
Partage inattendu
Il dévala quatre à quatre les marches de l'escalier du deuxième étage pour semer cette foutue chatte au miaulement perçant. Avoir la carte du Maraudeur lui aurait bien rendu service mais elle était entre les griffes de Rusard depuis de longues semaines désormais. Et c'était sa faute. S'il n'avait pas fait autant l'imbécile à convaincre James de déposer des pétards Farceurs dans la salle de classe d'Histoire de la magie, ils seraient rentrés plus tôt dans leur dortoir après leur balade et le vieux Cracmol ne leur serait pas tombé dessus. Mais qu'importe, Sirius connaissait le château comme sa poche en l'ayant parcouru de nombreuses nuits depuis plus de six ans. Il fallait juste qu'il évite de croiser le chemin de toute personne humaine ou... fantomatique. Quelque chose de simple quand on avait la cape d'invisibilité de l'héritier des Potter, ce qui n'était pas son cas. Sirius sortait en douce ce soir. Remus était occupé avec ses révisions retardées par les nuits de pleine Lune. Peter était déjà au lit et James passait sa soirée au coin du feu avec Lily.
Depuis que la préfète avait accepté de sortir avec lui, James avait profondément changé. Il était toujours drôle et blagueur mais ses pitreries n'allaient plus aussi loin qu'avant. Il refusait régulièrement les promenades nocturnes que Sirius lui proposait et toutes les farces qu'elles impliquaient. Surement par respect pour son amoureuse.
Il considéra un instant que, lui aussi, devrait vraiment se trouver une fille. De façon plus stable surtout. L'isolement, notamment depuis que James était moins présent dans leur groupe, lui pesait.
L'aîné des Black avait donc projeté de sortir seul, d'autant plus qu'il ne souhaitait informer aucun de ses amis de ce qu'il allait faire ce soir. Le garçon avait récupéré, dans la matinée, un paquet d'herbes magiques auprès d'un Poufsouffle qui avait perdu son pari en prétendant que Sirius ne serait pas capable de voler le Choixpeau et de le poser sur sa tête une nouvelle fois. Quelle grossière erreur. Il fallait être un véritable gnome pour penser que le Gryffondor ne tenterait pas tout pour réussir ce défi. Le plus compliqué avait été de le réaliser en évitant une pluie de retenues, ce qui fut, au départ, assez facile. Mais lorsque Sirius s'était rendu compte, après coup, qu'il devait remettre l'objet si précieux à sa place, une grimace s'était affichée sur son si beau visage. Il n'avait pas prévu le plan jusque-là. Ni les cinquante de points en moins et la semaine de retenue que lui infligea le professeur McGonagall lorsqu'elle s'aperçut de son larcin.
Poudlard était silencieux en cette nuit claire. Seuls les bruits de pas du jeune homme résonnant sur les dalles de pierre interrompaient cette atmosphère paisible. Sirius traversa le passage secret menant directement à l'extérieur de la cour du château pour éviter d'ouvrir la porte face à la Grande Salle. Il risquerait de se faire remarquer, surtout si Peeves passait par là.
Le courant d'air frais qu'il reçut en pleine face constituait un sacré changement de température. Ses cheveux bruns s'éparpillèrent sous le coup de vent, provoquant des frissons sur sa peau. Il déambula vers sa destination, pénétrant dans la cour pour se retrouver près des arches de pierre.
Avec un ricanement, il sortit de sa poche le sachet ainsi qu'un paquet de feuilles et entreprit de se rouler son joint. Son œuvre terminée, il s'avança près de l'assemblage de pierres pour s'y hisser avant de remarquer une présence qui y était déjà installée. Sirius sursauta. Il n'avait même pas vu cette ombre, qui ressemblait fortement à l'un de ses pires ennemis.
-Servilus... Toujours là où on l’attend le moins. Si tant est qu'on veuille de lui quelque part..., attaqua-t-il, vexé. Il aurait pu se prendre un sort sans même le voir venir.
-Black. Quel déplaisir, grogna Rogue en expirant un léger nuage de fumée.
Sirius l'observa perplexe. Quoi ? C'est tout ? Pas de "sale cabot dégénéré" ou autres ignominies du même acabit ?
Ses sourcils se haussèrent ensuite, voyant que le Serpentard tenait une cigarette entre ses doigts. Cet imbécile fumait aussi ? Les Mangemorts n'évitaient pas de toucher aux choses de "Moldus" habituellement ?
Mais la réflexion qui l'étonna le plus fut de constater qu'aucun d'eux n'avait sorti sa baguette pour la pointer sur l'autre, un acte qui était pourtant devenu la base de leur relation à chaque fois qu'ils se croisaient. Cette soirée semblait assez singulière.
Il hésita à faire demi-tour, ne souhaitant clairement pas partager le même air que ce Veracrasse mais ce lieu était le seul qui permettait de profiter tranquillement d'une belle vue sans se faire coincer. Et après tout, ce n'était pas à lui de partir mais bien à ce sagouin qui n'avait pas sa place ici.
Rogue exhala une nouvelle fois, analysant de ses yeux plissés les agissements de son rival, qui ne fit rien d'autre que de tapoter du pied gauche avant de soupirer, allumant finalement sa cigarette d'herbes avec sa baguette. Inspirant une longue bouffée, Sirius jeta un coup d'œil au magnifique paysage avant de reporter son regard sur celui qui le troublait. Cette scène était plutôt irréaliste. La norme voudrait qu'ils soient en train de s'entre-tuer. Mais apparemment, il y avait un consensus invisible de "paix" qui venait de s'établir pour la nuit.
Le jeune homme aux yeux gris étudia à nouveau le Serpentard. Avachi contre la paroi verticale du muret, ses cheveux noirs bougeaient au gré du vent, retombant sur ses joues creuses et blanchâtres. Ses yeux et leur contour avaient une colorimétrie presque opposée, teintée de rouge comme si ses vaisseaux sanguins avaient éclatés. Ce n'était pas qu'une cigarette, réalisa Sirius.
Deux orbes noirs et vitreux le fixèrent soudainement, lui transperçant le cœur. Il n'avait jamais accusé d'un pareil regard. Comment pouvait-on ressentir à la fois un vide glacial et une étreinte brûlante ?
Déboussolé, le Gryffondor coupa la connexion visuelle. L'élève de cinquième année ne s'était pas foutu de lui avec son herbe, ce joint semblait relativement trop fort. Ce fut pourquoi il continua de tirer dessus, décidant tout compte fait de grimper sur le muret pour y poser son fessier déjà frigorifié. Quitte à se mettre le cerveau à l'envers, autant le faire jusqu'au bout.
-Y'a pas d'autres endroits dans tout ce foutu château pour que tu me colles Black ?, asséna le Serpentard, d'un air las.
-Mérites-tu vraiment que je t'adresse la parole ?, répliqua Sirius en s'asseyant aussi confortablement que possible sur les pierres gelées.
-Tu es le premier à l'avoir fait.
-Pauvre crétin !, balança le Gryffondor, sans retenue.
-Je croyais qu'on avait dépassé le stade des incivilités pour ce soir. A moins que, comme d'habitude, tu en sois incapable..., ajouta-t-il avec une voix un peu plus rauque que d'ordinaire, un large rictus aux lèvres.
C'est qu'il n'avait pas tort, ce con. Et il s'en amusait bien. Mais Sirius sentait que sa verve n'était pas aussi acide qu'à l'accoutumée. C'était une joute étrangement plus "cordiale", dans laquelle ni l'un ni l'autre n'avait l'intention de se laisser faire. Peut-être était-ce l'état dans lequel Rogue se trouvait qui permettait cette ambiance plus... décontractée ? Ou bien celui de Sirius qui semblait plus déprimé que d'ordinaire ?
-Tu crois que j'ai envie de parler avec toi de la pluie et du beau temps peut-être ?
-J'ose espérer que ce n'est pas le cas et que tu as un peu plus de conversation que ça...
-Bien sûr que j'ai de la conversation !, s'indigna le Gryffondor, le rouge lui montant rapidement aux joues malgré la brise fraiche qui lui fouettait le visage.
-Je ne l'ai vraiment pas remarqué depuis toutes ces années. A part des sorts et des insultes, rien d'autre ne sort de ta grande bouche.
- Ma grande bouche t'emmerde.
- J'en doute vraiment pas, ricana Rogue en jetant son mégot.
Contrairement à ce que Sirius espéra, il ne partit pas et fouilla plutôt dans sa veste pour attraper un étui argenté d'où il tira de quoi fumer encore, et ce contenant était loin d'être vide.
N'était-il pas déjà assez défoncé pour la soirée ? L'aîné des Black avait tout de même remarqué sa léthargie inhabituelle et ses, bien trop larges, sourires moqueurs.
Puis après tout, en quoi cela le regardait ? Rogue pouvait bien sauter de la Tour d'Astronomie s'il le voulait, le Maraudeur s'en fichait, il n'était pas allocentriste et encore moins préoccupé par ce serpent.
Mais il le scruta quand même, s'attardant sur ses longs doigts pales lorsque le futur Mangemort alluma son joint d’un mouvement de sa baguette aux fines gravures.
-Tu critiques mais je suis certain d'avoir bien plus de conversation que toi.
-Prouve-le dans ce cas.
-Mais je n'ai rien à te prouver !
-Franchement, je me demande encore si tu n'es pas un bébé échangé à la naissance. Tu n'as vraiment aucune ressemblance avec ton frère ni avec les Black en général, mentionna le Serpentard avant d'aspirer entre ses doigts.
-Et c'est tant mieux ! Si tu crois que je veux suivre les idéologies à la con de Sang-Pur, je préfère clairement ma situation de fils déshérité. Dommage que Regulus soit tombé si bas, se renfrogna-t-il.
Vu l'heure avancée de la nuit, l'air se refroidissait de plus en plus. Les deux élèves frissonnèrent légèrement, l'hypothermie induite par le cannabis n'aidait pas, même si le fait d'être défoncé leur permettait de ne pas ressentir complètement cette sensation glaciale.
-D'ailleurs en parlant de Reg', les rumeurs vont bon train hein ? Parait-il qu'un lien étroit... que dis-je... un lien TRES étroit vous unirait.
Deux plaques rosâtres apparurent sur les joues du concerné, qui ne pipa mot, se contentant de tirer encore plus avidement sur son pétard. Sirius le remarqua, interprétant cela comme une honte de sa potentielle virginité.
-Ouais de sacrées conneries ! Qui pourrait bien s'approcher de toi franchement. Même une bouteille de shampoing n'en est pas capable.
-Ta jalousie atteint des sommets, Black.
-Quoi ?! MA jalousie ? Mais qui peut bien être jaloux de toi, Servilus ! Tu peux bien te taper qui tu veux, même si je doute que ce soit humainement possible, je m'en contrefous !
-Allons bon... Le cabot m'a l'air bien en manque ce soir, ce n'est pourtant pas la période des chaleurs..., ironisa Rogue en se redressant, basculant ses jambes dans le vide.
Ce fut au tour du Gryffondor de rougir avant de rétorquer en le fusillant du regard :
-J'ai au moins une vie sexuelle, moi.
-S'accoupler avec tout Poudlard n'est pas censé être une fierté. Tu es tellement instable que tu n'es pas assez compétent pour avoir une relation de longue durée.
-Et c'est toi qui dis ça ?! N'ouvre pas ta bouche alors que tu n'y connais absolument rien !
-Mais qui te dit que j'y connais rien, Black, au juste ?
Le temps sembla suspendu pendant un long moment. Sirius était sidéré. Fixant d'un air hébété son opposant, il ne parvenait pas à assimiler cette nouvelle donnée. Rogue mentait, pour sûr. Mais le rictus vainqueur en face de lui le portait complètement à confusion. Soit il le menait en bateau et s'en gaussait, soit...
-Impossible..., balbutia-t-il, la bouche sèche.
Le rictus s'agrandit.
-Non...
Il se foutait de sa gueule.
-Tu prétends t'y connaitre juste parce que tu as lu l'intégralité des bouquins de la bibliothèque, c'est tout, se rassura-t-il.
-Ton imbécilité et ton égocentrisme t'empêche de prendre conscience que tout ne tourne pas autour de ta petite personne.
Sirius pinça les lèvres avant de répliquer brutalement, en le pointant du doigt :
-Je suis pas égocentrique !
-Tout doux Black, inutile de mordre. Je n'épiloguerai pas davantage de toute manière, je risquerai de blesser tes chastes oreilles.
-Mes chastes oreilles ?! C'est surtout que je vais te vomir dessus plutôt ! Qui peut bien vouloir te toucher et même te regarder franchement ! C'est carrément de l'ordre du sacrifice !
Ces remarques pourtant assez blessantes ne provoquèrent qu'un lever d’yeux au ciel à Rogue, lui qui avait tant l'habitude des moqueries des Maraudeurs et de ceux qui se joignaient parfois à eux. Les barrières mentales qu'il avait érigées pour se protéger de ce monde si injuste étaient solides désormais. Et puis en soi, il était bien assez stone pour se foutre complètement des propos baragouinés par ce clébard et resta silencieux.
Recrachant une fumée qui commençait à se faire de plus en plus brûlante, Sirius constata qu'il arrivait à la fin. Il avait clairement envie de continuer à s’exploser le cerveau. C’était plutôt sympa d’être aussi détendu. La solitude l'étouffait ces derniers temps et, même s'il haïssait Rogue, sa compagnie n'était pas si horrible actuellement. En vérité, il s'amusait clairement. Le garçon se roula donc un nouveau pilon, si chiadé qu’il fût assez fier du résultat.
-Toi qui aimes tant les Moldus, sais-tu ce qu'est une soufflette ?, questionna l'étudiant de Serpentard en lui jetant un regard à la dérobée.
-Hein ?, répondit-il, avec l'élégance qui le caractérisait, en allumant son deuxième joint.
-Non évidement... Tu ne sais jamais rien.
-Bien sûr que si !
-La preuve que non !
Sirius lui montra son majeur, se retenant de lui tirer la langue, en répliquant :
-Celui-là je le connais bien en tout cas.
-Puéril jusqu'au bout des ongles..., marmonna le jeune homme aux cheveux ébène tout en levant encore les yeux au ciel.
En guise de vengeance, l'aîné des Black s'approcha un peu plus de lui avant de rejeter une épaisse vapeur en direction de son visage.
-Pfff ! Cloporte va !, insulta Rogue en secouant sa main devant son visage pour dissiper ce qui commençait à lui piquer légèrement les yeux.
L'autre ricana, satisfait de l'emmerder autant, avant de l'interroger d'un ton teinté d'ironie :
-Tu disais ?
-Je parlais de soufflette, encore une chose que tu n'as jamais expérimenté, rétorqua le Serpentard en lui lançant un regard noir.
-Mouais encore un truc de tête d'œuf...
-Non, vraiment pas. Un truc d'homme plutôt. Je mets mon joint à l'envers dans ma bouche et tu t'approches pour aspirer la fumée. Cela m’étonnerait que tu réussisses à ne pas tousser.
Une grimace s'étira sur le visage de Sirius. Il n'était clairement pas convaincu de vouloir entreprendre un défi avec Servilus surtout si cela impliquait de se rapprocher de lui. Mais en audacieux Gryffondor, il ne pouvait manquer du courage dont il était constitué. Alors soit. Il s'avança vers l'autre garçon, mis ses mains en coupe comme ce dernier lui indiqua et inhala le nuage dense qui se commençait à se former. Il tenta de se reculer au moment où cela devenait trop fort pour lui, mais le vil serpent avait attrapé sa nuque pour le bloquer, l'obligeant à respirer encore quelques longues secondes supplémentaires avant de le relâcher.
Avec un large sourire qui dévoilait ses dents jaunâtres, Rogue observa son camarade tousser à en cracher ses poumons.
-Stupide bâtard !, articula Sirius entre deux quintes de toux.
Après avoir repris correctement sa respiration, il n'eut même pas la volonté de foudroyer du regard le Serpentard : sa perception de l'environnement s'était d'autant plus modifiée qu'elle ne l'était déjà et ce, assez brutalement. Son cœur battait désormais la chamade, des sueurs froides apparaissant à divers endroits sur son corps. Mais il se sentait bien. Sacrément bien ouais ! Il éclata d'un petit rire, ravivant légèrement la douleur de sa gorge sèche.
Pour être à l'ouest, il l'était. Fascinant. Le regard fixé sur les arbres dont les feuilles se mouvaient au gré du vent, les minutes filaient à une vitesse folle, son pétard se consumant sans qu'il ne s'en aperçoive. Celui de Rogue se termina à peine quelques minutes plus tard.
-Bonne nuit Black, souhaita ce dernier avec un rictus moqueur, amorçant un mouvement pour se glisser du muret vers la terre ferme.
-Attends ! S'exclama Sirius, la situation faisant éclater la bulle de pensées dans laquelle il s'était plongée malgré lui.
Severus Rogue l'observa, les yeux plissés. Son rictus avait disparu, laissant place à un masque mystérieux.
-Je...
C'était le moment de faire, encore une fois, preuve de courage. De dire ce qu'on avait à dire.
-Merci, murmura le Gryffondor, se mordant la lèvre inférieure.
Les sourcils de son interlocuteur se haussèrent d'étonnement. Il n'avait pas pensé que Black comprendrait sa démarche sous-jacente ni qu'il en arriverait à mettre sa fierté de côté.
La solitude les étreignait tous les deux. Et Rogue lui avait permis de ne pas y sombrer cette nuit.
-Ne me remercie pas, répondit-il en haussant les épaules.
Sirius posa soudainement sa main droite sur celle de Severus, l'empêchant d'engager sa descente vers le sol, en demandant :
-Un petit dernier ?
Une fugace expression de surprise apparut sur le visage de Rogue, avant qu'il ne décide de récupérer son étui dans son veston, provoquant un large sourire sur les lèvres de Sirius.
Gryffondor et Serpentard. Blanc et Noir. Lumière et ténèbres. Presque tout les opposait. Et pourtant, un rien fut suffisant afin qu'ils s'associent un bref instant. La vie était bien trop courte pour ne pas profiter du moment présent.
oOo
Cet OS a reçu le prix : Finalement ce n'est pas si dur de re-joindre son adversaire !