
Downing Street, Londres, l'an 1997
Brumeux. C'est au travers d'un épais brouillard que la lumière du réverbère en face de la porte noire du numéro dix clignota plusieurs fois, avant de s'éteindre définitivement. Noyée dans une obscurité inquiétante, la ruelle était vide. Glaciale.
John tira le rideau avec un soupir découragé. Encore un peu de lecture et il irait se coucher. Rejoindre Morphée, pour oublier. Enterrer les émotions et les difficultés de la journée qui ne faisaient que s'intensifier. Tenter d'amoindrir ce stress et ces montées d'adrénaline qui ne lui causaient que des problèmes de santé. Le responsable du département de la sécurité intérieure n'avait eu de cesse de lui rappeler que le pays était en crise majeure et qu'il fallait agir. Comme s'il ne le savait pas. L'époque était devenue de plus en plus sombre et il connaissait la malheureuse origine de tous ces désastres quotidiens, confirmée depuis la visite de Rufus Scrimgeour il y a quelques mois déjà. Le chef du gouvernement s'était attendu à recevoir des informations de sa part un peu plus régulièrement, vu la situation, mais rien.
Le tonnerre gronda, par trois fois. Une baguette magique s'agita dans l'ombre de la pièce, près de la cheminée. Le loquet de la porte se verrouilla sans bruit.
Assis à son bureau, après avoir jeté un rapide coup d'œil à l'étrange portrait qui ornait le mur à l'opposé, l'homme remonta ses lunettes sur son nez. Il n'aimait guère cette oppression qui le tenaillait en ces froides soirées. Des frissons malaisants galopèrent du bas de son dos jusqu'à sa nuque. Il s'essuya le front d'un revers de main moite, examinant à nouveau autour de lui. Le portrait était immobile. Il n'y avait que sa propre respiration et le son du papier sous ses doigts qui brisaient ce fracassant silence. Cette sensation d'être observé, ne le quittait pas depuis plusieurs jours. Il devenait fou.
Carrant ses épaules et résistant à l'idée de reprendre quelques comprimés, John reprit sa lecture. Le rapport des récentes découvertes technologiques pour lutter contre la criminalité qui sévissait était bien dense. Même si cela ne permettrait pas de déjouer les conséquences de la guerre du monde des sorciers qui retentissaient à tout niveau, les bénéfices promis semblaient intéressants pour le pays. Il tourna une page, relevant le regard sur un schéma complexe, alors qu'un peu plus loin, le bâton de bois de vigne s'animait une seconde fois.
Tandis que la pluie frappait la fenêtre mélodiquement, le cabinet du Premier ministre s'illumina d'une douce nuance mentholée.
---
Parcourant les couloirs du Parlement britannique, une femme à l'air strict, âgée d'une cinquantaine d'années, accentua le bruit de ses talons, perturbant les conversations des membres qui l'observait d'un œil circonspect pour la plupart, envieux pour d'autres. La séance au sein de la Chambre des Communes était terminée, son intronisation validée. Il ne lui restait plus que le discours devant la presse avant de pouvoir souffler. Le rythme en devenait insoutenable, mais elle restait satisfaite du court débat mené entre les deux Chambres. Son opposant politique ne faisait plus le poids depuis la veille. Les découvertes très récentes des journalistes sur ses incartades conjugales laissaient le doute planer sur sa capacité à diriger l'Angleterre de manière éthique. Et cela avait été très profitable à l'adversaire qu'elle était.
Le portier lui laissa le temps de se glisser agilement sur la banquette arrière de la Jaguar avant de claquer la portière. Le chauffeur accéléra sur-le-champ, direction le 10 Downing Street. Elle récupéra le porte-documents posé à sa gauche et en retira une pile de journaux, ses yeux bleus s'attardant principalement sur les gros titres.
"Mort du Premier ministre, Mallory Devious favorite à sa succession !" selon The Times, ce matin. Les suivants manquaient d'originalité, à croire qu'ils copiaient tous les uns sur les autres. Elle survola les articles avant que la voiture ne se gare quelques minutes plus tard, il était l'heure de faire bonne figure devant les concitoyens.
---
Prenant enfin une complète possession des lieux, après une visite coordonnée par le personnel de la résidence, Mallory s'installa dans son nouveau cabinet. La pièce était spacieuse avec des murs blancs et des fenêtres donnant sur le parc d'un côté et la rue de l'autre. Des fauteuils confortables étaient disposés autour du bureau et d'une petite table basse.
Le grand ménage avait été fait, aucun effet personnel de son prédécesseur ne subsistait. Elle détailla les décorations et l'ameublement, changea quelques dispositions qui n'étaient pas à son goût, puis observa les cadres de la pièce. Un paysage connu de Graham Sutherland, un tableau de Hockney et une autre œuvre qu'elle ne reconnaissait guère. Amatrice d'art depuis sa tendre enfance, la femme d'âge mûr qu'elle était aujourd'hui avait une culture artistique développée, principalement dans les peintures britanniques.
Et cet inconnu portrait suscitait grandement sa curiosité.
Elle s'approcha, contemplant la petite silhouette d'un homme arborant une perruque grisâtre, représenté dans un vieux tableau aux ornements assez travaillés. L'individu ressemblait fortement à... une grosse grenouille et l'idée lui arracha un sourire.
Son cœur loupa un battement. Mallory aurait juré l'avoir vu ciller. La fatigue lui jouait des tours, ce n'était qu'un simple portrait. Elle avait sûrement cligné des yeux trop rapidement. Cherchant la signature du peintre en bas à droite, puis partout ailleurs sur le tableau, elle remarqua que rien ne figurait. Étonnant.
Le téléphone sur son bureau sonna, mettant fin à sa distrayante inspection.
---
-Des doutes pèsent sur la cause de la mort de Sir John Major.
La Première Ministre fronça les sourcils avant de répliquer, un peu sèchement :
-N'est-ce pas vous qui avez signé le rapport concluant une mort par crise cardiaque ?
Le chef du service de la sécurité pinça ses lèvres, faisant ressortir sa mâchoire carrée. La petite réunion d'urgence de ce matin lui chauffait les oreilles.
-Eh bien... L'expertise du médecin légiste confirme cette possibilité, oui... Mais... Je ne vous cache pas que la suspicion d'un assassinat circule dans l'air. Les enquêteurs qui ont vu le corps trouvent ce décès plutôt anormal et le médecin a insisté sur l'absence d'élément justifiant cette cause.
-Qu'entendez-vous me dire par là ?
L'homme aux cheveux bruns coupés à la militaire gigota sur son siège.
-Ma sécurité est-elle menacée ? demanda-t-elle sans la moindre tonalité d'inquiétude.
-Non ! Non bien sûr que non ! Toutes les élites sont en place, tous les services ont été coordonnés pour assurer votre sécurité vingt-quatre heures sur vingt-quatre. répondit-il hâtivement de sa voix grave.
Après quelques secondes de silence, Mallory reprit :
-Monsieur Cooper. J'ai une famille et des enfants et je viens juste d'être nommée à la tête de l'Angleterre. Je compte sur vous pour saisir l'enjeu et les risques qui pèsent sur mes épaules.
-Je... Évidemment Madame la Première ministre. Je peux vous assurer que vous disposez de la meilleure protection qui soit. Nous allons faire la lumière sur la situation et-
-Cela ne sera pas nécessaire. Utilisez vos équipes pour ma sécurité et celle de mes proches, je pense que c'est le plus important. Avec celle de la Reine et de sa famille bien sûr, mais je sais que cela n'est pas de votre ressort immédiat.
-Tout à fait Madame la Première Ministre. Concernant l'effondrement du centre commercial...
Elle retint un soupir, lissant son impeccable tailleur bleuté en regardant la silhouette musclée qui lui faisait face.
-Je me rendrai à Manchester. Les familles des victimes méritent qu'on s'intéresse à leur situation et je ne vais pas me cacher derrière des discours télévisés. La communication sur mon déplacement devra être faite, mais retardée comme vous l'avez suggéré.
-Bien, j'en informe immédiatement mes équipes.
---
"La Première Ministre se rend sur les lieux de la tragédie d'Arndale : un bilan provisoire de 4 morts et de nombreux blessés."
Replaçant une mèche de cheveux blonds derrière son oreille, la Première ministre du Royaume-Uni referma les pages du Sun et le posa sur la table. Tournoyant sa cuillère d'argent dans son thé fumant, elle se demanda quand cesserait toutes ces catastrophes. Même la Reine Elisabeth II, qu'elle avait vue la veille lors de sa visite hebdomadaire à Buckingham, s'inquiétait des événements funestes qui se succédaient : un nombre conséquent d'attaques terroristes, des incendies, des déraillements de trains, des meurtres inexpliqués à la pelle et la liste ne s'arrêtait pas là. Le pays allait-il retrouver un semblant de normalité ? Il devenait urgent qu'elle présente son plan de restriction radicale des libertés individuelles de la population.
Un toussotement résonna à l'opposé de son bureau. Le vieil homme du cadre. Elle se figea. Ce n’était pas un simple portrait. Un grondement sourd retentit. Des flammes vertes jaillirent dans la cheminée avant qu'une personne n'en surgisse, suivie rapidement d'une seconde.
-Pius ? s'étonna Mallory, étrangement peu affectée par cette arrivée magique, reconnaissant la chevelure noire parsemée d'argenté et le visage barbu de l'homme.
-Bien le bonjour Madame la Première ministre, salua Pius Thicknesse, un drôle de sourire exagéré aux lèvres, je suis heureux de voir que tes efforts ont payé pour obtenir ton poste.
Elle le remercia, les rejoignant devant l'âtre encore crépitant et lui serra la main.
-Sache que tu fais désormais face au nouveau Premier ministre du Ministère de la Magie. Cela fait déjà quelques mois, mais je n'ai guère eu le temps de venir avant.
-Félicitations ! Quelle belle promotion, je me désole de constater que mon fils ne m'a même pas informé.
-Il est très occupé au Ministère également. Nous avons... tant de choses à régler.
Se tournant vers son acolyte qui était relativement grand, avec un visage arborant des traits durs et un sourire froid, Pius continua :
-Et voici Corban Yaxley. Il viendra de temps en temps pour vérifier la sécurité. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un chef de gouvernement dont on connait les valeurs.
Yaxley hocha rapidement la tête en guise de salutation avant d'examiner scrupuleusement autour de lui. D'un geste souple, il fit tournoyer sa baguette en bois de vigne en direction de la porte pour la verrouiller. La réunion prévue concernant les mesures à étudier pour le contrôle des Moldus pouvait désormais débuter.