Cendres bleues

Harry Potter - J. K. Rowling
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Cendres bleues
Summary
Vous êtes ici pour apprendre la science subtile et l'art rigoureux de la préparation des potions. Ici, on ne s'amuse pas à agiter des baguettes magiques, je m'attends donc à ce que vous ne compreniez pas grand-chose à la beauté d'un chaudron qui bouillonne doucement en laissant échapper des volutes scintillantes, ni à la délicatesse d'un liquide qui s'insinue dans les veines d'un homme pour ensorceler peu à peu son esprit et lui emprisonner les sens...Oh non, George ne voulait rien comprendre à la potion qui coulait au coin de ses lèvres. Il voulait juste la paix.
Note
Contraintes dans les notes de fin ! Bonne lecture :)Cette Fanfiction a été écrite dans le cadre du fest’ organisé par FESTUMSEMPRA sur le thème « Seven Deadly Sins » Auteurs, lecteurs, artistes… rejoignez le discord de Festumsempra ici : https://discord.gg/73rYkUNPTx OU Contactez-nous par mail : [email protected]

Tu sais… Je crois que je l’ai su dès que tu as crié.

 

Quelque part, la lame d’une faux fend l’air.

Dans le mouvement, un miroir se brise.

Quelque part, les grains s’échappent du verre d’un sablier, filent dans le vent.

Et le bleu devint gris.

 


 

Le vent ne soufflait plus. Les couloirs de Poudlard étaient maintenant silencieux, comme assourdis par la guerre. L’on entendait que la cendre se déposer sur le sol de pierre, le couvrant d’un manteau gris. Gris comme l’orage qui grondait au loin.

George ne voulait pas voir le gris. Il voulait voir le bleu.

« Fred ? »

Il a les yeux humides, rivés sur des paupières clause.

« Fred… ? »

Le silence lui répondit. La cendre s’accumula comme la neige sur la cime des arbres. L’orage gronda, lourd de mauvais présages.

« Vieux, reste pas ici. Il faut rejoindre les autres. »

Fred ne bougea pas, ni n’ouvrit pas les yeux. Il n’offrit pas ce bleu électrique que George voyait dans le miroir chaque matin.

« Je suis désolé. Je reste avec toi, d'accord ? »

Mais personne ne parla.

 


 

Le parchemin était gris.

Normalement, il est jaune.

Normalement, il devait être noirci de notes ; ce doit être une commande de potions pour leur magasin. Une idée de Fred.

Le silence régnait dans la pièce sombre. Une horloge ne tiquait plus dans un coin de la chambre, enfoui sous des draps. Des objets prenaient la poussière, ainsi que les meubles sur lesquels ils reposaient. Le silence absorbait le moindre son venant de l’extérieur, isolant un homme silencieux. Dans la main crispée de George, l’encre sur la plume d’oie séchait. La seule source de lumière exploitable était le faible lumos brillant au bout de la baguette dans son autre main immobile. La lumière froide éclairait à peine le parchemin, point blanc étouffé par les ténèbres de la fin de journée.

Dehors, il faisait gris. Il va certainement pleuvoir.

Fred aurait certainement été le premier à briser le silence, lançant une idée de blague à faire aux clients. George aurait renchéri sur l’idée d’un passage secret pour relier le passage de la Sorcière Borgne à leur magasin. Fred aurait certainement émis l’idée d’un magasin dans l'arrière-boutique, où les élèves débrouillards et espiègles pourraient venir en cachette s’approvisionner en toute sorte de farce et attrape. Un vrai commerce qui aurait peut-être même fait paniquer le professeur Binns. Peut-être que leurs farces auraient servi à sauver la vie d'étudiants au pied du mur à l'arrivée des examens ou d'inventer un traceur pour éviter les harceleurs. Qui sait, peut-être aurait-on pu voir un jour un cours sur les jumeaux Weasley, de leur commerce parallèle et de comment ils étaient rentrés dans l’Histoire de Poudlard.

Et ils se seraient bien marrés, tous les deux, bien trop conscients d’être capables de réaliser cette idée. Leur idée.

Mais personne ne parla.

Le plancher grinça sous des pas. Quelqu’un avançait, lentement, comme s’il fallait ne pas faire de bruit. Les pas s’arrêtèrent sur le pas de sa porte.

Quelqu’un soupira ; peut-être sa mère.

« George ? »

Oui, c’était sa mère.

Sa tête était lourde. George se la prit entre les mains, lâchant la plume, laissant rouler sa baguette jusqu’à ce qu’elle chute du bureau. Le lumos s’évanouit, comme fatigué de lutter dans l’obscurité, une bougie qui a fini de brûler.

Dans le noir, George plongea en lui-même, dans son cœur rempli de nuage d’orage, se laissa couler dans des sables mouvants de cendres, s’y noya en fermant les yeux.

« George ? »

De plus en plus profondément, de plus en plus noir et gris. Ne pas tousser, Molly allait encore s’inquiéter.

« George ? »

Tout au fond, une étoile faible. Un éclat qui peinait à traverser l’obscurité. Un souvenir de ce que fut George Weasley. Un éclat de miroir dans lequel un regard bleu cherchait le sien, espiègle.

Les pas arrivèrent devant sa porte.

C’était là, juste ici, à portée de main. Il lui suffisait de lever le bras pour l’attraper.

La porte s’ouvrit. Une lampe magique s’activa et éblouit la pièce. Une tête rousse passa à travers le chambranle. George bondit sur sa chaise comme un ressort.

« Eh bien alors, mère ? On se croit chez soi ? »

Vraiment, George ? Tu as déjà fait mieux, mon vieux.

Molly sursauta, toujours cachée derrière la porte, les yeux écarquillés. George se demandait ce qu’elle voyait dans sa chambre, cet appartement pour deux personnes. Elle devait certainement voir un appartement vacant bien moins en désordre qu’à l’accoutumé. Dans l'une des chambres, George, assis au bureau collé au mur, tournant le dos au vide de la pièce, laissant le lit à peine fait et le sol caché par du parchemin. Ses yeux brillaient comme s’ils reflétaient le rire de son frère. Et sur son lit, la couverture bleue.

Molly retint ses larmes. Vraiment, George se demandait ce qu’elle voyait.

« Oh, George, je t’appelais et tu ne répondais pas... 

-Eh bien, je réponds maintenant ! Que se passe-t-il ? »

Son sourire lui fit rapidement mal aux joues. La cendre grise remonta en tornade de son cœur pour étouffer sa voix et lui piquer les yeux.

« Il est bientôt l’heure de manger. »

George hocha la tête. Sa voix était bloquée. Son larynx le brûlait maintenant et lui faisait monter les larmes. George construisit un barrage mental pour bloquer ses larmes.

Pas devant maman.

Molly le fixa, puis hocha la tête avant de disparaître derrière la porte. Ses pas s’éloignèrent dans l’appartement, lentement.

George toussa. La bile lui brûla l’estomac.

Son humour se ternissait.

Reprends-toi, mon vieux !

« Il faut que tu m’aides, Fred. »

Mais personne ne parla.

Vraiment, George demandait ce que Molly voyait dans cette chambre, lorsqu’elle poussait la porte. Comme lui, voyait-elle ce vide, cette chambre figée à jamais, ces objets qui prennent la poussière ? Comme une photographie en noir et blanc qui n’avait pas encore pris de teinte sépia ?

Voyait-elle que George se fondait petit à petit dans ce décor ?

 


 

Ce matin, il faisait gris. Le ciel était au bord des larmes, lui aussi. George a mal à la gorge, ce matin. Les grains de poussières étaient en suspens dans l’air, ternissant les rayons du soleil levant. Les teignant en gris.

Gris, gris et encore du gris.

Au moins, le barrage tenait encore, ce matin.

Ne serait-ce que faufiler son bras de sous la couverture bleue, hors de la chaleur de la laine, le fit frissonner. Fred aurait déjà été sur le palier de sa chambre pour le presser de s'habiller. Quoiqu’il n’en aurait pas eu besoin : lorsque Fred se levait, George le suivait et vice versa. Mais ce matin, il était seul. George ferma les yeux, inspira, expira et tira sur le drap.

L’on aurait dit que l’hiver arrivait en avance dans sa chambre pour venir geler jusqu’à son corps, ses os, son cœur. Ses poils se hérissèrent et un frisson remonta le long de son dos.

« Fouh ! Un froid de canard ! Hein Fred ?! »

Mais personne ne parla. Il se prit à prier Merlin que ni sa mère ni Ron ne l'aient entendu.

Il s’assit, les dents serrées. Les draps blancs semblaient l’appeler, sa peau le tirait, réclamait la chaleur de la laine, de son lit. Ses jambes s’affaiblirent lorsqu’il se leva finalement, mais elles tinrent sous son poids. C’était bon signe.

Avant debout au bord de son lit en pyjama, il était maintenant dans le couloir sombre, habillé de son costume de travail à écouter les rumeurs qui grouillaient dans le salon. George ne se souvint pas de s’être changé, ni d’avoir passé le seuil de sa chambre. Figé dans le couloir éteint, il n’écoutait pas, même s’il pouvait entendre, ce que Ron et Molly racontaient ; tout n’était qu’un brouhaha. Un brouillard gris qui partait du salon jusque dans le couloir, glaçant George dans le couloir.

À côté de lui, il y avait une porte. Fermée à double tour, en face de la chambre de George à la porte entrouverte. Le seuil de cette porte scelée prenait la poussière.

Une porte de chambre aussi grise que le voile de la chambre du Département des Mystères. Son ombre voilait le visage sombre de George.

 


 

 « Tu as besoin d’aide pour les caisses ? »

George sursauta. Il n’avait pas entendu son frère rentrer. Non pas qu’il se faisait discret ; il mâchait son cannelé à la barbe à papa comme un chewing gum, la bouche ouverte et la langue glissant sur ses dents.

Ron comme Molly étaient chez lui depuis quelques semaines, pour l'aider. George oubliait parfois qu'il y avait de la vie dans l'appartement et se faisait facilement surprendre.

« Par Merlin, j’espère que tu n’as pas vidé la cave.

-Ce n’est que le quatrième ! Maman a vraiment un don.

-Laisse mon commerce en profiter alors. Ne mange pas tout. »

Fred aurait certainement rebondi sur le commentaire de George. Mais personne ne parla.

« Ton commerce peut s’en passer, tu n’es pas Zonko !

-C’est ça, mais limite toi à un panier, laisse une chance aux enfants. Et oui, j’ai besoin d’aide pour les caisses de potions. »

Ron avala le dernier morceau en se léchant les doigts. Personne ne parla, seuls les bruits de succions suivaient George jusque dans l’arrière-boutique. Ce n’est qu’une fois dans la court de cette dernière que Ron parla.

« Qu’est-ce qu’il y a comme potions ?

-En plus de la potion d’amour, j’ai commandé des lots de potions chatouilles, potions grenouilles, philtres de paix, de rire…

-On ouvre une section pharmacie ?

-Ces potions n’ont pas besoin de certification de madicomagie pour être vendues.

-Ça va se vendre, au moins ?

-Il y avait de la demande, alors je me plie à la volonté du client pour subvenir à nos besoins.

-À t’écouter parler, j’entends Hermione… »

Ron déballait un bonbon lorsqu’un homme transplana devant la court du magasin, devant les frères Weasley.

« C’est pour la commande de potions.

-Vous êtes au bon endroit. Bienvenue ! »

Le livreur hocha la tête et d’un coup de baguette fit apparaître cinq petites caisses tenues par une corde.

« Euh, t’as commandé si peu ?

-Ta chère fiancée a popularisé le sortilège de réduction avec son sac sans fond, une vraie amélioration des transports ! 

-Ce n’est pas ma fiancée… 

-Pour les potions en tout cas, ça marche du feu de Merlin. »

George s’occupa de signer le bon de commande.

« Normalement vous êtes deux à signer, non ? J’ai deux Weasley sur la fiche. »

George regarda le livreur. Le sourire qui tirait ses lèvres lui fit mal.  

« Oh, c’était avant la guerre, mon cher. On manque d’effectif depuis. »

Ce dernier le fixa d’un air vide. George lui rendit son regard. Ron mâchait la bouche ouverte, plongé dans ses pensées. George voyait la poussière de la rue tournoyer derrière le livreur, qui, toujours, le regardait d'un air vide, la fiche tendue.

On fait tourner les rouages...

Soudain, la lumière se fit dans ses yeux de merlan frit. Le livreur se mit à toussoter et détourna le regard, les joues rouges.

« Ça devrait aller. Appelez-nous s’il manque des articles.

-Ce sera fait ! »

Fred aurait fait une blague.

Mais personne ne parla. Sous le silence des Weasley, le livreur s'en alla.

Les cinq caisses furent faciles à transporter ; un coup de Leviossa et le tour était joué. La pièce dédiée aux potions semblait trop grande au premier abord. Une pièce dans laquelle Fred et George avaient pris du temps pour préparer chaque emplacement pour les articles à venir. La commande de potions était l’idée de Fred. George pouvait parfaitement l’imaginer se frotter les mains.

En plus de s’enrichir, on rend les gens heureux. Si ça, ce n’est pas beau, frangin !

Le regard du jumeau tomba sur la caisse la plus proche. Gravée dans le bois dans une calligraphie soignée, elle semblait briller de blanc dans la pénombre de la pièce encore vide.

Philtres de paix.

Heh, Rogue a dû en parler en 5e année.

 Aujourd'hui, nous allons préparer une potion qui est souvent demandée au Brevet Universel de Sorcellerie Élémentaire. Il s'agit du philtre de Paix, destiné à calmer l'anxiété et à apaiser l'agitation.

Les paroles plates de son ancien professeur lui revinrent avec une clarté étonnante. Il pouvait presque entendre la voix grinçante à son oreille comme s'il était présent.

Mais personne ne parla.

George et Ron déballèrent les caisses d’un coup de baguette.

Les fioles, d’abord de la taille d’un doigt, grandirent toutes pour devenir grosses comme des oranges ou longues comme de belles asperges. Toutes les étagères se remplirent de fioles colorées.

« Oh ! Ça rentre pile poil !

-On a bien calculé avec Fred. D’ailleurs qu’en penses-tu ?

-Bah… c’est bien. »

Fred ne répondit pas à George.

Fred aurait déblatéré sur leur puissance de calcul en tant que duo. George aurait renchéri sur la capacité à dominer le monde à deux. Fred aurait imaginé, certainement, comment ils auraient pu faire cette pièce à Poudlard en piquant dans la réserve de Rogue. George aurait renchéri sur la manière de brouiller Rusard, d’utiliser Peeves pour détourner l’attention de Rogue.

Ils auraient ri, sachant à quel point ils étaient capables de faire cette idée folle.

Ils auraient ri, gloussant toute la journée jusqu’à la fermeture de la boutique.

Mais personne ne parla.

« Du coup, je peux prendre mon après-midi ? »

George se tourna vers son frère ; il grignotait une sucette.

« Pour quoi faire ? Manger ? »

La pique fit rougir Ron.

« Tu es mauvais depuis quelque temps… »

George haussa les épaules.

« Je ne sais pas, moi non plus, je devrais demander à Fred. »

Silence.

Ron grogna. Tourna le dos à George.

« Je vais à la caisse, si c’est comme ça. »

George se pinça l’arrêt du nez. Les images de la guerre se superposèrent dans son esprit cotonneux ; les larmes de sa mère sur le sang de son frère, le tout saupoudré de cendre, teintant le tout de gris.

Le gris, le gris, encore et toujours le gris.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, semblable à des étoiles dans un ciel sans lune, trônaient des bouteilles fines et longilignes. Le liquide à l’intérieur était blanc, comme du lait ou du coton et semblait briller dans le noir. Vraiment, la comparaison avec les étoiles semblait plus que pertinente.

Les philtres de paix.

 


 

« George, j’ai fait le compte des articles. Le compte est bon. »

Le roux hocha la tête. Les deux frères se fuirent du regard. Fred aurait dit quelque chose.

« C’est l’heure pour moi d’y aller, je vais chez Hermione ce soir.

-Passe-lui le bonsoir de ma part. »

Ron ne répondit pas, quitta la pièce, claqua la porte, faisant sonner la cloche de l’accueil. Le silence tomba. Fred aurait fait une remarque.

George soupira. Travailler avec son frère n’allait pas être possible encore longtemps. En un simple coup de baguette, George dénombra un article manquant.

Il quitta son magasin à pied, comme il le faisait avec Fred lorsqu’ils rentraient ensemble. L’orage menaçait les habitants du Londres magique, ce qui n’empêcha pas le roux de s’installer dans le jardin d’à côté, sur un banc près de la fontaine centrale. Des enfants y jouaient sous le regard de leurs parents. Des vieux sorciers lisaient la Gazette du Sorcier, qui titrait en gros, dansant sur le papier.

LA PAIX, ENFIN, MAIS APRÈS ?

George sortit un flacon de sa veste. La surface blanche dansait dans le verre, laissant une traînée irisée couleur opale. Il fallait le dire, il ne se souvenait pas qu’elle était aussi belle. Peut-être parce qu’il s’était amusé avec Fred à la rendre tout sauf blanche durant les travaux pratiques. Rogue s’était arraché les cheveux lorsqu’il était venu évaluer leur philtre, qu’ils avaient réussi, d'une manière ou d'une autre, à rendre la potion verte caca d’oie.

George rit.

Le ciel est gris, comme le feuillage des arbres malgré l’été bien avancé. L’eau était pâle dans la fontaine. Ça manquait d’orange. Ça manquait de bleu. Ça manquait de Fred.

D’un geste, George porta la potion à ses lèvres.

Une gorgée. Pour voir si ça marche vraiment.

La potion est épaisse, comme la béchamel de Molly. Elle a le goût du coton. Le liquide enveloppa sa langue, son palais, son larynx, ses cordes vocales, son œsophage, son estomac, ses poumons, son cœur, ses bras, ses jambes, et enfin sa tête. Il se rependit comme une onde de choc, faisant voltiger la cendre en lui.

Sans s’en rendre compte, il avait fermé les yeux. Derrière ses paupières, tout était blanc. Lorsqu’il en prit conscience, il ouvrit les yeux.

 


 

Le firmament brillait tellement qu’il avait un bruit de fée à ses oreilles. Ce n’étaient pas des particules de poussières, ternes et absorbant la lumière. Chaque étoile semblait briller de leur plus belle intensité, comme un cadeau en son honneur. George redécouvrit le luxe d’observer ce balais de lumière figé, photographie du temps veillant sur le monde. Une photographie qui ne se teintera jamais en sépia.

Et il sourit. Le cœur brillait d’un blanc pur, libéré de la cendre. Son corps est léger, si léger qu’une brise pourrait le faire voler, là-haut dans le ciel avec les fées.

Ces étoiles si proches, maintenant qu’il est libéré de la cendre.

 

 

Si tu pouvais voir ce que je vois…

Peut-être que tu y es déjà.

Hein, Fred ?

 


 

Lorsqu’il transplana sur le palier du magasin, il resta un instant dans la rue, savourant l’air frais de la nuit d’été contre sa peau ; un vent doré aux nuances délicieuses de rose qui ressortait sur la toile bleue nuit. Les réverbères ressemblaient à des lucioles, leur lumière illuminant avec paresse les routes pavées d'un orange chaud, bienvenu dans le noir de la nuit.

Sa mère l’accueillit avec un sourire aimant, ses yeux pétillant un peu plus que d’habitude. George fut bien heureux de ne pas croiser Ron et sa mine boudeuse. Surtout ce soir.

« Tu as passé une bonne journée, m’man ? »

Molly le regarda avec tendresse, toujours souriante.

« Elle se finit bien en tout cas. »

Elle l’enlaça, une poigne forte et maternelle dans laquelle George se fond, le cœur léger. Dans sa poche, le philtre blanc brillait comme une étoile.

 


 

 

Ça fait longtemps, hein ? Tu me manques là-haut…

Reviens vite me voir !

 


 

Il se leva avec le sourire, une première. Le soleil embrassait sa peau comme un bonjour matinal qui chatouille.

Son corps bondit du lit avant le réveil, rechargé de la nuit de sommeil complète. À la boutique, lorsque Ron arriva (en retard), ce dernier ne put que saluer son frère avec un sourire tant George semblait déborder d’énergie.

La lumière était belle aujourd’hui, un blanc pur qui venait faire chatoyer toutes les couleurs de la boutique des Weasley.

George était aux anges. Son corps semblait presque flotter alors qu’il vaquait entre les clients, impatient de les satisfaire dans la recherche d’espièglerie en tout genre. Les parents riaient jaunes, les enfants riaient tout court, courant entre les présentoirs, se collant à la vitre d’exposition.

Et George souriait, accueillant, conseillant, argumentant sur tel ou tel produit. Son sourire étincelant ne lui faisait pas mal, la cendre s’était envolée au vent. Le même vent se levant sur le Chemin de Traverse, apportant l’orage.

Sur sa table de chevet, le philtre de paix renvoyait la lumière, sa robe blanche éclairant le lit fait de George.

 


 

La nuit vint avec les nuages. L’orage grondait comme une rage contenue.

Et personne ne parla…

 


 

Ce matin, il ne pleuvait pas. Pourtant George pleurait ce matin.

 Ses sanglots déchirèrent sa gorge comme un barrage cédant face aux tonnes d’eau qu’il contenait. Le béton s’effrita, ses débris s’écroulèrent dans sa gorge alors que ses yeux vomissaient des larmes salées, coulant à flot sur sa peau. Son cœur était étouffé par la poisse ; pas une lueur n’arrivait à percer à travers le noir.

Ce matin, le ciel était gris. Il n’y avait pourtant pas un nuage à l’horizon. Une belle journée. Il avait bien dormi après avoir bien mangé le généreux dîner de Molly. Fred l’aurait adoré. Ils n’auraient pas laissé une miette, provoquant certainement la colère de Ron. Ils auraient fait une blague, certainement, sur l'habitude de leur benjamin à manger tout le temps et qu’il ne devait pas vider les placards.

Ce matin il pleurait, car il faisait gris dans la pièce. Même la couverture bleue était grise. Et Fred ne dit rien. Et soudain George était dans son magasin, et le bruit l’assourdit, et il ne comprend pas.

George ne sait pas comment il s’est tiré du lit. Ni sa mère ni Ron n'ont pu le tirer du lit ; ils étaient rentrés à la maison familiale. À la demande de George. ll pensait que la couleur était revenue, que le gris s'en était allé.

Ce matin, il se souvient seulement d'avoir machinalement ouvert l’entrée du magasin, laissant les clients se faufiler dans les rayons.

Personne ne remarqua qu’il avait les yeux gonflés. Que ses iris bleus étaient voilés.

Personne ne lui parla, lui demanda sa nuit, comment il va.

Personne ne remarqua, pas même George lui-même, lorsqu’il attrapa un philtre de paix pour le glisser dans sa poche.

Il s’était retenu toute la journée, forçant son visage à porter un masque joyeux. La fiole pesait dans la poche de sa veste. La cendre était devenue de la poisse bleu pétrole dans son cœur, tanguant à lui donner le mal de mer. Il eut du mal à ranger les articles en rayons ; pour lui, tout était gris. Fred se serait certainement moqué de lui toute la journée, et George en aurait ri.

Mais personne n’a ri.

C’est comme s’il avait oublié de rire. En fait, George ne savait pas rire seul.

Le soir, il s’installa sur le banc, comme la veille.

Ce soir, comme hier, il prit une gorgée.

Ce soir, comme hier, la cendre fut balayée en quelques secondes.

Ce soir, comme hier, il se laissa voler vers les fragments étincelants suspendus dans l'infinité noir.

 


 

 

 

Salut George !

 


 

Ce soir-là il rentra juste avant que le soleil ne se lève, comme si George craignait que l’on mette la lumière sur sa nuit blanche à la belle étoile. George fit sa journée comme si de rien n'était. La couleur teignit sa journée, mais la fatigue s'accrochait à ses chevilles comme un enfant capricieux et chiard, réclamant sa sieste. Et Merlin que George pouvait s'endormir sur le comptoir, là, maintenant, alors qu'il a les Gallions dans la main. Il enviait sa couverture bleue.

Ce soir.

Le soleil se fatigua vite, aujourd'hui et laissa la place au noir. Ce soir, l'orage pleurait sur Londres, hoquetant parfois un tonnerre à faire vibrer les vitres. George était par terre, au pied du lit, la couverture bleue sur ses genoux. Il a une fiole à moitié remplie dans chaque main.

George leva une des fioles en l'air.

« Mais quand est-ce que je t'ai pris, toi ? »

La scène le fit rire. Un rire haché, silencieux, coincé dans la gorge. La cendre ponça sa gorge à le faire tousser, tousser à enflammer son larynx. Seule une fontaine de coton put étouffer les flammes, soulage la douleur, laissant la respiration devenir un soupir de soulagement.

Et personne ne parla.

 


 

Il ne s’est pas souvenu de son levé, ce matin.

« George ? »

Le roux s’ébroua.

« Oui ? 

-Les cours pour devenir Aurores vont commencer.

-Mhm.

-…

-…

-…

-Que veux-tu que je te dise ?

-Je sais pas… un truc que toi et Fred disiez tout le temps ? 

-…

-…

-Je suis fatigué, Ron. »

Les oreilles de ce dernier rougirent.

« Bien. Je dois te faire une lettre ?

-Non. »

La porte claqua. George croisa son regard éteint dans la vitre. Ses cheveux sont ternes, presque sépia. Et ses yeux son gris.

Et personne ne parla.

 

 


 

 

George s’est souvenu de son réveil, ce matin. Le ciel est bleu. Pas un nuage. Il arrive devant son magasin, le cœur lavé de toute trace de cendre. La lumière est timide, presque pastel. La poussière virevolte alors qu'il range les rayons, savourant le silence. Les clients sont timides ce matin.

Il range, il range, il prend la potion blanche et la glisse dans sa poche, et il range.

Et personne ne vient. George sort son planneur, pour vérifier qu'aucune commande n'est prévue aujourd'hui.

Aujourd’hui c’est dimanche.

George ne sourit même pas. Il secoue la tête, se moquant de son inattention.

George ne réfléchit pas au fait que pour lui, hier était un jeudi, alors qu’aujourd’hui c’était dimanche. Il ferme le magasin, maintenant étincelant de propreté, monte chez lui, s'assied au pied du lit et finit sa potion entamée.

Et personne n’en parla.

 


 

 

C’est le matin. Il se sent seul.

Et encore ces larmes, encore ce foutu barrage que cède ; l’on dirait qu’il s’affaiblissait malgré les reconstructions.

Que le gris prolifèrera toujours sur la couleur comme de la moisissure.

Fred n’aurait pas su comment réagir, le voyant dans cet état de bon matin.

Mais Fred ne parle plus depuis longtemps.

George leva les yeux de sous sa couverture. Il faisait gris pour cette journée de printemps. Ah non, c’était la potion blanche.

Le philtre de paix.

Allons, pas de bon matin…

C'était sa limite.

Le froid le gela, comme hier. Il fut plus que réticent à sortir du lit, bien tenté de se laisser choir dans le drap bleu.

Fred l’aurait tiré du lit à coup de pied au derrière. Fred se serait peut-être énervé. Fred aurait crié.

Fred aurait fait beaucoup de chose.

George attendit. Attendit que quelqu’un le lève de son lit. Sa mère le levait depuis… Depuis…

Le philtre filtra la lumière à travers sa robe blanche, comme une mariée dansant sous le soleil de midi.

Peut-être que George ne se relèvera plus jamais, si personne ne vient.

Peut-être qu’il restera dans cette couverture bleue, fusionnera avec la laine, remplacera ses veines par les fibres du tissu, que sa peau deviendra bleue, elle aussi, comme ces yeux qu’il n’a pu voir une dernière fois.

Peut-être que c’est mieux ainsi.

Peut-être.

Tu as peur des autres ?

Lorsque l’un doutait, l’autre servait d’épaule, enfin surtout du diable sur l’épaule.

Fred aurait…

Mais personne ne parla.

George vida la fiole.

Aujourd’hui, c’est mercredi. Le magasin restera fermé.

 


 

« Tu as pris ta semaine ? »

Ron était venu prendre des nouvelles.

« Ouais… quoi ?

-Bah ça fait une semaine que le magasin est fermé. T’aurais pu mettre un panneau ! »

George ne se souvenait pas d'avoir posé une semaine de congés.

« Je…

-T’as l’air épuisé en tout cas, tu fais bien de te reposer. À moins que tu n’aie pris cette semaine pour faire autre chose ?

-Quoi donc? 

-Bah je sais pas, dit le moi.»

Ron le regarda avec un sourire en coin. George sentit la blague, mais elle fut étouffée dans le brouillard de son esprit cotonneux. Il resta ainsi à fixer son frère jusqu'à ce que ce dernier toussote.

« Bon, alors repose-toi, hein ?

-Je ne fais que ça.

-Ah, et ça marche pas?

-Visiblement non... Peut-être que je rêve trop. Je suis dans le brouillard.

-Bah, peut-être prendre un philtre d’aiguise-méninge ?

-Non non ça ferait trop…

-Trop ? »

George ne parla pas.

« Alors peut-être une pimentine ou…

-Je crois juste que j’angoisse de… l’après, je pense.

-L'après ? Oh ! Alors le philtre de paix ! On en vendait beaucoup je crois quand je suis parti. D'ailleurs, tu gères le magasin seul ?

-Parfaitement...

-Mais pour le philtre de paix, il ne faut qu'un seul flacon, Quand j'ai parlé de ta commande, Hermione m’a dit que plusieurs en un mois tu pouvais te faire dormir pour toujours…

-Quoi, mourir ?

-Ouais, non. Elle avait dit plus coma, je crois. Ou peut-être la mort, ouais. Je sais plus trop. En tout cas faut pas en abuser. »

Ah bah oui, la paix n’est pas si simple à garder.

« Je vais y réfléchir. »

 


 

Le soleil ne s’était pas encore levé, mais une larme blanche coulait déjà du coin de ses lèvres. Dans le noir, il ne voyait rien. Il cherchait la couleur là où elle ne voulait pas être. Il attendait Fred, qu'il s'installe en face de lui, silencieux mais souriant. Il attendait sa présence.

Mais personne ne s’assit. George leva son philtre de paix, portant un toast aux étoiles.

« Heh, peut être que je peux rester un peu plus longtemps cette fois. »

 

Vous êtes ici pour apprendre la science subtile et l'art rigoureux de la préparation des potions. Ici, on ne s'amuse pas à agiter des baguettes magiques, je m'attends donc à ce que vous ne compreniez pas grand-chose à la beauté d'un chaudron qui bouillonne doucement en laissant échapper des volutes scintillantes, ni à la délicatesse d'un liquide qui s'insinue dans les veines d'un homme pour ensorceler peu à peu son esprit et lui emprisonner les sens...

 

Oh non, George ne voulait rien comprendre à la potion qui coulait au coin de ses lèvres. Il voulait juste la paix.

Et Fred.

 

 


 

Mais tu es où ?

 

Quelque part, la cendre s'incruste dans le mercure du miroir. Et le reflet devient gris.

 


 

Molly ferma la porte à double tour. Ron, à côté, tenait une fiole dans la main.

« Je… comprenais pas comment les philtres de paix pouvaient se vendre si bien.

-Ron, c’est bon mon chéri. »

La gorge de Molly était glacée.

« Au moins… il n’a pas souffert. Mais, maman ? Tu penses que…

-Le professeur Slughorn et les médicomages sont très clairs : une semaine suffit pour… »

Sa voix mourut dans sa gorge. Ron enlaça sa mère, la laissant étouffer un sanglot contre son épaule.

« Il est parti avec lui, maman. Ce jour là, je pense qu'il est parti avec Fred. On ne l’a pas vu, c’est tout. Il est avec lui maintenant. »

Derrière une porte, la poussière se dépose sur une couverture bleue. Un sablier s’est vidé de son sable sur le chevet d’un lit gris.

Quelque part, les morceaux d’un miroir tombent sur un sol en bois.

Molly et Ron quittèrent l’appartement.

George les écouta descendre en silence, assis au pied de son lit poussiéreux.

Seul.

George resta là, regardant par la fenêtre. Le soleil ne réchauffe pas sa peau. Il n'a plus de peau. Juste une voix. Mais jamais, au grand jamais, il ne voulait entendre sa voix de fantôme.

Ainsi, plus personne ne parla.