la dernière lune

Harry Potter - J. K. Rowling
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la dernière lune
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Summary
- Alors, votre Altesse ? Plutôt beau gosse ce fleuriste.- Laisse-moi tranquille Tonks.- Oh, allez ! J’ai bien vu la manière dont tu le regardais. Pas très discret si tu veux mon avis.- Tu pourrais au moins essayer de faire semblant de garder les formalités entre nous.- Pourquoi faire ? On est seuls. Et c’est plus marrant de te tutoyer mais de continuer à t’appeler « votre Altesse » pour te taquiner quand tu défaillis en voyant un beau gosse.- Je n’ai pas défailli ! Je suis un prince. Je ne défaillis pas. Ni pour un beau gosse, ni pour personne. Et ce n’est pas pour dire que ce… Harry Potter était un beau gosse, bien entendu.- Bien entendu, répéta Tonks, sans même faire un effort pour cacher son sarcasme.(AU fantasy avec elfes et autres, où Draco est un prince, et Harry travaille dans un café-librairie-fleuristerie (oui, tout à fait, je suis incapable de choisir, comme vous l'avez certainement compris))
Note
helloo éventuelles personnes lisant cette histoire à peine entamée sans scénario solide et qui se base sur un monde que j'ai inventé donc clairement plein d'imperfections et d'incohérences!! bienvenue lolje sais parfaitement bien vendre mon travailje mourrais d'envie d'écrire quelque chose AU royalty, avec Draco en prince parce que wow yess, et j'ai été vachement inspirée par certaines fanfics klance en anglais, notamment AU royalty et fantasy, et j'adorais l'idée de développer d'autres manières de faire de la magie.parallèlement, j'avais commencé à réfléchir à un univers imaginaire au sein duquel j'aimerais écrire des histoires etc etc, et je me suis dit hop je vais faire un mix drarry + mon univers et on verra bien ce que ça donne.pour l'instant, ça donne ça.je m'excuse des incohérences etc etc comme dit précédemment, c'est vraiment pas parfait, je n'ai pas eu le temps de tout relire en détail ni corriger, mais j'avais quand même envie de poster, parce que j'aime écrire et j'aime les fanfictions et bref voilà j'arrête de blablater.merci beaucoup de prendre le temps de lire (si jamais quelqu'un le fait un jour bien-sûr lol) love <3inspirations :@aknightley - fit the crown to my head // calling me to come back

la lune est comme une reine qui surplombe un royaume de cœurs éplorés

Après un long soupir aux accents presque désespérés, il releva la tête.

- Qu’est-ce que vous voulez dire exactement lorsque vous dites que le groupe ne pourra pas jouer ? Nous les avons engagés, il y a plusieurs mois de cela, spécialement pour cette occasion. Les Maïlhanais nous ont fait parvenir leur souhait d’entendre les musiques typiques de la capitale, et les Hyacinthes Noires est le groupe le plus emblématique en ce qui concerne les chansons embrumoises.

- Je… Oui, votre Altesse, je sais, votre Altesse.

Le messager regardait ses pieds, visiblement très mal à l’aise.

- Le chanteur principal s’est enfui de la ville en suivant sa maîtresse, votre Altesse, continua-t-il malgré sa voix tremblante.

- Par toutes les Lunes… Il ne manquait plus que ça. Avez-vous envoyer des gardes à sa recherche ?

- Oui, votre Altesse. Comme nous savions que les Hyacinthes Noires devaient jouer lors du bal, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour le retrouver. Cependant, il est resté introuvable, votre Altesse. Il apparait qu’ils aient quitté la capitale depuis longtemps ;

- Bon. Très bien. Vous pouvez nous laisser.

Le messager tourna les talons et sortit de la pièce sans demander son reste, à pas de course. Dès que la porte se referma derrière lui, Draco posa ses mains sur son visage, massant ses paupières. Ses yeux brûlaient de fatigue.

- Mon Prince, fit une voix de femme à ses côtés.

- Une seconde, je t’en prie.

Il inspira et expira profondément, plusieurs fois, se concentrant sur la sensation de l’air dans sa gorge, sur ses poumons qui gonflaient dans sa poitrine, sur la tiédeur de ses vêtements contre sa peau, et le bois du fauteuil contre son dos. Il s’efforça de ramener le calme dans son esprit – toute cette organisation lui donnait parfois envie de hurler – puis il ouvrit les yeux de nouveau, et fit face à sa conseillère, qui réprimait une grimace.

- Oui, je sais Granger, ça va être difficile de trouver un autre groupe pour les remplacer, à peine deux semaines avant le bal.

- Plus que difficile à vrai dire. Fortement improbable.

Une part de lui avait envie de tout envoyer balader, se casser de cette salle vide à l’exception d’eux deux, se rendre aux écuries, prendre son cheval et partir. Partir loin, loin de ce palais et de ces devoirs.

Une part de lui avait envie de tout mettre à la poubelle, de crier à tous ceux qui voudraient l’entendre qu’il en avait ras le bol de ce merdier et de ces bals et de ces délégations à accueillir, que tout cela était insupportable.

Sauf qu’il savait très bien que ces envies étaient au-delà du champ des possibles. C’était son rôle. Et c’était sa mission, que sa mère lui avait confiée directement – il ne pouvait, en aucun cas, ne pas réussir. Habituellement, organiser des bals n’avait rien de particulièrement compliqué. Enfin, pour quelqu’un à qui l’on avait appris ce genre de choses depuis sa plus tendre enfance, mettre en place des événements de la sorte était la routine. Mais là, tout déraillait. C’était peut-être à cause du stress causé par son couronnement officiel en tant que prince, le jour de ses vingt-deux ans, comme le voulait la tradition royale, ou par l’importance de l’accord qu’ils pourraient conclure avec Maïlhan si leur séjour à Embrume, la capitale du royaume, se déroulait convenablement.

- Granger, il faut que tu me trouves un groupe capable de jouer des musiques du folklore embrumois. Je me fiche de qui ils sont, de leur dégaine, ou de leurs prix, mais il me faut absolument un groupe qui puisse performer. C’est la priorité numéro un.

- Noté.

- Priorité numéro deux : trouver un fleuriste pour ces foutues fleurs maïlhanaises impossibles à faire pousser ici.

Ce problème était encore plus épineux. Les Maïlhanais étaient connus dans le monde entier pour leurs pouvoirs floraux et la profusion de fleurs aux couleurs incroyables et même inimaginables pour des pays étrangers. Draco se rappelait la fois où il avait lui-même mis les pieds dans un jardin maïlhanais : il n’en avait pas cru ses yeux. Pourtant, il était habitué à voir de belles choses, déjà en tant que prince, qui habitait dans un palais et était constamment entouré d’objets de grande valeur, mais aussi simplement en tant que Cérélénosi ; son pays recelait de paysages époustouflants. Malgré tout ce qu’il avait vu au cours de son existence, ce jardin, dans les alentours de la capitale Erinomé (ithink), l’avait laissé intensément bouleversé. Des allées qui s’étendaient jusqu’à perte de vue, avec des fleurs aux formes si extravagantes, ou à l’inverse si délicate, des couleurs qui allaient du rouge sang, au rose orangé du crépuscule, en passant par le bleu clair et intangible de l’aube, des pétales cristallines, des feuilles qui luisaient dans l’ombre. Certaines plantes faisaient sa taille, d’autres plus grandes encore avoisinaient celle des arbres alentours, tandis que les plus petites ne dépassaient pas celle d’un ongle, avec des pétales si microscopiques qu’ils en paraissaient ridicules. Et c’était sans évoquer les propriétés uniques de chacune de ses plantes. Bien que certaines ne soient là que pour leur beauté, beaucoup servaient à la fabrication de potions, de médicaments, ou encore de poisons par exemple.

Une marque d’attention que les dignitaires maïlhanais appréciaient particulièrement était donc lorsque leurs hôtes faisaient l’effort de mettre leur richesse florale à l’honneur, notamment en s’en procurant des exemplaires. L’idée était d’avoir assez de bouquets pour en mettre sur chaque table lors du bal, or tous les spécialistes qu’il avait consultés lui avaient indiqué qu’il était impossible pour eux de faire pousser autant de lauroses – le nom des fleurs favorites de la famille royale maïlhanaise – en si peu de temps. Draco s’y était pourtant pris à l’avance, près de deux mois avant l’arrivée de la délégation, sans pour autant réussir à trouver quelqu’un capable de lui trouver ces foutues fleurs. Il savait qu’elles n’étaient pas les plus évidentes à faire pousser, même pour des fleuristes aguerris, mais il espérait trouver la bonne personne à temps – temps qui s’amenuisait de plus en plus, jusqu’à ce que la possibilité de voir ces fleurs un jour soit presque réduite à néant. Accueillir des Maïlhanais sans fleurs, c’était une faute diplomatique de premier ordre.

- Trouver un fleuriste ? répéta Granger en haussant les sourcils, étonnée. Je pensais que c’était une affaire réglée.

- J’en avais trouvé un qui m’avait assuré pouvoir s’en occuper, mais il a fini par se blesser pendant le processus, et voilà où on en est à présent : à moins de deux semaines, et aucune fleur, zéro.

- Mais pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?

Son ton familier et leur tutoiement mutuel en aurait surpris plus d’un, et surprenait toujours régulièrement des gens. Un lien amical s’était rapidement formé entre eux depuis qu’ils avaient commencé à travailler quotidiennement ensemble, dès l’arrivée d’Hermione Granger au palais royal. Franchement sortie diplômée de la meilleure école du royaume, elle avait tout de suite était embauchée au gouvernement – et même si leurs débuts avaient été mouvementés, ils avaient appris à collaborer et enfin à s’apprécier. Les codes du palais requerraient une formalité de mise entre eux lorsqu’ils n’étaient pas seuls, mais ils se parlaient souvent librement, comme deux jeunes gens d’une vingtaine d’années.

- Je ne te l’ai pas dit, parce que tu avais déjà assez à faire, et j’ai également été pris dans d’autres choses à régler, et maintenant je suis à deux doigts de tout faire foirer.

Hermione, qui était assise sur le fauteuil à sa gauche, fit un mouvement pour se rapprocher de lui.

- Arrête de dire n’importe quoi, tu veux. Si tu m’avais dit ça plus tôt, j’aurais déjà réglé le problème. Faudrait que tu finisses par comprendre que je suis meilleure que toi pour trouver les solutions, cher Prince, fit-elle avec malice.

- Parce que tu as la solution à mon problème de fleurs, Mademoiselle Je-sais-tout ?

- Absolument, votre Altesse.

- Et comment, si tu daignes bien vouloir m’expliquer ?

- Si ton crâne princier n’était pas si gonflé d’orgueil et d’envie de tout faire soi-même sans confier ses soucis à sa conseillère – dont le rôle est notamment, si je ne m’abuse, de régler les problèmes du prince – j’aurais déjà pu te dire depuis plusieurs semaines que mon meilleur ami est très doué dans tout ce qui touche aux plantes, et possède un magasin justement, sur l’avenue principale.

Draco posa une main au niveau de son cœur.

- Je pensais que c’était moi ton meilleur ami, fit-il d’un air faussement blessé.

Granger roula des yeux.

- Qu’ai-je donc fait à Lysitae pour me retrouver coincée avec un prince pareil ?

- Aucune idée. Si jamais la déesse te répond, n’oublie pas de me le dire. Je le trouve où ce gars ?

- Avenue principale, comme je viens de le dire. Le nom du magasin c’est Le Florilège.

- Et je demande qui ?

- Tu demandes ? Mais tu ne vas nulle part, mon Prince. Envoie quelqu’un. Tu as des choses plus importantes à faire ici, des papiers à signer, des lettres à lire, ce genre de trucs princiers, j’espère que tu n’as pas oublié.

- Granger, il faut que je sois sûr et certain que ces fleurs soient prêtes pour le bal. Je veux m’en assurer de mes propres yeux. J’irai incognito de toute manière.

Ce fut au tour de la conseillère de soupirer.

- Je verrais si je peux arranger ça avec la sécurité et avec Nymphadora.

Une voix qui provenait d’un coin de la salle s’éleva.

- Ne. M’appelle. Pas. Nymphadora.

La garde du corps du prince restaient avec eux, suivant comme toujours Draco dans tous ses déplacements. Il était tellement habitué à sa présence qu’il oubliait parfois qu’elle était là. Elle était pourtant difficilement oubliable, avec ses cheveux rose pétant et son visage souriant – un aspect très innocent pour une femme qui pouvait clouer n’importe quel ennemi au sol en un tour de bras.

- Tonks, se reprit tout de suite Hermione.

Elle regroupa ses affaires et les rangea proprement dans son sac.

- J’ai encore du travail, je te laisse. Je te donnerai les informations pour ta sortie de demain. J’ai bien dit demain, Draco Malfoy, tu m’entends ?

Il aimait bien quand elle employait son ton autoritaire sur lui. En tant que prince hériter de la couronne du royaume, rares étaient les personnes qui osaient s’adresser à lui de la sorte.

- Pas de souci Granger.

 

_

 

 

Le ciel était magnifique.

C’était ce à quoi il pensait, alors qu’il marchait sur le trottoir le long de la grande avenue. Au ciel, à sa couleur, et à la chance qu’il avait d’être ici, à Embrume, avec ses rues larges, ses bâtiments élancés, ses passerelles aériennes et transparentes grâce aux talents des architectes, les lianes qui longeaient les murs, les allées d’arbres aux feuilles verdoyantes ou dorées. Il avait visité d’autres capitales, qui n’avaient rien à voir avec la beauté de sa ville. Beaucoup étaient surpeuplées, et devaient surtout faire face à un écart social abyssal entre des nobles aux parures luxueuses et des pauvres et sans-abris qui dormaient à même le sol. Les inégalités étaient beaucoup moins criantes en Cérélénos depuis le règne de sa mère, la Reine Narcissa. Le souverain précédent, le Roi Abraxas, ne s’était pas beaucoup attardé sur la situation des plus précaires, travaillant plutôt à former des alliances avec les pays avoisinants. Pour sa part, Draco trouvait le règne de son grand-père très moyen – même s’il n’était pas censé jugé les actes de ses ancêtres, bien-sûr – en vue du taux de pauvreté, qui atteignait alors des sommets, mais il fallait admettre que c’était grâce au Roi Abraxas que le royaume avait à présent de très bonnes relations avec ses voisins. Grâce à Narcissa, le niveau de vie avait augmenté de manière plus égalitaire et équitable, par le biais de systèmes de redistribution et de services publics gratuits, ce qui avait engendré une baisse rapide du nombre de sans-abris et du taux de pauvreté. Rien n’était parfait, bien-sûr, mais il était plaisant de traverser la ville à pieds sans voir des gens dormir sur un pallier de porte. C’était l’espoir d’aider à améliorer la vie des habitants du royaume qui lui redonnait de la force lorsqu’il en manquait.

Quelques minutes plus tard, il aperçut très distinctement le panneau signalant Le Florilège, en lettres vertes et bleues.

Il souriait. Ces précieux moments qu’il pouvait passer en-dehors de la vie de château et de prince étaient des instants de liberté volée qu’il chérissait de tout son cœur. Rien que marcher, seul, dans la rue ? Inimaginable en temps normal. Bon, évidemment, Tonks était quelque part, non loin derrière lui. Mais c’était tout. Il avait revêtu des vêtements lambdas, que n’importe quel embrumois aurait pu porter, délaissant les élégants tissus ornementés qui composaient habituellement sa tenue. Rien que ça, rien que le fait de ne pas voir des regards se tourner sur son passage dans la rue envoyait des petites décharges de bonheur dans sa poitrine. Incognito. Il savait que ce n’était pas digne d’un prince de vouloir s’échapper de la sorte, et surtout d’utiliser sa magie pour influencer les décisions des autres. Il réprima une grimace à cette pensée. Faire pencher la balance en sa faveur grâce à ses pouvoirs, c’était quelque chose qu’il faisait rarement – très rarement – en raison du dilemme éthique évident que cela engendrait. Seulement, avec toutes ces préparations, cette pression qui pesait sur son dos, les attentes de ses parents et du reste de la cour, des conseillers, du peuple, sans parler de ses entraînements qui s’intensifiaient en intensité et complexité, il était épuisé. Autant physiquement que mentalement. Il avait besoin d’une pause. Sauf que lorsqu’on est le seul héritier d’un royaume, on n’a pas le droit à une pause. Alors, une fois de temps en temps, il forçait un petit peu les choses pour qu’on l’autorise à sortir. Juste quelques heures. Le temps de respirer.

Ce n’était pas très louable de la part d’un prince, certes. Il n’en était pas fier, non. Il savait très bien qu’en réalité, une escorte d’une bonne dizaine de gardes aurait été nécessaire pour qu’il sorte ainsi, en plein milieu de la ville, à découvert, et que n’importe quel serviteur du palais aurait pu se rendre là-bas à sa place. Mais, est-ce qu’il regrettait ? Employer sa magie pour influer sur les personnes qui géraient sa sécurité – et sa vie, en général – pour quelques instants de futile liberté ? Pas une seconde.  Ce n’était pas comme si c’était grave. Il avait fait pire. Ils s’en remettraient. Normalement, personne ne devrait pouvoir le reconnaître. Il s’était lui-même concocté un potion Déconcertante, qui suffisait à détourner l’attention des gens lorsqu’ils le voyaient. Sans même avoir besoin de changer physiquement son apparence – la couleur des cheveux, de ses yeux, etc – il serait presque impossible de l’associer au prince héritier du royaume. L’avantage de cette potion était qu’il demeurait aussi beau qu’au naturel – ce qui était, bien entendu, la raison pour laquelle il avait choisi ce moyen.

Chassant rapidement ces pensées de sa boîte crânienne, il réalisa qu’il était arrivé à destination. Le Florilège. Une devanture un peu datée, mais somme toute charmante, de grandes vitres à travers desquelles on pouvait voir les tables de bois où les clients buvaient leurs boisson en bavardant, entourés de plantes, suspendues au plafond, ou sur les murs. Deux jeunes hommes riaient derrière le comptoir en s’envoyant à la figure des… étaient-ce des grains de café ? – par toutes les Lunes, à quel genre de type Granger l’avait-elle envoyé ?

- J’espère que ça en vaudra la peine, se murmura-t-il.

- Oh ! Si vous venez pour les cafés, ne demandez surtout pas au grand brun, là-bas ! La dernière fois, il a cassé la machine en voulant me faire un latte. C’est une catastrophe.

Draco se mit à espérer fortement que ce fameux brun n’était pas l’homme qu’il cherchait. Il sourit à l’inconnue qui entrebâillait déjà la porte de l’établissement.

- Merci du conseil.

- Y’a pas de quoi.

Après avoir jeté un rapide coup d’œil derrière son épaule, pour s’assurer que Tonks le suivait toujours – ce qui était par ailleurs inutile, puisqu’elle savait parfaitement faire son boulot – il emboita son pas, et pénétra à son tour à l’intérieur. Un son discret et mélodieux retentit une courte seconde, juste assez fort pour que les deux baristas cessent leur bataille de grains et se tournent vers les nouveaux arrivants.

Il lui fallut un instant pour comprendre que cela allait être plus compliqué que prévu. Il jura intérieurement, avec des insultes qu’il ne pourrait jamais prononcer à voix haute, sous peine d’enfreindre une bonne dizaine de règles de comportements princiers.

Par toutes les Lunes.

Granger avait omis de lui confier quelque chose d’important. De crucial, même. Maudite soit-elle, pensa-t-il très fort, espérant que le message lui parvienne d’une manière ou d’une autre. De quel droit ce brun était-il si beau ?

Prenant conscience du fait qu’il était encore debout au milieu de la pièce, alors que la femme qui l’avait précédé avait déjà fini sa commande, il se remit à bouger vers le comptoir, en avalant difficilement sa salive.

Ce n’était pas la première fois qu’il voyait un beau garçon, bien-sûr. Il en croisait des tas et des tas pendant tous ces événements royaux, ces bals, ces dîners, ces voyages qu’il faisait avec la Couronne. Mais il ne s’était pas préparé à quelqu’un de si séduisant, pour un fleuriste-barista-libraire, car tel était le principe du magasin. Sans compter que le gars était apparemment une catastrophe ambulante, selon les dires de la femme. Super. Enfin, c’était sans importance, ce n’était probablement pas le garçon dont Granger lui avait parlé – il lui fallait un pro pour son affaire de lauroses, et malgré sa beauté, ce brun n’avait pas l’air d’un expert.

- Que puis-je faire pour vous, monsieur ?

Draco faillit perdre toute contenance en croisant les yeux du jeune homme brun – des iris couleur émeraude, comme on en voyait si peu à Embrume, un vert profond et presque envoutant, qui rappelait les nuances des feuilles des forêts dans lesquelles il allait se promener quand il en avait le temps et l’autorisation. Il se sermonna fermement – bordel, Draco, tiens sur tes jambes, tu es un prince, bon sang – et se ressaisit, revêtant par la même occasion le masque facial qu’on lui avait appris à porter en toutes circonstances.

- Je voudrais m’adresser à Harry Potter, répondit-il de sa voix la plus solennelle. J’ai besoin de ses compétences florales pour une affaire urgente.

Le brun fit la moue.

- Je vois. Bah, c’est pas que je veux pas, mais j’ai pas vraiment le temps là.

Draco tomba encore un peu plus des nues. Et en plus, c’était lui, le meilleur ami de Granger ? Merde. Elle aurait vraiment pu le prévenir. Elle l’avait envoyé dans la gueule du loup. Elle connaissait très bien ses penchants pour les beaux ténébreux, et ce gars-là correspondait beaucoup trop à son type.

Autre problème : devait-il lui révéler son identité, ou juste essayer de le convaincre par ses propres moyens? Il ne se souvenait plus du rapide briefing qu’il avait eu avec sa conseillère. Qu’est-ce qu’elle lui avait dit déjà ? Lui dire qu’elle venait de sa part peut-être ? Oh, bordel, il ne s’en rappelait plus. Tout ce qu’il savait, c’était qu’elle avait omis de préciser que le fameux Harry Potter était incroyablement beau – ce qu’il n’oublierait pas, lui, de lui dire lorsqu’il rentrerait au palais.

- Monsieur ?

Draco secoua sa tête. Il fallait qu’il cesse d’être distrait par ce garçon. Il avait une mission à accomplir, et encore énormément de travail ensuite – plein de paperasses royales, plein de signatures, plein de trucs à lire, tous bien moins attrayants que les jolis yeux du brun, qui le fixaient intensément, attendant sa réponse.

- Hum… Oui, oui, excusez-moi, finit-il par dire, en essayant de reprendre un ton sérieux. C’est Hermione Granger qui m’a recommandé cet endroit.

- Oh ! Hermione ?

Le brun avait l’air déconcerté.

- Elle ne m’en a rien dit. Vous vous appelez comment ?

- Euh… Draco.

- Oh, comme le prince ?

- Oui, c’est une coïncidence.

- Je vois. Veuillez-me suivre.

Pendant le temps de leur conversation, le deuxième jeune homme derrière le comptoir, un roux à la figure couverte de taches de rousseur, avait continué à servir les clients tout en leur jetant des coups d’œil curieux. Lorsque Draco croisa ses yeux, ce dernier devint rouge écarlate et retourna s’occuper de ses oignons – ou plutôt de ses cafés.

Le brun se dirigea vers une porte, presque invisible lorsqu’on ne savait pas où était la poignée, dissimulée derrière plusieurs plantes, qui s’écartèrent lorsqu’Harry s’avança. La pièce qui suivait était pleine à craquer de pots, de boutures, un couloir menait vers une serre intérieure, et un escalier en colimaçon se devinait dans un coin. Une vaste table remplie de papiers tâchés de terre et d’eau, de livres anciens et clairement lus et relus y étaient entassés : c’était un bazar incroyable, mais à la fois charmant, grâce aux filaments de lumière qui chatoyaient dans les étagères et sur le plafond, comme des lucioles. Un canapé usé et plusieurs fauteuils entouraient une table basse, probablement l’endroit où les jeunes hommes se rendaient pour prendre leur pause. Draco découvrit qu’il s’était mis à sourire sans s’en rendre compte. Il reprit immédiatement une tête sérieuse lorsqu’Harry s’adressa de nouveau à lui.

- Bon, si c’est Hermione qui vous a envoyé, j’imagine qu’elle avait une bonne raison pour cela. Elle n’agit jamais sans bonne raison.

- Certes, dit-il pour se donner une contenance. J’ai besoin d’une vingtaine de lauroses d’ici deux semaines.

- Des lauroses ? Vous êtes au courant que ce sont des fleurs dangereuses, et également parmi les plus difficiles à cultiver, surtout ici, loin de Maïlhan ?

- Je suis précisément au courant, oui. C’est bien pour ça que j’ai dit que c’était une urgence.

- En deux semaines ?

- C’est ce que j’ai dit.

Le brun se passa la main dans les cheveux. Draco ne put s’empêcher de suivre le mouvement du regard, s’attardant trop longtemps sur les épaules du jeune homme, sur lesquelles tombaient sa chevelure en ondulations. Des épaules, dont les muscles pouvaient presque se deviner à travers son t-shirt rouge. Il se força à poser ses yeux autre part. Il n’était pas distrait si facilement d’habitude. Il croisa les yeux vert émeraude qui le dévisageaient.

- Ce genre de processus demande beaucoup d’énergie et de temps, dit Harry.

- Vous ne pensez pas en être capable ?

Harry fronça les sourcils, désarçonné.

- Non, ce n’est pas ça !

- Vous êtes sûr ? Je peux essayer de trouver quelqu’un d’autre s’il faut.

Draco avait dit ça sans le penser une seule seconde – il n’avait évidemment pas envie du tout de trouver quelqu’un d’autre, et ce pour plusieurs raisons, aussi valables les unes que les autres. De 1), il n’avait pas le temps, de 2) ce gars était selon Granger le plus compétent de la ville en terme de compétences florales (c’était d’ailleurs un scandale absolu qu’il n’en ait pas entendu parler plus tôt), et de 3), il était bien trop beau pour que Draco laisse passer l’opportunité de le revoir. Il espérait seulement que Harry prendrait la perche qu’il lui tendait. Ce qu’il fit.

- Ce n’est pas la peine. Je le ferai. Je peux même commencer maintenant, si vous voulez vous assurer de la qualité du travail. Peut-être même vous donner un petit aperçu, pour vous rassurer, monsieur Draco ?

- Avec plaisir, répondit-il, contenant le sourire qui courbait ses lèvres.

Il passa les minutes suivantes à observer en silence, admiratif, tandis que Harry travaillait, regroupant d’abord les éléments dont il avait besoin pour exercer sa magie : le nombre de pots suffisants pour les fleurs que Draco avait demandé, de la terre, de l’eau, principalement, ainsi que d’autres herbes utiles pour accélérer la pousse des plantes. Puis, après avoir trouvé les graines de lauroses – qui se trouvaient tout en haut de l’étagère, car personne ne leur en faisait jamais commande, ce qui était compréhensible puisqu’elles étaient en effet dangereuses –, le jeune homme utilisa ses pouvoirs, pour la première fois depuis que Draco était arrivé au Florilège. On ne pouvait pas toujours dire lorsque quelqu’un utilisait ou non ses pouvoirs. Tout dépendait de l’intensité de sa magie – de son aura, comme certains l’appelaient – ainsi que de la nature desdits pouvoirs. Draco étant quelqu’un d’assez puissant, il lui était facile de repérer les auras des gens qui l’entouraient, mais il avait appris à y faire moins attention avec le temps. La plupart des gens n’avaient pas d’intensité magique très importante, alors il ne remarquait plus que les auras très importantes, celles qui se démarquaient. Et celle de ce garçon faisait clairement partie de celles-ci. Draco ferma les yeux, pour mieux ressentir la magie du garçon ; sous  ses paupières se dessinaient des formes colorées, comme les aurores boréales que l’on voyait dans le nord du pays, ces lumières indescriptibles qu’arborait le ciel parfois, lorsqu’on avait la chance de regarder au bon moment. Mais la magie du brun n’était pas si éphémère ni sporadique comme la lumière aurorale, elle était forte, constante, puissante, comme une vague. Entière. Pleine. Elle avait une odeur de menthe, et l’aspect d’un océan doré.

Lorsqu’il ouvrit de nouveau les yeux, un laurose trônait dans un pot, à un état de pousse qui aurait dû demander de longues semaines, voire plus encore sur le sol cérélénosi, avec des bourgeons déjà près à s’épanouir. Et derrière la plante, un Harry Potter qui ne cachait pas sa fierté, les bras croisés sur sa poitrine, le menton haut, fixant Draco comme pour le défier de questionner de nouveau ses capacités.

- Pas mal, articula le prince, tentant de ne pas montrer ce qu’il pensait vraiment.

- Ce sera prêt à temps. Le plus compliqué, ce n’est pas ce que je viens de faire – c’est même plutôt assez simple pour moi. C’est la suite, l’entretien qui peut poser problème. Les lauroses sont des fleurs dangereuses, mais fragiles. Vous pouvez revenir dans quelques jours, si vous voulez. Je devrais réussir à tous les avoir à ce stade d’ici-là.

Après quelques formalités, Draco se dirigea vers la sortie, retraversant le magasin en sens inverse, s’attardant quelques instants pour humer l’odeurs mêlées du café, de la terre et des livres anciens, son regard passant d’un client à un autre sans vraiment les voir. C’était bon d’être là, dans un endroit où les gens normaux se rendaient pour prendre du bon temps, pour faire une pause dans la journée, pour profiter d’être ensemble, ou simplement de déguster une boisson, bien installé dans un fauteuil et entouré de verdure. Avant de passer la porte, il s’autorisa à jeter un rapide coup d’œil derrière son épaule. Ce qui fut une mauvaise idée pour plusieurs raisons. Premièrement, il tomba instantanément sur deux émeraudes qui étincelaient depuis l’arrière du comptoir, ce qui provoqua une torsion dans son ventre qu’il préférait ne pas s’expliquer. Dans un second temps, ses yeux dérivèrent vers la première table à gauche depuis le comptoir, où une femme aux cheveux roses lui lançait un regard amusé.  Tonks.

Quelques secondes plus tard, alors qu’il marchait tranquillement dans la rue, sa garde du corps le rejoint en sifflotant.

- Alors,  votre Altesse ? Plutôt beau gosse ce fleuriste.

- Laisse-moi tranquille Tonks.

- Oh, allez ! J’ai bien vu la manière dont tu le regardais. Pas très discret si tu veux mon avis.

- Tu pourrais au moins essayer de faire semblant de garder les formalités entre nous.

- Pourquoi faire ? On est seuls. Et c’est plus marrant de te tutoyer mais de continuer à t’appeler « votre Altesse » pour te taquiner quand tu défaillis en voyant un beau gosse.

- Je n’ai pas défailli ! Je suis un prince. Je ne défaillis pas. Ni pour un beau gosse, ni pour personne. Et ce n’est pas pour dire que ce… Harry Potter était un beau gosse, bien entendu.

- Bien entendu, répéta Tonks, sans même faire un effort pour cacher son sarcasme.

 

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Derrière des lunettes en forme de demie lune, aux verres épais, des yeux bleu perçant suive la silhouette du jeune homme qui sort du magasin. Un lourd livre poussiéreux aux pages ornées d’enluminures ouvert sur ses genoux, le vieil homme ne détache son regard que lorsque le garçon disparait au coin d’une rue. Une de ses mains caresse pensivement sa longue barbe blanche et brillante. Cela fait bien longtemps qu’il n’a pas vu quelque chose d’aussi intéressant se passer dans son magasin. Cela fait encore plus longtemps qu’il n’a pas vu une aura magique aussi particulière que celle de ce garçon blond, au visage élégant. Malgré les années et ce qu’il en laisse paraître, son esprit n’a rien perdu de sa vivacité – il ne lui a fallu qu’une minute pour comprendre qui il était. Et une oreille très attentive pour entendre ce qui se disait dans la salle juste en dessous. Le vieil homme sourit lorsque son regard revient à l’intérieur de la pièce et atterrit sur le portrait encadré d’un homme, qui trône sur la table basse.

- Ah, Gellert, murmure-t-il pour nul autre que lui-même. Si seulement tu étais là.

 

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 Draco s’allongea enfin, épuisé. Le dîner s’était éternisé, en raison d’une longue discussion avec des gouverneurs régionaux avec lesquels sa mère, la reine, souhaitait renforcer les liens. L’harmonie entre les différentes régions de Cérélénos avait été un des piliers de la reconstruction du royaume après la dernière guerre. Les dégâts des guérillas civiles avaient été catastrophiques, et bien que cela remontât à présent à de l’histoire « ancienne », Draco pouvait toujours en voir les traces sur le pays. Les ressortissants de certaines régions se faisaient encore parfois accueillir par les Embrumois avec des yeux noirs, et il arrivait encore que des disputes éclatent entre des individus, pour seule raison qu’ils venaient de régions anciennement antagonistes. Draco avait observé sa mère depuis qu’il était petit, observé la manière dont elle ne baissait jamais les yeux face à son interlocuteur ou interlocutrice, la manière dont elle écoutait, mais sans plier, la manière dont ses prunelles s’adoucissaient lorsqu’elles tombaient sur lui, encore un enfant, dans le coin de la salle royal, dissimulé derrière un grand rideau en velours rouge. Il l’avait observée régner, et en avait déduit rapidement que régner était bien plus compliqué que poser une belle couronne sur sa tête – même si cela impliquait également poser une belle couronne sur sa tête, et cela avait d’ailleurs été l’élément le plus intéressant de la chose pendant longtemps.

Sans même prendre le temps de se déshabiller, il se glissa sous sa couette, intimant à la boule de lumière de réduire son intensité, jusqu’à n’être plus qu’une vague lueur flottant dans la pièce. Le plafond de sa chambre était décoré par une grande fresque, probablement réalisée à l’aide de la magie. Il n’y avait rien d’objectivement magique à propos de cette peinture, mais des détails, une impression, un sentiment qui ne le laissait pas indifférent, et depuis qu’il était tout petit il était certain que cette fresque n’était pas qu’une fresque. Elle représentait un scène de la mythologie lunaire. Les trois déesses Lunes au centre, avec leurs attributs respectifs : Lysitae, son chat blanc, ses prunelles dorées qui brillent comme des soleils, le jasmin et les azalées, le fin croissant de lune sur son diadème ; Laïlor, l’aigle perché sur son épaule, le bleuet, la demie lune qui luisait sur son front ; enfin, Lénaïc, aux côtés de son élan – qui pouvait être représenté en blanc ou noir, selon les cycles lunaires et le symbole que l’on voulait évoquer –, le lierre serpentant dans sa chevelure, des fleurs de lys sur sa tenue, et le rond parfait de la pleine lune sur son diadème argenté. A l’arrière-plan, on pouvait distinguer une forêt, une cascade, un pont surmontant une rivière, des montagnes au loin, des cristaux transparents et étincelants dans l’ombre, des animaux louvoyant entre les arbres, et dans le ciel noir les étoiles se détachaient comme des fragment d’or pur.

Habituellement, il s’endormait à force de regarder, encore et encore, cette peinture, il l’observait sous toutes les coutures, s’attardant sur tous les petits détails, les petits inaperçus, les petites tâches, tout. Certes, au bout d’une vingtaine d’année dans le même lit, il avait fini par en connaître chaque recoin par cœur, mais c’était toujours son rituel avant de dormir – il avait rêvé tant et tant de fois de pénétrer dans la fresque, de voir les Lunes de ses propres yeux, il avait rêvé de leur beauté et de la puissance qui émanerait des déesses, il avait rêvé de courir dans cette forêt, de franchir ce pont, d’effleurer chaque arbre, chaque animal pour en sentir leur essence magique, il avait rêvé de s’y échapper. Ce soir, cependant, bien que son regard fut en effet dirigé vers le plafond, il ne voyait pas la fresque. Il voyait le visage de Harry Potter. Il voyait son sourire franc et large, la forme de ses mâchoires, ses lèvres sombres sur sa peau basanée, la précise teinte de ses cheveux bruns, s’entortillant dans son cou, tombant sur son front en désordre, dans un savant mélange entre boucles et chaos, les deux anneaux brillants sur son oreille gauche, les quelques tâches de rousseur sur son nez, et les grains de beauté parsemés ci et là, qu’il avait aperçus trop rapidement pour les compter, et puis les yeux – les yeux, comme sculptés dans la pierre, et leur intensité, impénétrables mais si vivants. Il pouvait se rappeler la sensation de sa magie sous sa paume, douce, chaude, oscillant entre l’ombre d’une plume prise dans un rayon de soleil et l’énergie émanant d’une comète.

C’était étrange. Il en avait vu et revu des beaux garçons. Il côtoyait des nobles à tour des bras, des membres de familles royales et impériales du monde entier, il se faisait courtiser depuis qu’il était en âge de l’être, et il courtisait à sa guise dès qu’il en avait envie. Les jeux de séduction faisait partie du job de prince. Il devait être séduisant, et se laisser séduire lorsque cela pouvait lui être utile. Mais tout cela n’était en fait que des pions que l’on poussait sur un plateau, tout cela n’était que façade pour créer des alliances, pour faire avancer les négociations. Il n’avait pas à être Draco avec quiconque, il se devait d’être le prince.

C’était étrange d’y penser. D’y penser le soir. D’y penser après une interaction d’une dizaine de minutes, tout au plus, après n’avoir rien fait d’autre que parler de plantes et de magie florale.

C’était trop bête, trop stupide. Il était le prince, par toutes les Lunes. Il n’avait aucune raison de se laisser distraire par quelque-chose – quelqu’un – de la sorte, c’était futile, c’était inutile.

La nuit avec un caractère sacré, presque divin, dans un royaume où l’on priait les déesses-Lunes, mais lorsqu’il se réveilla le lendemain matin, Draco n’avait qu’une envie : maudire la foutue nuit pour ses foutus rêves et les foutues pensées qui s’implantaient contre son gré dans son cerveau. Sa journée était pleine de réunions, de discussions, de charges princières parfaitement ennuyantes, et il savait avant même de se lever que c’était une journée harassante qui s’annonçait, mais la seule idée qui revenait sans cesse, malgré ses efforts pour le chasser était la suivante : trouver un moyen, n’importe lequel, pour revoir ce Harry Potter au plus vite.

 

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Draco était au courant du nombre d’employés qui travaillaient au palais. Il en croisait des centaines chaque jour, il connaissait le nom d’une bonne partie d’entre eux. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’être estomaqué lorsqu’il arpentait les couloirs du palais ces derniers temps. Avec la venue d’une délégation aussi importante – et nombreuse – que celle de Maïlhan, les préparatifs étaient considérables. De fait, les serviteurs de toutes les ailes du château, de tous les services, faisaient des allers-retours d’un bout à l’autre de l’édifice, les bras pleins de fourniture, d’ingrédients, de consignes à faire passer. Draco croisait ainsi des gens dont la figure ne lui disait absolument rien, des personnes qu’il aurait été incapable de replacer dans le vaste organigramme des employés et des services – bref, il semblait y avoir encore plus de travailleurs ici que ce qu’il pensait. Sur son chemin en direction de la salle de réunion – il devait y retrouver ses parents et leur groupe de conseillères et conseillers pour leur briefing quotidien sur la situation du royaume – il s’amusa à observer les personnes qu’il croisait, et à spéculer sur leur condition. Pour certains, c’était évident. Les elfes lunaires, notamment, comme lui, portaient des marques sur les bras, parfois également le cou et le visage, ce qui était assez facile à repérer. Les elfes bleus, en revanche, et contrairement à ce qu’on pourrait penser en voyant leur nom, étaient bien moins distinguables : le bleu que pouvait arborer leur peau ne se voyait qu’aux extrémités de leur corps et dépendait de l’intensité de leur aura – de nombreux elfes bleus n’avaient de bleu que le bout des doigts. En réalité, la méthode la plus simple pour savoir si quelqu’un était un elfe de bleu était de regarder ses oreilles et ses bras : oreilles pointues et bras sans marque ? elfe bleu. Quant aux humains et aux adelphaes, là venait la difficulté. Les humains, a priori, n’avaient rien de particulier. Il ne disait pas ça pour les stigmatiser – ils étaient sympas les humains, il était tout le temps entouré d’humains – et il n’y avait pas de discrimination entre race ni de quelconque hiérarchie, ou quoi que ce soit. C’était la simple vérité : si tu étais un humain, sans aucun sang elfe ni adelphae, tu n’avais ni oreilles pointues, ni marques sur le corps, ni doigts bleus, ni ailes. Oui, parce que les adelphaes avaient des ailes. Transparentes et souvent indétectables, mais des ailes. Enormément d’humains n’étaient néanmoins pas strictement « humain », car les races se mélangeaient beaucoup – de plus en plus depuis la fin des anciennes guerres – et en conséquences beaucoup d’humains avaient des marques d’elfes lunaires, des oreilles légèrement plus allongées, ou encore le bout du nez un peu bleuâtre. Mais la complication venait du fait que les adelphaes étaient métamorphes, et pouvaient modifier leur apparence : couleur de cheveux, de peau, d’yeux. Ainsi, de nombreux adelphaes choisissaient des apparences « banales » pour passer inaperçus, se fondre dans la masse, et ne pas être directement repérés – naturellement, leur peau, cheveux et yeux pouvaient prendre des couleurs allant du rose au bleu, en passant par le vert, le jaune, l’orange, ou encore le violet. En soit, ce n’était pas un problème, mais passer inaperçu était parfois plus agréable. Draco comprenait. Et puis, il y avait tout cet historique de guerres et génocides pas forcément sympa, qui laissait des traces durables, et incitait encore les générations actuelles à se faire discrètes, mais cela était un tout autre sujet.

Il n’avait pas eu le temps de discuter avec Hermione Granger depuis qu’il était allé au Florilège, mais lorsqu’il la vit, tranquillement assise à sa place de conseillère du prince, le regardant innocemment, comme si elle ne l’avait pas jeté dans la gueule du loup en l’envoyant sans avertissement devant son très beau meilleur ami, il ressentit comme l’envie de lui crier dessus. Au lieu de piquer une crise en pleine salle de réunion, en présence d’une grande partie des personnes les plus importantes du royaume, il se contenta de lui lancer un regard noir en retour, s’asseyant sans rien dire à ses côtés.

- Parfait, maintenant que le prince est là, nous allons pouvoir commencer, déclara la reine.

Et alors s’ensuivit des conversations interminables sur la situation financière du pays, les routes commerciales, les exportations, les récoltes, les dernières nouvelles des Etats voisins, l’avancée du conflit entre la République d’Aldébaran et les Contrées d’Aurigae, les résultats des recherche sur les cristaux qui faisaient surface par centaines dans les contrées les plus orientales de Cérélénos, les prouesses des mages de l’air et de l’eau qui avaient, grâce à leurs efforts conjoints, réussi à guérir toute la population de la région de Luà d’une maladie inconnue. Quelques rapides mots sur les Maïlhanais et la préparation des festivités à leur honneur, à propos desquelles Draco fournit de brèves explications, assurant que tout était sous contrôle, que le problème de musique embrumboises avait été réglé – ils avaient trouvé un autre groupe plus facilement qu’il ne l’aurait cru, il était simple de convaincre lorsqu’on était de la famille royale – et que les fameux lauroses, si indispensables, seraient prêts le jour-même pour ornementer les tables.

Malgré ses tentatives pour rester concentré sur ce qui se disaient autour de la table, sur les discussions entre Shacklebot et Maugrey à propos de la sécurité du palais et du royaume, des soucis causés par les pirates sur la mer Cornaline, ou encore les cérémonies lunaires qu’il faudrait très bientôt penser à organiser, Draco finissait immanquablement par fixer ses mains, perdant peu à peu le fil. Tous les détails passaient au-dessus de sa tête. Lui qui, d’ordinaire, faisait de son mieux – ou presque – pour donner l’impression d’un bon héritier, d’un prince droit dans ses bottes, qui prenait son rôle au sérieux, un adulte, prêt à éventuellement prendre la suite de sa mère Narcissa sur le trône.

Cela était pourtant si stupide. Si bête. Si inconsidéré.

Il faillit lâcher un soupir, lorsqu’il se rendit compte que les prunelles claires et perçantes de sa mère étaient posées sur lui. Il fit un léger signe de menton en réponse, signifiant que tout allait bien. Elle détourna le regard pour retourner à la conversation houleuse entre les conseillers, malgré sa moue dubitative, indiquant clairement qu’elle ne le croyait pas. Depuis qu’il était petit, Draco et elle avaient toujours eu une facilité de communication, un lien fort et organique qu’il n’avait jamais partagé avec son père Lucius. Ce n’était pas une question d’amour, ni d’attention, c’était quelque chose de différent, lié, il le pensait, à leur magie, leur aura. Ils avaient tous deux des points communs dans l’expression de leur magie, notamment leur facilité à les pouvoirs lunaires, les charmes lumineux, la maîtrise des ombres, ainsi que la capacité à percevoir les auras. Lucius avait une intensité magique moindre, plutôt moyenne en réalité, une magie moins incorporée – il était de ce fait plus doué en sorcellerie. Bien que la magie des personnes ne fut pas intrinsèquement due à l’hérédité – des enfants pouvaient développer des pouvoirs complètement différents de ceux de leurs parents, être plus enclins à la sorcellerie, ou n’avoir que très peu d’intensité magique –, car la magie était partout et prenait des formes infinies, Draco avait la chance d’avoir des parents doués dans des domaines particuliers, ce qui l’avait poussé à se plonger dans des grimoires de sortilèges, autant qu’à utiliser sa magie lunaire et lumineuse. Il était au courant de sa puissance, et ce n’était même pas présomptueux de sa part que de le dire – c’était connu de tous. Ce qui faisait, bien-sûr, une pression supplémentaire sur ses épaules.

Après la réunion, il devait s’entraîner. Pas seulement à la magie, mais au combat, physique, ainsi qu’au maniement des armes. Il avait un niveau correct au tir à l’arc, mais était bien meilleur à l’épée – il y avait un côté chevaleresque et élégant qui lui plaisait. Et, en plus, c’était stylé.

Pendant qu’il suait à grosses gouttes sous les consignes du maître d’armes, aux côtés des apprentis chevaliers, il vit passer sa tante, Bellatrix Lestrange, sur le dos de son étalon, à la tête de son escadron de patrouilleurs. Ils revenaient de leur mission dans la cité d’Umbriel, plus au sud du royaume, où d’étranges crimes avaient été commis aux alentours des temples lunaires. Draco passa en revue tous les visages qu’il connaissait parmi les femmes et les hommes qui chevauchaient derrière elle, tous vêtus de longues capes bleues, jusqu’à ce que ses yeux tombent sur une personne, dont le visage était dissimulé sous une large capuche. Son accoutrement était peu familier à Embrume – une tenue de prêtre lunaire, plus exactement d’un menulie de Lénaïc : robe d’un noir profond, broche argentée en forme de pleine lune, avec une fleur de lys au centre, autour de son cou un lien de cuir, auquel était enfilé un pendentif en forme de feuille de lierre – symbolisant la tension entre la mort et la vie, et l’idée d’immortalité, qui étaient associées avec la déesse-Lune. Draco n’était pas assez prêt pour tout distinguer parfaitement, mais il avait étudié les Lunes, et avait déjà rencontré des menulie, consacrés aux trois déesses. Il connaissait assez bien le sujet pour en déduire que la tâche rouge et étincelante sur les doigts du prêtre encapuchonné était une bague avec un rubis en forme de goutte de sang – bijou que seuls les plus hauts membres du clergé lénaïchidès pouvaient arborer. Pourquoi Bellatrix avait-elle ramené ce menulie de sa mission ? Que faisait-il dans la capitale ? Sa tante n’était pas particulièrement religieuse, et n’avait jamais montré une inclination envers Lénaïc, à sa connaissance.

Draco chassa ses questionnements futiles lorsqu’il sentit une présence derrière lui. Se retournant en un clin d’œil, il parât l’attaque d’un apprenti en brandissant son épée devant lui. Contenant un sourire face à la mine déconfite du pauvre gars, il se plongea immédiatement dans le combat, oubliant le prêtre et sa tante.

 

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- Mais enfin, Granger ! Depuis que je te connais, tu as à peine mentionné tes amis – ce que je respecte amplement, et tu le sais. Tu as le droit de protéger ta vie privée, il n’y a aucun problème avec ça… Le problème, c’est que tu saches très bien que ton Harry a des pouvoirs floraux et élémentaires exceptionnels et que tu ne me l’aies même pas dit, alors que j’étais à la recherche de quelqu’un pour faire pousser ces foutus lauroses ! Sans parler de me préciser un point crucial quand même : que le gars est à tomber par terre et –

- Ohh, alors comme ça tu le trouves carrément à « tomber par terre », hein ?

- Sérieux, Granger, n’en rajoute pas une couche, dit-il en se passant une main sur le visage, essayant à la fois de cacher son trouble et le rouge de ses joues.

Hermione hésitait entre garder son sérieux face aux accusations de Draco, et s’amuser de son évident malaise à l’évocation dudit Harry.

- Ce n’est pas – enfin, ce n’est pas ce que je voulais dire avec tout ça – je – bon, bref, reprit-il. C’est juste que… que je croyais qu’on était amis. Et je me sens un peu trahi, c’est tout. Je pensais pouvoir te faire confiance.

Hermione leva les yeux au ciel.

- Par toutes les Lunes, ce que tu peux être mélodramatique cher prince.

- Moi ? Mélodramatique ? s’offusqua-t-il.

- Tu es l’incarnation même du mélodrame, Draco.

- Eh ! Profite pas de ma vulnérabilité pour m’insulter, tu veux.

- Ce n’est pas une insulte si c’est la vérité, taquina-t-elle en souriant.

Il avait envie de lui rendre son sourire – c’était vrai qu’il était mélodramatique – mais en même temps il voulait vraiment qu’elle réponde à ses inquiétudes. Il avait besoin d’être rassuré quant à leur amitié – il avait toujours besoin d’être rassuré, par ailleurs, dans toutes ses relations. C’était fou ce qu’il pouvait être insécure lorsqu’on en venait aux émotions. Voyant qu’il demeurait silencieux et attendait une vraie réponse, Hermione laissa son sourire se dissiper pour prendre un air plus posé, plus sage, cet air qu’elle prenait pour sortir des paroles avisées et philosophiques, qui d’une manière ou d’une autre, réussissaient toujours à le remettre sur pieds lorsqu’il doutait.

- Votre Altesse royale, Prince Draco Malfoy de Cérélénos, commença-t-elle, comme si elle s’apprêtait à faire un discours.

Il grimaça en entendant son titre – c’était un peu trop lourd à ses oreilles, barbant. Ça lui rappelait tous les trucs ennuyeux qui venaient avec.

- Je suis désolée de t’avoir envoyé à la rencontre de Harry sans te prévenir au préalable de sa majestueuse beauté. Il est vrai que j’aurais pu le faire, j’aurais pu me rappeler ton penchant irrépressible pour les bruns ténébreux, et même pour les beaux garçons en général, sauf que je pense rarement à mon meilleur ami d’enfance sous ses termes là. Et puis… j’avoue que j’ai aussi pris un malin plaisir à t’imaginer tombant des nues devant ses beaux yeux…

- Hermione ! s’indigna Draco.

Elle se contenta de sourire malicieusement en croisant les bras sur sa poitrine, un air satisfait sur le visage, et de continuer sur sa lancée, ignorant cette interruption.

- De plus, je ne t’ai pas mentionné Harry pour régler l’affaire des lauroses auparavant, pour la simple et bonne raison que je n’étais pas au courant pour les lauroses. Je veux dire, je sais pertinemment que c’est la fleur emblématique de Maïlhan, et, de fait, un atout indispensable pour quiconque veut négocier avec eux, mais tu ne m’as pas fait part – à moi, ta plus proche et dévouée conseillère – de tes perpétuels échecs pour trouver mage floral suffisamment puissant.

- Attends, quoi ? Je ne t’avais rien dit ?

- Hum, non. Je suis au regret de t’annoncer que tout le monde commet des erreurs, même les princes, même toi.

- Ca me parait louche.

- De quoi ? Que tu puisses faire des erreurs ? Ce n’est pas une première pourtant, rappelles-toi la fois où –

- Non, merci, pas envie de me rappeler.

- Comme tu veux. C’était pourtant marrant la manière dont tu es resté dans la peau d’une fouine pendant presque une semaine après que ce mage ait rejeté tes avances, franchement !

- Granger !

- T’as aucun humour. C’était hilarant. Mais bref, revenons-en au sujet de cette dispute : bien-sûr que tu peux me faire confiance, Draco. Je ne te trahirai jamais. S’il y a bien quelqu’un dans lequel je crois au sein de la famille royale, c’est tout. Je ne sers pas juste la Couronne, le royaume de Cérélénos, la reine Narcissa, en travaillant ici ; d’ailleurs, je travaillerais probablement autre part si je ne t’avais pas rencontré, toi, Draco. Je pense sincèrement, et ça vient du plus profond de mon cœur, que tu feras un roi formidable, une fois sur le trône. Mais pour cela, tu as besoin d’aide, tu as besoin de personnes fiables sur lesquelles t’appuyer, et je veux en faire partie. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut que tu cesses de douter de ma loyauté envers toi. Elle n’a pas failli, cette loyauté, depuis que je suis ta conseillère, et elle ne faillira pas prochainement, je te l’assure. Et, bien-sûr, bien-sûr qu’on est amis ! Sinon, je ne supporterais pas tes airs mélodramatiques pour rien. Tu sais, j’ai assez de Ron pour ça.

- Toujours le dernier mot, hein ?

- C’est mon principal but dans la vie. Avoir systématiquement le dernier mot.

Ils se regardèrent fixement encore un instant, avant d’éclater de rire.

 

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Tonks fronçait le nez face à son reflet dans le miroir. Presque instantanément, ses cheveux se mirent à boucler, à onduler, s’allongeant jusqu’à atteindre le bas de son dos. Apparemment contente du résultat, elle se concentra de nouveau, et alors, progressivement, partant des racines vers les pointes, leur couleur changea, passant d’une rose intense à un vert pastel – elle arrêta juste avant que le vert ne recouvre toute sa chevelure, laissant ainsi quelques mèches roses.

- Parfait ! s’exclama-t-elle.

Draco l’observait, amusé, assis sur le rebord de son lit. Les ailes de Tonks étaient dépliées, ce qui arrivaient généralement lorsque les adelphae utilisaient leur magie, et se mouvaient doucement dans son dos. Lorsqu’il était petit, Draco avait jalousé les adelphae et leurs ailes, si belles, si délicates et puissantes, comme du cristal effilé, quasiment invisibles par moment, pour se déployer de manière grandiose à d’autres.

- Ca y est ? Prête pour enfreindre une nouvelle fois les règles du palais avec moi ? demanda-t-il.

Il savait déjà la réponse, bien entendu. Cela remontait à longtemps à présent, un temps où il avait moins de devoirs, moins de responsabilités, un temps où il avait le droit à ses heures de loisir, où il était moins surveillé, où il avait le droit de faire preuve d’insouciance, encore un peu. Longtemps, c’était pour dire quelques années, tout au plus, mais cela semblait une éternité. Une éternité depuis qu’il s’était échappé au douce du château. Pour courir simplement dans les rues d’Embrume, pour aller voir la mer sans un régiment de gardes derrière lui. Pour partir dans la forêt, sur le dos de son cheval. Plus souvent, pour aller retrouver un amoureux transi quelque part – n’importe où. Près du parc, dans la cabine sur la colline, sur la plage, dans une taverne. Des garçons qu’il croisait au hasard lors de ses virées officielles, des garçons au regard intense, au sourire brillant, aux joues qui tournaient à l’écarlate lorsque les yeux du prince se posaient sur eux. Et toujours, toujours, depuis qu’il n’était qu’un gamin, Tonks avait été à ses côtés. Elle était pratiquement sa grande sœur. Elle était également la personne payée pour le garder en vie, mais il oubliait allégrement ce détail lorsqu’ils étouffaient leurs rires entre deux couloirs du palais, pour ne pas se faire entendre des autres gardes royaux qui faisaient la ronde.

- Toujours prête pour t’aider à conquérir le cœur de pauvres jeunes hommes.

Elle se retourna pour lui faire face, tout sourire.

- Tu dis ça comme si j’allais conquérir des cœurs tous les jours.

- Bah, c’est pas ce que tu fais ? s’amusa-t-elle. Je ne compte même plus le nombre de personnes dont j’ai vu le cœur chavirer lorsque leurs yeux se posent sur toi, cher prince.

Il fit semblant de ne pas l’avoir entendue et se dirigea vers son étagère, dont les livres et objets étaient parfaitement rangés, parfaitement alignés. Les gemmes d’un côté, les grimoires de l’autre, les ustensiles d’argent qu’il utilisait parfois pour faire de la sorcellerie, les souvenirs enfermés dans une boîte. Le bois dans lequel le meuble était fabriqué, sombre, d’un brun profond, était gravé de symboles, et incrusté de pierres à certains endroits. A hauteur de regard, là, derrière un ouvrage traitant de géographie, un trou en forme de cercle, dans lequel s’insérait le pendentif de Draco – un croissant de lune.  D’un geste expert, comme s’il avait fait ça des milliers de fois – ce qu’il avait fait, bien entendu – le prince posa sa main sur le mur, à droite de l’étagère, et poussa. La porte dérobée menait vers un tunnel poussiéreux, tout ce qu’il y avait de plus banal pour un passage secret de château. Il y pénétra, sachant que Tonks était sur ses pas.

C’était bête, mais le fait de se retrouver dans cet endroit si familier lui donnait l’impression d’avoir quinze ans de nouveau. Il était un ado, languissant les retrouvailles avec son amourette du moment, un prince seul dans son château qui ne rêvait que de vivre comme n’importe quel jeune de son âge. Qui ne rêvait que de ne pas être un prince seul dans son château.

Puis, il avait développé son pouvoir d’influence, et l’avait utilisé pour ses propres fins. Parfois. Rarement. Seulement pour des occasions spécifiques. Il aurait pu le faire plus souvent, il aurait pu, mais il y avait quelque chose de très culpabilisant dans le fait d’influencer les autres, et il n’aimait pas – du tout – ce sentiment. Bon, certes, il s’était servi de ce pouvoir – pas plus tard que trois jours auparavant – pour sortir tranquillement du palais, quasiment sans garde, pour aller voir un fleuriste. Mais ses intentions étaient, au fond, louables. Il avait bel et bien une mission à remplir en tant que prince, et n’avait pas agi dans son seul intérêt – ce qui réduisait la culpabilité.

Le passage secret était réservé aux escapades pour lui, et lui seul.

Et c’était seulement pour lui, Draco, qu’il se rendait au Florilège pour voir Harry Potter et ses yeux verts.

Il avait déjà réfléchi. Pensé, repensé, et trop pensé la chose. Il s’était dit à quel point c’était stupide, et irresponsable, et aussi probablement inutile, car rien – absolument rien – ne lui disait que Potter en avait quelque chose à foutre de lui. Et il avait beau avoir retourné mille deux cents cinquante-trois fois la situation dans sa tête et imaginé toutes les possibilités, tous les scénarios – il n’avait pas beaucoup dormi ces dernières nuits – il ne savait toujours pas ce qu’il allait dire en entrant dans le magasin.

Une vingtaine de minutes plus tard, après s’être dépoussiéré soigneusement en sortant du tunnel sous le regard moqueur de Tonks – elle ricanait toujours quand elle le voyait arranger sa chevelure – et s’être fait sermonné comme un gamin parce qu’il avait oublié de prendre une fiole de potion Déconcertante – heureusement que sa garde du corps en gardait toujours sur elle –, ils arrivèrent enfin devant la façade du Florilège.

 

 

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- Harry, je sais que t’es encore tout émoustillé par le blondinet de la dernière fois, mais ça fait quand même la troisième tasse que tu fais tomber par terre en moins d’une heure.

Ron s’était penché pour le lui dire à voix basse, avant de se relever pour s’occuper du client. Le rouquin était seulement à moitié en train de le taquiner, parce qu’il avait en effet cassé trois tasses en moins d’une heure, renversant à chaque fois tout leur contenu sur le sol et sur lui-même, sous les regards soit étonnés soit exaspérés des clients.

Ce n’était pas sa faute s’il était maladroit. S’il était encore plus maladroit lorsqu’il était distrait. Et s’il était distrait parce qu’il pensait à quelqu’un. Bref ! Ce n’était pas sa faute. Bon, un peu, mais pas tellement. C’était la faute de ce gars aussi ! Avec son visage trop parfait et ses cheveux étincelants…

- Arrête de parler de lui, tu n’arranges pas les choses, bougonna Harry pour lui-même, tandis qu’il se baissait pour nettoyer son énième catastrophe de la journée.

Si c’était la troisième tasse de l’heure, ce n’était pas la troisième tasse de la journée. Sans compter les plantes qu’il avait presque faites mourir en perdant sa concentration, ni les livres qui avaient failli prendre feu et sur lesquels il avait du de tout urgence lancer un sort de réparation pour ne pas qu’ils finissent en cendres. La veille, il y avait aussi eu ses jeunes filles qui avaient reçu de l’eau sur la figure lorsqu’il arrosait les fleurs suspendues, et puis un incident qui avait fait perdre quelques plumes à sa chouette – une plante carnivore qui s’était trop développée parce qu’il s’était perdu dans ses pensées pendant qu’il expandait sa magie florale autour de la pousse et avait atteint le perchoir de Hedwige. Et tout cela n’était qu’ici, au sein du Florilège. Chez lui, il avait aussi fait déborder ses casseroles, il s’était énervé pendant une demi-heure sans raison contre son cousin Dudley qui était venu lui rendre visite, il avait fait explosé un bocal de potion et avait transformé son lit en nuage de fumée – il avait encore mal au dos, après s’être jeté sur un matelas intangible et avoir violemment heurté le sol. En somme, les derniers jours avaient été éprouvants.

Harry continua de pester contre lui et sa maladresse tandis qu’il s’affairait à recoller les morceaux de la tasse, écoutant distraitement la conversation entre Ron et les clients suivants.

Il fallait qu’il se reprenne. Il ne pouvait pas continuer à foirer tout ce qu’il faisait jusqu’à ce qu’il revoit ce Draco inconnu et sublime, et d’ailleurs, même lorsqu’il reviendrait pour voir l’évolution de ses lauroses, que se passerait-il ? Hein ? Absolument rien. Vu l’apparence de ce gars, il ne sortait pas de la rue. C’était un noble, ou tout du moins quelqu’un de distingué. Il y avait quelque chose chez lui qui ne se retrouvait pas chez les gens d’ici. Et pourtant Cérélénos était un royaume à la population très diverse, ce qui était très visible à Embrume. Des personnes de toutes races et origines vivaient dans la capitale, des gens de tout horizon, de toute forme, de magie différente. C’était même incroyable lorsqu’on s’y attardait un instant : cet infini spectre d’êtres vivants, qui ne pouvait être restreint à rien. Et ici, au Florilège, ils en voyaient passer des dizaines et des centaines d’êtres vivants. Ils voyaient des elfes lunaires riant aux éclats aux côtés de sorciers humains, des adelphae à la peau violette qui venaient boire un thé avec leurs amis humains ou elfiques, des gens habillés avec des tenues de Maïlhan ou d’Amalthea – il y avait même parfois des personnes qui venaient d’Aldébaran ou des Contrées d’Aurigae. Il suffisait d’avoir des yeux pour être témoin de cet arc-en-ciel d’êtres dans lequel ils vivaient.

Il s’était légèrement laissé emporter par ses réflexions, mais, pour revenir à ce fameux Draco, elfe lunaire aux délicates marques sur les mains, aux yeux lumineux et aux cheveux de cristal, le problème principal était que le gars était vachement séduisant. Et inaccessible. Largement inaccessible. C’était l’évidence même, et le nier serait juste une manière de s’enfoncer encore plus profondément dans des rêves débiles.

- Harry, je te jure, je vais finir par te renverser un seau d’eau glacée sur le crâne si tu continues à phaser comme ça. Tu fais presque la même tronche que lorsque Ginny t’a larguée.

- Ron ! s’indigna-t-il, se forçant à se concentrer de nouveau sur la réalité concrète et sur autre chose que le visage du blond qui revenait sans cesse dans son esprit. Par toutes les Lunes, je t’ai déjà dit mille fois qu’on s’est quittés sur un accord mutuel, elle ne m’a pas largué !

Le rouquin le fixait, se mordant les lèvres pour ne pas rire. Il avait fini de servir tous les clients qui faisaient la queue, et lavait les tasses sales à l’aide de sa magie – c’était quelque chose de très basique qui ne demandait quasiment aucune puissance. Harry s’affaira à ranger celles qu’il avait fini de réparer et se dirigea vers la salle arrière du magasin. Il avait du boulot à rattraper sur ses commandes de fleurs et de plantes – il avait pris du retard à cause de ses accidents à répétition des derniers jours, de sa distraction, et du temps qu’il avait consacré seulement aux lauroses de Draco… C’était un beau bordel. Il était content que Sirius et Remus ne leur rendent pas trop visite au magasin, sinon il se prendrait une tornade en pleine tête. Ce n’était pas une métaphore : il se prendrait littéralement une tornade en pleine tête. Remus était strict avec le sérieux au travail, et les Lunes savaient qu’il ne rigolait pas avec ses pouvoirs. Les tornades étaient moins pires que ce qu’on aurait pu penser : finalement, on était juste pris dans un tourbillon pendant quelques minutes, ce qui permettait à celui qui contrôlait la tornade – en l’occurrence, Remus, son deuxième parent adoptif – de le disputer tranquillement, sans réaction excessive de sa part. Une technique mise au point au cours d’une enfance turbulente, parsemée de refus catégoriques de ranger sa chambre, et d’enfreintes au couvre-feu à répétition. Seules les déesses savaient le nombre de fois où il s’était pris une tornade dans la gueule. Beaucoup – beaucoup – de fois. Ses parents étaient géniaux, malgré tout. Il avait eu une chance incroyable. Tous les enfants de l’orphelinat ne tombaient pas sur un couple aimant qui prenait soin d’eux. Harry avait beau se plaindre, il les aimait de tout son cœur et ne doutait pas une seule seconde – ne doutait plus, à présent – que cet amour était réciproque. Enfin, Sirius et Remus habitaient dans cette charmante bicoque en marge de la capitale, et il allait leur rendre visite au moins une fois par semaine – sinon, ils lui tendaient une embuscade devant le Florilège pour le forcer à rentrer à la maison. Deux papas poules. Il avait pourtant quitter le nid familial depuis plusieurs années, mais il n’y avait rien à faire à ce propos – impossible de leur échapper. Et quand ce n’était pas ses parents, c’était les Weasley, sa deuxième famille – presque pire dans le domaine de l’affection. Essayer d’échapper à Molly Weasley lorsqu’elle voulait vous prendre dans ses bras, c’était mission impossible. Il avait tenté pourtant. Et c’était sans mentionner la fois où il avait protesté lorsqu’elle l’avait resservi une deuxième fois une part de sa tarte préférée… Une erreur qu’il ne commettrait jamais plus.

Penser à sa famille le rendait heureux. Il n’était pas resté longtemps à l’orphelinat après la mort de ses parents, mais il se rappelait distinctement la sensation, comme une marque froide qui gisait, derrière son cœur, à l’arrière de sa poitrine, une marque comme une main glacée qui pourrait se tendre vers lui et lui prendre tout ce qu’il avait. C’était le souvenir de la solitude, de l’abandon, le souvenir des couloirs gris, des lits durs, des regards perdus des enfants dans le dortoir.

Il frissonna.

Tout cela était du passé. Cela n’avait été qu’une période brève de sa vie, avant que Sirius et Remus ne l’adoptent et qu’ils forment une vraie famille.

Et même s’ils étaient une vraie famille, il était sûr et certain qu’il se prendrait une tornade dans la gueule si Remus mettait un pied ici et voyait à quel point cette pièce était en désordre. Il secoua la tête en souriant et se mit au boulot. Il avait des plantes à faire pousser.

Ce qu’il y avait de rare et fascinant avec la magie florale, c’était qu’elle touchait à l’essence même de la vie. Le dire ainsi, c’était un peu ringard, ça faisait niais, le genre de truc qu’on dit à la va-vite et qui pourrait prendre place dans un conte d’enfant. Seulement, c’était la vérité : la magie florale agissait directement sur la création de la vie, et c’était pour cette raison précise qu’elle était si peu répandue. La magie des éléments était pourtant assez courante, pas autant que d’autres types de magie, mais il n’était pas rare de croiser des gens s’envoyant des boules de feu ou d’eau dans la rue – un peu dangereux dit comme ça. Mais pour exercer la magie florale, il fallait déjà avoir des pouvoirs de terre et d’eau, et avoir plus qu’un seul type de pouvoirs était déjà assez singulier, et ce n’était pas encore suffisant pour agir sur les plantes. Pour cela, il fallait de la magie pure. Si Harry ne se trompait pas, c’était ce que les experts appelaient la quintessence fondamentale, ou juste quintessence, ou juste magie fondamentale, et ce que la plupart des gens nommaient simplement la « magie-cœur ». Hermione adorait radoter sur ce sujet pendant des heures. En bref, utiliser la magie-cœur n’était pas quelque chose que tout le monde pouvait faire. Aucune supériorité ni mépris dans cela, c’était juste les faits : il fallait posséder un lien magique particulier qui remontait jusqu’au cœur de la magie – d’où le nom, de toute évidence – alors que la majorité des gens n’étaient liés qu’aux extensions qui provenaient de ce cœur. Imaginez un arbre qui représenterait la magie – toute la magie. Les branches, les feuilles, les racines, le tronc. La magie-cœur, la quintessence est logée dans le tronc, au centre de l’arbre, un organe vital, qui bat. Cet organe battant diffuse la magie dans le reste de l’arbre, du bout des feuilles à l’extrémité des branches. Plus on s’éloigne du centre de l’arbre, moins on peut y accéder. Et il se trouve que Harry a la chance de pouvoir palper cette magie-cœur, de pouvoir l’atteindre, l’effleurer, la toucher, l’utiliser.

Seule la magie-cœur permet de créer la vie. Et lorsqu’on fait pousser des plantes, c’est exactement ce qu’on fait : on accélère le cours de la vie, on agit sur le temps, on manipule l’existence d’un être vivant.

Tellement absorbé par sa magie – il sentait ses doigts palpiter, les feuilles et la tige de la plante nettes, et le reste flou, une vague de chaleur en lui, comme à chaque fois qu’il exerçait ses pouvoirs, concentré sur sa tâche – qu’il mit du temps à entendre son meilleur ami crier son nom.

- Quoi ? hurla-t-il en réponse.

Il se dépêcha de finir son travail, sans pour autant bâcler les finitions. Une superbe fleur de soleil – une variété du sud du pays, en Elénos – s’épanouissait à présent devant lui, ses longs et larges pétales jaune doré qui semblaient presque lumineux, et ses feuilles en forme de larmes, fines et élancées, d’un vert presque turquoise. Il était fier de lui. Le client sera probablement ravi.

- Il y a quelqu’un pour toi ! répondit Ron, toujours en hurlant.

Harry leva les yeux au ciel. Il avait déjà trop de commandes à gérer, et il était mauvais en organisation, sans parler de ces lauroses qu’il devait finir et parfaire pour le beau blond – il n’avait pas le temps d’en prendre plus pour l’instant. Se nettoyant les mains contre son tablier déjà sale et plein de traces de terre et de café renversé, il déboula derrière le comptoir, où Ron l’attendait. Il fronça les sourcils une seconde, remarquant l’air étrange sur le visage du rouquin, puis se détourna lentement de Ron, pour regarder qui était ce « quelqu’un ».

Dire qu’il eut l’impression d’avoir été frappé par la foudre serait un euphémisme.

- Oh, merde.

Le jeune homme en face de lui, qui le fixait droit dans les yeux, haussa les sourcils.

- Euh, mince, ah, punaise, oups, je – enfin, je voulais dire, euh – bonjour, bafouilla-t-il dans une tentative pour se rattraper.

Il n’était censé venir au magasin que dans deux jours. Deux jours. Il en était certain. Il l’avait entouré au feutre rouge plusieurs fois sur son agenda pour ne pas se tromper, pour se préparer, pour être prêt. Il en était certain. Alors, que foutait-il là, devant lui, tout sourire ?! Enfin, non, pas exactement tout sourire, mais, waouh, très beau, oui, très beau en tout cas. Et qu’avait-il fait en le voyant ? Lâcher un « oh merde » à voix haute ? Parfait. Une approche subtile, toute en douceur. Toutes les chances étaient de son côté. Bordel, mais qu’avait-il donc fait aux trois Lunes pour être si stupide ? Tout en se maudissant, il essaya de revenir à la conversation pour ne pas avoir l’air totalement débile, en tout cas ne pas empirer sa situation.

- J’espère que je ne dérange pas, amorça Draco, sur un ton presque hésitant.

- Euh, non ! Non, pas du tout ! Au contraire ! s’empressa de répondre Harry.

Il se rendait compte qu’il avait vraiment l’air totalement débile. Pourquoi ne pouvait-il pas se comporter normalement quand un beau garçon lui adressait la parole ? La dernière fois, il avait pourtant réussi à se contrôler. Peut-être parce que c’était avant avoir passé des nuits entières à penser à lui. Argh. « Au contraire ». Très malin ça.

- Je… reprit Harry, passant ses doigts dans ses cheveux pour les emmêler un peu plus – une technique pour gérer le stress – non, c’était faux bien-sûr, rien ne l’aidait à gérer le stress. Je – enfin, vous… euh.. vous êtes venu pour une raison particulière ? Les lauroses ne sont pas encore prêts, mais je peux vous montrer l’avancée.

- Je ne viens pas pour les lauroses. En fait, je viens pour regarder vos livres. Et prendre un café.

- Nos livres ? répéta Harry, interloqué.

Leurs clients venaient de moins en moins pour les livres, l’aile librairie de leur magasin, avec leurs étagères pleines à craquer, et les jolies lanternes qui y flottaient prenait peu à peu la poussière depuis quelque temps. Il n’y avait quasiment plus que le vieux Dumbledore qui s’y rendait, pour une quelconque raison. La nostalgie sûrement.

- Oui, continua Draco, souriant d’un air amusé. C’est bien le principe d’une librairie, non ? D’avoir des livres ?

- Probablement, fit Harry, sortant le premier mot qui lui passait par la tête.

Probablement ?!

- Je veux dire – carrément, évidemment ! Ahah, bien-sûr qu’on a des livres. On est une librairie, donc on a des livres. Logique. Normal. Des livres.

- Et… donc, ce serait possible d’aller voir ce que vous avez, ou pas ? demanda le blond, toujours souriant. On dirait que ça vous perturbe cette affaire des livres…

- Ah, mais non ! s’empressa de répliquer Harry – 100% perturbé par cette affaire de livres. C’est juste que les gens ne sont plus vraiment intéressés par le côté librairie du magasin, ça doit bien faire des années qu’on arrête de nous acheter des livres… mais je vais vous montrer le chemin, il n’y a pas de souci.

- Parfait, dans ce cas.

Le blond lui fit un clin d’œil avant d’aller s’asseoir dans un fauteuil pour patienter tandis que Harry préparait son café.

Honnêtement ? Il avait envie de faire pousser une plante carnivore et de se faire dévorer sur place. Waouh, il avait rarement été aussi pathétique devant quelqu’un. Et pourtant il avait un historique très embarrassant en ce qui concernait se foutre la honte en public, et notamment devant des personnes qu’il trouvait attirantes. Mais là, là il atteignait des sommets.

C’est bien le principe d’une librairie, non ? d’avoir des livres ?

Probablement.

Probablement ? Par toutes les Lunes, il avait de la chance que le gars soit resté.

Malgré le rouge qu’il sentait sur ses joues, le regard moqueur de son rouquin de meilleur ami à côté de lui derrière le comptoir, et la présence de ce Draco dans son champ de vision, il réussit à faire la boisson sans la renverser par terre ni casser la tasse, ce qui était presque un exploit à ce point-là. 

Il fit signe au blond de le suivre, essaya de faire comme si croiser ses yeux n’engendrait pas des coulées de lave dans sa poitrine, et se dirigea vers l’aile librairie du Florilège. Elle était dissimulée derrière un paravent de lianes et de plantes grimpantes, juste à côté de la porte qui menait à leur salle privée. Il n’y avait pas vraiment de porte pour y rentrer ; dès que les plantes s’écartaient pour laisser passer quiconque voulait y pénétrer, les visiteurs arrivaient directement devant les allées d’étagères.

- Désolé pour la poussière, dit Harry, tout en s’avançant dans la pièce.

D’un discret geste du poignet, il essaya de rendre l’endroit un peu plus présentable. Ron et lui n’étaient pas des obsédés du rangement et de la propreté, comme on aura pu le remarquer. Le vieux Dumby devait bien lancer quelques sorts de nettoyage lorsqu’il passait par là, ce qu’il faisait également les quelques fois où il s’y aventurait. Ce qui n’était pas fréquent.

Il fit apparaître quelques sphères de lumière, de petites boules qui luisaient et projetaient un halo doré. Il les trouvait secrètement adorables. Si on était assez prêt, on pouvait voir que leur surface crépitait.

Il n’osait pas se retourner pour voir la réaction du blond. Le gars devait certainement être déçu. Ce n’était pas qu’ils manquaient de livres – des bouquins, il y en avait des centaines et des centaines, de toutes sortes, de toutes tailles, de tous genres. Leur collection était assez impressionnante en fait. Mais l’état du lieu ? Un peu déplorable.

Et comme il n’osait pas se retourner, et que le silence pesait sur lui, prenait trop de place, angoissant, suffoquant, il se mit à parler.

- Je sais que ça n’en donne pas l’impression comme ça, mais c’était le cœur du Florilège, autrefois. C’est ici que le magasin a commencé en réalité, c’est comme ça qu’ils sont devenus connus. Albus et Gellert. Ils ont repris les commandes après le… après le désastre, si je peux dire ça, dans la famille de Dumbledore, ils ont décidé de reprendre le Florilège ensemble. C’était juste un tout petit magasin de livres, des trucs d’occasion, qu’on leur donnait parce que personne n’en voulait, des vieux ouvrages qu’ils récupéraient dans les poubelles, dans les écoles. J’adore quand Albus nous raconte l’histoire.

Il entendait l’affection dans sa voix.

- Il précise toujours que c’est grâce à Gellert, parce que Gellert était si doué avec les gens, si doué avec les autres, il arrivait à les faire rire, à dire ce qu’il fallait pour les faire revenir. Tout le monde le trouvait attachant. Alors on parlait d’eux, le mot passait en ville, que si on cherchait des bons ouvrages à petits prix, il fallait aller au Florilège. Et quand ils ont commencé à avoir un peu de sous, Dumby s’est mis en recherche de livres qui l’intéressaient particulièrement – des trucs de magie, de sorcellerie, ou d’histoire, enfin des trucs rares. Des bouquins étrangers, d’Elénos, d’Amalthéa, de régions lointaines – je crois même aussi loin que l’île de Cléanthe. Des manuels sur les adelphae, sur les elfes, sur les créatures. Il partait en expédition, tout seul, en quête de machins spécifiques, et en quelques années il a rassemblé une collection incroyable. Je suis même pas certain qu’ils aient autant de machins au palais royal. Il est toujours un peu vague quand il nous en parle, toujours en train de répondre avec des semi-énigmes – on arrive jamais à lui tirer totalement les vers du nez pour savoir comment il a fait pour se procurer tout ça, mais il y est arrivé, d’une manière ou d’une autre.

Il s’était mis à arpenter les allées, emporté par les souvenirs des longues conversations avec le vieil homme à barbe blanche et longue robe de velours. Sur ses pas, cependant, il sentait la présence de Draco, muet, attentif à ses paroles.

- Et les gens venaient de tout Cérélénos jusqu’ici, jusqu’Embrume, pour eux. C’est fou, quand on y pense, parce que tout est tellement différent aujourd’hui. Mais le Florilège a été célèbre autrefois. Un vrai carrefour, un lieu où on se rencontrait, on échangeait des informations, des connaissances, on faisait de la magie. Ça devait être incroyable. Ils ont commencé à faire des boissons naturellement, étant donné que les clients restaient parfois des heures et des heures au magasin. D’après Albus, c’était lui qui était doué avec ça. Par contre, c’est Gellert qui avait les pouvoirs floraux. Apparemment ils se sont développés assez tard au cours de sa vie, ce que je trouve à la fois surprenant et intéressant. D’abord, ça a surtout été dans le but de décorer l’intérieur du magasin, qui s’était agrandi plusieurs fois vu son succès, puis c’est devenu une autre branche de leur commerce. D’un pauvre petit stand de bouquins dont personne ne voulait, ils sont devenus les premiers libraires-fleuristes-baristas du royaume.

Derrière lui, un murmure d’admiration.

- Ils ont l’air incroyable.

- Ils l’étaient, acquiesça Harry, faisant toujours dos au blond.

Ils s’étaient avancés jusqu’à la rangée réservée aux livres de langues étrangères. Il était absolument incapable de lire le titre d’aucun d’entre eux.

- Ils l’étaient ?

Harry revit le visage d’Albus, évoquant son partenaire disparu. Son partenaire, son compagnon de toujours, son meilleur ami. Son amour.

- Oui, finit-il par répondre après quelques minutes de silence. Gellert est mort il y a quelques années maintenant. Je l’ai un peu connu, mais c’est surtout depuis sa mort que je travaille ici.

- Oh… Je suis vraiment désolé.

Harry fut surpris par le son de la voix du jeune homme, qui sonnait sincère. Il ne réfléchit pas avant de se retourner pour lui faire face.

Draco avait les yeux rivés sur les étalages de livres. Son visage, bien que toujours très pâle, semblait plus coloré qu’auparavant, sous la lumière dorée des sphères, s’associant aux derniers rayons de soleil qui réussissaient à traverser le verre sale des fenêtres de la pièce. Et il avait l’air triste. Réellement peiné.

Et Harry n’était pas sûr d’aimer la façon dont son cœur se compressait, se comprimait dans sa cage thoracique. Il n’était pas sûr de vouloir savoir pourquoi, mais il ne pouvait s’empêcher de penser : c’est inconcevable d’être si beau avec un regard si triste.  Si triste, comme si le monde entier s’écroulait au sein de ses prunelles, un champ de ruines sans bruit, débordant d’âmes errantes, un cri informulable et informulé, un chagrin aux couleurs de neige et de vagues gelées.

Son cœur se compressait dans sa cage thoracique, battant douloureusement, engourdi.

Il s’arracha de sa contemplation en fixant ses mains.

Par toutes les Lunes, qu’il était stupide.

Un quart d’heure qu’il divaguait dans l’allée, et il n’avait même pas eu la présence d’esprit de donner son foutu café à Draco. Il était vraiment le pire barista.

Trop mal à l’aise pour dire quoi que ce soit, il se contenta de tendre maladroitement la tasse vers le jeune homme, qui détacha ses yeux des rangées de livres pour les poser sur la boisson, puis sur lui.

- Ta boisson, se sentit obligé de préciser Harry, se mordillant la lèvre inférieure.

Ce fut seulement après une seconde de flottement qu’il se rendit compte de ce qu’il venait de dire. Ta boisson. Ta. Quel imbécile. Il n’était même pas capable de vouvoyer correctement un client. Un client important, en plus, qui était venu après recommandation d’Hermione, Hermione qui travaillait au sein du gouvernement, donc le gars était forcément quelqu’un de haut-placé, et lui, Harry, il venait de le tutoyer, comme un imbécile – c’était tellement… tellement stupide de sa part, encore une grossière erreur qui ne faisait que s’ajouter à la tonne d’autres qu’il faisait à la minute, et tout ça s’agglomérait dans une grosse bouillasse et –

- Merci, répondit simplement Draco, brisant ainsi le cercle vicieux de ses pensées.

Et tandis que le blond prenait la tasse dans sa propre main, leurs doigts se frôlèrent, et, ce n’était probablement rien, mais Harry aurait pu jurer qu’il avait vu quelque chose vaciller dans ses yeux gris profonds.

Quelque chose frémir.