On fera de moi un ange

Harry Potter - J. K. Rowling
M/M
G
On fera de moi un ange
Summary
Un adolescent se suicide en se jetant d'une des tours du château, mais sa mort révèle des événements plus sinistres encore.
Note
Cet OS a été écrit dans le cadre de l'ASPIC Angst du serveur Potterfictions (https://discord.gg/862aSNBDk6). Il ne peut faire plus de 10'000 mots et doit comprendre trois tropes angsty, imposés par les autres participants et listés à la fin du texte.Attention :Cet OS met en scène de l'angst particulièrement sévère. Si vous avez peur de lire certaines choses, ne lisez pas, ou souvenez-vous tout du moins que vous avez le droit et la légitimité de cesser la lecture à tout moment. Je ne cautionne rien de ce qui est décrit dans cet OS. Les actions des personnages ne reflètent pas mes positions personnelles.

Je ne pensais pas un jour enterrer mon fils.

Peut-être qu’il avait reculé, jusqu’à la pierre froide. Peut-être qu’il avait eu dans ses yeux un éclat de rage, et de peur. Peut-être aussi qu’il savait déjà, qu’il sentait déjà, peut-être qu’il attendait avec résignation qu’on l’entoure, qu’on se rapproche, qu’on le menace en sachant, avec réconfort, que ça s’évanouirait bientôt.

J’ai du mal à le voir sauter. Je me force à décortiquer les images, à détailler son regard que je devine éteint, ses lèvres qui tressautent, ses cheveux qu’il a, sans le remarquer, un peu mieux coiffé que d’habitude. Il a mal lacé sa chaussure droite, mais il s’est répété : « Ce n’est pas si grave. » Il ne veut pas se préparer, ou pas trop, ne pas en faire un rituel. Il se le redit encore une fois, alors qu’il se hisse sur le rebord, un rire lui vient ou bien rien du tout, seulement l’appel du vide, peut-être qu’il s’arrête, qu’il soupire, qu’il pense, qu’il pleure, et je l’imagine dans sa chute, mais sa chute est immobile.

Il repose là, à mi-chemin dans le vide. Le soleil creuse ses joues comme des larmes, il crie mais rien ne sort, il se débat mais ça y est : il n’y a plus rien. Il n’a plus de prise, c’est trop tard, il contemple dans ce demi-moment l’instant de sa mort. Je ne veux pas qu’il regrette.

C’est tellement indescriptible, l’évidence de la mort. J’ai beau réfléchir, j’ai beau retourner tout ce que je sais (ce que je savais) de lui… dans sa mort, il y a un impensable. Je ne l’ai jamais voulu malheureux.

Lorsque je suis arrivé et que j’ai vu son corps tordu, je me suis effondré en larmes. La tristesse qui m’envahissait était paradoxalement moins celle d’avoir perdu un fils que de trouver, dans son cadavre déformé par la chute, une image de pure souffrance. On n’avait pas encore clôt ses paupières et j’étais fasciné par ces yeux sans regard qui me dévisageaient. La peur, qui n’était peut-être que ma peur à moi, était suffocante. J’avais l’impression de voir sur le lit blanc un de ces martyrs que mon oncle me montrait de son doigt furieux presque chaque fois que nous allions à la paroisse. Je ne voulais pas qu’on fasse de lui un saint, si on devait me le rendre comme une idole défigurée par le désespoir.

Alors, je me suis agenouillé près de lui, j’ai pris doucement sa main, sa toute petite main avec ses doigts brisés, et je l’ai tenue longtemps en sanglotant sans bruit.

 

Plus tard, dans la nuit opaque, elle a posé sa main sur mon épaule. Je ne me suis pas relevé, pas encore, je n’ai même pas levé les yeux. J’ai attendu lentement, son souffle vieux qui irisait l’air calme, ses rides creuses qui murmuraient : « Il faut y aller, M. Potter. »

Plus tard encore, je me relevé et j’ai senti un peu de chaleur regagner mon corps.

 

Albus est à genoux sur le sol de pierre froide. Il a le cœur qui tremble, et un gant d’horreur agrippe si fort sa gorge qu’il a peur de se rompre le cou. Ses yeux sont aveugles comme des coquillages. Ça roule encore sur ses joues rondes, mais il ne sanglote plus. Il n’entend plus, ou plus très bien, seulement le sang qui bat vite ses tempes, qui accule son souffle et saccade sa vision. On se superpose devant ses yeux, on devient eux et plusieurs.

Les mains sont des mains. Elles prennent ses doigts, ses joues, elles font agir son corps, elles jouent avec violence contre sa peau. Albus essaie de fuir. Il ne trébuche pas, parce qu’il n’arrive pas à se mettre debout. C’est quand il reste immobile qu’il se rend compte qu’il a peur, le genre de peur moite qu’il n’avait jamais connue, mais qu’il reconnait pour l’avoir lue dans les livres. Ça n’avait jamais été comme ça, les autres fois. Souvent, il avait été en colère, mais aujourd’hui, il ne sent pas la pierre froide contre son dos, il ne sent pas le mur qui l’embrasse, il ne sent rien qui se presse contre lui et qui l’étreint comme on le frappe, comme on l’insulte, comme on lui crache à la gueule. Il ne sent que le vide et toute la peur qui s’y précipite.

On ouvre la fenêtre, on le fait encore reculer, et ça y est : il sent le vertige qui remonte sa colonne comme un singe agile, il enfouit ses doigts entre ses vertèbres, grignote le peu d’espoir qu’il avait encore. Ça se loge dans sa nuque et il sait tout à coup la terreur qui le gagne.

— Non… Non… Je… Non !

On le pousse encore, certains rient. Les larmes lui reviennent et la voix avec, il hurle et s’égosille, le genre de déchirure qui fait vibrer de douleur ses poumons. Ses yeux sont pure panique. Il ne sait pas où il trouve le souffle, mais il le trouve, et ça explose en lui.

— J’ai peur ! Arrêtez ! Arrêtez !

Il veut crier encore, mugir comme quelqu’un qui vit, car là, maintenant, il sait trop qu’il peut mourir. Le désespoir éteint ses pensées chaque fois qu’il se sent basculer, la douleur inextinguible du sol, puis le rien. Il sait trop aussi qu’il n’a pas d’ailes, qu’il n’a même rien du tout, juste son corps pour tomber.

On lui fourre deux doigts dans la bouche pour le contraindre à ouvrir grand. On le félicite. On lui promet que ce sera bientôt fini, s’il est sage. Et il veut y croire, même dans leurs ricanements. Alors, Albus ouvre plus grand encore, sans qu’on l’y oblige. Il essaie d’acquiescer, parce qu’il ne lui reste que ça, la docilité servile et le vide qui lui mange la nuque.

Lorsque l’un d’eux glisse son sexe dans sa bouche, Albus ne dit rien, il ne gémit pas, il ne bouge plus. C’est salé contre sa langue, ça a un peu le goût des larmes. Ça va et vient avec une odeur de marée, comme le couteau qui déchire l’huître vivante. Le vent cingle son dos, il reste contre le vide longtemps sans bruit. Il se sent bander et les larmes deviennent des larmes de honte, et de désœuvrement.

Après, on l’a laissé là, dans un amas de robe noire. Il n’ose toujours pas se relever. On a dû prendre sa cravate, car il ne la sent plus autour de son cou. Ça lui est bien égal. Le vertige demeure accroché à sa nuque, il y a fait son nid. Sur sa langue, le goût âcre est toujours là, mais il n’arrive pas à se faire vomir. Il demeure désossé contre la pierre froide, dans sa robe sans corps, maintenant qu’il n’a plus la force de pleurer. Il voudrait presque qu’on revienne, pour ne plus être seul, ne plus sentir ses cuisses trop chaudes qui tremblent de sanglots, recouvrer un peu de substance parce qu’il a toujours très peur, et qu’il voudrait ramper loin de la fenêtre qui n’en finit plus de s’ouvrir dans son dos.

 

— Qu’est-ce t’as, Al ?

— Mais parle, hé !

— Nan attends Al, attends !

— Al !

— Putain, mais tu vas m’écouter Al !

Cette fois, James pousse violemment Albus contre le mur. Albus ne tremble pas, ou pas trop. Il sent la pierre froide qui l’étreint, mais le regard de James lui fait peur. Il a honte peut-être.

C’est ça, il a honte, honte de ce que son frère pourrait déceler dans le sien. Il dissimule ce quelque chose qui le dévergonde, le met à nu, tout nu contre la pierre froide. Il l’enfouit sous des robes plus épaisses, pour oublier qu’il a un corps, des muscles, un sexe.

— Je sais pas pourquoi tu m’parles pas, Al… Tu m’dis rien, tu m’dis plus rien. Tu me regardes quand tu penses que j’te vois pas, mais moi j’vois que tu cries à l’aide. Sauf que si tu me dis rien, moi j’peux pas savoir.

— Al ! Réponds, Al ! Dis-moi, j’veux t’aider, tu peux tout me dire… Mais juste, je supporte pas de te voir te trimbaler dans le château comme si tu t’étais déjà buté. Tu m’fais peur, tu m’fais vraiment peur. J’ai l’impression que t’es déjà plus là. Mais tu penses pas à moi, parce que moi ça me bute aussi de te voir comme ça !

— Je sais pas pourquoi tu parles pas. C’est que t’as pas confiance en moi ? C’est ma faute ? J’ai fait un truc ? Juste… dis-moi que tu vas pas te buter, Al. Promets, s’te plaît. Promets. Parce que je vais pas survivre si tu te butes. Je sais que papa, il en aura rien à foutre, mais maman et Lily… Puis moi je veux pas te perdre, je peux juste pas imaginer, c’est pas possible. Tu comprends, ça ?

Des larmes ruissellent sur les joues d’Albus, mais il pleure sans bruit. Il a appris à se taire, et maintenant il ne sait plus manifester sa douleur autrement que dans la religiosité du silence. Il se penche un peu en avant, tout comme s’il allait tomber, et James le rattrape juste à temps. Il se prélasse dans la chaleur de son corps adolescent, dans la puissance de son étreinte et de sa transpiration âcre. Il étanche ses pleurs dans le cou de son grand frère, de son grand frère qui lui manque, parce qu’il n’a pas envie de mourir, il n’en a pas envie du tout. Et il aimerait lui dire que ce n’est pas ça, mais seulement qu’il n’a plus envie de vivre.

James enfonce ses mains dans sa tignasse, il le cajole longtemps en psalmodiant des mots inconnus, mais doux. Albus hoquète. Il lui semble que James pleure aussi, parce que ses cheveux sont humides, à mesure qu’il raconte. Au bout d’un moment, Albus s’endort et à son réveil, James n’est plus là.

 

— T’avais dit que tu voulais pas mourir.

Son corps tressaute de larmes et la douleur ronronne en lui. Le petit couteau qu’il a jeté sur le sol lui inspire désormais surtout du dégoût. Il pleure et pleure autant qu’il peut, il n’écoute pas James qui lui reproche mille choses, James qui essaie encore de le décourager alors qu’il a déjà échoué, déjà renoncé à l’idée même de la mort, qu’il aurait jeté de lui-même ce couteau avant qu’il ne le lui arrache, car il vient de se rendre compte qu’il n’a pas l’audace du suicidé. Le sang qui bat dans ses veines lui fait presque mal d’être vivant.

Puis on le gifle. James le gifle.

— T’es con ! Putain, Al t’es con !

Il l’agrippe par les cheveux, le force à se remettre debout, Albus s’arrête de pleurer. Et James lui mord la bouche, ses lèvres aqueuses qui glissent sur les siennes, ses dents qui arrachent la chair. Il sent la salive et le sang, il sent sa langue sauter sur la sienne, et Albus veut hoqueter de dégoût, car il déteste aimer ça, aimer le corps de son frère qui se presse violemment contre le sien, aimer avoir suffisamment mal, se sentir suffisamment en colère pour ne plus penser à la mort, ni au petit couteau.

Lorsque James recule, il conserve d’Albus quelques cheveux dans sa main, et un peu de sang qui macule son visage.

— J’vais les buter, Al. J’vais vraiment les buter.

 

Au cours des semaines suivantes, Albus essaie de ne pas penser à James, ou pas trop. Au début, il a voulu être en colère. Il n’avait plus daigné adresser la parole à son frère, ni croiser son regard. Si ce qu’il avait perçu l’autre jour de sa fougue avait trahi quelque chose, il osait se réjouir de lui causer, de cette manière, au moins un peu de tort en le privant de sa présence. L’idée de vengeance l’obsédait. Et le courage lui importait trop peu pour regretter s’en prendre à son frère plutôt qu’à eux.

Cet épisode lui avait construit une sorte de cuirasse de suffisance. Albus aimait à croire que c’était elle qui les décourageait, maintenant. Mais il savait qu’ils s’étaient plutôt lassés.

Mais Albus croise trop James. Chaque fois, James a les lèvres plus pâles, la démarche plus traînante, le visage craquelé et les yeux en coquillage. Chaque fois aussi, James essaie d’hameçonner son regard, mais Albus préfère détourner les yeux. Il voit maintenant ce que c’est, des yeux qui hurlent à l’aide. Il le voit en James, ce regard-là, mais il n’a pas envie, il ne peut pas. Il ne veut pas savoir.

Alors, il décide qu’il ne sait pas. C’est simple, d’effleurer James d’un demi-sourire, sans un mot et sans un bruit. Il passe à côté de lui comme une ombre. Ses yeux malades inventent des aventures à ses vêtements crevés et à ses pommettes bleues. Il croit déceler dans ses pupilles un rien d’extravagance, quand on n’y voit que la mort et la défaite. Mais ce n’est pas grave, car c’est si simple quand c’est James, et que ce n’est plus lui.

Heureusement, James n’ose pas parler à Albus. Ses œillades gagnent en détresse, mais sont toujours silencieuses. Quelques fois, il s’approche de lui, on le voit rassembler dans sa démarche une fermeté à laquelle il ne croit pas, on comprend qu’il aimerait dire quelque chose, mais lui aussi a appris à se taire. Albus sait bien qu’on apprend facilement le silence, avec eux.

Il est reconnaissant que James n’ose rien dire. Au début, il a eu peur qu’avec lui, ce serait différent. Peut-être même qu’il aurait su se défendre. Mais il sait ce que c’est, lorsque la douleur devient indicible, lorsqu’on s’écorche vif sans pouvoir demander à l’aide. L’apathie a cela de confortable qu’elle tait l’existence même de la douleur. Elle rétablit l’importance du rien quand la vie devient trop vive, car dans la disparition du soi, il y a aussi la disparition de ce qui nous fait mal, de ce qui nous démembre de l’intérieur, de ce qui hurle contre nos côtes et cette voix, trop intense, qu’on veut faire taire à en crever.

Oui, Albus reconnait tout ça en James. Alors, il sourit doucement et détourne le regard.

 

Plus tard, dans le brouhaha des condoléances, elle pose sa main sur mon épaule. Je ne sursaute pas, mais je ne la regarde pas non plus. Sa voix m’apparaît étrange et c’est sans doute ce rien de compassion qu’on n’attend pas au milieu de son accent écossais. Je sais qu’elle vient de parler à mon père, et je peux presque deviner ce qu’ils se sont dits.

Moi, mes yeux sont restés plantés là, sur le cercueil devant lequel tout le monde passe. J’ai peur de détourner le regard, comme si la colère allait profiter d’un instant d’absence.

Je n’ai jamais demandé à être son frère. Je n’ai jamais demandé à être triste pour lui, ni à penser chaque soir à sa bouche qui mord la mienne. Cette image de lui m’effraie, car elle me semble toujours vivante. Si je me laisse happer suffisamment longtemps par le souvenir, la douleur revient si vive que je crois saigner de nouveau. Dans ces moments, la magie appuie sur ma gorge, elle est dense et chaude et fétide, si puissante qu’elle me fait peur.

Elle me croasse quelque chose, j’acquiesce vainement. Elle a dû comprendre que je n’étais pas véritablement là, car l’instant d’après, je la découvre partie. Je glane son regard, son cou droit et digne de vieille femme sage, qui ne pleure pas mais parcourt l’assemblée d’épaule en épaule, ses murmures de rides qui calment leurs plaintes. Elle noie dans sa voix douce les remords qui suintent à leur front. Est-ce qu’ils se sentiraient coupables, si c’était moi ?

Je me dis qu’elle n’a pas su me réconforter car je suis déjà au-delà des larmes. J’ai traversé l’enterrement comme un coquillage, mes mains fourrées dans ma robe trop noire, là où elles peuvent demeurer dissimulées. Le désir de la peine m’entaille la gorge, comme je contemple ces grandes figures chaudes qui font des ogives au-dessus du cercueil. Je sens presque quelque chose, quand leurs larmes ruissellent sur le bois sombre. J’aurais voulu pleurer aussi.

Je ne me sens plus à ma place, alors je m’en vais. Dehors, je foule l’herbe pâle de mes godasses. J’ai envie de me mettre pieds nus. Ce n’est pas encore l’hiver, novembre à peine, mais l’herbe a déjà perdu sa tiédeur tendre, celle qui battait mes mollets doux quand nous courrions dans les plaines, derrière la maison. Je le revois sourire, et son sourire me mord le cœur. Je ne sais pas quel âge nous avions. Je sais simplement que cet âge est fini, qu’il est fini au-delà de ce que parcourt le temps, qu’il est fini parce que je suis le seul, désormais, à retenir ce souvenir, l’éclat de son rire clair contre le ciel ocre du soir. Je tiens contre moi, à l’intérieur de moi, au creux de moi, une espèce de ruine, qui est lui. C’est peut-être comme ça qu’on ressent le désespoir.

Soudain, je me rends compte que mes chaussures ont pris feu. Derrière moi, j’ai laissé un chemin d’empreintes qui empestent le caoutchouc brûlé.

 

Albus se redresse, il a l’impression d’avoir repris feu. Mais non, pas cette fois, ou pas encore. Il a peur, ça lui presse fort contre la gorge ce soir, ça brûle contre ses omoplates et dans ses paumes. Il doit partir. Il reconnait l’hilarité malfaisante qui se propage en lui, il reconnait aussi la magie qui cave son corps et le fait trembler.

La panique le jette hors de son lit. Bientôt, la nuit macule ses pieds de terre nue. Albus creuse l’obscurité, s’enfonce vite parmi les sapins bleus, au-delà du château qui masque tout à fait la lune. Il ne court pas, mais il marche à vive allure. Il s’écorche sur les pierres noires de la forêt et c’est la douleur qui le maintient tout juste présent à lui-même et qui retient la magie de lui couler entre les doigts. Il n’a jamais été un sorcier prodige, mais la disparition de James a fait surgir quelque chose en lui. C’est peut-être de la hargne, ou de la haine, en tout cas une puissance nouvelle dont il ne sait quoi faire et qui le laisse, cette nuit-là plus que toutes les autres, dans un désœuvrement lascif. La magie crépite trop dans ses mains, dans sa tête, le met en branle, l’instigue à se fondre plus loin dans la nuit.

Cette puissance du nocturne l’effraie autant qu’elle le fascine. À pas nus dans la terre, il ravine le noir comme on creuse un tombeau. La magie le démange atrocement : il voudrait l’enfouir. C’est une forme intrépide de colère, ou de fureur. Le jour, il prononce les mots de travers, il néglige un mouvement du poignet, il retient de toutes ses forces ce qui s’écoule de magie. Cela suffisait pour l’instant à tromper ce qui bouillait en lui, mais pas ce soir.

Albus contourne un chêne épais. La lune a reparu, elle disperse tout juste les arbres. C’est une clairière douce, couverte de mousse trop verte pour la nuit. Une souche est piquée de champignons ocres qui oscillent en rythme dans la lumière. Au milieu, deux yeux le fixent, avec leur pelage roux et blanc, leurs petites pattes frêles, ce je-ne-sais-quoi de curiosité animale. Albus aurait aimé lui commander de fuir, lui hurler de ne pas rester là, mais plutôt, il s’avance avec un calme qu’il ne se connait pas, la baguette droite entre ses doigts d’enfant, la magie chaude qui braille dans son sang et tord ses veines. Ça gonfle en lui, jusqu’au moment où :

Le renard n’a pas le temps de glapir. Ses yeux se révulsent de douleur et de terreur ensemble. Ses pattes s’agitent mais la force du sort est telle qu’on voit déjà ses côtes comme des perles percer son pelage. Ça ne dure qu’un instant, mais on sent le râle de l’animal, sa souffrance pleine, diffuse et Albus a la bouche grande, grande ouverte à mesure qu’il presse plus avant sa magie. Le poil roux qui dégouline de sang, le craquement méchant des os, les orbites vides de vie, le soubresaut de la mort, et Albus tombe à genou à mesure que les côtes finissent d’ouvrir le corps en deux sur le cœur encore palpitant. Il finit à mains nues d’arracher tout à fait la cage thoracique. Il ignore d’où vient cette force, mais il rompt dans un claquement sonore la colonne de l’animal dont les membres s’agitent encore fébrilement. Il se repaît avec frisson du meurtre, du pouvoir qui n’en finit plus de dégoutter, l’éviscération furieuse qui n’apaise rien en lui, mais éclaire la folie de son mal. Il l’a tué, aussi sûrement qu’il vient de tuer encore. Il a le souffle baroque qui heurte avec violence les rebords de son torse, et des sanglots de fièvre dévalent ses joues rondes, palpitent sous son œil, creusent ses traits comme une eau forte, et il a l’image de la détresse. À cet instant, Albus a horreur de soi, la sorte d’horreur de soi-même qui rend sa propre existence intolérable, comme s’il était au seuil de quelque chose, d’une réalisation féroce sur lui-même. Il ne se sent plus ni enfant ni gamin, alors peut-être qu’il a perdu, aujourd’hui ou probablement avant, ce qu’on appelle « innocence ».

Dans ce qu’il lui reste de curiosité, il plonge ses mains dans la carcasse, avec toute la douceur et le chagrin dont il se sent capable. Puis, il porte ses doigts chauds de sang à sa bouche. Il aime l’aigreur de violence que ça laisse sur ses lèvres. Et, juste à cet instant, le regret le dévore. Pour la première fois, il pleure son frère.

 

On ne tarde pas à retirer Albus de Poudlard. Maintenant que son frère n’est plus là, on le voit à nouveau et son apathie inquiète. Il ne parle plus, il ne dort plus, il mange à peine. Son visage est celui d’un ange qui a perdu sa religion. Il reste souvent à genou près de son lit, comme s’il se veillait lui-même mourant, la tête inclinée et les yeux secs d’extase. Cet après-midi, sa mère le cueille doucement, défait sa petite main qui agrippe trop fort les draps souillés, enveloppe ses épaules fragiles de chaleur et l’attire à lui. Elle l’aime encore.

C’est insupportable pour lui, d’être aimé encore. S’il avait été assez là, il aurait voulu protester au moins. Mais tout ça, il le sent à peine car l’indifférence est tout ce qui le retient de tuer à nouveau. Il a mal, il est en colère, il se sait blessé au-delà de la raison, son esprit boîte et se cogne dans sa tête, il se souvient de son frère qui rit et lui mord la bouche dans les longues plaines de leur enfance, il se souvient de sa langue qui palpite et de la détresse de son regard. Il a envie de vomir cette idée vivante de lui et sa magie grogne davantage.

Lorsqu’il recouvre un peu ses esprits, il est dans sa chambre. On l’a étendu sur son lit, sans le déshabiller. Il empeste fort l’adolescent et c’est peut-être ça qui le réveille, l’inconfort banal de sa propre odeur, le réconfort aussi de se retrouver, de se baigner dans quelque chose qui est profondément à lui. De ça, on ne le dépouillera pas, ni du sentiment de côtoyer, dans l’ombre tendre de sa chambre d’enfant, toutes les horreurs qu’il sait siennes.

Sa mère s’est endormie à son chevet. Il veut glisser ses doigts sur son front, voir ses mèches rousses couler contre sa peau, mais il ne se sent plus le droit. Il n’est plus enfant, il ne lui reste plus rien de l’avant, seulement cette mère qui n’a pas encore compris qu’il était devenu grand à ses dépens et qui veille un martyr qui n’en est pas un. Elle a gagné, avec l’âge, une félicité nouvelle, qui creuse un peu ses joues et la rend plus affable. Albus aurait tellement voulu pouvoir se blottir contre elle, s’oublier un peu, être même pardonné de tout ce qu’il n’a pas fait, mais qu’il a commis quand même. Il a peur aussi de lui donner, par sa seule présence à côté d’elle, trop de noirceur, faire tout à coup flétrir sa beauté, ses mains qui le cajolent dans son sommeil, sa bouche qui murmure des réassurances, comme seule une mère sait le faire.

Lorsqu’au matin il croise son père, il se dit que lui, l’âge l’a enlaidi. Il a la voix forte, un air sévère qui lui barre le front, des cheveux qu’il coiffe trop. On dirait un père sans nom, quelque chose d’anonyme qui se promène avec le deuil suspendu aux paupières. Il parle beaucoup pour ne pas montrer qu’il a mal, comme si la parole allait noyer l’air de chagrin qui chavire sur son visage. Albus méprise ce père-là, d’ailleurs il ne lui parle pas, et son père ne lui parle pas non plus. Ils se toisent à peine, et Albus ne mange presque rien. Il évite de regarder sa mère, qui elle, ne cache pas tout le souci qu’elle se fait pour le fils qui lui reste.

 

Albus fait peu de choses de ses journées. Il contemple l’endroit et l’envers de ses mains, il attend que son plafond se transforme à l’orée de son sommeil, il guette l’ennui comme le prisonnier sa pitance. Étonnamment, il n’y a que l’ennui qui sait suffisamment distraire sa cervelle autophage. L’agacement, la frustration acide du désœuvrement. C’est peut-être un effet de la haine qu’il ressent, mais tout lui paraît neuf et étranger. Sa chambre est comme il l’a toujours connue : le même lit bateau accolé au mur, son bois riche et noueux, le parquet qu’il a appris à ne plus faire grincer. Mais cette chambre, ce n’est plus lui, ou alors il est devenu un étranger pour lui-même. Cela expliquerait pourquoi, les rares fois où il ose se regarder dans la glace, il ne reconnait pas l’adolescent qui se tient devant lui. Il a égaré ses yeux, ses pommettes hautes, la rondeur bienveillante de ses joues, il a troqué sa bouche pour un sourire aveugle qui ne veut plus vivre.

Ce n’est que plusieurs jours après son retour chez lui qu’il se rend compte qu’il n’a pas sa baguette. Il accueille cette découverte avec une légèreté qui le surprend ; en fait, il est surtout reconnaissant. Albus ignore s’il l’a oubliée ou si on la lui a retiré, mais ça lui est bien égal, car la magie ne branle plus dans son corps, la nuit, lorsqu’il se réveille et sent le corps de son frère moite contre le sien. Après plusieurs heures, le matin s’efface et le soleil ne noie plus sa chambre, à travers les drapés fin qui occultent le dehors comme une brise blanche. Son corps trouve enfin de quoi se mouvoir et s’écoule d’entre les draps chauds. La plante de ses pieds s’enfonce sur le parquet verni, il passe sa main sur la patine de son visage qui s’échappe de sommeil. Il ne sait pas beaucoup de moments où il connait encore le toucher de ses doigts sur son front, comme si la fièvre plate du chagrin avait enlevé à sa figure tout son relief, à la manière des pierres de rivière sur lesquelles l’eau a trop coulé. Il se sent galet, mais galet creux, galet bringuebalé par la force ferme du gave. Sa tête est un bahut vide qu’il devient aisé de porter, et de porter haut, car ses yeux, peu à peu, se retournent en eux-mêmes. Il se découvre nu, sinon la fièvre, la fièvre de sa bouche dont le sang fuit chaud, mais s’amenuise dans ses rêves.

Soudain, quand il veut quitter sa chambre, la porte s’ouvre devant lui et son père est là. S’il est surpris de le trouver levé, il ne le montre pas. Plutôt, il agrippe l’épaule d’Albus, avec sa main grande et puissante qui lui fait mal. Sa poigne renfonce ce qu’il reste de chair dans l’intervalle de ses doigts, puis il lui tend un carnet, un vieux truc garni de pages blondes, et ça, c’était l’image d’une bricole de misère, avec sa couverture de cuir noir bon marché.

Albus hésite à refuser le carnet qu’on lui tend, juste par sauvageonnerie. Mais la main étalinguée à son épaule le décourage, car son père lui a inculqué la crainte des coups et des cris, même s’il ne l’a jamais frappé. Ils se dévisagent et ne se parlent pas, parce qu’ils ne savent plus faire. Ils ne savent plus qu’être méchants, mais ils ignorent que c’est leur seul moyen de s’aimer. Alors, Albus agrippe plus fort le petit carnet et son père recule et s’efface à travers la porte.

Dès lors qu’Albus a reçu le carnet de son père, il cesse de se présenter aux repas. De toute façon, il ne savait plus manger. Cela n’empêche pas pour autant sa mère, encore dans un élan de sollicitude, de lui présenter plusieurs fois par jour un petit plateau, fourni de tout ce qui est ostensiblement à son goût, dans l’espoir vain d’en voir quelque chose disparaître. Mais tout comme Albus ne se reconnait plus, il ne reconnait pas davantage l’odeur de l’appétit et de tous les plats de son enfance. L’idée même de se nourrir, à mesure que les jours passent, lui paraît parfaitement innaturelle, un manifeste d’indécence quand la seule chose qu’il veut encore sentir, c’est le souvenir du sel et des larmes et du sang, du baiser et ce goût de marée qui cogne contre sa langue.

C’est un drôle de carnet. Albus se rend compte qu’il n’a qu’à presser sa main contre les pages pour s’y déverser tout entier. Il prend nouvellement conscience de lui. Ses doigts qui caressent le papier se remarquent peut-être pour la première fois et il perçoit, quand il étale l’encre qui en surgit, des fragments qui ne peuvent être que lui, ou quelque chose d’assez semblable pour lui répondre, le comprendre, l’apaiser. Au fil des heures, des nuits et des jours, il se penche avec une fièvre accrue sur le carnet. Il apprend à connaître le caractère rugueux du papier, lorsqu’il fait sauter sa plume et interrompt ce qu’il était en train d’écrire. Albus se découvre écrire et déjà écrit.

Il a un temps le projet de faire de lui-même un personnage, lorsque soudain, la nausée s’empare de lui, la panique lui fait tourner la tête, car désormais il a compris qu’il n’est pas maître de ce qu’il écrit. L’encre qui jaillit de sa plume n’est pas si différente de son sang, ou de celui du renard. Il plonge violemment son regard dans la page pour mieux hurler, mais rien ne s’échappe, car on a décidé qu’il serait triste, qu’il accepterait son sort, on fait couler des larmes noires sur ses joues pales et la seule sensation des pleurs le fait soudain sangloter pour de vrai.

Les sanglots qui souillent le papier sèchent plus vite que de raison. Albus n’est pas surpris de voir, à la place, émerger d’autres mots, qui pourraient être les siens, et qui le sont sans doute. Ce sont des mots qui répondent à sa désespérance. Une chaleur, qu’il n’avait connue jusqu’ici que dans l’étreinte de son frère, arpente son corps. Ça grimpe en lui, le singe dans sa nuque nacrée de coquillage, mais cette fois, c’est une sorte différente de vertige, un autre vide qui est celui de la page blanche qu’il voit noircir et impudique.

La nuit est profonde. Il y a une lampe à huile qui secoue sa lumière humide et jaune sur le chevet. Harry est là, lui aussi, la joue creusée contre l’embrasure de la porte, le bois tiède sur sa peau et ses jointures griffues qui écaillent la peinture jusqu’au blanc. Il observe immobile Albus, comme nous. Le carnet est ouvert entre ses cuisses transpirantes sur une page redevenue vierge. Il halète fort. Ses joues sont roses et ses yeux brillent. Harry observe les petites mains qui recouvrent de sperme le carnet, tout comme il observe juste ensuite le visage d’Albus se vriller de larmes, le désespoir suffocant qui empoisse ses draps défaits, les mêmes petites mains qui jettent le carnet souillé sur le plancher sombre.

J’ai l’impression de le voir tout à fait, pour la première fois depuis longtemps. Je mets un instant avant de me rendre compte que je pleure, moi aussi, mais silencieusement. C’est quand je vois le sperme qui recouvre ses mains d’enfant que je me désole de ne pas les avoir vus grandir, et de m’être si profondément enfoncé dans l’absence, dans la peine et la pénitence silencieuses, que je me désole aussi de ne plus savoir que crier. Il pantèle affreusement entre deux sanglots et je ne peux rien faire. Il a déjà l’air d’un cadavre, même si quand je le vois ainsi, je le regarde surtout vivre encore et se débattre. C’est sans doute mon imagination, ce que je veux croire, l’espérance qui m’habite toujours dans le souvenir du corps mutilé de son frère. Je ne sais pas si j’aurais pu le sauver. C’est trop tard maintenant.

 

La plaine est longue et blanche. De la neige sillonne le paysage à perte de vue. Au loin, des montagnes sont comme des échafaudages d’encre, qui soutiennent le ciel pâle parmi les nuages. L’air sent l’éparpillé.

Albus tourne la tête. Il lui sourit, et ce dernier lui sourit en retour. Il est très beau, et ça semble peu à dire, mais c’est probablement tout ce qui nécessite d’être raconté : « Albus le trouve très beau ». Sous le soleil qu’on ne voit pas, sa peau est blême comme un néon. Il a l’air franc de celui qui a abandonné de vivre, les yeux marrons comme la terre, les lèvres trop blanches, mais il sourit. Albus croit qu’il l’aime mais il ne sait pas où il est.

— Je ne sais pas non plus.

— Y’a rien ici.

— À part toi, et le garçon sourit encore.

Albus se sent rougir, un peu, mais il sait que ses joues restent exsangues. Il n’habite plus tout à fait son corps. Au moins, il ne souffre que très légèrement du froid. Tout ce qui lui reste de tiédeur, il le propulse dans son regard et dans l’attitude défiante qu’il revendique. Son sang s’agite dans ses veines comme de l’encre chaude.

Il apprécie un instant le silence, c’est-à-dire l’absence de mots. Et pourtant, lorsque le garçon lui parle encore, puis qu’il lui répond, le silence ne semble pas avoir été rompu, simplement prolongé dans des termes nouveaux, un silence plus profond et résilient, qui admet la communauté de leurs présences à travers le paysage blanc. Il y a, partout dans la plaine longue, des apparitions muettes, des souvenirs qui s’effondrent comme des sacrifices humains. Albus sait que ce sont des souvenirs qui ne lui appartiennent pas.

— Il a pris ce qu’il restait vraiment de moi.

— Mon père ? demande Albus.

— Ton père. Moi, je n’en ai jamais eu.

Blanc.

— Tu regrettes ? De pas avoir eu de père ?

— Je ne sais pas. Je n’aime pas me poser la question.

— Moi, je sais pas si mon père est vraiment mon père. C’est pas lui qui m’agite dans sa tête. Il me fait pas vivre. Mais j’ai cru ressentir des trucs, parce qu’on m’a dit qu’il était mon père, on m’a fait agir comme ça, on m’a fait le regarder comme un ado un colère. Et c’est vrai, j’suis en colère.

— Tu ne serais pas là, sinon.

— J’aimerais dire que je suis en colère contre le monde entier, mais c’est pas vrai. Je suis en colère parce que j’ai jamais pu décider de ma vie. Regarde, là, je fais un pas, et c’est pas moi qui viens de marcher, parce que c’était déjà écrit. J’en peux plus de souffrir mais j’aimerais au moins souffrir en sachant que je suis en vie. Ici, avec toi, j’ai pas à prétendre vivre, car je sais que tu n’es pas plus réel que moi. Ici, on dicte notre existence, parce que c’est moi et toi qui écrivons, ou qui faisons semblant.

Le garçon s’approche d’Albus, ses mains tremblent un peu et ça le fait rire. Il cache mal qu’il est nerveux, même si c’est lui, le plus âgé d’entre les deux. Albus prend ses mains, et se laisse basculer en arrière. La neige est doucement fraîche contre sa chemise de nuit. Il n’en a pas changé depuis plusieurs jours maintenant, elle est froissée et pue le musc. Cette image lui plaît bien, comme il lui plaît bien ce garçon qui se presse contre son corps et furète contre sa peau. Il existe de moins en moins à mesure que le garçon lèche son sexe droit. Albus ne sent presque plus rien, mais il se réjouit de la simple présence de ce garçon qui l’aime et le comprend, de sa bouche entre ses cuisses, de ses mèches froides contre son ventre.

Soudain, son corps se cambre, ses mains arrachent la neige à pleines poignées, le garçon le regarde et sourit encore, avec quelque chose aux lèvres qui ressemble peut-être à du bonheur, et Albus jouit, le plaisir démembre son corps, il éjacule une sorte de liquide noir et épais, qui tache son corps livide dans la plaine blanche. On dirait un ange emmazouté.

Lorsqu’il relève la tête, le garçon lui tend un petit couteau, qu’Albus saisit avec révérence. Il le sent s’allonger à ses côtés. Il n’a pas besoin de le regarder pour savoir qu’il s’est déjà taillé les veines. C’était écrit, mais dans cet instant, quand il rature son poignet avec la lame souillée de noir, il a l’impression de le décider pour lui-même. Puis, il se rallonge, tourne la tête, le garçon lui sourit et Albus sourit en retour et ferme les yeux.

— J’ai froid, Tom.

— Moi aussi.

 

Je ne pensais pas un jour enterrer mon fils.

Vous pensez peut-être que l’on s’y fait, mais ce n’est pas plus facile la seconde fois que la première. Enfin non, bien sûr que vous savez qu’on ne s’y fait pas. On ne se fait jamais à la mort. Tout au mieux, elle nous habite. Il neige doucement.

Le journal est rugueux contre mes lèvres. Il demeure inerte, bien sûr, mais dans ce dernier acte que je crois être un acte de tendresse, je viens à résipiscence. Je leur dis adieu, aussi, à tous les deux.

Mes ongles sont cavés de terre et de sang, car j’ai eu la folie de creuser à main nue le sol glacé, au-delà de la neige. La nuit tombe à peine et je ressens trop le chagrin pour avoir froid. Je ne sais pas encore que Ginny, qui s’est enfermée dans notre chambre dès qu’elle m’a vu avec le journal dans les mains, n’est plus en vie. Lily le sait, c’est pour ça qu’elle a posé sa main sur mon épaule. Elle fixe le journal avec un air résolu qui m’effraie peut-être plus que ce que j’ai fait. Au fond, comme moi, elle sait survivre.

Je demeure immobile à genou et je remarque à peine Lily qui ôte le journal de mes mains. Elle le dépose dans la cavité que j’ai creusée dans le sol, puis le recouvre. Je sais que je n’ai plus le droit d’être triste, mais je pleure tout de même. Lily a posé sa joue chaude contre la mienne.