
Walburga Black avait le front ceint d’étoiles. Elle se disait qu’elle tomberait sûrement évanouie au milieu du salon, mais qui serait là pour la trouver ? Orion et Regulus étaient décédés à un an d’intervalle et Sirius était comme mort. Il ne restait que Kreacher, mais ce ne serait jamais sa famille. La main de fer de Walburga s’étendait sur un monde peuplé de fantômes. Elle frôla la tapisserie de son index. Elle était rugueuse, les fils épais perdaient de leur couleur :
« – On pensera à mettre de l’ordre ici, marmonna-t-elle. C’est ridicule… »
Parfois, elle regrettait ne plus pouvoir contempler le visage de ses fils ; ne serait-ce qu’une mèche de leurs cheveux. Pourquoi ne lui restait-il que des vestiges ? Elle se sentait comme une antiquité exposée en vitrine, idée ironique pour une sorcière particulièrement douée pour l’enchantement d’objets. Walburga, effrayée de perdre son identité, savait que cette magie-là devait se pratiquer avec une grande attention. Les moindres poupée, chandelier ou même voile qu’elle marquait conservaient son empreinte, son essence. Non fatiguée, il en restait que l’énergie dispersée se transformait et qu’elle avait une incidence sur Walburga, sur son mental, mais aussi son physique. C’était comme cela que tout avait toujours fonctionné.
Walburga fit sa promenade matinale plus tôt que d’habitude. Souffrant d’insomnie, il lui arrivait de se poster à sa fenêtre pour attendre le moment où le soleil pointait à la cime des arbres. Ensuite, elle s’épuisait à parcourir le domaine. Elle s’imposait des règles de conduite même sans personne pour la surveiller. Walburga savait qu’au moins jusqu’à sa mort, elle ne pourrait jamais s’échapper. Elle se contrôlerait elle-même à défaut d’avoir perdu l’empire qu’elle avait sur les autres. Les landes étaient humides. Elle laissa tremper ses pieds dans l’eau froide un moment et le regard haut, elle observa les alentours, l’esprit vide. Sa peau pâle et nue n’était parcourue d’aucune cicatrice visible, à l’exception d’une trace plus claire sur l’index gauche. C’était de là qu’elle dirigeait sa baguette. Les sorts qu’elle infligeait aux autres la blessaient plus que ceux qu’elle avait reçus enfant et adolescente. Walburga n’avait pas compris les oppositions, les plaintes qu’elle considérait toutes issues de caractères faibles et inadaptés à des sorciers de sang pur. Elle, n’avait pas flanché, était devenue celle qu’elle était parce qu’elle disait avoir eu la chance d’obtenir une éducation noble. Selon elle, Sirius était à la fois une anomalie et un fils qui n’avait pas réalisé l’ampleur de ses responsabilités et surtout du cadeau qu’elle lui offrait, non pas en tant que mère, mais comme elle le clamait, en tant que guide. Les parents de leur lignée étaient censés apporter la lumière. Son aîné s’était abaissé à un état de larve, de celles qu’il faut supprimer d’un revers de semelle ; les moldus. Elle ne le détestait pas, seulement, il était devenu quelqu’un d’autre. Walburga voulait la disparition des moldus. Si elle ne suivait plus Voldemort en raison de ses trop fortes propensions à la violence, l’éradication en bonne et due forme d’êtres qu’elle ne considérait pas réellement digne d’intérêt ne la dérangeait pas. Les moyens n’étaient pas à son goût, mais le but poursuivi par Voldemort l’était :
« – Madame, le dîner est prêt, indiqua Kreacher. »
Walburga jeta les quelques fleurs qu’elle avait cueillies directement sur la table :
« – Je n’ai pas faim, occupez-vous plutôt de poser ces fleurs à la crypte, persifla-t-elle. Je les veux avant quinze heures. Idiot…, dit-elle un peu plus bas. »
Depuis la mort de son fils, Walburga ne réussissait plus à crier d’insultes :
« – Madame, vous avez marché toute la matinée. Peut-être…
– Et ? Le coupa-t-elle. »
Quand bien même un seul des corps résidait bel et bien dans la crypte que Walburga avait fait construire, l’endroit qu’elle rejoindrait un jour, elle ne s’y rendait que rarement. Elle tenait en revanche à ce que les lieux soient mieux entretenus que sa propre maison et y envoyait souvent Kreacher, n’hésitant pas à s’adresser à lui plus sèchement qu’elle en avait l’habitude et l’envie. Elle se croyait indifférente à la mort, mais les événements des années passées lui avaient fait reconsidérer ses conceptions. Elle était dévastée et à la fois furieuse, incapable de seulement prononcer le nom de son mari et de son fils à voix haute. Laissée sans de réelles explications à la fois pour les conditions du décès de son fils puis de son mari, elle ne cessait de se triturer l’esprit. Il n’y avait pas d’autre issue que sa mort. Mais cela ne lui donnerait pas de réponses. Il n’y avait que des plaies ouvertes et heureusement invisibles. Car il ne faut rien montrer et tout laisser paraître à ceux qui regardent.