
Le repas de Noël bat son plein dans la cour centrale de l'Institut Auguste Armand. Les guirlandes lumineuses serpentent le long des arbres dénudés, jetant des reflets scintillants sur les tables dressées. Une douce odeur de marrons grillés et de pain d’épices flotte dans l’air.
Carla est là, assise entre Souleymane et Pénélope, feignant de s'intéresser à la conversation qui s'anime autour d'elle. Son regard s’attarde trop souvent sur Bérénice, à l'autre bout de la table, en face d'elle. La blonde, elle, rit à une plaisanterie de Solal, mais le son est forcé. Carla le sait. Elle reconnaît ce sourire crispé, celui qui masque la colère, l’inconfort. Il n'a rien de sincère.
Cette dynamique s’est instaurée dès le début du repas. Carla prétend être présente mais son esprit s'égare bien trop souvent vers une certaine blonde. Bérénice sourit chaleureusement à tout le monde mais dès que son regard rencontre Carla, elle se ferme immédiatement.
Mais ses yeux, eux, racontent une toute autre histoire.
Ce soir, elle est d’une beauté glaçante, vêtue d’une veste verte qui met en valeur ses yeux teintés d’émotions. Son visage, légèrement rougi par le froid, rend Carla fébrile. Chaque mouvement, chaque regard et chaque geste semble fait pour rappeler à la brune qu’elle n’a plus sa place auprès d’elle. Cette sensation la consume peu à peu.
Aucune d’elles n’osent adresser la parole à l’autre, l’envie n’y est peut-être pas… Les trois quart du repas se déroulent ainsi: des jeux de regards, généralement perdus par Carla, Bérénice ne cède pas, cette tension palpable, qui les étouffe de plus en plus, et une jalousie qui noue le ventre de la blonde.
Carla et Souleymane, toujours côte à côte, collé l’un à l’autre, discutant juste devant elle.
Quand le regard de Carla croise une nouvelle fois celui de Bérénice, c’en est trop. La brune reste immobile, incapable de bouger, alors que le regard de la blonde l’a maintient sur sa chaise. Ses yeux expriment tant de haine, de douleur et de… désir ?
Il est vrai que Carla est terriblement séduisante dans ce costume rouge. Si ça ne tenait qu’à Bérénice, il serait déjà par terre pendant que la brune gémit son prénom. Un flash d’envie traverse alors ce regard vert et Carla semble lire les pensées de la blonde en une fraction de seconde. Il faut dire que ce regard elle le connait par coeur. Et Dieu sait qu’elle l’aime. Ses pupilles se dilatent imperceptiblement et une once de malice se dessine dans ses yeux bleus.
Cette fois, Bérénice est la première à rompre le contact. Elle se tourne vers sa sœur qui l’appelle depuis maintenant plusieurs secondes.
Carla en profite pour se lever et rejoindre la buvette installée un peu plus à l'écart. L’alcool devrait l’aider.
Ou pas… Elle sait aussi l’effet que peuvent avoir quelques verres.
Par choix de raison, elle opte pour une coupe de champagne.
Bérénice, qui observe chacun de ses mouvements, choisit cet instant pour s’éclipser de son côté, à travers l’arche menant à l’arrière-cour. Elle a besoin d’air, tout devient si étouffant. La brune l'a regarde s'éloigner, le regard ancré sur sa silhouette.
Un moment d’hésitation. Une fraction de seconde.
Par choix de cœur, Carla la suit, sans réfléchir.
Bérénice est dans l’arrière-cour, là où la fête ne s’étend pas. La lumière des guirlandes ne parvient qu’en bribes jusqu’ici, laissant les lieux plongés dans une semi obscurité. L’air est glacé, et chaque souffle forme un petit nuage devant ses lèvres. Cette fraîcheur contraste avec la chaleur de son propre corps.
Carla la trouve adossée à un mur en pierre, les bras croisés, le regard levé vers les étoiles.
- “Tu te caches de moi ?” demande Carla, sa voix trahissant un mélange d’appréhension et de détermination.
Bérénice ne bouge pas, mais son regard descend lentement vers elle.
- “C’est toi qui m’as suivie.” remarque-t-elle. Ce n’est ni un reproche, ni même du flirt. Un simple constat. “Et je ne me cache pas, j’avais juste besoin de respirer.”
- “Oh. Alors c’est moi qui t’étouffe ?”
Bérénice se tourne enfin vers elle, affrontant ce regard vert qui l'obsède tant.
- “Tu sais quoi, Carla ? Ouais. T’es étouffante. Tu veux toujours tout contrôler, et après tu fais des conneries et tu reviens, attendant que je pardonne. Encore.”
Carla recule légèrement, touchée par la violence des mots. Depuis des jours cette tension grandit entre elles alors la brune n'est pas surprise de l'agressivité de Bérénice.
- “Je t’ai dit que je m’en voulais. Que je regrette.”
- “Mais ça change quoi ?” crache la blonde. “Tu m’as trahie, Carla. Et ça, ça reste.”
Le silence retombe, brutal.
Carla ouvre la bouche pour répondre, mais les mots lui échappent. Elle sait qu’elle mérite cette colère.
- “Si t’as tant de rancune, pourquoi tu me regardes comme ça, alors ?” finit elle par lâcher, sa voix tremblante.
Bérénice fronce les sourcils.
- “De quoi tu parles ?”
- “T’es pas douée pour cacher ce que tu ressens. T’es en colère, mais y’a autre chose.”
Un rire amer échappe à Bérénice.
- “Tu crois tout savoir, hein ?”
Carla fait un pas en avant, puis un autre, jusqu’à ce que leurs corps soient si proches que l’air froid semble s’évaporer entre elles.
- “Je sais ce que je ressens, moi.” murmure Carla. “Et je sais que toi aussi, tu ressens tout ça. Je connais ce regard Bérénice.”
- “Tais-toi.” claque Bérénice, mais sa voix n’a plus la même force.
Carla s’avance à nouveau, hésitante.
- “Dis-moi de partir si je me trompe.”
Bérénice ne bouge pas. Ses lèvres tremblent, mais c’est Carla qui franchit la distance, un geste lent, presque incertain. Leurs visages sont si proches que leurs souffles se mêlent, un contraste entre leur chaleur et le froid environnant.
- “Arrête..” murmure-t-elle, mais sa voix est moins ferme qu’elle le voudrait.
Carla ose un pas de plus, jusqu’à être tout près. Trop près.
- “Dis-moi de partir si tu veux que j’arrête. Dis-le, et je m'en vais.”
La blonde reste silencieuse. Ses poings se serrent le long de son corps, ses mâchoires contractées. C’est comme si la brune savait exactement quoi dire, exactement ce que pensait Bérénice et devinait chacune de ses actions.
- “Dis le moi Bérénice.”
Cette tension. Ce regard. ces lèvres.
Puis, comme si quelque chose en elle cédait, elle attrape brusquement Carla par les hanches et la pousse contre le mur de pierre le plus proche.
Le baiser qui suit est tout sauf doux. C’est une explosion, un mélange brutal de rage, de douleur et de désir inassouvi. Leurs lèvres se cherchent, se trouvent, s’écrasent l’une contre l’autre avec une intensité dévorante. Le baiser est maladroit, leurs dents s’entrechoquent de temps à autre, mais elles s’en moquent.
Les mains de Bérénice s’accrochent aux hanches de Carla, ses doigts se crispant dans le tissu de son manteau pour l’attirer encore plus près. Carla gémit dans sa bouche, ses doigts glissant dans les cheveux détachés de Bérénice.
- “Putains, Carla…” murmure la blonde contre ses lèvres avant de l’embrasser à nouveau, plus profondément cette fois, sa langue trouvant la sienne dans un duel fiévreux.
Carla arque son dos contre le mur, ses mains glissant sur les épaules de Bérénice, puis descendant le long de son dos. Elle presse leurs corps l’un contre l’autre, cherchant plus, toujours plus.
Les lèvres de Bérénice quittent celles de Carla pour tracer une ligne brûlante le long de sa mâchoire, jusqu’à son cou. Elle mordille doucement, puis suce juste assez pour laisser une marque. Carla laisse échapper un soupir brisé, ses doigts s’accrochant aux épaules de la blonde.
- “Attends, attends…” souffle Carla, à bout de souffle, tandis que Bérénice continue son exploration, ses lèvres effleurant sa clavicule.
- “Quoi ?” murmure le plus petite, la voix rauque, mais ses mains ne cessent pas de parcourir le corps de la brune, traçant des lignes brûlantes sur ses hanches et sa taille.
- “On devrait parler, avant que…”
Bérénice s’arrête enfin, son souffle lourd contre le cou de Carla. Elle recule légèrement, juste assez pour que leurs regards se croisent. Ses pupilles sont dilatées, son visage rougi par le froid et la fièvre du moment.
- “Parler ?” répète-t-elle avec un sourire amer. “Maintenant ?”
- “Oui… je crois.”
Mais Carla elle-même semble hésiter. Ses doigts restent accrochés à la veste de Bérénice, comme si elle craignait que cette dernière ne s’éloigne.
- “Je suis fatiguée de parler, Carla.” murmure Bérénice, sa voix vibrante d’émotion.
Elle pose une main sur la joue de la brune, son pouce caressant sa pommette, puis se penche à nouveau, mais cette fois plus doucement, déposant un baiser lent sur ses lèvres, presque tendre, contrastant avec leur fièvre précédente.
Le silence de la cour les enveloppe. Le froid n’existe plus, remplacé par la chaleur qui émane de leurs corps collés l’un à l’autre.
Le baiser ralentit, mais ne perd rien de son intensité. Ses lèvres explorent celles de Carla avec une douceur nouvelle, un mélange de passion retenue et d’émotion brute. La brune, les yeux fermés, s’abandonne au moment, son cœur battant à tout rompre. Les doigts de Bérénice quittent sa taille pour remonter lentement le long de son dos, effleurant la peau à travers le tissu de son pull, et Carla frissonne.
Le froid mordant de la nuit semble s’évaporer autour d’elles. Les guirlandes lumineuses qui scintillent au loin deviennent floues, insignifiantes. Il n’y a plus que ce mur de pierre glacé dans son dos, le souffle chaud de Bérénice sur sa peau, et cette proximité qui les consume.
- “Pourquoi tu fais ça ?” murmure Carla, sa voix brisée.
La blonde s’arrête, les lèvres à quelques millimètres de celles de Carla. Elle la regarde, son souffle erratique.
- “Parce que je t’en veux.” lâche-t-elle finalement. “Parce que tu me rends folle. Et parce que je t’aime, putain.”
Carla sent son cœur se serrer à ces mots, mais elle refuse de pleurer. Pas maintenant. Pas ici.
- “Je sais que je t’ai fait mal…” murmure-t-elle, ses mains glissant pour attraper le bas du pull de Bérénice. “Mais tu comptes pour moi. Tu comptes tellement…”
Bérénice ferme les yeux, secouant légèrement la tête comme pour repousser ses pensées.
- “Ça ne compte pas, Carla. Tu ne peux pas réparer ce que t’as cassé avec des mots. Je sais que tu es désolée, tu me l’as dit tellement de fois.”
- “Alors dis-moi comment. Comment je fais pour tout réparer ?”
Le silence tombe, lourd, mais leurs corps restent collés, aucune des deux ne trouvant la force de reculer. Bérénice pose son front contre celui de Carla, ses mains venant encadrer son visage.
- “Arrête de me rendre dingue, pour commencer.” murmure-t-elle dans un sourire timide. Elle capture à nouveau ses lèvres dans un baiser féroce. Elle l'embrasse par envie mais aussi pour éviter de répondre à sa question. Elle n'a pas de réponse.
Cette fois, il est encore plus désespéré. Bérénice mord doucement la lèvre inférieure de Carla, arrachant un gémissement qui résonne dans l’air glacé. Les mains de la brune glissent alors sous le pull de Bérénice, trouvant la chaleur de sa peau. Elle caresse du bout des doigts la courbe de son dos, et Bérénice frissonne, ses lèvres quittant brièvement celles de Carla alors qu’un gémissement s'échappe de sa bouche.
- “Bérénice…” souffle Carla, sa voix tremblante.
Mais elle ne termine pas sa phrase. Elle est incapable de former une pensée cohérente, ses sens entièrement submergés par la sensation de Bérénice contre elle, les baisers pressants, les mains qui explorent chaque centimètre de son corps.
Bérénice, elle, est déchirée entre sa colère et son désir. Elle attrape les poignets de Carla, les ramenant doucement contre le mur derrière elles, les immobilisant sans brutalité mais avec une autorité qui fait trembler la brune.
- “Arrête de parler.” murmure-t-elle, ses lèvres effleurant l’oreille de Carla, avant de mordiller doucement le lobe.
La plus grande halète, son corps entier vibrant sous chaque geste de Bérénice. Elle tente de bouger, mais Bérénice resserre légèrement sa prise, son souffle brûlant descendant jusqu’à la base du cou de Carla.
- “T’es sûre que c’est ce que tu veux ?” demande la blonde, sa voix rauque, son ton presque moqueur.
Elle relève un sourcil, défiant Carla silencieusement.
— “Je te veux toi.” répond Carla, sans hésitation. “Toujours toi.”
Ces mots semblent briser quelque chose en Bérénice. Elle relâche doucement les poignets de Carla, mais ses mains ne quittent pas son corps. Au lieu de cela, elles tracent des lignes brûlantes sur ses bras, ses hanches, s’arrêtant juste assez longtemps pour la faire frémir.
Leurs regards se croisent, et pour une fraction de seconde, tout semble s’arrêter.
- “Alors pourquoi tu.. pourquoi- avec lui ?”
Carla met quelques secondes avant de comprendre. Un nœud se forme dans gorge devant ce regard vert, si vide et pourtant rempli d’émotions.
- “Je sais pas… j’était tellement mal, et bourré, et je- je pensais que je t’avais perdu, définitivement. J’étais tellement en colère contre toi mais surtout contre moi. Et il était là.” Carla soupire, formant un léger nuage avec son souffle. Elle ferme les yeux, ne pouvant plus affronter ceux de Bérénice. “Je suis tellement, tellement, désolée Bérénice.”
La blonde ne dit rien. Au lieu de ça, elle l’embrasse à nouveau. Un baiser chaste mais tellement plus communicatif. Un premier pas vers le pardon. Leurs corps se pressent encore et encore, cherchant une proximité impossible, une union complète qui dépasse les mots.
Carla intensifie alors le baiser, laissant sa main se perdre dans le cheveux blond de sa belle. Bérénice répond en la plaquant un peu plus contre le mur, son corps se pressant fermement contre celui de Carla. Les doigts de la brune glissent à nouveau sous le pull de Bérénice, cette fois avec plus d’assurance. Elle explore chaque courbe, chaque muscle, s’enivrant de la texture de sa peau. La blonde, de son côté, resserre son emprise sur Carla, ses mains descendant jusqu’à ses cuisses, les caressant avant de les presser fermement.
Leurs baisers deviennent désordonnés, entrecoupés de soupirs et de murmures à peine audibles.
- “Bérénice…” commence Carla, mais elle est coupée par un autre baiser, cette fois si intense qu’il la laisse presque tremblante.
- “Je sais.” murmure la blonde, ses lèvres effleurant celles de Carla avant de descendre à nouveau le long de son cou. "Je sais."
Et à cet instant, tout ce qui a été dit, tout ce qui reste à dire, disparaît dans l’urgence du moment.
Le baiser s'éternise, aucune d’elle ne voulant lâcher l’autre. C’est seulement le manque d’air qui les oblige à s’arrêter, leurs lèvres encore si proches qu’elles se frôlent à chaque souffle. Bérénice relâche doucement sa prise sur Carla, mais ses mains restent sur ses hanches, comme si elle ne pouvait se résoudre à couper le contact.
Carla, le souffle court, reste un moment immobile, ses bras toujours autour du cou de sa blonde. Sa blonde. Ses yeux brillent, à moitié d’émotion, à moitié du froid mordant qui colore ses joues d’un rouge vif.
- “On ne peut pas rester là éternellement.” finit par murmurer Bérénice, sa voix rauque et hésitante.
Carla hoche la tête, ses doigts jouant machinalement avec une mèche de cheveux dans la nuque de la blonde.
- “Dommage.”
Le timide sourire de Carla à le don de faire glousser Bérénice.
Pour autant, aucune des deux ne bouge vraiment. Elles restent là, sous la lumière diffuse des guirlandes au loin, leurs regards accrochés l’un à l’autre. Carla brise finalement le silence, sa voix plus douce, plus vulnérable.
- “C’était…”
- “Pas une solution.” coupe Bérénice, mais son ton est moins dur que ses mots.
Carla esquisse un sourire triste, glissant ses mains sur les bras de Bérénice avant de s’en détacher lentement.
- “Disons que c’était… plus fort que nous.”
Bérénice ne répond pas. Elle détourne les yeux, se passant une main dans les cheveux comme pour se recentrer.
- “On devrait retourner avec les autres.” finit-elle par dire.
Carla acquiesce, mais elle ne peut s’empêcher de s’attarder un instant de plus. Elle ajuste son manteau, efface machinalement une trace de rouge à lèvres sur le coin de la bouche de Bérénice, un geste à la fois intime et banal.
- “Prête ?” demande la brune avec un sourire timide.
- “Pas vraiment.” répond Bérénice, mais elle attrape la main de Carla pour l’entraîner doucement vers le chapiteau. Un simple réflexe, une action machinale, mais qui a le don de les embraser toutes les deux.
***
Lorsqu’elles réapparaissent sous les guirlandes scintillantes, le brouhaha du repas de Noël les englobe immédiatement, contrastant avec l’intensité et l’intimité de leur moment passé à l’écart. Les rires fusent, le tintement des coupes de champagne résonne, mais la tension entre Carla et Bérénice reste palpable, comme une électricité invisible qui semble les entourer.
Rose est la première à les remarquer.
- “Ah, les voilà ! Vous avez disparu un moment, on s'inquiétait un peu.”
Bérénice évite le regard de Carla, s’installant à sa place avec une nonchalance feinte.
- “On prenait l’air.” dit-elle simplement, en attrapant son verre de champagne.
La brune s’assied à son tour, un sourire éclatant, presque trop parfait, plaqué sur son visage.
- “Oui, on a pu parler tranquillement.” ajoute-elle, sa voix légère mais son regard brûlant lorsqu’il croise celui de Bérénice.
Constance, assise aux côtés de sa sœur, plisse les yeux, sceptique, mais elle ne commente pas. En revanche, Pénélope, toujours à l’affût, les observe avec un intérêt évident.
- “Vous avez l’air... échauffées.” lance-t-elle avec un petit sourire en coin.
Bérénice lui adresse un regard assassin, tandis que Carla attrape son verre pour en boire une longue gorgée, évitant la discussion.
- “Qu’est-ce que tu veux dire par là ?” rétorque Bérénice, la mâchoire serrée.
- “Rien, rien.” répond la jeune femme en riant. “Juste une impression.”
La conversation reprend autour d’elles, mais Carla et Bérénice restent silencieuses, chacune absorbée dans leurs pensées. La tension entre elles est presque visible, et chaque fois que leurs mains se frôlent ou que leurs regards se croisent, c’est comme une étincelle dans une pièce saturée de gaz.
Carla finit par se pencher légèrement vers la blonde, sa voix basse pour que seule elle puisse entendre.
- “Tu vas me regarder comme ça toute la soirée ?”
Bérénice, sans tourner la tête, répond sur le même ton.
- “Tu rends pas les choses faciles, je te signale.”
Mais la vérité, c’est qu’elle n’y arrive pas. Ses yeux retournent sans cesse vers Carla, malgré elle, et chaque sourire, chaque geste de cette dernière semble conçu pour l’attirer comme un aimant. Carla le sait, et elle en joue, mais pas de manière arrogante. Ses regards sont pleins de chaleur, presque tendres, comme une invitation silencieuse.
Le repas continue, mais entre elles, c’est comme si le monde s’était réduit à une bulle fragile, prête à éclater à tout moment.
Carla pique distraitement dans son assiette, ses doigts jouant avec sa fourchette. De temps en temps, ses yeux s’attardent sur Bérénice, qui, elle, garde un masque stoïque. Mais sous la table, ses jambes croisées se balancent légèrement, trahissant son agitation intérieure.
Le premier vrai échange entre elles se fait par un simple regard. La blonde lève les yeux de son assiette et croise le regard de Carla. Une seconde, puis deux, et trois. Le contact est long, presque brûlant, avant que la brune ne détourne le regard, un éclat de défi dans son expression. Bérénice, elle, esquisse un sourire en coin. Elle sait qu’il ne faudrait pas, mais comment résister ? C’est Carla. Elle a, et aura toujours, cet effet sur elle.
La plus grande se lève soudainement pour attraper une carafe d’eau à l’autre bout de la table. Une once de panique traverse le regard la blonde, craignant qu’elle s’éloigne d’elle volontairement. Mais quand elle voit Carla revenir, un léger soupir de soulagement s’échappe de ses lèvres.
En retournant s'asseoir, elle passe derrière la chaise de Bérénice. Son geste semble anodin, mais au moment où elle se penche pour poser la carafe, ses doigts effleurent l’arrière de l’épaule de Bérénice, un contact si léger qu’il pourrait être accidentel.
Mais Bérénice sait que ce n’est pas le cas. Elle sent une vague de chaleur la traverser, mais elle ne bouge pas, restant immobile, ses doigts crispés autour de son verre.
- “Tout va bien, Bérénice ?” demande Rose, la scrutant avec une curiosité polie.
La blonde sursaute légèrement, se tournant vers la jeune femme avec un sourire trop rapide, trop large.
- “Oui, très bien. Pourquoi ?”
Rose plisse les yeux, un sourire intrigué au coin des lèvres.
- “Tu es un peu distraite.”
- “Je réfléchissais juste à quelque chose.” répond Bérénice, prenant une gorgée de champagne pour masquer son trouble.
De l’autre côté de la table, Carla, qui a tout entendu, attrape son propre verre et cache un sourire derrière une longue gorgée. Son regard est ancré dans celui de Bérénice, sachant parfaitement ce qui se trame dans l'esprit de la blonde.
Le jeu continue, subtil et lent. Un jeu dangereux auquel aucune des deux ne semble pouvoir résister.
Carla tend la main pour attraper un morceau de pain dans le panier, et ses doigts frôlent ceux de Bérénice. Cette fois, le contact est volontairement prolongé, mais pas assez pour attirer l’attention des autres.
- “Merci.” murmure Carla quand la blonde lui tend un morceau. Sa voix douce est pleine de sous-entendus.
Bérénice ne répond pas. Elle retire lentement sa main, son cœur battant plus vite, mais son visage reste impassible.
Quelques minutes plus tard, c’est au tour de Bérénice de répondre, d’une manière tout aussi discrète. Sous la table, alors que Carla ajuste légèrement sa chaise, elle sent le pied de Bérénice frôler le sien. Un mouvement qui pourrait être dû au hasard, mais qui dure une fraction de seconde de trop pour être innocent.
Carla baisse les yeux vers son assiette, jouant avec une miette de pain, mais un sourire discret éclaire son visage. Elle glisse légèrement son pied pour répondre au contact, et leurs chevilles se touchent brièvement.
- “Vous êtes bizarres ce soir, toutes les deux.” remarque soudain Constance, son regard passant de l’une à l’autre.
Bérénice se raidit, mais elle se rattrape rapidement, souriant malicieusement.
- “La discussion de tout à l’heure nous a fait du bien à toutes les deux. Pas vrai Carla ?”
La concernée lève les yeux, un sourire innocent plaqué sur le visage.
- “Ouais, en tout cas, c’est exactement ce dont j’avais besoin.”
Constance arque un sourcil, visiblement peu convaincue, mais elle se détourne pour reprendre sa discussion avec Rose.
***
Les derniers convives se dispersent lentement dans la cour, emportant avec eux leur bonne humeur et leurs éclats de rire. La soirée est maintenant plus calme, adoucie par les lumières chaudes des guirlandes de Noël. Bérénice et Carla restent à table un moment de plus, comme si quitter cet espace reviendrait à briser l’équilibre fragile qu’elles viennent de retrouver.
La brune joue avec le bord de son verre, son regard posé sur la table, mais son attention est entièrement tournée vers Bérénice. Celle-ci, les bras croisés, observe les derniers invités s’éloigner, le visage figé, impassible. Pourtant, sous la surface, tout en elle bouillonne.
Quand elles se décident enfin à se lever, elles se dirigent naturellement vers un coin plus isolé de la cour, comme attirées par une force qu’elles ne nomment pas. Ni l’une ni l’autre ne parle tout de suite. Le froid mord l’air, et leur souffle forme des petits nuages blancs.
Carla, légèrement en retrait, observe la blonde, cherchant le moment idéal pour briser le silence.
- “C’était une belle soirée.” finit-elle par murmurer.
Bérénice hoche la tête, le regard fixé sur les guirlandes scintillantes.
- “Ouais, c’était sympa.”
Et puis de nouveau le silence. Carla glisse ses mains dans les poches de son manteau, comme pour se protéger du froid ou de ce qu’elle s’apprête à dire.
- “Merci… d’avoir été là.” lâche-t-elle enfin, sa voix basse mais sincère.
Bérénice tourne lentement la tête vers elle.
- “Tu pensais que je ne viendrais pas ?”
Carla esquisse un sourire, mais il y a une ombre de tristesse dans ses yeux.
- “Disons que j'avais eu des échos comme quoi tu ne viendras pas donc…”
Ces mots, simples mais chargés, flottent entre elles. Bérénice serre les mâchoires, son regard se durcissant un instant avant de s’adoucir.
- “Oh, ouais, j’ai hésité au début.”
- “À cause de moi, hein ?”
Bérénice laisse un léger silence, ne sachant pas si la question lui est vraiment adressée.
- “Entre autres, oui.” Se décide-t-elle à répondre.
Carla s’approche légèrement, réduisant la distance qui les sépare, mais avec une lenteur presque prudente.
- “Je comprends.” souffle-t-elle. “Je suis prête à faire ce qu’il faut… pour réparer ce que j’ai cassé.”
Bérénice baisse les yeux, ses mains serrées autour de son propre manteau. Elle inspire profondément, comme si elle luttait contre une vague d’émotions contradictoires.
- “Je ne te promets rien.” murmure-t-elle finalement.
Carla hoche la tête, un sourire léger mais sincère sur les lèvres.
- “Je ne te demande pas de promesses. Juste une chance.”
Le silence retombe, mais cette fois, il est plus léger, moins chargé. Leurs souffles se mêlent dans l’air glacé, et leurs regards se croisent à nouveau, cette fois avec une douceur que ni l’une ni l’autre n’avait montrée jusque-là.
- “On laisse les choses se faire..?” sourit doucement Bérénice.
- “Ouais. On laisse les choses se faire.”
Elle reste silencieuse quelques secondes profitant de la nuit, du calme et de la fraîcheur.
- “Et puis,” poursuit timidement Carla “on revient naturellement l’une vers l’autre. Les choses se feront d'elles-mêmes, je le sais.”
Bérénice ne répond rien mais son sourire est sincère, la promesse qu’elle est prête. Prête à écouter, à pardonner et à avancer.
Un peu plus loin, Constance les observe avec tendresse.
- “Ça à l’air d’aller mieux, pas vrai ?” chuchote-t-elle à Rose.
Rose, cette même tendresse dans les yeux, hausse les épaules, un sourire amusé aux lèvres.
- “Peut-être que c’est ça, la magie de Noël.” répond-elle, légère.
Carla et Bérénice finissent par rejoindre les invités restants. Elles s’éloignent chacune de leur côté pour se mêler aux conversations. Pourtant, même séparées, un lien invisible les unit. Ce soir, dans le froid scintillant de la cour et sous les lumières chaudes de l’Institut, elles ont fait un premier pas.
Un pas discret. Fragile. Mais un pas vers quelque chose qui, peut-être, pourrait redevenir beau.
FIN