
Son cœur battait la chamade. L'excitation était là, influant sur ses sens et son souffle. Cheminant à travers ses parois sanguines. L'adrénaline. Son carnet ligné entre ses mains moites, il demanda confirmation, ses pièces d'or tintant jovialement dans sa poche :
-Les Flèches d’Appleby vainqueur contre les Pies de Montrose ? Vraiment ?
-Oui, j'ai plutôt foi en leur victoire cette année.
-Bien bien... Je note Appleby vainqueur, 30 gallions.
Les yeux bleus du bookmaker brillaient, d'une lueur excitée presque enfantine sur son visage arrondi. Il écrivit frénétiquement, fronçant les sourcils.
-Par Merlin, c'est un pari sacrément audacieux. Ce serait presque incroyable que Keedle ne parvienne pas à prendre le vif d'or !
-Il est bon mais... Je parie qu'avec un nouveau poursuiveur dans leur rang, les Pies seront plus affaiblies, commenta Arnold Bondupois, le seul Oubliator qui avait bien voulu miser pour la première fois.
Pointant les barbes de sa plume vers son interlocuteur en des mouvements énergiques, Ludo Verpey composa un large sourire en s'exclamant :
-Oui... Oui c'est une très bonne réflexion ! Je pense t'offrir un bon rapport là-dessus !
Il referma son carnet d'un geste enthousiaste avant de l'enfouir à l'intérieur de sa vieille robe de Quidditch rayée jaune et noir.
-Je dois filer, j'ai encore quelques parieurs à retrouver. On se voit après le match !, s'écria-t-il en sortant du bureau de sa démarche sautillante.
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Les jours où il volait comme un dragon à travers les cieux sur son balai semblaient faire partie d'une époque bien lointaine. Aujourd'hui, son bureau au Département des jeux et sports magiques était une prison dorée où il jonglait entre l'esquive de la paperasse et les stratégies de gestion de son service. Les rêves de victoires épiques étaient maintenant des souvenirs ensevelis sous des montagnes de dossiers et de regrets amers.
Ludo avait toujours aimé le frisson du jeu, l'euphorie qui prenait possession de lui à chaque mise. Mais ce qui avait commencé comme un passe-temps inoffensif avait rapidement dégénéré. Il s'était retrouvé pris au piège.
Endetté jusqu'au cou, Ludo était hanté par les visages en colère de certains de ses créanciers qui le poursuivaient. Leurs menaces grondaient dans sa tête. Comment avait-il pu en arriver là ? L'attrait de l'argent facile avait obscurci son jugement. Maintenant, il payait le prix.
Ses nuits étaient des cauchemars éveillés. Étouffants. Les yeux en forme d'amandes des gobelins l’intimidaient. Le traquait sans relâche. Comme une ombre sinistre toujours à ses trousses.
Analysant les mises et résultats sur son carnet à la lumière de la lune, Ludo soupira. Seul dans son appartement, il ferma les yeux, avalant une nouvelle gorgée de Whisky-Pur-Feu, brûlant sa gorge comme il aurait aimé brûler ses dettes.
L'homme était pourtant certain qu'avec encore quelques paris gagnants, il pourrait tout arranger.
En jetant un regard vide sur sa vieille tenue de l'équipe des Frelons de Wimbourne, un nouvel espoir se forma dans son cœur.
La Coupe du Monde de Quidditch avait lieu cette année.
Son estomac fit un Double-huit.
Il avait hâte.
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Après le match de Quidditch opposant la Bulgarie à l'Irlande, Ludo Verpey avait la sensation que la pression qui s'était momentanément allégée, s'alourdissait brutalement. Il avait pu profiter d'un court et intense spectacle mais le retour à la réalité était violent, telle une feinte de Wronski mal exécutée.
Les deux jeunes Weasley vinrent réclamer leur dû, et ils ne seraient pas les seuls. Semant la plupart de ses créanciers par des flatteries et fausses promesses pendant la soirée, le directeur du Département des jeux et sports magiques se retrouva à marcher dans les bois autour du camping, perdu dans ses pensées.
Sentant une présence soudaine derrière lui, des frissons lui glacèrent le sang. Avant même qu'il puisse se retourner, une voix sévère retentit.
-Verpey, nous avons des comptes à régler.
Les gobelins l'encerclèrent, leurs regards durs ne laissant aucun doute sur leurs intentions. Ludo avala difficilement sa salive, ses dettes impayées lui revenaient à nouveau en pleine face. Esquissant un sourire tremblant, il commença son habituel numéro :
-Ah oui, je sais, je sais. Je vous cherchais depuis la fin du match, dit-il d'une voix qu'il essaya de rendre enjoué, Je dois récupérer les nombreux gains avec la victoire de l'Irlande pour vous rembourser. Ernest Billington a perdu près de 100 Gallions en pariant sur les Bulgares, ce vieux fou !
L'un des Gobelins leva un sourcil sceptique :
-Nous n'avons pas de temps à perdre avec des promesses vides. Montre-nous ce que tu as sur toi.
Ludo, blême, se résigna et vida ses poches, exposant son maigre butin composé presque en totalité d'or de farfadet. Les gobelins prirent les quelques pièces, les évaluant avec dédain.
-Cela ne couvrira même pas un quart de ce que tu nous dois, grogna l'un d'eux.
Le cœur de Ludo se comprima alors qu'il tentait de calfeutrer sa panique grandissante.
-Je vous promets que tout va être régler d'ici peu...
-Les promesses, c'est tout ce que tu sais faire, Verpey, le coupa rudement celui qui avait une carrure de chef, Mais cette fois, nous sommes à bout de patience.
-Voyons, vous savez que je vais vous régler ! Je l'ai toujours fait, s'exclama-t-il en forçant ses lèvres à étirer un sourire charmeur, Je ferai tout pour. Il me faut juste un peu de temps...
Les gobelins échangèrent un regard méprisant, puis se tournèrent vers lui.
-Si tu veux une chance de te racheter, tu as intérêt à nous rembourser rapidement. Sinon, tu le regretteras.
Ils commencèrent à partir, laissant l'homme seul dans les bois sombres. Le vent soufflait doucement, portant avec lui la crainte et l'amertume de la situation. Ludo resta là, abattu et vulnérable, réalisant que sa route vers une vie meilleure était encore plus ardue qu'il ne l'aurait imaginé.
Se passant la langue sur ses lèvres sèches, sa passion se rappela à lui. Avec quelques paris, il pourrait tout arranger, non ?
Une idée germa dans son esprit. Une chance de renverser la situation. S'essuyant le front d'un revers de main, il se tourna vers les gobelins qui s'éloignaient, le cœur battant dans ses veines.
-Il... Il y a quelque chose que je pourrais vous proposer !, lança-t-il d'une voix forte et déterminée.
Les gobelins se retournèrent, méfiants, mais curieux de ce qu'il avait à dire.
-Qu'est-ce que tu veux encore ?, grogna l'un d'eux.
Ludo prit une profonde inspiration.
-Le Tournoi des Trois Sorciers va avoir lieu à Poudlard. Je ne suis pas censé en parler d'ailleurs, mais je vous offre l'exclusivité sur cette information. C'est un événement de grande envergure, où il y aura d'énormes sommes d'argent en jeu. Si vous me laissez un peu de temps pour me préparer, je pourrais mettre en place un pari inoubliable. Imaginez les profits que nous pourrions réaliser !, finit-il avec une expression réjouie.
Les gobelins échangèrent un regard, semblant intrigués par cette proposition. Cet humain était assez reconnu au Ministère pour dire la vérité.
-Un pari sur le Tournoi des Trois Sorciers, hein ?, dit le chef de la troupe d'un ton pensif, Cela pourrait effectivement rapporter gros si tu sais ce que tu fais.
Ludo acquiesça énergiquement, ses cheveux blonds suivant le mouvement.
-Exactement ! Vous allez voir, ça va être fantastique ! Si nous travaillons ensemble, je pourrais vous garantir près du double de ce que je vous dois.
Le groupe de créatures se consulta en Gobelbabil, pesant surement le pour et le contre. Finalement, le chef se tourna à nouveau vers leur débiteur.
-D'accord, Verpey. Mais n'oublie pas que si tu nous déçois encore une fois, il n'y aura pas de seconde chance.
L'ancien batteur des Frelons de Wimbourne sentit un poids immense se soulever de ses épaules, une nouvelle frénésie tournoyant dans son plexus.
-Vous ne serez pas déçus ! C'est un évènement grandiose qui nous attend ! Alors vous vous doutez bien que l'enjeu est de taille ! Je-
Ils ne le laissèrent pas finir, se détournant de lui pour rejoindre le camping.
Secouant sa poche, l'enivrante symphonie du métal le plus précieux ne résonnait plus à ses oreilles.
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Chaque soir, la pression devenait insupportable. Ludo se retrouvait dans son appartement morose. Silencieux comme la mort. Prenant pour compagnie sa vieille amie au liquide ambré. Les murmures tentateurs de toutes les possibilités de paris s'insinuaient alors dans son esprit, l'appelant comme un chant de sirène irrésistible. Les sensations d'excitation mêlées à l'anxiété grandissante le laissaient à la merci de ses propres démons. Un véritable gouffre.
La course aux gains était une compétition frénétique contre le temps, une évasion temporaire de la réalité. Qui le rendait vivant. Une bouffée d'oxygène. Mais à chaque victoire suivait une chute plus profonde dans les abîmes du désespoir.
Ludo se sentait pris au piège, incapable de briser les chaînes qui le liaient à son obsession. Le monde extérieur s'estompait, laissant place à une spirale d'autodestruction.
Les souvenirs de ses jours de gloire sur le terrain de Quidditch semblaient maintenant si étrangers. Il contempla aigrement les quelques trophées qu'il n'avait pas encore vendu.
Son propre frère avait pourtant tenté de l'avertir.
-Tu ne vois pas à quel point ton comportement t'atteint ? Tu fais des paris à tout va alors que tu n'as même plus de quoi t'acheter une tenue décente...
Otto avait secoué la tête d'un air dépité avant de disparaitre. Comme les autres. Comme tous ceux qui l'avait abandonné.
Les souvenirs continuèrent leur envol.
-Je te trouverai une place au Ministère, Ludovic.
Cette voix. Oh non, pas elle. Grave et tentatrice. La seule qui arrivait à le faire trembler intérieurement. La seule avec qui il n'aurait jamais osé parier.
-Aucune inquiétude, tes petits secrets sont entre de bonnes mains.
Pas ce soir, supplia Ludo, en vain. Des mains douces mais intransigeantes. Des mains qui se posaient parfois sur son épaule en signe d'affection et dont les doigts se crispaient avec délicatesse comme les serres d'un aigle. Emprisonnant sa proie.
-Dis-moi donc ce que tu sais sur ce sujet...
Et Ludovic, enjôlé par ce visage impassible qui était le seul à le nommer ainsi, avait parlé. Trop parlé. Il lui semblait pourtant pouvoir faire confiance à Augustus, un ami de son père.
Face à cette aura magnétique qui le faisait frémir, le jeune Ludo n'avait jamais eu le choix. Il n'avait même pas tenté de l'avoir, la nervosité provoquée par cette présence lui faisait agréablement tourner la tête. Il aimait ce danger. Cette excitation.
Les larmes coulaient sur son visage alors qu'il buvait, cherchant à engourdir les émotions qui semblaient déchirer son âme.
La réminiscence s'évapora, ne laissant derrière elle que l'ombre d'un homme déchu par ses passions.
Si seulement les larmes pouvaient se transformer en gallions...