
L'ivresse
PARTIE 1 : DIONYSOS
Chapitre 1
Se remettre d’une rupture 101 : L’Ivresse.
“ Comment allez vous aujourd'hui ?”
“ Pas super. Mais j'ai connu pire.”
“ Par rapport à ce qu'il s'est passé en début de mois, où en êtes vous ?”
“ Je l'ai pas revu depuis.”
En arrivant devant le vieux bâtiment Haussmannien, j'entends déjà les basses du son d'électro qui font vibrer la rue.
C'est la playlist d'Omar, c'est sûr. Il n'y a que lui pour mettre de l'électro dès 22h.
Je soupire et tape le code, la porte fait un bip sonore avant de s'ouvrir et je pénètre dans le hall d'entrée.
C'est là première fois que je viens ici, bien que Balthazar et moi sommes amis depuis l'année dernière.
En montant les marches de l'escalier en colimaçon, je grimace sous les craquements du parquet parisien. La rampe est en métal et les murs sont recouverts de moquette rouge à motif de fleurs rendant l'endroit accueillant et intimidant à la fois.
Un bâtiment de bourge, en somme.
Balthazar est riche, ça je le savais, mais maintenant je me rends compte à quel point.
Un loyer comme celui ci, dans le 6eme, c'est pas donné.
Heureusement pour lui, c'est ses parents qui payent.
_ « Eko ! Viens là mon beau ! »
Omar m'attire immédiatement dans ses bras dès que je passe le seuil de l'appartement. Il me fait un grand sourire, ses boucles brunes et ses yeux recouverts de paillettes.
_ « Bienvenue dans la demeure de notre prince à tous ! » Enchaîne-t-il immédiatement en me laissant rentrer.
Je rigole face à sa mise en scène très théâtrale et son état d'ébriété évident mais sens déjà monter l'anxiété.
C'est ma première soirée depuis longtemps, et ma première soirée parisienne tout court.
Je salue mon ami, voyant qu’il s’est rapidement mis à l’aise. Comme toujours en fait.
_ « Je te fais la visite, d'ailleurs ? » Me propose-t-il aussitôt.
Je m'apprête à répliquer quand notre hôte nous rejoint, une bière à la main.
_ « Et sinon, je peux l'accueillir dans l'appart ? Tu sais, MON appart. » Balthazar me sourit et me tend la bouteille. Je le remercie tandis qu’Omar lève les yeux au ciel en refermant la porte derrière moi. Le claquement me fait légèrement sursauter mais ils ne le remarquent pas .
_ « Mais fais comme chez toi, mon cher ! » Répond Omar en s'adressant ironiquement au blond qui secoue la tête face à son culot et me lance un regard exaspéré.
_ « Je voulais juste que notre petit Eko se sente bien accueilli, c'est sa première sortie, il faut qu'il se sente bien. » Renchérit notre ami. Balthazar soupire mais je sais qu'il est amusé.
_ « Merci Omar, c'est gentil. » Répondé-je sarcastiquement, bien que j'apprécie l'intention.
C'est grâce à lui que je suis là ce soir. Sans son harcèlement constant, je serai encore chez moi à ne rien faire. Broyer du noir probablement.
Balthazar me fait signe de le suivre dans le salon où un assez gros groupe de personnes sont déjà réunies. Le volume du son me donne le vertige, mais je sens déjà mon corps se détendre. C'est cool, l'électro.
_ « Ce soir Eko, on s'amuse d'accord ? Ne pense plus à ce mec, ne pense pas à la fac, juste amuse-toi, c'est bon ? » Me dit Omar en m'attrapant par les épaules. Il me tire un de ses sourires charmeurs et pétillants qui ont le don de convaincre n'importe qui, et j'acquiesce, touché par sa détermination à me faire me sentir mieux.
Il est cool, Omar. Chaotique et dévergondé, certes. Mais ça le rend encore plus cool.
Dans le salon, plusieurs personnes me saluent et me sourient. Je reconnais quelques filles de notre licence, et d'autres que j'ai croisées à la fac. Un groupe de gars que je ne connais pas fume près de la fenêtre. L'un deux à un piercing au nez et une veste en jean oversized, un autre porte un top transparent mais celui qui sort le plus du lot est couvert de perles Vivienne Westwood. Probablement des amis de Balthazar.
Je porte ma bière à mes lèvres en regardant Omar danser et papoter avec les gens du campus, bougeant les bras et la tête au rythme des basses. Il me fait un clin d'œil puis agite sa main dans mon sens, m'invitant à le rejoindre.
Il y a une semaine, j'aurais préféré mourir. Ce soir, je me laisse aller.
Je quitte mon spot, dans le coin du petit appartement parisien et rejoint doucement Omar sur la piste.
_ « Ah bah tu vois quand tu veux mon beau ! » Je lui sourit timidement et commence à bouger. Sa confiance en lui déteint sur moi comme elle déteint sur beaucoup. Une des filles avec qui il danse me regarde, ce genre de regard qui veut tout dire. Je lui sourit à elle aussi, gentiment car je n’ai pas le même regard et me détourne d’elle subtilement, vers les garçons qui s’attroupent de plus en plus autour de mon ami. Dommage pour elle, mais elle est attirée par le mauvais mec. Je l’entend rire légèrement à travers les basses. Elle a compris, elle ne m’en veut pas. Tant mieux.
Un des garçons autour d’Omar me fait un clin d'œil. Je lui fais mon plus beau sourire et danse avec mon ami. Omar est le centre de la soirée. Il danse tellement bien, ses bras volent avec expertise dans les airs et ses hanches bougent de manière fluide. Il tourne, puis s'arrête et ondule, descend et remonte.
_ « Mec t’es incroyable. » Lui crié-je par-dessus la musique, ce à quoi il me répond “Je sais !” avec un énorme sourire. Et il recommence. Et c’est comme ça toute la soirée. A ses côtés, je me laisse de plus en plus aller aussi, faisant des petites pauses cigarettes, puis allant dans la cuisine pour me resservir un verre. Vodka-grenadine-shwepps, tequila-jus d'orange, gin tonic. Je mélange tout. J’ai le droit. J’ai le cœur brisé après tout.
Il est une heure du matin.
Les garçons de tout à l’heure nous rejoignent et commencent à hyper Omar. C'était prévisible. Omar est quelqu’un de très beau. Ou qu’il soit il rayonne, à cent mètres autour de lui il y a comme un cercle de lumière éblouissante. S' il n’était pas mon ami, je serai sûrement amoureux d’Omar. Mais lui et moi, on se connaît depuis trop longtemps pour que de tels sentiments naissent. On a testé il y a deux ans déjà, et clairement, c’est mieux qu’on soit amis. Balthazar arrive à son tour, une bière dans la main. Je le vois du coin de l’œil se caler contre la fenêtre et fumer avec un de ses amis. Il me regarde. J’essaye de cacher tant bien que mal que ça me plaît.
Balthazar, c’est aussi mon ami. Mais pas comme Omar.
_ « T’as vu ? » Me demande Omar en désignant le blond des yeux. Je me sens rougir.
_ « Tu vas faire un truc un de ces jours où vous allez juste vous regarder jusqu’à ce que l’un de vous craque. » Ce sera probablement moi. Je hausse les épaules, Omar lève les yeux au ciel.
_ « T’as pas de couilles, Eko. » Je ricane.
_ Crois-moi, je sais bien, j’en aurai si je fais l’opération ! » Omar se marre et me pousse de l’épaule, ce qui me fait rire aussi. Les blagues trans ça fait toujours rire quand t’es concerné.
Je continue de danser. En fait, à partir de là, je danse toute la nuit. C’est la première fois depuis ma rupture avec Simon que ça m’arrive. Faut croire que je commence à m’en remettre. Quel étrange sentiment. Alors je danse et je danse.
Quelle heure est-il maintenant ? Je ne sais pas. Je sais juste que je suis ivre. Du Ke$ha passe à fond. J’adore Ke$ha.
_ « Oops excuse moi ! » Me lance une fille en me percutant de plein fouet, son verre se renversant sur ma chemise. Je rigole, c’est pas grave. Je me retourne et reconnais son visage et ses cheveux blonds. C’est la fille qui voulait me draguer. Décidément.
_ « Comment tu t'appelles ? » Lui demandé-je en me penchant vers elle, la playlist d’Omar étant de plus en plus déjantée à mesure que la soirée avance et qu’on est tous de plus en plus alcoolisés.
_ « Lilas et toi ? C’est Eko c’est ça ? » J’acquiesce et la complimente sur son liner. Elle me fait un grand sourire, puis se penche encore plus vers moi.
_ « T’es gay ? Je ne pensais pas du tout, c’est dommage. » Balbutie-elle. J’éclate de rire en rougissant. Elle, elle est complètement bourrée. A ce moment-là, une rouquine que je ne reconnais pas arrive et fait les gros yeux.
_ « Putain Lilas, t’es pas sortable ! C’est quoi ces conneries que tu dis, là. » Énervée son amie. Je rougis un peu plus et secoue la tête pour lui faire signe que ce n’est rien. J’ai l’habitude. Elle s’excuse pour son amie quand même, puis l’éloigne de la piste, et la dirige vers la cuisine. Lilas titube en secouant son verre maintenant à moitié vide. Me rappelant que l’autre moitié de sa boisson est sur moi, je tente d’évaluer les dégâts mais je ne vois rien avec les néons du salon. Merde. Je quitte la piste et avance en titubant légèrement vers la salle de bain et me retrouve dans les toilettes. Mais putain elle est où, cette salle de bain.
_ « C’est la porte d’à côté, beau gosse. » Retentit la voix de Balthazar juste derrière moi. Il hausse le sourcil en baissant le regard sur ma chemise trempée et je rougis de nouveau. Je rougis trop souvent, c’est un problème.
Le blond m’ouvre la porte d’une salle de bain de taille moyenne, mais avec une grande baignoire. Une très grande baignoire. J’écarquille les yeux et sans réfléchir, me jette dedans.
_ « Oh ça fait du bien, putain. » Dis-je en fermant les yeux, la fraîcheur de la pièce étant très agréable sur ma peau brûlante et couverte de transpiration. Il faut croire que j’ai beaucoup dansé.
_ « T’as bu combien de verres, toi ? » Demande mon ami et je hausse les épaules.
_ « Trop. Pas assez. Je suis bien là.
_ Hmm. Bon enlève ta chemise, tu vas puer la bière sinon.
_ Tu veux voir mes belles cicatrices ? »
Balthazar ricane et ne dit rien. Je m’exécute et retire le vêtement humide. La froideur de la baignoire sur ma peau me procure un frisson très agréable et je gémis doucement d’aise.
_ « Bordel. »
Balthazar me regarde toujours. Mon cœur bât plus vite. Va-t-il m’embrasser ou devrais-je le faire ? Je me redresse légèrement et m’apprête à l’attirer vers moi quand une voix tonitruante retentit derrière la porte et nous fige tous les deux sur place.
_ « Mon dieu, ça y est, vous baisez enfin ? »
Merci Omar.
Balthazar soupire et ferme les yeux. Je reprends ma position initiale. On aurait pu si tu n’avais pas un timing aussi horrible, pensé-je.
_ « Non. Toi par contre c’est étrange que tu sois pas au milieu d’une partouze. Il est trois heures, tu es déjà à poil à cette heure-ci d'habitude. »
Je pouffe, mais sais que le moment est passé. On ne s'embrassera pas ce soir.
Balthazar me sourit une dernière fois puis quitte la salle de bain et referme la porte derrière lui. J’ai juste le temps d’apercevoir un Omar souriant, la chemise ouverte, bras dessus bras dessous avec une fille et un garçon. Peut être qu’il va l’avoir sa partouze en fait.
Je referme les yeux. D’ici la musique est plus basse, étouffée, comme si les caissons avait été emmitouflés dans du coton. C’est agréable. Je laisse ma tête tomber contre le rebord de la baignoire et m’allume une cigarette. La fumée s’échappe de ma bouche en une longue torsade grisâtre. Je tire une nouvelle fois. La cigarette grésille et la braise luit doucement dans la pénombre de la pièce. J’expire.
Je suis bien là.
Le bruit des coups contre la porte me réveille soudain. J'ai très mal au dos.
_ « Entrez. » Je grogne en papillonnant des yeux. La lumière du jour entre dans la pièce et l'inonde.
_ « Eko, bien dormi ? » Me demande une voix. C'est Omar. Il fait froid. Je suis dans une salle de bain. J'ai dormi là ? Quelle heure est-il ? Je grogne de nouveau. Putain j'ai mal au dos.
_ « Il est onze heure mon beau, t'as bien roupillé dans ta baignoire. Tu te souviens de tout ? »
Je me redresse lentement et m'extirpe de la baignoire.
_ « Vaguement. Comment j'ai fini là ? »
J'aperçois Balthazar dans l'encadrement de la porte. Ah oui. Je change de sujet, il n'y a rien à dire. Pour le moment en tout cas.
_ « Et toi t'as pas dormi seul j'imagine ?
_ Nope. Une meuf et un mec. Lilas et Léo. Je crois. »
Je souris en entendant ces noms. Elle a trouvé quelqu'un au final. Et pas n'importe qui.
_ « Les potes de Baltha sont allés chercher le petit déj et y'a du café sur le feu. Je te laisse te réveiller. » Sur ce, il quitte la pièce. Balthazar me fait un signe de la main, je lui rends. Je sens la clope et la sueur. Pas sexy.
Avançant doucement, je me traîne jusqu'à la cuisine où un petit groupe prend le petit dej. Sur la table, des croissants, des pains au chocolat et la cafetière juste à côté. L'odeur est délicieuse et mon ventre gargouille. Je réalise que je n'ai rien pu manger hier.
J'étais trop occupé à boire et danser.
_ « Bonjour. » Dis-je d'une voix enrouée. Ils me sourient et me saluent. Un son de rap au volume bas s'échappe d'une enceinte posée près de la fenêtre. C'est l'ambiance post soirée.
_ « Tiens du café. » M'apostrophe une rouquine en me tendant un mug noir. La chaleur de la tasse me réchauffe la main et la senteur douce-amère du breuvage parvient à mes narines, achevant de me réveiller.
J'observe le visage de cette fille et la reconnais.
_ « Tu m'as sauvé de ton amie pendant la soirée, non? »
_ Ah oui. » Elle se gratte la nuque et ricane. Je l'observe discrètement de nouveau. Elle a les cheveux très courts et un piercing au nez. Elle porte un pull noir et un pantalon kaki baggy. Elle est très stylée.
_ Clarisse. » Me dit-elle en me tendant la main.
_ Eko. Enchanté. »
Clarisse me sourit. Elle a un autre piercing au smiley. Ça lui va bien.
_ « J'espère que c'était pas trop gênant quand même. » Ajoute-t-elle et je fais non de la tête en riant légèrement.
_ Elle a fini avec mon pote au final alors tout va bien. »
Clarisse rigole à gorge déployée, les sourcils haussés et m'entraîne dans son hilarité.
_ Okay je vois. » On rigole encore un peu puis la conversation s'arrête là.
Je prends un croissant dans la pile et me pose sur le rebord de la fenêtre. En portant le café à mes lèvres, je me brûle la langue, mais ça fait du bien.
Je regarde la vue.
Depuis la fenêtre de la cuisine, on voit les commerces en bas. Il y a des bureaux, quelques cafés dont les terrasses sont remplies de touristes prenant le brunch et d'employés des bureaux profitant des dernières secondes de leur pause café-clope. Au loin, la tour Montparnasse se découpe contre le bleu du ciel de cette fin d'août. Le soleil rayonne au-dessus d'elle comme une couronne céleste. Un halo de lumière.
Je m'allume une cigarette et me perd dans ce décor. D'une oreille distraite, j'entends le brouhaha derrière moi, indiquant que certains sont sur le départ.
J'entends des «À ce soir !», « Ramènes le champagne !», « Oublie pas la beuh !». Bel Hédonisme.
Dans cette promo, nous sommes tous Hellénistes, chacun ayant ses options.
Moi, j'ai un cours Homérique, c'est ma spécialité. Omar est Orphique, et spécialiste de Dionysos. Ce n'est pas étonnant, vraiment. Balthazar lui, est aussi Orphique.
Je me demande ce que tous les autres font.
_ « Tu restes là ce soir ? » J'expire la fumée et écrase mon mégot sur le rebord.
_ « Non, je vais rentrer je pense. Mais merci de proposer. » Balthazar acquiesce et se pose à côté de moi. Ses mèches blondes sont ébouriffées par le sommeil. Il porte un débardeur blanc. Ses clavicules sont ornés d'une chaîne dorée, en or probablement. Il porte son jean habituel.
Il ne pousse pas plus loin, ne renchérit pas.
On reste là à regarder le soleil monter progressivement dans le ciel jusqu'à ce qu'il soit juste devant nous. Il illumine mon ami.
Qu'il est beau.
_ « Les gars. » Omar passe ses bras autour de nos épaules et regarde le ciel à son tour, l'air inspiré. « Vous vous souvenez de mon idée de mémoire que j'avais eu chez Eko la dernière fois ?
_ Quand t'étais défoncé ?
_ Oui exactement. Eh bah en fait je suis très sérieux. Ça devrait être notre sujet de mémoire.
_ Mec, t'as oublié la partie où t'étais défoncé ? Je suis pas sûr que “ être pédé chez les Olympiens ” c'est idéal comme titre de mémoire. » Répond Balthazar et je rigole. Non, c'est sûr.
_ « Dit comme ça, forcément idiot. Mais sérieux, c'est intéressant, non ? Eko, t'en penses quoi ? » J'arrête de fixer le soleil et regarde Omar. Son visage est parsemé de tâches sombres de lumière.
_ « Euh...oui ça peut être pas mal. » Balthazar fait les gros yeux.
_ Mais on doit être quatre. » J'ajoute. « Et on ne sait pas si la prochaine personne à rejoindre le groupe de travail sera partante. » Je dois avoir l'air convaincant car Omar fait la moue.
Balthazar et moi échangeons un regard, puis on pouffe discrètement. Omar et ses idées.
Je reprends ma contemplation du ciel. Le voyage du soleil me fait penser à Simon. Le soleil me rappelle Balthazar. J'ai cette tendance à lier chaque petite chose à ceux que j'aime.
_ « Sinon ça tient toujours pour Jeudi ? » Reprends Omar.
_ Yes. » Répond Balthazar.
_ On va s'éclater. »
Encore une soirée. De l'euphorie. Culte de Dionysos.
_ Ouais.» On lui répond en cœur.
« On va s'éclater.»