femme, un sourire enjoué dansant sur ses lèvres.
« Mon Dieu, mon Dieu, personne ne t'a appris à ne jamais parler de l'âge d'une dame ? »
Miss Peregrine se contenta de rouler des yeux, mais Isabel vit le coin de ses lèvres se relever très légèrement. Personne d'autre ne l'aurait remarqué, mais elle connaissait trop bien Alma à présent.
« On peut te faire confiance pour faire des blagues même sur un champ de bataille, marmonna Miss Peregrine. »
Miss Coucou haussa simplement les épaules, esquiva le tir d'un drogué à l'ambroisie qui tentait de l'attaquer, et lança l'un de ses couteaux dans sa direction. Il poussa un cri de douleur et trébucha en arrière lorsque la lame entra en contact avec sa poitrine.
Les rues de l’arpent du diable brûlaient. La fumée s'élevait de tous les bâtiments et les Particuliers tentaient désespérément de repousser l'armée de Caul.
Chacun essayait d'aider avec sa particularité. Enoch avait ressuscité des cadavres pour combattre, Fiona était assise à l'intérieur du bâtiment du ministère, contrôlant ses lianes pour piéger les Estres et les addicts à l'ambroisie, et les Ombrunes se battaient aussi du mieux qu'elles le pouvaient.
Certains se battaient depuis le ciel, lâchant des œufs explosifs, et d'autres étaient encore au sol, essayant d'aider les blessés à se mettre à l'abri dans le bâtiment du ministère.
« Tiens, prends ma main. Je vais t'aider à entrer, déclara Miss Peregrine en tendant la main à un petit garçon. »
Avait-il au moins l'âge de se trouver dehors à se battre ?
Il prit avec hésitation la main de Miss Peregrine qui l’aida avec précaution.
« Tu penses pouvoir marcher ? lui demanda-t-elle en essuyant une tache de sang sur sa joue. »
Il hocha légèrement la tête et ensemble, ils se dirigèrent vers le grand bâtiment. Il n'était certainement pas facile de guider le gamin sur le champ de bataille. Une ou deux fois, elle dut sauter sur le côté pour esquiver une attaque, entraînant le garçon avec elle.
Elle ignora la douleur qui la faisait boiter, ainsi que celle qui se répandait dans son estomac.
Le seul objectif était de mettre le garçon en sécurité.
Lorsqu'ils atteignirent enfin la maison, Miss Peregrine lâcha le garçon. Il avança en titubant, mais se retourna pour la remercier lorsqu'il s'arrêta soudain dans son élan. Il leva lentement sa main tremblante et la pointa vers elle.
« Miss, vous saignez… »
Miss Peregrine regarda l'endroit que le garçon désignait, sa main effleurant instinctivement la blessure. Lorsqu'elle la releva, elle était humide de son sang. Elle ne put s'empêcher de fixer ses mains pendant quelques secondes.
Lorsqu'elle se reprit, elle passa à nouveau la main sur la plaie et sourit faiblement au garçon.
« Je vais bien, c'est juste une égratignure. Tu devrais rentrer et laisser quelqu'un s'occuper de ta tête. »
Sa tête commençait déjà à être lourde, mais elle se força à rester forte. Elle ne pouvait pas se montrer faible, elle devait rester forte pour les blessés et les enfants.
Le petit garçon la regarda fixement, manifestement dépassé par la situation. Il avait mal à la tête, mais il ne voulait pas non plus la laisser seule en sachant qu'elle ne semblait pas faire d'efforts pour obtenir de l'aide pour elle-même.
Un bruit soudain et fort attira leur attention. L'un des géants se tenait devant un très haut bâtiment, essayant de le faire tomber sur un groupe de Particuliers en train de se battre. Ces derniers tentaient désespérément, mais sans grand succès, d'abattre l’Estre en usant de tous leurs pouvoirs.
D'énormes morceaux de bâtiments commencèrent à tomber vers le sol. Le groupe de personnes se dispersa, courant pour se mettre à l'abri. Les rochers heurtèrent le sol, faisant trembler la terre et monter la fumée dans le ciel.
Lorsque l'air s’éclaircit à nouveau, Miss Peregrine pu distinguer une petite silhouette sur le côté des rochers. C'était une petite femme qui semblait assise là. L’Estre continuait à détruire le bâtiment, arrachant d'autres murs qui s'effondraient sur le sol.
Miss Peregrine regarda avec inquiétude la scène alors qu'un autre rocher massif manquait la femme de quelques centimètres. Elle se précipita vers la petite femme, la soudaine poussée d'adrénaline lui redonnant de la force.
« Il faut que vous sortiez d'ici avant d'être frappés ! cria Miss Peregrine.
–Je ne peux pas bouger ma jambe, se plaignit la femme en montrant sa jambe cassée. »
Miss Peregrine lui prit la main pour la tirer vers le haut et la laissa passer un bras autour d'elle pour se stabiliser. L’Estre les avait repérées et commençait à leur lancer des morceaux de la maison.
Jurant intérieurement, Miss Peregrine entraîna la femme sur le côté. La fenêtre s'écrasa sur le sol à côté d'elles et les recouvrit de poussière et de cendres.
Les deux femmes essayèrent de se frayer un chemin, mais la saleté de l'air les faisaient tousser et empêchait de voir le chemin ainsi que l’Estre. La petite femme s'arrêta lorsqu'elle aperçut la forme d'un rocher géant devant elles.
Elles étaient dans une impasse.
Miss Peregrine se retourna pour chercher un autre chemin, mais sa concentration avait disparu et le vertige augmentait à chaque pas qu'elle faisait. C'est alors qu'elle vit quelque chose de vert clignoter devant ses yeux. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu'il s'agissait d'une des lianes de Fiona.
Alors que Miss Peregrine et la femme avaient tenté de se sortir du nuage de poussière, Fiona les avait repérées et avait commencé à piéger l’Estre avec ses lianes.
L'air s'éclaircissait peu à peu et elles purent enfin trouver un moyen de contourner les rochers massifs et les fenêtres qui se trouvaient au sol.
Elles trébuchèrent toutes les deux sur le terrain jusqu'à ce qu'il y ait une distance de sécurité entre l’estre et elles.
À cet instant, Miss Peregrine ne voyait plus le monde que dans un voile flou. Sa tête était incroyablement lourde et elle sentait ses genoux se dérober.
Les yeux de la femme s'écarquillèrent d'horreur lorsqu'elle s'en rendit compte. Avec sa jambe cassée, il serait impossible d'obtenir de l'aide pour toutes les deux.
« Nous y sommes presque, dit la femme en essayant de soutenir Miss Peregrine du mieux qu'elle le pouvait, sans perdre l'équilibre elle-même. »
Elles finirent par atteindre le bâtiment du ministère, et la petite femme entra en boitillant, non sans se retourner dans l'encadrement de la porte pour regarder Miss Peregrine.
« Vous ne venez pas ? demanda-t-elle. »
Mais Miss Peregrine se contenta de secouer la tête.
« Je vais bien, menti-t-elle en forçant un sourire à s’épanouir sur ses lèvres. »
L'autre femme leva un sourcil incrédule et secoua la tête. Au moment où elle se retournait, Miss Peregrine sentit ses genoux céder. Elle s'agrippa rapidement à la clôture qui entourait le vieil asile.
Elle ne savait pas combien de temps elle était restée là, accrochée au grillage pour sa chère vie, lorsqu'une voix la ramena à elle. Elle leva la tête et ses yeux verts rencontrèrent des yeux bruns inquiets.
« Alma ! Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi es-tu encore dehors ? demanda Miss Coucou, la voix chargée d'inquiétude.
–Je vais bien. Ne t'inquiète pas, répondit Miss Peregrine, ne croyant pas vraiment à ce qu'elle disait.
–Oh, vraiment ? Alma, tu es incroyablement pâle, tu t’accroches à cette clôture si fort que tu pourrais la briser et tu sembles sur le point de t’effondrer d'une minute à l'autre, rétorqua la femme plus âgée en haussant un sourcil. »
Miss Peregrine la regarda, mais elle ne put voir clairement le visage d'Isabel, car le monde tournait encore autour d'elle. Elle se contenta de hocher lentement la tête.
« Oui, oui, tu devrais m'attraper. »
Il fallut quelques secondes à Miss Coucou pour réaliser ce qu'elle avait dit, mais dès qu'elle vit Miss Peregrine s'effondrer devant elle, elle se précipita pour la rattraper.
Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle remarqua la tache d’un rouge foncé sur la robe d'Alma.
« Tu saignes ! Il faut que tu rentres à l'intérieur ! s’exclama-t-elle en essayant de la relever, mais Miss Peregrine se contenta de grimacer de douleur. »
Miss Coucou la fit retomber sur le sol et lui saisit le poignet pour vérifier son pouls. Il s'affaiblissait déjà et il semblait qu'elle avait perdu beaucoup de sang. Comment avait-elle pu faire comme si de rien n'était ?
« Je crois que je vais m'allonger ici et dormir un peu. Réveille-moi quand tout sera fini, marmonna Miss Peregrine en fermant les yeux. »
La panique se lisait clairement sur le visage de Miss Coucou qui secoua prudemment la plus jeune femme par les épaules.
« Tu dois rester éveillée pour moi... ou au moins pour tes enfants, d'accord ? supplia-t-elle, la voix tremblante. »
Elle cligna rapidement des yeux, essayant de retenir les larmes qui s’y formaient.
Miss Peregrine fit de son mieux pour rouvrir les yeux et vit l'autre femme crier quelque chose à un homme qui passait, bien qu'elle ne pût pas vraiment comprendre les mots. Isabel enleva sa veste et la noua le plus étroitement possible autour de l'estomac d'Alma, qui poussa un gémissement de douleur.
Presque par réflexe, Alma saisit la main d'Isabel. Miss Coucou tourna alors la tête vers la blessée.
« C'est bon, j'ai appelé à l'aide. Concentre-toi sur ma voix. Tu vas survivre... »
La voix de Miss Coucou se fendilla et bientôt, il lui fut impossible de retenir ses larmes. Miss Peregrine lui offrit un sourire triste.
« C'est vrai, je dois être là quand tu teindras tes cheveux en violet, répondit-elle faiblement. »
Isabel rit un peu, les larmes coulant sur son visage. Elle tendit la main pour éloigner une mèche de cheveux d’un noir corbeau.
« Chut. Ne parle pas. Tu dois économiser tes forces. »
Elle baissa la tête et son regard se posa sur la main tachée de sang qu'elle tenait dans la sienne. Avec précaution, elle prit la main et commença à l'essuyer sur son pantalon tout en reprenant la parole.
« Tu sais, si quelqu'un m'avait dit à l'Académie qu'un jour nous serions ici, là où nous sommes maintenant, je lui aurais probablement ri au nez. Tout cela semble tellement irréel. »
Miss Coucou leva à nouveau les yeux et les laissa errer sur le champ de bataille. Les Particuliers se battaient toujours contre l'armée de Caul et cela ne s'annonçait pas bien pour eux.
Elle soupira et reporta son regard sur la femme fragile qu'elle tenait dans ses bras. Ses yeux bruns rencontrèrent les yeux verts d'Alma, et sa respiration se troubla brièvement.
Miss Peregrine écoutait chacun de ses mot, faisant de son mieux pour rester éveillée.
Miss Coucou était assise sur le sol, tenant l'autre femme dans ses bras, tout en essayant de ne pas paniquer, quand soudain elle fut frappée. Elle avait déjà renoncé à retenir ses larmes. Elle enfouit sa tête dans les cheveux noirs d'Alma et se laissa aller à pleurer.
« S'il te plaît, ne me quitte pas. Je ne peux pas te perdre, sanglota-t-elle dans les cheveux couleur corbeau. J'ai déjà tant perdu, je ne peux pas te perdre toi aussi. »
Alma lui serra un peu la main, mais suffisamment pour qu'Isabel lève la tête et regarde l'autre femme.
« Tout ira bien, murmura-t-elle, même si elle n'en était pas tout à fait sûre elle-même. »
Elle avait de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts. L'obscurité semblait l'appeler, mais elle fit de son mieux pour lutter contre l'envie de fermer les yeux. Au lieu de cela, elle essaya de se concentrer sur la femme au-dessus d'elle, mais elle ne distinguait plus qu'une forme floue.
Une nouvelle personne approchait, mais Miss Peregrine ne voyait qu'une ombre se rapprocher. Tous les bruits du monde et de la bataille qui se déroulait derrière eux s'estompaient lentement, remplacés par un silence confortable.
Et avec les sons, l'image du monde disparut également et tout devint noir.