
Jeux d'équilibre
Albus souffla, excédé. "Cinquième étage", lui avait annoncé Bettie Brown, la Préfète en Chef sur un ton laconique lorsqu'il avait été prendre ses instructions auprès d'elle et de Rhaleem Al Najma, l'autre Préfet en Chef. Les Préfets de cinquième et sixième année étaient chapeautés par un Serdaigle et une Gryffondor d'une main de fer, et lorsqu'elle l'avait vu à l'avant du train le premier septembre, Bettie avait toisé Albus de haut en bas avant de lever le menton, et il avait eu droit au même traitement que son frère de la part de la jeune fille. Les autres préfets de son année avaient bien tenté de lui expliquer qu’il n’était pas du tout comme James, elle n’avait rien voulu savoir, et Albus s’était habitué. Aussi s’était-il contenté de hocher la tête lorsqu’elle lui avait annoncé sa zone de patrouille. Les Préfets de cinquième année patrouillaient jusqu’à vingt-trois heures, puis ceux de sixième année prenaient le relais jusqu’à une heure du matin, ensuite les professeurs considéraient que tous les élèves, même les plus turbulents, étaient couchés dans leurs dortoirs. Il était vingt-deux heures, il n’avait pas vu la moindre robe de sorcier, la moindre lueur de baguette, et il commençait à en avoir assez.
Il fit demi-tour au bout du couloir, et sentit une odeur familière juste avant d’entrer en collision avec quelque chose de transparent.
- Ouch… Scorpius ?
Un rire qu’il connaissait par cœur lui répondit, et une main invisible se posa sur son épaule.
- Je ne pensais pas que tu me démasquerais aussi vite. Comment as-tu réussi à savoir que c’était moi ?
- Tu sais que tu t’as pas le droit d’être là, si quelqu’un comprend que je discute avec un autre élève…
- Tu n’as qu’à parler moins fort, souffla Scorpius en se déplaçant derrière lui, le faisant frissonner. Oh, un coup de froid ?
- Tu rêves, marmonna Albus en reportant son attention vers le couloir.
Encore une fois, songea le Préfet. Depuis la rentrée deux mois auparavant, il avait parfois l’impression que Scorpius était… un peu trop perspicace, comme s’il comprenait parfaitement la moindre de ses réaction et s’en amusait. C’était idiot, son ami avait probablement oublié leur dispute du mois de juin, et il avait particulièrement amélioré son self control… lorsqu’ils étaient entourés. Il n’arrivait toujours pas à ne pas réagir lorsqu’ils étaient seuls. Soupirant, Albus reprit sa ronde comme s’il avait été seul, sentant la présence de son ami près de lui avec une précision accrue. Il pouvait presque sentir son souffle sur son épaule. Puis, alors que des pas s’approchaient du couloir, il sentit Scorpius le tirer vers l’arrière, jusqu’à entrer dans une salle vide, tirant la porte derrière eux.
- Ne fais pas de bruit et éteins ta baguette, je veux savoir qui c’est, souffla Scorpius en posant le menton sur son épaule.
- Nox, couina Albus pour éteindre sa baguette, en proie à une crise de nervosité sans précédent. Tu peux… me lâcher ? S’il te plaît ?
Il entendit Scorpius retenir sa respiration, puis le sentit hésiter. Finalement, son ami le lâcha et s’approcha de la porte, observant le couloir… Où Marcus s’avançait en jetant des regards nerveux de tous les côtés. Il s’arrêta devant un tableau, puis chuchota un mot de passe pour faire pivoter le tableau.
- Pourquoi est-ce qu’il va prendre un bain à cette heure-ci ? Souffla Albus en s’appuyant sur la forme invisible de Scorpius sans y faire attention.
- Peut-être qu’il veut être tranquille et que les autres l’embêtent aux douches ? Tu lui as donné le mot de passe, c'est pour qu'il s'en serve, non ? Répondit l’autre sans hausser la voix alors que le portrait se refermait. Ou alors…
- Ou alors quoi ?
- Ou alors il a un rencard.
- Un rencard ? Demanda Albus, sceptique.
- Un rendez-vous amoureux, si tu préfères.
- Je sais très bien ce qu’est un rencard, c’est juste que je ne vois pas l’intérêt d’en avoir un à cet endroit. C’est une salle de bain, même grande, je ne vois pas ce que ça a d’intéressant.
- Oh, j’ai plusieurs idées, rit doucement Scorpius. Et il se trouve que j’ai raison, encore une fois.
- Comment ça ?
- Regarde qui arrive.
Albus se pencha pour regarder par l’embrasure de la porte… et ne dut qu’à un excellent réflexe de son ami de ne pas se retrouver le nez dans le tapis du couloir, trébuchant sur le passage de porte. Scorpius avait passé un bras autour de son ventre et le maintenait contre lui, beaucoup trop près pour qu’il ne parvienne à contrôler ses réactions, et se concentra sur ce qu’il voyait dans le couloir, tentant d’oublier la proximité du blond, son souffle dans sa nuque, le sang qui tambourinait contre ses tympans… et vit Gilbert Lockhart se glisser derrière le même tableau, avant d’entendre un clac ! ne pouvant signifier qu’une seule chose : ils s’étaient enfermés.
- Qu’est-ce que… Pourquoi… ? Tenta d’articuler Albus, sans même essayer de repousser Scorpius qui le maintenait toujours.
- Quoi, tu ne sais pas ce qu’ils pourraient bien faire dans une salle de bain ? Se moqua-t-il à voix basse.
- Mais ils sont jeunes, ils n’ont que douze ans à peine ! Protesta le garçon brun.
- Ne fais pas comme si tu faisais plus qu’eux.
- Qui te dit que j’ai envie de faire ce genre de choses ?
- Un certain nombre de détails, rit doucement Scorpius. Visiblement, tu as un certain manque de contacts physiques, d’après ce que je peux voir.
- Je ne vois pas ce qui te fait dire ça.
- Et bien, pour commencer je constate que tu ne t’échappes pas, dit-il en passant un deuxième bras autour de lui.
- J’ai froid, tu l’as même remarqué tout à l’heure, rétorqua Albus sans bouger.
- Si tu le dis.
Ils restèrent immobiles de longues minutes, sans échanger le moindre mot, puis Albus eut un sursaut de frayeur et s’écarta de Scorpius, paniqué.
- Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? Souffla son ami, inquiet.
- James…, gémit doucement Albus, réprimant un frisson, privé de la chaleur de son ami. Mon frère et sa carte…
- Tu penses vraiment à des trucs bizarres, tu sais… ton frère a probablement autre chose à faire que de te surveiller sur sa carte pour voir avec qui tu te planques dans une salle.
- Non, ça il le sait déjà mais… je ne veux pas lui donner de raisons supplémentaires pour… enfin bref, laisse tomber. Je dois continuer ma ronde, tu peux m’accompagner si tu ne fais pas de bruit.
Déçu et frustré, Albus sortit de la salle de classe, mais il n’eut pas le temps de faire plus de trois pas dans le couloir qu’une main brûlante se glissa dans la sienne, le faisant sursauter. Juste avant que Scorpius ne le serre à nouveau contre lui, la chaleur de son visage beaucoup trop près au goût du Préfet.
- C’est de ta faute, souffla le blond, tu es parti trop vite, maintenant j’ai froid.
- C’est pas…
- Après, il y a des salles de bain ici, si tu veux que je me réchauffe autrement qu’en me collant à toi. Mais il faudra venir avec moi, je n’ai pas le droit d’aller là normalement, j’ai besoin d’être supervisé, surtout à cette heure-ci, rit doucement Scorpius.
Albus inspira lentement, emplissant ses poumons d’air, ignorant la douleur causée par la proximité pourtant inaccessible du garçon, puis soupira et posa son front sur son épaule.
- Désolé, murmura Scorpius en remarquant son changement d’humeur. Je ne voulais pas que tu te sentes mal. Comme tu me laisses faire depuis le début, je ne me suis jamais dit que ça allait trop loin, je…
- Stop. Arrête de parler, s’il te plaît. Ne bouge plus.
Scorpius se tut, surpris, et attendit, sans le lâcher. Au bout d’un moment qui sembla durer une éternité pour Albus, celui-ci parvint à relever la tête, puis remua les doigts pour assurer sa prise sur la main de son ami.
- D’un côté, les tortures que tu me fais subir régulièrement sont inhumaines, et plus le temps passe, plus j’ai l’impression que tu sais pertinemment ce que tu fais, soupira le garçon brun. D’un autre côté, tu n’es pas… Je ne pense pas que tu le fasses exprès à ce point.
- Tu sous-estimes ma mémoire, tu crois vraiment que j’aurais oublié ce que tu as laissé échapper quand on a eu cette dispute ? Elle date d’à peine six mois, je me souviens de discussions bien plus vieilles que ça !
- Hum. J’aurais dû m’en douter. Tu étais trop gentil pour un Serpentard.
- Plains-toi.
- Je ne vais pas me gêner.
- Par contre, ça te gêne de partager ta salle de bain avec moi.
- Mais ça n’a rien à voir, grogna Albus en se pinçant l’arrête du nez.
- Non, visiblement tu acceptes que ton protégé soit plus avancé que toi sur ce terrain, ricana Scorpius.
- C’est grave ? Marmonna-t-il en se décidant finalement à se rapprocher de lui, crispant sa main sur la sienne.
- Non, c’est amusant. Mais tout ce qui est amusant a une fin. Il faut que je te laisse travailler.
- Tu insistes pour rester avec moi quand je te dis de me laisser tranquille, et quand je finis par accepter que tu restes, tu t’en vas ?
- Exactement, souffla son ami contre sa joue. Sinon, ce ne serait pas aussi intéressant. Bonne nuit, je dormirai probablement quand tu rentreras.
Scorpius se détacha de lui aussi facilement qu’il l’avait approché, et Albus l’entendit s’éloigner dans l’obscurité percée par la lumière de la lune, au-travers des hautes fenêtres. Il n’était pas certain d’avoir compris ce qu’il s’était passé. Un point obscur avait cependant été éclairci avec certitude. Scorpius savait pertinemment ce qu’il faisait, il avait été parfaitement clair là-dessus. Quant à savoir s’il le faisait pour pousser Albus à faire un pas en avant, ou simplement pour torturer psychologiquement son ami… sans parler de la question la plus évidente : Est-ce qu’il pouvait se permettre d’espérer ?
Les semaines qui suivirent plongèrent Albus dans une immense confusion. Scorpius n’avait pas changé d’un iota, depuis cette nuit-là, conservant ses habitudes en présence des autres élèves, à tel point qu’Albus finit par se demander s’il n’avait pas rêvé. Son ami restait très tactile avec tout le monde, et, un jour de décembre, le Préfet laissa échapper un grognement en le voyant s’asseoir directement sur les genoux de Jo dans la Grande Salle, et son camarade de dortoir avait éclaté de rire. Rougissant jusqu’aux oreilles, Albus avait prétexté un passage aux toilettes pour fuir la cause de son désarroi, et s’était enfermé dans une cabine pendant de longues minutes. Puis, énervé par son propre comportement, il avait sorti la cape de son père de sa poche, et l’avait enfilée avant de sortir des toilettes, se promenant dans les couloirs du château avec un certain soulagement. Personne ne pouvait le voir, il pouvait rougir, transpirer, trembler, se mordiller la lèvre, se ronger les ongles, il n’y aurait personne pour lui faire de remarque ou lui jeter un regard en coin. Il n’avait jamais mesuré à quel point le regard des autres était pesant, à quel point il avait besoin de… disparaître.
Marcus sortit de la bibliothèque juste devant lui, et Albus entreprit de le suivre, curieux. Les cas de harcèlement sur son camarade avaient diminué, seuls deux ou trois élèves continuaient à l’embêter, les autres avaient fini par se désintéresser de son cas… ou prendre leurs jambes à leur cou en voyant des sortilèges fuser de nulle part lorsqu’ils approchaient le garçon de deuxième année, au détour d’un couloir. Quand ils ne perdaient pas des points pour usage de la magie dans les couloirs. Mais Albus n’était pas encore parvenu à chasser les trois irréductibles Gryffondor, il ne les avait même jamais pris sur le fait. Il suivit son jeune camarade de maison jusqu’à la grande porte du château, et lui emboîta le pas lorsqu’il descendit vers le lac sans un regard en arrière, persuadé que les Gryffondor l'attaqueraient en le pensant seul. Puis Marcus s’arrêta subitement et attendit, obligeant le Préfet à s’arrêter à son tour, cherchant autour d’eux ce qu'il attendait. Il le vit tâtonner devant lui, l’air scintillant étrangement, puis sourire, avant de sortir sa baguette. Il la pointa sur sa propre tête, et murmura une formule qu’Albus n’entendit pas, avant de disparaître.
Abasourdi, Albus comprit que c’était le même sort qu’avait utilisé Scorpius lorsqu'il l’avait interrompu dans sa ronde, et, quand il inclina la tête sur le côté, il parvint à distinguer le scintillement autour des deux élèves. Souriant sous sa cape, et rassuré sur le sort de Marcus, il fit demi-tour pour retourner dans le château, vers la Grande Salle où ses amis étaient restés. Il s’immobilisa dans le hall, cependant, reconnaissant la voix de Scorpius… et celle de James. Se retenant de grogner littéralement, il s’approcha le plus près possible de son frère, après avoir vérifié qu’il n’avait pas la carte dans les mains pour le voir approcher.
- … pas l’air dans ton assiette, c’est tout ce que je veux dire.
- Et c’est toujours pas tes affaires, répondit sèchement Scorpius. C’est mon problème.
- Vous devriez parler.
- Et si t’avais pas cette maudite carte constamment avec toi, peut-être qu’on pourrait effectivement parler, cracha le Serpentard.
- Je ne vois pas ce que la carte a à voir là-dedans, en plus c’est Lily qui l’utilise la plupart du temps en ce moment.
- Je ne suis pas sûr que ça change quoi que ce soit à l’espionnage.
- C’est ce que tu crois qu’on fait ? Demanda James, estomaqué. Mais enfin mon vieux, remets les pieds sur terre un peu, vos histoires ne m’intéressent pas au point que je surveille le moindre de vos mouvements ! Et c’est encore moins le cas pour Lily ! De toute façon, je n’ai aucun moyen d’entendre ce que vous dites via la carte, elle montre simplement où vous êtes, et encore, pas partout, la Salle sur Demande et la Chambre des Secrets ne sont toujours pas sur la carte, et certaines parties du parc comme l'embarcadère non plus, j'ai vérifié un jour où je suivais... Bref.
- Ouais ouais je… sais… attends quoi ?
- Si tu cherches un endroit pour être sûr que je ne puisse pas vous espionner, c’est là qu’il faut aller, ricana le Gryffondor. Encore que, je crois qu’on ne voit pas l’intérieur des salles de bain des Préfets non plus, mais je ne pense pas que tu arrives à y entraîner mon frère. Je parie cinq Gallions que tu n'y arriveras même jamais.
- Très drôle, marmonna Scorpius. Bon, tu as fini ton sermon, c’est bon, je peux y aller ?
- Bien sûr. Salue les autres de ma part !
- C’est ça, cours toujours, marmonna Scorpius une fois que James eut disparu dans la Grande Salle. Galochard…
- C'est une nouvelle insulte ? Demanda Albus sans retirer sa cape. Elle est pour qui ?
- La vache, Albus ! Siffla Scorpius en posant une main sur sa poitrine, visiblement paniqué. Ça va pas de me faire peur comme ça ?!
- Désolé, c'était trop tentant. C'est quoi un galochard du coup ?
- Un type dont l'occupation principale est de mettre sa langue dans le gosier d'autres personnes, un principe inconnu pour toi, sourit le garçon blond. C'était adressé à ton frère.
- Argh. Je ne veux même pas savoir. Alors, qu'est-ce qu'on fait, on reste là ?
- Je peux venir sous la cape ?
- Pas ici, suis-moi, souffla Albus en lui prenant la main au-travers du tissu de la cape
Ça ne comptait pas, à travers la cape, pas vrai ?
Scorpius ne protesta pas, s'assurant de rester à sa hauteur et d'avoir l'air naturel, puis ils parvinrent dans un recoin du hall et Albus le lâcha pour passer la cape par-dessus la tête de son ami.
- Il va falloir plier un peu les genoux, sinon on verra nos pieds, remarqua Scorpius, bien plus proche que ne l'aurait pensé Albus.
- C'est de ta faute, quelle idée d'avoir autant grandi cet été.
- Je ne suis pas le seul, toi aussi tu as grandi, Monsieur le Préfet, sinon j'aurais pu facilement poser mon menton sur tes épis.
- Laisse mes épis en dehors de ça, Scorpius. Alors, tu voulais aller quelque part ?
- Non, juste venir sous la cape, rit doucement son camarade.
- Super. Il y avait longtemps, maugréa Albus.
- Comme si ça te dérangeait. Alors chef, on va où ?
- Suis-moi, j'ai une idée.
Albus commença à marcher, lentement pour que son ami puisse suivre, et ils s'engagèrent dans un escalier du hall complètement vide, qu'ils n'avaient emprunté qu'une seule fois dans leur vie, car il menait au débarcadère. Il vit Scorpius sourire du coin de l'œil, et soupira. Ils n'auraient plus besoin de la cape une fois sur place, il pourrait calmer le pouls battant dans ses oreilles, et arrêterait de le frôler presque malgré lui. Les garçons refermèrent la porte derrière eux en silence… et eurent le souffle coupé par le spectacle qu'offrait l'endroit.
Les canots utilisés en première année étaient empilés sur de grands rails, à l'envers, et, au-delà du quai en pierre brute… le lac, gelé sur la plupart de sa surface… et d'un noir d'encre près d'eux, des morceaux de glace flottant sur l'eau qui remuait en clapotis paresseux. Albus retira la cape, la glissant sans la poche de sa robe de sorcier, puis se tourna vers son ami… qui avait un sourire particulièrement espiègle. Il manigançait quelque chose, clairement.
- Un petit tour de barque en amoureux ? Proposa le blond.
- C'est ça, moque-toi de moi au passage, ça t'avait manqué hein ?
- Absolument. Et comme ça fait longtemps, tu ne peux décemment pas me le refuser, sourit-il.
- Il y a un certain nombre de choses que je ne ferai jamais, mais un tour en barque n'en fait pas partie. Tant que tu ne me pousses pas dans le lac, concéda Albus en haussant les épaules. Ne me demande jamais de danser par contre.
- Oh, c'est là que se situe ta limite ? Être un Potter ne te donne pas une grâce naturelle sur une piste de danse ? Ironisa Scorpius.
- C'est même le contraire, être un Potter donne automatiquement des capacités négatives en termes de grâce… sauf sur un balai. Mais je n'aime pas voler, donc ça règle la question. Où est notre barque, Monsieur Malefoy ?
Son meilleur ami sourit comme un gamin, ravi, sortit sa baguette dont le bois clair ressortait dans cet endroit sombre, puis fit léviter la barque la plus proche pour la déposer en douceur sur l'eau presque noire.
- Si Monsieur Potter veut bien se donner la peine ?
Albus pouffa, Scorpius descendit dans la barque avec adresse, et lui tendit la main. Fronçant les sourcils, le garçon brun ne la prit pas, posa un pied dans la barque, sûr de lui… et bascula. Faillit basculer. Scorpius l'avait rattrapé en un éclair, et lui tint les bras jusqu'à ce qu'il soit assis dans la barque.
- On avait dit pas de baignade, Albus, par des températures pareilles, tu exagères, franchement. Tiens, regarde ça.
Le garçon blond pointa sa baguette sur la planche servant de banc au milieu de la barque, marmonna une formule qu'Albus ne connaissait pas, et un petit feu bleu répandant une agréable chaleur commença à crépiter entre eux, sans toucher le bois sur lequel il était posé.
- C'est Rose qui me l'a montré, d'après ce qu'elle disait, sa mère l'utilisait dès leur première année à Poudlard.
- En première année ?
- Oui. Rose ne l'a maîtrisé qu'en deuxième année, elle était très déçue, rit Scorpius.
- Je ne t'ai jamais demandé, ta baguette… c'est quoi ? Demanda Albus pour changer de sujet.
- Ne t'en fais pas, je ne vais pas recommencer à te parler de Rose constamment, je t'ai dit que je me souvenais très bien de notre dispute.
- Ça m'intéresse quand même.
- D'accord, rit Scorpius. C'est du sorbier, vingt-deux centimètres, avec un crin de licorne. Tu veux l'essayer ?
Albus hocha la tête, et, avec l'impression de faire quelque chose d'interdit, posa la main sur la baguette de Scorpius, déplaçant ses doigts pour retrouver la trace encore chaude de l'endroit où le garçon blond tenait sa baguette. Le garçon brun se contenta de faire sortir des étincelles vertes de la baguette de son ami, puis la lui rendit.
- À mon tour.
- Oh. D'accord, répondit Albus en rougissant, sortant sa propre baguette de sa poche. C'est du bois de hêtre, dix-sept centimètres, aussi avec un crin de licorne. Elle est beaucoup moins souple que la tienne.
Scorpius tendit la main, et Albus y posa sa baguette, frôlant ses doigts sans pouvoir s'en empêcher. Le sourire de son ami s'étira, et il leva la baguette en hêtre au niveau de ses yeux.
- C'est toujours la baguette la plus claire que j'aie vue. Regarde-moi ça, elle est presque aussi blanche que moi !
Albus, en effet, regardait. Il ne parvenait pas à détacher son regard du visage qui lui faisait face, et, comme chaque fois qu'ils étaient seuls, il était incapable se contrôler totalement, parvenant tout juste à s'empêcher de bouger. Son ami le regarda droit dans les yeux, et prononça une formule qu'il n'entendit pas, concentré sur ses yeux. Albus sentit soudain quelque chose de glacé lui couler sur la nuque, et bondit, paniqué. La barque tangua violemment, Scorpius se précipita pour le retenir, le ratant de quelques centimètres, et son camarade tomba dans l'eau glaciale du lac. Albus lutta contre le froid qui le transperçait de part en part, et donna de violents coups de pied dans l'eau, remontant à la surface presque immédiatement. Scorpius se pencha, tendant les mains en hésitant, comme s'il ne le voyait pas, puis finit par les refermer sur ses bras et le tira à lui, sans faire basculer la barque. Albus se cramponna à lui, grelottant, trempé jusqu'aux os, et son ami ramena la barque jusqu'au débarcadère, l'aidant à remonter sur le quai. Puis il le porta presque pour l'emmener dans une espèce de débarras fermé, et fit apparaître le feu bleu à nouveau.
- Je suis vraiment désolé Albus, vraiment, si j'avais su… c'était un simple sort de désillusion, tu sais, pour te rendre transparent… je sais que tu es plus à l'aise quand personne ne te voit, j'ai pensé… je suis vraiment désolé, j'aurais dû…
- Tais…toi…, souffla Albus entre ses claquements de dents. Et… réchauffe… moi…
Scorpius resta interdit pendant quelques secondes, puis commença à le frictionner, avant d'arrêter pour tenter un sortilège qui se contenta d'éteindre le feu.
- Zut, je sais pourtant qu'il y a un sortilège d'air chaud, mais c'est pas… il faudrait que tu enlèves tes vêtements mouillés, mais on est quand même un peu dehors, c'est pas… et je ne peux pas t'emmener à l'infirmerie je suppose… ?
- Tu… supposes… bien…, grogna Albus sans arrêter de claquer des dents. De toute… façon… je suis… invisible… donc je peux…
Sans finir sa phrase, Albus recula et tira sur sa robe de sorcier, la passant par-dessus sa tête pour la jeter sur une caisse derrière lui, et fit de même avec ses chaussures et son pull, avant d'hésiter pour son pantalon.
-Dépêche-toi, faut pas que tu restes loin d'une source de chaleur, l'interpella Scorpius en retirant sa propre robe de sorcier après avoir rallumé deux feux bleus contre les parois, éclairant son visage inquiet.
Albus retira son pantalon, puis s'approcha, hésitant et grelottant. Scorpius tendit les mains dans le vide, puis finit par toucher son bras nu et l'attira directement contre lui, l'entourant de ses bras et des jambes tandis qu'Albus se recroquevillait. Le garçon blond tira sa robe de sorcier sèche vers eux et en couvrit le dos d'Albus avant de se coller contre lui au maximum, tentant de lui sécher les cheveux à l'aide de son écharpe qui avait miraculeusement échappé aux éclaboussures.
-Bon, pas de promenade en barque non plus pour Monsieur Potter, rit doucement Scorpius pour tenter de le détendre.
- Si c'est pour… que ça finisse comme ça, non… en effet, marmonna Albus en s'écartant légèrement. Désolé, je dois… être super froid.
- Reviens-là, toi, grogna son compagnon. Tu restes là tant que tu n'as pas strictement la même température que la mienne. Et quand ce sera le cas, je te ramènerai au dortoir directement.
- Mais… et le dîner ?
- On fera un crochet par les cuisines pour que tu manges quelque chose de chaud.
- Ça... me va, sourit Albus.
Il finit par arrêter de grelotter au bout de longues minutes, et se blottit contre son ami, ses mains fermement accrochées à son pull. Scorpius eut un petit rire, et lui ébouriffa les cheveux avant de poser son menton sur sa tête.
- Tu sais, tu n'avais pas besoin de faire tout ça si tu voulais juste un câlin.
- Il faut toujours que tu fasses… ta petite remarque spirituelle, hein ? Souffla Albus contre son cou.
- Je ne te vois pas, je n'ai pas d'autres moyens de t'embêter actuellement puisque je ne peux pas observer tes réactions. Et puis, tu m'aimerais beaucoup moins s'il n'y avait pas ça.
- Qui te dit que c'est le cas ?
- Moi.
- Je te trouve bien présomptueux.
- Je suis un Serpentard, je ne vois pas ce qui te choque.
- C'est vrai. Je me demande ce que le Choixpeau a vu en moi…
- Un mauvais joueur, jaloux, possessif, persuadé d'être au-dessus des autres, énuméra joyeusement Scorpius.
- He ! Je ne te permets pas ! D'abord, avec Rose et Hugo comme cousins, j'aurais du mal à me penser supérieur à qui que ce soit. Ensuite, rien de ce que tu n'as cité n'entre dans les qualités requises par Serpentard.
- Tu triches très bien quand tu veux, ce qui veut dire que tu remplis parfaitement les conditions de ruse de la maison, poursuivit le garçon blond un peu plus sérieusement. Tu es assez fier, même si ce n'est pas le même type de fierté dont fait preuve ton frère…
- Mais je n'ai aucune ambition, je ne sais même pas ce que je vais choisir comme orientation !
- Il n'y a pas que l'ambition professionnelle. Depuis qu'on s'est rencontrés, tu fais tout pour te détacher de ton frère et de sa réputation, tu es assez bon élève même si tu n'es pas au niveau de Rose, ni du mien, ricana Scorpius. Et ce n'est pas passé inaperçu, regarde, tu es Préfet. Et ton frère ne l'a pas été, d'ailleurs.
- Hmpf. C'est bon, tu as fini ?
- Oui, je pense. Pourquoi ?
- Parce que c'est très horripilant quand je ne peux pas te contredire.
La main qui était restée dans les épis bruns glissa lentement en une caresse légère sur sa joue, puis glissa sous le menton d'Albus qu'il releva. Les joues soudain brûlantes en sentant le souffle de son ami sur son visage, le garçon toujours invisible attendit, incroyablement nerveux.
- C'est moi qui suis censé jouer avec tes nerfs, pas l'inverse, chuchota Scorpius.
- On pourrait jouer à deux, ça a l'air drôle, souffla Albus.
- Hum, peut-être que je pourrais te laisser jouer un peu…
Leurs nez se frôlèrent, et une sonnerie retentit dans le château au-dessus d'eux. Albus retint sa respiration, mais son camarade n'avançait plus, se contentant de garder un contact et une proximité exaltante entre eux. Puis, au moment où Albus se décidait finalement à avancer vers lui, il recula, posant les doigts sur ses lèvres.
- Il faut qu'on remonte, Monsieur le Préfet, murmura Scorpius.
Albus émit un son entre la plainte et le grognement et, sans tenir compte de ce que disait son ami, se déplaça pour se retrouver à califourchon sur ses cuisses, avec l'étrange impression de se consumer de l'intérieur.
- Je sais, j'ai été un peu loin aujourd'hui, rit son tortionnaire. Mais je ne suis pas certain que tu saches ce que tu fais, ou que tu ne le regretteras pas plus tard…
- Tais-toi, souffla Albus en glissant sa main dans les mèches blondes au-dessus de sa nuque, frôlant sa bouche de ses lèvres.
Scorpius retint sa respiration, et, très lentement, sa main brûlante remonta sur sa mâchoire, avançant jusqu'à glisser les doigts dans les épis bruns, et il finit par terminer le geste d'Albus, posant ses lèvres sur les siennes presque timidement. Le garçon brun ne chercha même pas à retenir un soupir sonore, et crispa ses doigts sur son ami pour le plaquer contre lui, écrasant ses lèvres contre les siennes, sentant son corps brûler et se liquéfier tout à la fois. Ils finirent par reculer en même temps, essoufflés, et Albus appuya son front contre celui de Scorpius.
- Tu sais que maintenant, tes séances de torture vont être encore pires que ça ? Murmura celui-ci, son souffle brûlant lui caressant le visage.
- J'espère bien, répondit Albus en s'humectant les lèvres.
- Très bien, puisque tu es prêt…
Scorpius se baissa légèrement, et Albus sentit quelque chose de brûlant et d'humide tracer une ligne sur la peau de son cou, le faisant couiner tandis qu'un frisson sans rapport avec la température extérieure lui parcourait l'échine.
- Bienvenue dans la deuxième partie de ta torture personnelle.
Scorpius le lâcha, puis recula et prononça une formule qu'Albus ne comprit pas au-travers du pouls assourdissant qui battait dans ses oreilles. Une sensation de liquide chaud se répandit sur lui, et il vit les yeux de Scorpius s'agrandir sous la surprise, descendre puis remonter vivement vers son visage, les joues d'un rouge soutenu. Albus le vit se mordre la lèvre en tendant une main vers ses épis sombres, et il sentit qu'il tentait d'aplatir ses cheveux.
- Tu sais que c'est une bataille perdue d'avance, j'ai toujours eu les cheveux en épis.
- Hum, oui, mais là… comment dire… on dirait que tu… sors du lit…
- Et alors, ce n'est pas comme si ça ne m'était jamais arrivé.
- Très bien, je vais être plus clair. On dirait que tu sors effectivement d'un lit, mais que tu n'y as pas dormi, et que tu n'y étais pas seul.
Albus se sentit rougir jusqu'aux oreilles, et Scorpius eut un sourire moqueur… avant de se rapprocher, le regardant droit dans les yeux. Ils restèrent immobiles, silencieux, puis Albus se jeta sur son ami, sans prévenir, le serrant contre lui.
- Mais si, ça va aller, tu vas y arriver, souffla Scorpius avec un sourire dans la voix.
- Oh, c'est facile pour toi.
- Tu crois ?
- Bien sûr.
- Alors je vais t'avouer un secret. Tu sais pourquoi je suis tactile avec tout le monde, depuis le début ?
- Éclaire-moi ?
- C'était toi que je voulais toucher, constamment. Même quand j'étais amoureux de Rose.
- Quand tu étais ? Releva Albus. Ce n'est plus le cas maintenant ?
- Je te laisse deviner. Tiens, récupère ta baguette, il faut qu'on rentre, il fait nuit et on va se faire prendre. Tu ne voudrais pas qu'on te trouve comme ça, n'est-ce pas ? Demanda Scorpius, moqueur, en lui ébouriffant les cheveux comme à son habitude.
- Il ne vaut mieux pas.
Albus se releva, tous les sens en alerte, et enfila ses vêtements encore humides avec un frisson. Il remarqua le regard amusé que posait Scorpius sur lui, et résista tant bien que mal à l'envie de retourner se blottir contre lui. Il termina de se rhabiller, et sursauta quand Scorpius éteignit les deux feux bleus, les plongeant dans l'obscurité… et le froid.
- Ne vas pas attraper froid hein, je n'ai pas passé plus de deux heures à te réchauffer pour que tu tombes malade, ça va être de ma faute après, souffla Scorpius en enroulant sa propre écharpe autour du cou d'Albus.
- Je n'attraperai pas froid si je me change rapidement, rétorqua-t-il avant d'inspirer à fond, le nez dans l'écharpe. Tu n'aurais pas dû me donner ton écharpe...
- Garde-la, je te volerai la tienne quand elle sera sèche, rit le garçon blond. Allez, viens te mettre au chaud et au sec. Tu pourrais même aller tremper dans un bon bain chaud.
- Tu ne viendras pas prendre un bain avec moi, le prévint Albus avec un regard noir.
- Tant pis, j'aurais essayé… une autre fois peut-être ?
- Dans tes rêves.
- Si tu savais, ricana Scorpius en lui tenant la porte du débarcadère.
- Attends, viens-là, la cape…
Scorpius s'arrêta, et observa Albus qui sortit la cape d'invisibilité de son père… parfaitement sèche.
- Incroyable, toute cette eau glacée, et ce bazar pour te réchauffer, pour qu'elle reste sèche, tu n'avais même pas besoin de moi, rit Scorpius.
- Tais-toi, grommela Albus en le tirant par la main, jetant la cape sur leurs têtes.
Il se rendit compte de son geste et voulut récupérer sa main, mais son camarade de dortoir lui fit un immense sourire sous la cape, ses yeux gris brillants dans la lumière des torches du château, et resserra sa prise sur sa main, commençant à grimper les marches de l'escalier désert sans faire de bruit.