
L’air était saturé d’humidité, rien de plus normal pour une heure si matinale au cœur des Highlands. Les premiers rayons de soleil étaient encore loin, mais la luminosité était désormais suffisante pour percevoir plus en détail le décor qui l’entourait. Aucun son ne parvenait de la forêt, encore endormis, ses habitants ne tarderaient pas à s’éveiller. Tapis à sa lisière et camouflé par l’épaisse brume qui s’élevait des prés, Théodore Nott fixait la vaste clairière qui s’étendait devant lui. Habillée de quelques arbustes clairsemés par l’automne et de son long manteau de givre, bientôt, elle se dévoilerait entièrement à la vue du jeune garçon. La brouée qui s'échappait de ses poumons à chacune de ses respirations témoignait du froid qui lui rongeait les os depuis plusieurs heures maintenant.
Toute la nuit durant, il n’avait cessé de scruter l’étendue obscure. À un certain point, son cerveau, complice de son regard fatigué, lui fit percevoir toutes sortes de mouvements inexistants, le rendant paranoïaque à la moindre oscillation de la nature environnante. Pour retrouver son calme intérieur bousculé par ces sursauts de panique, il suffisait à Théodore de quelques instants de concentration envers son partenaire de surveillance. Imperturbable dans sa mission, il était installé à une dizaine de mètres de lui. Dès leur arrivée, ils n’avaient plus échangé un seul mot, ils n’en avaient pas besoin. En réalité, lui parler n’était pas nécessaire à Théodore pour le comprendre, et il en était ainsi depuis le commencement.
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D’aussi loin qu’il se souvienne, Théodore avait toujours été absolument amoureux. S’il n’était capable que d’un seul sentiment, c’était l’amour qu’il éprouvait pour son ami qui l’emporterait sur tous les autres. Jamais il ne s’était posé la question de l’origine de son affection à son encontre, pour lui, l’aimer était aussi évident que respirer.
Dès leur naissance, les deux garçons, contraints par les relations de leurs paternels respectifs, s’étaient côtoyés périodiquement. Tandis que les plus vieux se réunissaient, les enfants profitaient de leur temps ensemble pour s’amuser. Rares étaient les occasions leur permettant de s’éloigner de la pression éducative que leurs pères exerçaient sur eux.
De tous les moments de bonheur vécus qu’il pouvait citer, pas un seul ne se passait sans la présence de Drago Malefoy. Déjà bien avant leur rentrée à Poudlard, Théodore avait pris conscience qu’il était sa bouffée d'oxygène dans son monde étouffant.
Le collège avait alors présenté de nombreux avantages aux yeux du jeune étudiant. Non seulement, il le tenait éloigné de son oppressante famille, mais surtout, il lui permettait de partager paisiblement le quotidien de son ami.
À son grand désarroi, ils avaient à peine mis le pied sur le quai de la voie 9 ¾ pour la première fois, que celui-ci rassemblait déjà tout un groupe d'adolescents de leur âge, destiné à devenir sa bande personnelle. Bien sûr, Théodore avait sa place parmi eux, mais jalousement, il aurait voulu garder Drago pour lui tout seul. En plus de ça, il n’avait jamais été à l’aise avec les autres et encore moins lorsqu’ils étaient rassemblés. À partir de ce jour, il avait su qu’il devrait se contenter de tenir une distance suffisante pour ne pas avoir à les supporter sans pour autant être éloigné de sa tignasse blonde préférée. Cela marqua également le début d’une longue série de péripéties de frustration. En public silencieux, chacune des interactions que pouvait avoir Drago avec un autre être humain le rongeait de l’intérieur. Sa patience et son calme naturel avaient été mis à rude épreuve à chaque contact physique qu’il le voyait échanger avec un autre que lui. Si ses prunelles avaient pu jeter des sorts à tous ceux qu’il maudissait d’exister, il ne resterait plus beaucoup de pensionnaires à l’école.
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Les premières lueurs peinaient à percer l’épais brouillard les encerclant. Dès qu’il se lèverait suffisamment, les deux hommes pourraient passer à l’action. Théodore scrutait avidement le champ encore désert, plissant les yeux pour mieux discerner ses reliefs, il était encore trop tôt pour qu’il puisse apercevoir son extrémité. Les membres endoloris par la position qu’il maintenait depuis le milieu de la nuit, il avait hâte de pouvoir se dégourdir. Cela n’allait pas tarder, il était sûr que l’endroit était le bon. Accroupi derrière un arbre mort, il se permit une fois de plus de dévier son regard pour le poser sur Drago, prostré à l’identique un peu plus loin. Seul un léger pli entre ses sourcils trahissait l'extrême concentration dont il faisait preuve en ce moment. Théodore savait qu’il était au moins aussi impatient que lui d’agir.
Quand ils étaient encore élèves, le jeune Nott avait eu de nombreuses occasions d’observer cette ligne de contrariété se former sur son front. Elle se dessinait souvent lorsqu’un problème difficile se présentait en cours ; une question ardue de la part d’un professeur ou un point théorique flou mal expliqué pouvait très vite le renfrogner. Théodore avait été soulagé de constater qu’il prenait ses études avec autant de sérieux que lui. Si l’influence de son groupe turbulent l’en avait empêché, probablement qu’il aurait dû intervenir. En dehors du cadre scolaire, très peu de choses, finalement, pouvaient tourmenter Drago. Du moins, lors des premières années à Poudlard. Naturellement, la seule l'existence des sang-de-bourbes suffisait à le mettre hors de lui, mais plus que ces traîtres à leur sang, celui qu’il exécrait au plus au point était ce fichu Harry Potter. Jamais il n’avait vu Drago plus perturbé que lorsqu’il était en sa présence, et, rien que pour ce qu’il faisait ressentir à son ami, cet être infâme aurait dû être mort depuis longtemps.
Ces six années de collège s’étaient avérées être une véritable torture pour Théodore. Il avait adoré étudier, c’était un fait, mais être mis à l’écart de son bien-aimé par le brouhaha constant qui régnait autour de lui, était agaçant. Pourquoi avait-il fallu qu’autant d'élèves rejoignent les Serpentards en même temps qu’eux ? Évidemment, Théodore ne se tenait jamais bien loin. Tenu dans l’ombre, il avait patiemment attendu le moment où il pourrait reprendre sa place légitime à ses côtés.
La quiétude de l’atmosphère serait bientôt rompue, ce n’était qu’une question de minutes avant que le soleil ne leur donne suffisamment de visibilité, mais Théodore qui grimaçait de froid, attendait surtout qu’il leur apporte de la chaleur. De crainte d’être repérés, ils n’avaient pas pu utiliser de sort de confort pour leur embuscade. L’attente allait prendre fin à tout moment, il lui suffisait de serrer les dents un peu plus longtemps. Pour patienter lors des derniers instants, il s'équipa de son masque et d’un mouvement de tête, enjoignit Drago à en faire de même. Posés sur le fin métal, il vit ses doigts trembler sous la combinaison du froid et de l’excitation. Sans le connaître, il savait qu’il partageait son sentiment. L'échec de cette mission n’était pas concevable. Menée à bien, elle lui accorderait la gloire et la puissance nécessaire pour être enfin reconnu.
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Lorsque Drago quitta définitivement l’école pour s'engager auprès du Seigneur des Ténèbres, il fut profondément touché par le manque de considération à son égard. Théodore aurait souhaité de toute son âme qu’il l’invite à l'accompagner dans son enrôlement, mais apparemment, il ne l'estimait pas être à la hauteur pour le suivre.
Il avait toléré suffisamment longtemps d’être mis à l’écart, mais il avait atteint un stade où il ne pouvait patienter davantage de lui prouver sa valeur. S’étant fait la promesse des années auparavant de toujours l’accompagner quoi qu’il arrive, Théodore ne mit pas plus d’une seconde à se décider de quitter Poudlard à son tour pour rejoindre les forces du mal. Son affiliation soudaine au parti du Seigneur des Ténèbres ne surprit personne, après tout, il était prédestiné à succéder à son père en tant que fidèle serviteur. Ce qu’on ne pouvait deviner cependant, c’était la véritable origine de ses motivations. Depuis sa naissance, on avait farci sa tête d’idées très arrêtées sur sa position dite supérieure du reste des sorciers, ainsi que sur l’importance de jurer fidélité au Grand Mage Noir.
- Tu n’es pas ici pour moi.
La voix sifflante avait envahi toute la pièce, éclairée uniquement par les lueurs du feu se consumant faiblement dans l’âtre de marbre noir. Trônant en son milieu, le Seigneur des Ténèbres était confortablement installé dans un haut fauteuil en cuir vert bouteille. Ses pupilles anormalement pourpres, cherchant à sonder son esprit, ne l’avaient pas lâché. C’était la première fois que Théodore se retrouvait seul avec lui, un passage obligatoire avant d’obtenir son honorable marque.
- Tu veux le pouvoir, la grandeur… Mais ce n’est pas moi que tu cherches à impressionner.
Son visage jusque-là impassible, avait alors adopté un air plus narquois. Difficile d’appeler ça un sourire sans aucune lèvre dessinée pour le tracer. Théodore était terrifié. Oh non, il n’avait pas peur du Grand Mage Noir se tenant devant lui. La mort et la souffrance ne l’effrayait pas outre mesure, ce qu’il redoutait par-dessus tout, c’était de se voir refuser sa place à ses côtés, aux côtés de Drago, car il était mieux mort que loin de lui.
Je lis en ton cœur, Nott. Je vois que tu es prêt à tout pour t’attirer les faveurs d’une personne qui t’est chère. Pour lui plaire, tu as besoin de puissance, et c’est ce que tu viens trouver auprès de moi. Je ne suis pas dupe, la plupart de mes loyaux serviteurs ne le sont que par crainte. Une crainte que visiblement, je ne t’inspire pas. Sans cette loyauté aveugle, je pourrais décliner tes services, mais ton avidité de puissance peut servir mes intérêts si tu l’emploies en mon nom.
Recevoir la marque des Ténèbres, c’était accepter d’y plonger sans un regard en arrière. Mais s’il avait fallu vendre son âme au diable - ce qui s’en rapprochait en fin de compte - pour rester avec Drago, il l’aurait fait sans hésiter. La douleur et l’humiliation provoquée par le rituel maléfique n’étaient rien comparées à la promesse qu’on lui avait faite. Tout comme son ami, son bras gauche porterait le dessin liant leurs destins.
- Je n’ai pas besoin de t’entendre me jurer fidélité, ce n’est pas toi qui paieras le prix de tes erreurs si tu me déçois.
La maigre chaleur diffusée par le foyer finissant de se consumer doucement n’avait pu empêcher ces derniers mots de glacer Théodore sur place. Il n’avait pas prévu de trahir le Seigneur des Ténèbres, mais il n'avait pas non plus envisagé que les conséquences de ses erreurs puissent retomber sur Drago. À partir de ce jour, il n’aurait d’autre choix que d’être à la hauteur.
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Les oiseaux murmurèrent leurs premières notes, la clairière encore gelée ne tarderait plus à perdre son givre matinal sous la chaleur naissante. La luminosité était désormais suffisante pour que, malgré les dernières volutes de fumée planant dans l’atmosphère, il puisse apercevoir les deux autres Mangemorts postés à l’autre bout du champ : c’était le signal. Un ultime regard sur Drago en train de se relever lui confirma qu’il l’avait également perçu. Les quatre sorciers masqués avancèrent en silence, leurs baguettes pointées devant eux, se déplaçant de façon à encercler ce qui semblait être le milieu de la prairie. En position, ils s'immobilisèrent, tournant leur regard vers Théodore, la main en l’air, baissant un à un ses doigts encore levés : 3, 2, 1…
- REVELIO !
La puissance des quatre sorts combinée ciblant le même point était assez importante pour briser les barrières magiques contre lesquelles ils se heurtèrent, faisant apparaître progressivement une petite toile de tente miteuse. Les restes d’un feu de camp dressé devant son entrée, sans garde, démontrait la maigre tentative pour se réchauffer dont avait fait preuve leur veilleur de nuit avant d’abandonner et de rentrer s’abriter du froid. Théodore félicita l’incompétence de celui-ci qui venait de lui faciliter grandement la tâche. Si les campeurs n'étaient pas encore alertés, l’Incendio que lança un de ses collègues sur le tissu ne devrait plus les faire douter longtemps de leur attaque.
La réaction qu’il attendait ne se fit plus attendre, une tête brune venait de sortir de son antre. À la vue de son propriétaire, le sang de Théodore ne fit qu’un tour. Enfin, toute la haine qu’il avait accumulée envers lui ces dernières années pouvait enfin s’exprimer. Que c’était satisfaisant pour lui de lancer le premier Stupéfix sur cet être arrogant. Hélas, la consigne première était l’interdiction de le tuer, mais rien ne l’empêchait de le faire souffrir un peu avant de le livrer au Seigneur des Ténèbres.
La brunasse, qui le suivait, avait été plus rapide à réagir que Potter et dévia son sort.
Granger. Voilà qui était le deuxième humain qu’il détestait le plus. Non seulement son existence même était contre-nature, mais en plus, elle avait eu la prétention de les surpasser dans la plupart des matières à l’école. Cette sang-de-bourbe-je-sais-tout, toujours en train de chercher à rabaisser Drago d’une façon ou d’une autre. Le jour où Théodore apprit qu’elle avait osé lui asséner une gifle, il se jura qu’elle le paierait de sa vie. Elle devrait remercier sa chance insolente qu’il n'ait pas été témoin de son affront, mais son sursis prenait fin aujourd’hui.
La rage féroce animée par l’excitation redonna à Théodore une force suffisante pour lancer une salve de sorts, tous plus agressifs les uns que les autres, à l’encontre de ses adversaires aux nombres de trois à présent. Ils auraient dû se douter, cependant, que le combat allait être ardu. Potter et sa bande savaient se défendre, et même attaquer apparemment. Celui-ci venait de lancer un sort particulièrement puissant en direction de… Non ! Drago !
Potter venait de se faire provoquer verbalement, et après avoir marqué une seconde d’arrêt, le cibla avec un sort inconnu. Drago n’aurait pas le temps de réagir, le sortilège allait le faucher de plein de fouet, mais Théodore, oui. Sans se permettre de réfléchir, il projeta son corps pour faire bouclier entre l’éclat de lumière blanche et celui de son ami.
La douleur qui le traversa alors ne l’atteignit pas, ou du moins, il ne la laissa pas l’atteindre tant que ses yeux ne se posèrent pas sur Drago pour s’assurer de sa sécurité. Quand il le trouva enfin, celui-ci le regarda, incrédule et paniqué, passant de Potter à lui, semblant réfléchir intensément. Théodore chercha à se relever, en vain. Couché derrière un buisson, il ne percevait pas le champ de bataille, seuls des reflets blonds parviennent à focaliser sa vue, le reste était de plus en plus flou.
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En ouvrant les paupières, la vision du mur le rappela soudainement à la clairière. Il ne devrait pas être ici, il devrait être en train de se battre. La panique le gagna brutalement. Où était Drago ? Théodore tenta de se dégager des couvertures oppressantes qui le maintenaient prisonnier de son lit, mais la tâche était bien plus compliquée qu’elle n’aurait dû. Son corps ne fonctionnait pas comme d’habitude, de plus, chaque geste était une torture. Le moindre mouvement lui provoquait des décharges électriques lancinantes le traversant de part en part. Au moment où il parvint à redresser son buste, la porte s’ouvrit. Jusque-là, il n’avait pas prêté attention à la pièce dans laquelle il se trouvait. Elle lui était complètement inconnue avec ses rideaux noirs de crasse à moitié déchiquetés et ses murs tout aussi poussiéreux. Le parquet, rongé par les termites et l’humidité, craqua sous l’entrée d’une silhouette familière.
- Vous voilà réveillé, Nott.
Le ton de Rogue n’avait jamais été chaleureux, mais en cet instant, Théodore était à peu près sûr qu’il aurait préféré le retrouver mort. L’air de mépris affiché sur son visage ne l’aiguilla pas davantage sur ses intentions, il était aussi hostile qu’habituellement.
- Ne vous méprenez pas, n’étant pas Madame Pomfresh, je ne suis pas ici pour prendre soin de vous, seulement vous éviter de mourir. Après tout, vous êtes un outil précieux pour le Seigneur des Ténèbres, son instrument de torture préféré. Peu de gens peuvent se vanter de surpasser Bellatrix sur ce domaine, elle vous en veut beaucoup. À ces mots, un rictus encore plus mauvais se dessina sur ses traits.
- Où est Drago ?
Théodore se fichait du discours de son ancien professeur de potions, il se fichait de savoir où il se trouvait lui-même actuellement, dans quel état il était, et il se fichait de savoir ce qui s'était passé sur le front. La seule et unique chose qui lui importait était la vie de Drago. Était-elle sauve ? Est-ce qu’il était en danger ? En danger de mort ? Avait-il été pris par l’ennemi ? Est-ce que le Seigneur des Ténèbres lui avait fait payer son échec ?
Le seul à pouvoir répondre à ses interrogations qui se bousculaient dans sa tête se tenait toujours dans l’encadrement de la porte et semblait s’amuser de l'inquiétude nettement perceptible dans la voix de Théodore. Rogue prit même un malin plaisir à le faire attendre plus que nécessaire pour lui donner sa réponse. Ce qui le décida, ce fut l’expression horrifique qu’affichait le jeune garçon, il avait beau être encore à moitié allongé, il donnait l’impression d’être prêt à lui sauter dessus si elle mettait plus de temps à arriver.
- Il est en sécurité.
- Où ?
La colère prenait petit à petit la place de la panique. Il savait que Rogue ne mentait pas, mais sa satisfaction à se jouer de lui avait pour effet de tendre davantage ses nerfs. Théodore allait finir par perdre le contrôle du peu de calme qui lui restait s’il ne savait pas très rapidement où et dans quel état se trouvait Drago. Le mot “sécurité” n’était que très relatif dans leur monde, il signifiait seulement que la personne n’était pas en danger de mort immédiate. Ù
- OÙ?!
- Ici.
Cette voix provenait de l'extérieur de la chambre. En cherchant avidement son origine derrière Rogue, Théodore savait déjà ce qu’il allait trouver. Ce son était le plus doux qu’il ne lui avait jamais été donné d’entendre, il le reconnaîtrait en plein cœur de la foule la plus bruyante imaginable. La voix de Drago. Le voir apparaître en un seul morceau devant lui provoqua la plus grande vague de soulagement de sa vie. Il allait bien, il était près de lui, tout le reste était secondaire. Théodore ne put s’empêcher de le détailler de la tête aux pieds pour le contempler, une éternité semblait s’être déroulée depuis la dernière fois qu’il avait pu l’observer, mais aussi pour s’assurer qu’aucune blessure n’était venue entacher son superbe corps. Tout semblait aller pour le mieux, mais quelque chose clochait. La ride entre les sourcils de Drago semblait plus marquée que d’habitude. Les mots que personne ne prononçait installaient un silence pesant.
Dans une nouvelle tentative pour se redresser complètement, Théodore fut arrêté par la douleur qu’il avait ignoré jusqu’à l’apparition de son ami. En voulant s’appuyer sur son bras, l'équilibre lui manqua, le ramenant à sa position de départ. Alors qu’il cherchait l’origine de sa défaillance, son souffle se coupa quand son regard chercha sa main gauche. Disparue. En réalité, il fallut beaucoup de courage à Théodore pour parcourir l’ensemble de son bras, ou du moins, ses vestiges. Caché sous des bandages ensanglantés, le reste de son membre était dépourvu de coude et de sa partie inférieure. Sentant encore ses doigts, il essaya désespérément de les bouger, mais seule une douleur fulgurante le parcourut jusqu’à l’épaule avant de fourmiller dans le reste de son corps. Difficilement, il étouffa le hurlement qui sortit de sa gorge en mordant dans un oreiller jusqu’à ce que les pulsations s'atténuent suffisamment pour se concentrer à nouveau. Son regard se fixa alors sur Drago qui n’avait pas bougé depuis son arrivée. Les souvenirs émergèrent dans sa mémoire : ce sort qui l’avait brisé, ce n’est pas à lui qu’il était destiné à l’origine. Théodore regretta moins la perte de son membre soudainement, soulagé d’avoir pu le protéger, d’avoir pu le préserver de cette souffrance.
- Il ne repoussera pas. Potter s’est une fois de plus montré surprenant en utilisant ce sortilège de magie noire. Sans l’intervention de Malefoy, vous seriez mort.
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Au bout de quelques jours, la douleur s’était assez estompée pour permettre à Théodore de se mouvoir en dehors du lit. Régulièrement ponctuée par des vagues de convulsions désagréables, il lui suffisait de serrer les dents pour en faire abstraction. Il était temps pour lui de quitter ce taudis qui avait servi d'abri pour sa récupération. Apparemment, cette maison était à l’abandon depuis que les Mangemorts avaient fait de son ancien propriétaire l’une de leur victime, il y avait de ça plus de vingt ans. De ce qu’il put apprendre de lui, Drago l’avait rapatrié ici en urgence suite au transplanage réussi de leur cible. Après qu’il ait perdu connaissance, Potter et ses comparses avaient pu prendre la main sur le combat en Stupéfixiant leurs acolytes, leur permettant de s’enfuir sans laisser de traces. Une fois les sortilèges levés, les deux serviteurs des Ténèbres qui les avaient accompagnés étaient directement retournés au manoir Malefoy pour faire leur rapport au Seigneur. Jugeant l’état de Théodore trop critique, ils avaient convenu qu’il serait plus sage de l'évacuer à la base la plus proche en attendant les secours, qui s’étaient avérés être uniquement composés de Rogue. Sans les réparer, il s’était contenté de limiter les dégâts sur son corps meurtri, mais il devait s’estimer heureux, l’échec de leur mission aurait pu le priver de toute forme d’aide. Que le Seigneur des Ténèbres ait consenti à leur envoyer l’un de ses plus fidèles partisans, autrement que pour les punir, relevait du miracle.
L’heure de payer ses erreurs était enfin arrivée. De tout son être, il espéra que Drago ne subirait pas la colère du Grand Mage Noir. Théodore avait tenté de le convaincre de le laisser y aller seul, tandis qu’il se cacherait jusqu'à ce que sa fureur se dirige vers quelqu’un d’autre, mais il lui avait clairement fait comprendre que ce n’était pas envisageable. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait fait en sorte de l’enfermer dans une cave quelconque à l’autre bout du pays pour garantir sa sécurité. Ne pouvant mettre en application son idée sans risque de le contrarier, il dut se résoudre à le laisser l’accompagner chez lui, enfin, ce qu’il en restait. La noble maison Malefoy, qui autrefois exhibait avec magnificence ses jardins verdoyants, n’était plus qu’une sombre copie de ce qu’elle était. Cette même maison qui avait vu grandir son amour pour Drago, loin des adultes et de leur pression héréditaire. En remontant la lugubre allée menant à son porche, Théodore se surprit à rêvasser de l’époque où ils jouaient entre ses murs, rien que tous les deux, cachés du reste du monde, il n’était qu’à lui. Mais aujourd’hui, ils s'apprêtaient à affronter les conséquences de leur défaite, face à leur Maître, dans sa demeure. Avant d’en pousser le battant, Théodore se tourna vers Drago et son air déterminé qui ne l’avait plus quitté depuis leur retour de l’opération. Ô, ce qu’il aurait aimé le serrer fort de son bras à cet instant, pour lui offrir une étreinte qui aurait voulu dire “je suis là, il ne te fera rien, je te protégerai. ” Mais le répit qu’ils avaient obtenu jusqu’à présent s’arrêta au moment où la porte s'ouvrit d’elle-même sur eux, ne leur laissant d’autres choix que de pénétrer dans l'obscur hall.
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- Pourquoi t’as fait ça ?
Les deux hommes se tenaient à l’entrée d’une grotte sur les hauteurs de Pré-au-Lard, attendant patiemment que leur rendez-vous arrive. Certains villageois étant réputés pour leur affiliation à Dumbledore, il était nécessaire que l’opération demeure la plus discrète possible.
Ces mots, venant de Drago, étaient les premiers depuis des jours. Il n’en avait plus prononcé un seul depuis le manoir. Le sourcil interrogateur levé de Théodore le poussa à développer.
- Au manoir, dans la clairière… Ça fait deux fois de suite que tu te sacrifies pour me sauver, alors que je ne t’ai rien demandé.
Bien sûr qu’il n’avait rien demandé, à quel moment en aurait-il eu besoin ? Comme s’il aurait pu le laisser subir la moindre éraflure sans broncher. Inconcevable. Ce n’était pas qu’une question d’avoir à cœur de le préserver, la simple idée que Drago puisse souffrir de la moindre manière possible faisait naître en lui une colère sourde qui lui prenait les tripes.
- Je ne pouvais pas te laisser souffrir sans rien faire.
- Je ne comprends pas, tu adores la souffrance. Il n’y a rien qui te fasse plus plaisir que de torturer à la moindre occasion, combien d'alliés sont même passés sous ton joug ?
- Tu as raison, ennemies ou alliés, je m’en fiche. Si j’estime qu’une personne mérite un Doloris, je ne vois pas pourquoi je m’en priverais. Mais dans quel univers je pourrais laisser quelqu’un te faire le moindre mal, Drago ?
Le bruit des pierres roulantes sous un pas lourd approchant ne leur permit pas de continuer leur conversation. Les deux garçons tournèrent simultanément la tête en direction du seul chemin qui donnait l’accès à leur cachette du jour. Un homme, qu’ils n’attendaient pas, se présenta alors devant eux. Ses traits grossiers et asymétriques auraient pu faire éprouver à n’importe qui une méfiance instantanée envers ce personnage imposant. Dans ses bras, se tenait un étrange paquet enrubanné dans une sorte de papier kraft. Paquet dont il devait avoir hâte de se débarrasser en même temps que de son ennuyeuse mission.
- Amycus ? Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Théodore soupçonneux.
- Le Directeur Rogue est trop occupé avec ses fonctions pour l'instant, sûrement à cause du retard qu’il a accumulé à force de jouer à la nounou.
Théodore, qui s'était toujours bien entendu avec les Carrow, fut contraint de constater le changement dans l’attitude de celui-ci.
- Est-ce qu’on peut vous faire confiance pour cette course ou des renforts vont être nécessaires ?
Cette fois, son dédain nettement perceptible ne laissait plus place au doute.
- Venant de celui qui a la meilleure des planques pour torturer à volonté ces sales enfants moldus se prétendant élèves de sorcellerie sans risquer sa peau, ça mériterait d’être réfléchi à deux fois avant de se montrer aussi insolent.
- Je vois que ton arrogance ne t’a pas quitté, mais qu’en est-il de ton efficacité en Doloris, diminué ainsi ? On pourra toujours compter sur toi pour les prochaines raffles ou faudra t'assister ?
Du menton, Amycus pointa le membre atrophié de Théodore, qui, sans perdre son calme, avait lentement levé sa baguette dans sa direction. S’il cherchait à l’humilier, il verrait ce qu’il en coûtait de le faire devant Drago.
- Aurais-tu besoin d’une petite démonstration pour te prouver que je n’ai pas perdu la main ?
Aucune trace de leur ancienne complicité ne résidait dans la voix de Théodore. Ainsi, il lui faisait comprendre qu’il était temps pour lui de remplir sa mission et de disposer. Les dents dévoilées par le plissement de son nez, Amycus Carrow consentit à tendre le paquet qu’il tenait jusque-là à Drago. Désireux de mettre le plus de distance possible avec Nott, dont il ne doutait pas de ses capacités malgré ses propos, il les laissa sans plus attendre.
Drago tendit son bras à son ami, le colis récupéré, ils n’avaient pas besoin de s’attarder inutilement dans l’humidité de cette grotte. Théodore fut surpris de ce geste. Leur destination suivante leur était bien connue, il n’avait pas besoin de transplanage d’escorte. Pourtant, il n'hésita pas une seconde à s’en saisir, comment aurait-il pu cracher sur une opportunité d’être à son contact ? Les quelques secondes que dura l'interaction, il savoura chacune des bouffées de chaleur que leur proximité lui donna, malgré le chaos régnant du déplacement. Une fois ses pieds de nouveau sur un sol palpable, Théodore fut désarçonné par deux choses. La première fut la rupture immédiate de son lien avec Drago. Il aurait souhaité qu’elle n’arrive jamais. La deuxième était le lieu dans lequel ils se trouvaient.
- Pourquoi on n’est pas à Gringotts ?
- Pourquoi es-tu aussi incohérent ?
La colère qui perçait dans la voix de Drago heurta Théodore de plein fouet. C’était la première fois qu’il l’entendait dirigée contre lui. Il se mit alors à passer en revue l’ensemble des années qu’il avait vécu depuis sa naissance pour essayer de comprendre ce qu’il avait pu faire pour la mériter. S’il l’avait offensé d’une quelconque façon, il se devait de la réparer par tous les moyens possibles, mais avant tout, il devait la connaître. S'apprêtant à le questionner, il fut devancé par son ami en train de faire les cent pas devant lui.
- Tu aimes faire souffrir des innocents au nom du Seigneur des Ténèbres ?
S’il aimait ça ? Probablement que oui. Pendant qu’il subissait par deux fois la tortureuse sentence de leur Maître - une pour lui, la deuxième pour Drago - Théodore avait pris conscience de l’incroyable souffrance que le sortilège impardonnable, dont il était l’instigateur habituellement, provoquait à ses victimes. En découvrant l’étendue et l’intensité de la douleur qui se propageait dans son corps, il avait songé à ce que ses proies ressentaient lorsqu’elles passaient sous sa baguette. Tous ces traîtres à leur sang, ces sang-de-bourbes ou même encore ces stupides moldus qui avaient croisé son chemin et ses Doloris, auraient bien fait finalement d’en recevoir davantage. Si lui, en tant que représentant des vingt-huit sacrés, tout comme l’était Drago, devait connaître cette souffrance, il s'assurerait que chaque impureté qu’il rencontrerait désormais subirait le même sort. Alors, oui, pour leur salut, il aimait torturer.
- Des innocents ? Personne ne l’est s’il se prétend sorcier sans en avoir le sang adéquat. Ils sont juste une injure à nos noms, à ton nom. Comment je pourrais les laisser tranquilles à partir du moment qu’ils s’estiment supérieur ou même égal à toi ?
- Est-ce que tu es en train de me dire que tu les as torturés par égard pour moi ?
Toutes ces années, Théodore avait enfoui précieusement ses sentiments pour Drago, attendant le jour où ils seraient tous les deux prêts à ce qu’ils soient partagés. Et si ce moment ne devait jamais arriver, il se serait résolu à les garder pour lui jusqu’à la fin. Mais en cet instant, les explications suppliées par son ami, lui hurlaient de se déclarer.
- Tu me dégoûtes, Nott.
Tout en coupant Théodore dans son élan, Drago se dirigea vers le paquet qui gisait au loin depuis leur atterrissage pour le saisir et en sortir son contenu. Quand il revint face à son coéquipier, il ne sembla pas se tourmenter de la pâleur soudaine de son teint et poursuivit :
- Comment arrives-tu à te regarder dans une glace ? Seul un être comme Voldemort peut faire preuve d’autant d’inhumanité. Par respect envers notre vieille amitié, je t’ai cherché des excuses pour tout le mal que tu as répandu, moi-même étant obligé d’en causer. Mais la différence entre toi et moi, c’est le plaisir malsain que tu y as pris à chaque fois. Le sourire que tu affiches dans ces moments-là est terrifiant putain, et à côté de ça, tu dis torturer pour moi et vas même jusqu’à sacrifier ton propre bras pour me sauver ! Non, tu n’es pas cohérent.
L’hésitation se fit sentir dans l’attitude de Drago. Son interlocuteur, pantelant, lui laissa cependant tout le loisir de continuer son discours. Avant de reprendre, il sortit sa baguette pour la pointer sur l’objet et lui lança un Gemino des plus convainquant. La réplique lui étant inutile, il s’en débarrassa avec indifférence et la jeta dans l’herbe au pied de Théodore.
- Ce sort ne m’aurait jamais atteint, ton sacrifice était inutile. Je me suis servi de l’occlumancie pour dévier l’incursion de Voldemort dans mon esprit, tout ce qu’il a pu y lire, c’est que je cherchais à servir le mage le plus puissant que je connaissais, ce qui est vrai. Mais son ego n’a pas pu envisager qu’il ne s’agissait pas de lui. Le Seigneur des Ténèbres va mourir de la main du plus puissant sorcier de notre génération et je serai à ses côtés à ce moment-là, parce que je l’aime, je l’ai aimé dès notre cinquième année, bien avant de me faire marquer. Cette marque, je la porte pour lui, pour son combat, notre combat contre les gens comme toi. Quelle ironie que toi, tu n’en ai plus la trace.
Le claquement significatif du transplanage indiqua à Théodore qu’il se trouvait désormais seul au sommet de cette colline de campagne. L’humidité ne tarderait pas à tomber avec le départ des derniers rayons de soleil. La beauté du crépuscule en cet instant aurait pu émerveiller la plus insignifiante créature sur place s’il lui avait été donné de l’admirer. Mais l’esprit du jeune homme ne lui permettait pas de profiter du spectacle. Brisé, il ne put plus retenir le flot de ses pensées s’en évaporant par des filaments gris voletant au-dessus de sa tête. Avec sa raison, l’ensemble de ses sensations l'abandonna. Plus rien ne retint son corps de tomber, il ne le sentit pas percuter le sol. Quand ils cessèrent de rouler dans leurs orbites, ses yeux ne perçurent que du flou. Légèrement entrouverts, ils se focalisèrent sur la masse argentée qui se trouvait à ses côtés. Pourquoi y avait-il cet objet ici déjà ? Il devait le mettre en sécurité, mais pour qui ? Sa main se tendit instinctivement jusqu’à rencontrer sa garde. Il avait l’air si coupant, si efficace. Peut-être qu’il pourrait l’aider. Son esprit venait déjà de l’abandonner après tout. Etait-il réellement en train de devenir fou s’il était conscient de l’être ? Mais le corps et le cerveau ne fonctionnaient plus de paire. Le calme qui l’entourait n’est que chaos. La fonction vitale de son cœur n’irriguait plus suffisamment, mais ce n’était pas le manque d’oxygène qui était en train de le tuer. À travers la brume de son regard, il distinguait l’objet qu’il avait encore entre ses mains. Pourquoi déjà ? À quoi il servait ? Peut-être qu’il était encore suffisamment fort pour s’en servir. Oui, il n’y avait que comme ça que la douleur s’arrêterait. Tout était fini de toute façon. Drago, parti. Le métal reflétant les dernières lueurs du soleil aurait dû l'éblouir. Il l’observait sans le regarder. Ses genoux ne tremblèrent pas lorsqu’il se redressa dessus. D’un mouvement, un seul, un dernier, un dernier effort, l’évacuation de toute cette violence en un geste, jusqu’à sentir cette brûlure glacée contre son cou.
Fin