
A bout de course.
L’alarme stridente de sa Nutripile, assortie de cette sensation étrange qu’une main invisible était en train de visser quelque chose entre ses côtes, devait être la façon la plus désagréable d’être réveillé.
- Silencio ! marmonna-t-il.
La protubérance métallique située au creux de sa taille continua à clignoter rouge colère, comme si sa vie était mortellement en danger.
Les à-coups de la pompe interne était juste une satanée plaie.
Il possédait le modèle le plus sophistiqué, bien loin de celui basique dont se contentait la plupart des personnes, mais le département de conception n’avait toujours pas réussi à régler ce défaut. Il faudrait qu’il leur en touche deux mots.
La horde d’ingénieurs derrière ce petit bijou de technologie lui répondrait sûrement qu’il n’avait qu’à se montrer moins négligeant, à se coucher sans prendre la peine de vérifier ses niveaux, prenant le risque d’endommager la pompe et de perturber son equilibrium.
Ceux-là ignoraient qu’ils avaient trop de choses à penser, ces derniers temps.
Il se redressa difficilement, ses muscles affaiblis. La pièce vacilla à mi-chemin de la salle de bain.
- Bonjour Monsieur Malefoy. Votre analyse d’urine sera disponible dans 60 secondes. Veuillez patienter.
Il rabattit le battant des toilettes d’un geste las, soupira, puis se lava les mains pendant que la petite horloge battait la mesure, le décompte des secondes censé ménager le suspense.
L’eau sur son visage lui fit du bien, même si elle ne réussit pas à atténuer ses cernes ou à rallumer un semblant de lumière dans son regard. Un coup de baguette magique fit disparaître la légère barbe sur ses joues, un autre rafraichit son haleine.
Il enfila sa robe de sorcier, une confection sur-mesure, en lin et en coton, qui accentuait la prestance attendue par un homme de son rang et de son importance. Le bleu de sa cravate était la seule note de fantaisie qu’il s’accordait, un détail que son épouse avait bien compris.
Il terminait de se coiffer, usant sans vergogne de potions et de magie pour lutter contre la récession de sa ligne capillaire, quand sa Nutripile se remit à hurler.
- Deux minutes, marmonna-t-il.
Son chargeur se trouvait entre son bureau et la chambre à coucher. Là-bas, un des Elfes avait disposé la dernière édition de La Gazette à côté de son fauteuil. Il connecta sa Nutripile, ignora les reproches cachés dans les mises en garde de l’assistant virtuel, puis attendit que la machine détermine le meilleur mélange à partir des résultats de son analyse d’urine.
Aujourd’hui, le liquide était un peu bleuté. La recharge ne prit que quelques minutes, juste le temps de jeter un œil au cours de la bourse. Les actions d’Apothicaire & Co n’avaient pas bougé pendant la nuit.
Dans ses entrailles, la pompe s’apaisa. Elle se mit à ronronner avec douceur, contente de pouvoir à nouveau jouer son rôle et diffuser le mélange de nutriments directement dans son estomac.
Sa Nutripile clignotait en vert.
Comme chaque matin depuis cinq mois, il passa par la chambre de son père. La silhouette fatiguée de Scorpius Malefoy était si pâle dans la pénombre qu’elle en était luminescente. Les différentes machines autour de lui affichaient des valeurs qu’il avait appris à reconnaître et qu’il trouvait plus angoissantes que celle des actions de son entreprise.
Il s’avança jusqu’au chevet de son père, embrassa la peau parchemin de son front, serra sa main. Il resta là à l’observer, un peu comme il le faisait avec ses enfants quand ils étaient tout petits.
Les traits de son père étaient détendus, sa respiration régulière. Il était important qu’il se repose pour lutter contre la maladie.
- Monsieur Malefoy, j’espérai vous croiser ce matin…
Le médicomage de son père avait sa tête des mauvaises nouvelles – les seules qu’il semblait en mesure de lui annoncer ces derniers temps --.
Il le suivit dans le couloir, referma la porte en douceur.
- Les derniers résultats de votre père ne sont vraiment pas bons…
…
Les derniers résultats de votre père ne sont vraiment pas bons…
La phrase tournait en rond dans sa tête, éclipsant toutes les autres.
Son foie est en train de lâcher.
Ses reins montrent les premiers signes de fatigue.
Son père allait mourir.
Il le savait. Le diagnostic avait été posé un an plus tôt : cancer généralisé. Ils avaient consulté les meilleurs spécialistes – même moldus ! – en vain.
Son père était mourant.
Les drogues, les potions, les traitements, les machines… Tout cela ne servait qu’à prolonger son agonie.
Et à lui donner quelques mois de plus pour réaliser la dernière volonté de son père.
Il lui avait promis.
…
- Ah, Maxen ! Je vous attendais !
Son chef des Courses, sa listeuse sur les talons, se stoppa net sur le pas de la porte.
Maxen Savage était un colosse aux larges épaules, qui le dépassait d’au moins deux têtes. Deborah Carter, son assistante, disparaissant entièrement derrière lui.
- Vous n’étiez pas obligé de faire le déplacement, Monsieur. Je peux encore monter vous voir.
Son bureau était directement au-dessus de celui-ci, bien qu’il en fasse trois fois la taille, lui offrant une vue sur Londres à cent quatre-vingt degrés.
A ce moment précis, la pièce était le théâtre de son impuissance. Toutes les tentatives pour aider son père s’y accumulaient en piles vacillantes de dossiers, formant des rues aux trop nombreux cul-de-sac.
Il se fendit d’un sourire faux, déterminé à ne pas dévoiler son désespoir.
- J’ai une faveur assez personnelle à vous demander. C’était bien normal que je vienne à vous.
Maxen sembla ravaler quelque chose d’amer, mais il s’abstint de relever l’hypocrisie de leur échange. Ils savaient tous les deux qu’il était du mauvais côté du bureau pour demander poliment un service à l’un de ses employés. Cinquante ans plus tôt, ce fauteuil avait même été le sien, puisqu’il avait fait ses premières armes dans le service des Courses, quand son père était encore PDG.
La production des matières premières pour la Nutripile sorcière était le fondement du succès de l’entreprise, mais sa véritable source de profit, c’était de revendre des produits non transformés à des clients fortunés en soif d’exotisme.
C’était la raison pour laquelle son père l’avait mis dans ce service en particulier à sa sortie de Poudlard. Cela lui avait permis de rencontrer tous les clients importants et de gagner leur confiance.
Quand son père lui avait laissé sa place, Maxen Savage était un jeune employé qui ne reculait jamais devant les défis les plus audacieux. Il avait été capable de trouver des produits que beaucoup pensés perdus pour toujours.
Ce n’était pas pour rien qu’il dirigeait ce département depuis plus de deux décennies.
- J’ai une mission très sensible pour vous. Un de nos clients est à la recherche de farine et de cacao.
Maxen éclata de rire.
- Oui, et pourquoi pas de l’huile d’olive et du café, tant qu’on y est !
Il serra les lèvres.
Le dérèglement climatique promis par les scientifiques moldus, cent cinquante ans plus tôt, aurait pu être une prophétie tant ils avaient vu juste.
La réalité renvoyait les guerres passées au rang de petites difficultés passagères.
Les saisons se succédaient au cours de la même journée, les sécheresses et les inondations étaient imprévisibles et toujours dévastatrices. Résultat de cela, l’agriculture était passée de compliquée à quasi-impossible. Pour éviter une famine, qui entrainerait probablement une guerre civile sanglante et une extinction de masse, les cultures se faisaient dans des bâtiments hautement sécurisés, dans lesquels chaque variable était contrôlable.
Au fil des décennies, il était devenu évident que la nourriture était une denrée aussi rare que l’eau douce, rendant impératif d’optimiser au maximum la production.
Chaque légume qui réussissait à être produit devait terminer dans un estomac.
Les circuits courts, la mise en conserve, la surgélation et tout le reste n’avaient pas réussi à pallier le gaspillage, alors Monsanto, Nestlé et Pfizer s’étaient associés : quelques années plus tard, la Nutripile entrait sur le marché.
Aujourd’hui, presque 90% de la population était nourrie exclusivement par ce système. Toute l’agriculture s’était mise au pas et ne produisait plus que les légumes dont on pouvait extraire le plus de nutriments.
Et dire qu’à l’époque, la société sorcière s’était moquée de son père pour avoir repris la Nutripile moldue à son compte !
Maxen échangea un long regard avec sa listeuse. Les yeux de la jeune femme faisaient des allers-retours entre son chef et lui, un pli inquiet entre ses sourcils.
Deborah Carter ne travaillait pour le département que depuis quatre ans mais elle était intelligente et très compétente. Elle gérait d’une main de maître les clients les plus difficiles, parvenant à leur faire entendre que, non, ils ne pouvaient pas leur procurer de la viande de dauphin ou de la papaye fraîche, mais qu’ils avaient des morceaux de saumon fumé et des fraises à un prix raisonnable.
C’était une négociatrice née.
- Le blé et le cacao sont sur notre liste noire pour une bonne raison, Monsieur, reprit Maxen avec toute la diplomatie dont il semblait capable. Je suis sûr que Deborah parviendra à faire le nécessaire pour faire basculer ce client sur des produits de la liste rouge.
Il secoua la tête.
- Je vais devoir insister, Maxen.
L’écho d’une menace fit vibrer l’air entre eux. Maxen travaillait avec lui depuis trop longtemps pour ne pas l’entendre.
- Monsieur, puis-je connaître l’identité de ce client ?
Il sentit ses lèvres dessiner un rictus, sans qu’il ne lâche le regard déterminé de Maxen Savage.
Les derniers résultats de votre père ne sont vraiment pas bons…
La mise en garde revint, inlassable. Il n’avait pas le temps de jouer.
- Il s’agit de mon père, Deborah, dit-il. Voyez-vous, il est mourant, et son dernier souhait est de goûter à nouveau le gâteau au chocolat que lui préparait sa mère à chaque anniversaire quand il était enfant. Je ne vois pas comment vous pourriez réussir à le faire changer d’avis.
Il avait échoué, encore et encore. Il aimait son père plus que tout, mais on faisait difficilement sorcier plus obstiné.
- Il existe des recettes sans farine et à base de chocolat synthétique à s’y méprendre, Monsieur, tenta Deborah. Si vous me donnez quelques jours, je peux organiser un échantillonnage ?
Il porta son regard sur elle.
- Pensez-vous vraiment que je n’ai pas déjà essayé ? J’ai acheté les services des chefs les plus réputés, moldus comme sorciers, à travers toute l’Europe, et pas un seul n’est parvenu à satisfaire mon père. J’ai également demandé à nos équipes de production de tout faire pour cultiver du blé et du cacao dans nos installations, sans succès probant. Les Soigneurs ne donnent plus que quelques mois à mon père, vous et vos équipes sont ma dernière option. Cette mission doit être votre priorité numéro 1.
Son ton était aussi définitif que celui de son père, le genre forgé par les responsabilités qui pesaient sur ses épaules, lui qui était le président-directeur général d’Apothicaire & Co, première entreprise du monde sorcier britannique, donc le chiffre d’affaires s’exprimait en millions de Gallions chaque année.
Il était Lord Malefoy, l’une des personnes les plus influentes du monde sorcier européen.
Ses demandes avaient force de loi, un fait que ses employés n’avaient pas intérêt à oublier.
- Entendu, Monsieur, dit Maxen. Nous allons faire tout notre possible.
Il approuva d’un signe de tête, puis se leva.
Il marqua une pause juste avant de pousser la porte.
- Apothicaire & Co n’emploie que les meilleurs dans leur domaine, Maxen. Ne l’oubliez pas.
La menace était digne du Serpentard qu’il était. Maxen ne s’y trompa pas.
…
Les trois fermes d’Apothicaire & Co étaient un miracle de verre et d’acier élevées sur des collines au sud de Londres. Les tours de trente étages, interconnectées entre elles par des passerelles vertigineuses, étaient aussi de rares îlots de verdure au milieu de la grisaille hivernale.
Ici, la sécurité était maximale. Il employait plus de gardes et de miliciens que d’ingénieurs. Depuis le bureau qu’il avait ici, il les observait souvent patrouiller en haut des hauts murs d’enceinte jusqu’aux miradors. Il y avait les sortilèges – dignes de Poudlard et du Ministère – mais on n’était jamais trop prudents.
Apothicaire & Co s’était imposé comme l’unique fournisseur pour les chargeurs des Nutripiles de toute la société sorcière. Si quelque chose advenait aux fragiles récoltes, cela provoquerait un drame dont son entreprise ne pourrait peut-être pas se relever.
A travers les couloirs vitrés, qui laissaient apercevoir la production en cours dans les grandes salles baignées de lumière, l’air était humide, chargée d’une odeur de terre qui lui rappelaient la serre au Manoir Malefoy et les rosiers de son grand-père.
C’était toujours plus agréable que la tour 3, où étaient élevés insectes et poulets. Il en ressortait toujours avec la nausée.
Dans son bureau, Winnie MacMillan était penchée au-dessus de son microscope. Elle leva un doigt péremptoire quand il frappa, sans quitter son travail des yeux.
Il ne comprenait pas grand-chose à la technique qui permettait la culture et la production des produits dont il avait besoin. Il savait toutefois que Winnie était extrêmement douée, preuve en était les rendements exceptionnels que connaissaient l’entreprise depuis qu’elle avait pris les rênes de cette tour.
- Oh, Monsieur Malefoy ! Je ne pensais pas que c’était vous !
Il fit un geste vague de la main pour balayer son commentaire. Il ne pouvait pas la blâmer, il préférait travailler dans son bureau du Chemin de Traverse.
Il n’était pas vraiment à sa place ici.
- Vous avez du nouveau pour moi ?
Son sourire se flétrit. Elle secoua la tête d’un air désolé. Ses boucles brunes, éclairées de mèches blanches, voltigèrent avec insolence autour de son visage.
- Je suis désolé, Monsieur. Comme on le craignait, la fécondation n’a pas très bien pris…
Il serra les dents.
- Pas très bien pris ou pas du tout ?
Elle s’affaissa contre le dossier de sa chaise.
- Au vu des résultats, pas du tout serait plus honnête. Le meilleur scénario effleure à peine les 5% de rendement.
Il jura – maudit toutes les déités auxquelles il pouvait penser, même celles moldues --.
Une part de lui – pas si petite – avait envie de pleurer.
Il s’obligea à tenir son rang.
Il ravala ses questions pour le cacaotier.
- Merci d’avoir essayé, Winnie.
Maxen Sauvage et ses équipes étaient vraiment sa dernière chance.
…
- Je fais tout ce qui est en mon pouvoir, papa. Il faut juste que tu tiennes un peu plus longtemps…
Son père cligna lentement des paupières. Une larme solitaire s’échappa de ses yeux opaques et se perdit dans les rides qui ne cessaient de se creuser les traits de son visage.
Certains jours, il le reconnaissait à peine.
Scorpius Malefoy avait été un homme dynamique, au regard vif et à la langue acérée. Redoutable homme d’affaire, respecté par ses concurrents et crain par ses employés.
Père attentionné et aimant, toujours là pour lui.
Maintenant, il n’était plus qu’une carcasse vidée de son énergie, un esprit retenu prisonnier dans un corps défaillant.
C’était cruel de lui demander de continuer à se battre. Il ne le faisait pas vraiment pour qu’il puisse goûter une dernière bouchée de gâteau au chocolat, dernière volonté ou pas.
Il était terrifié par le vide que la mort de son père allait laisser dans sa vie.
Par cet après qui était sa première et sa dernière pensée, chaque jour – et qui l’empêchait bien souvent de trouver le sommeil --.
Son père pressa ses doigts contre les siens, sembla vouloir lui dire quelque chose.
N’en trouva pas la force.
Il se contenta d’un long regard qui semblait vouloir dire « je t’aime, fils ».
Il embrassa le dos de sa main et, lui qui ne croyait pas à grand-chose, commença à prier.
…
Il ne pouvait pas dire que Savage se fichait de lui. Depuis le bureau qu’il avait réquisitionné à l’étage du dessous – en partie pour superviser les recherches, surtout pour se donner l’impression d’être utile --, il le voyait enchaîner les coups de cheminette et les rendez-vous aux quatre coins du pays.
Parfois, il surprenait les rires de ses interlocuteurs quand Savage oubliait de fermer la porte.
Son chef des Courses encaissait les moqueries avec un pragmatisme tinté de résignation.
Il continuait pourtant à passer son réseau au tamis, tandis que ses équipes focalisaient leurs efforts sur des pistes légales – les musées, les restaurants, la concurrence sous toutes ses formes.
Pour le moment, le peu de retours qu’ils avaient eu s’étaient avérés être de grossières contrefaçons, qui ne passaient jamais la première batterie de tests.
Les recherches n’avançaient pas.
…
- Monsieur, on vient de perdre notre option en Russie !
Il dut prendre sur lui pour ne pas jeter un maléfice à Savage. Le compromis ressembla beaucoup à un cri de rage étouffé par ses dents serrées.
- Je vous demande pardon ?!
Savage se renfrogna.
- Inondation. Ils n’ont rien pu sauver.
Foutue météo de merde !
Les champs de cultures biodynamiques sur la Toundra avaient été leur seule piste sérieuse pour espérer mettre la main sur le kilo de farine, même si le prix qu’on lui annonçait était indécent.
Pour le cacao, il commençait à se résigner.
Il allait devoir renoncer.
De toute façon, l’état de santé de son père se dégradait de jour en jour.
Il pouvait lire la fatigue gravée dans chacun de ses traits, dans les éclats argentés de son regard opaque.
Chaque inspiration faisait le bruit d’un râle.
Les médicomages lui assuraient pourtant qu’il ne souffrait pas. Ils osaient même dire qu’il était confortable.
Les médicomages parlaient surtout de jours, plus de semaines.
Sa place était à ses côtés. A défaut d’avoir pu lui obtenir ce morceau de gâteau, il serait là quand Scorpius Malefoy rendrait son dernier souffle.
Il ne le laisserait pas mourir seul.
Maxen se râcla la gorge.
- Monsieur ?
Il se redressa, au moins par fierté.
- Deborah a peut-être trouvé une piste.
- Comment ça ?!
Il aurait aimé garder son calme, ne pas laisser l’espoir l’enflammer de la sorte.
La listeuse se faufila entre son chef et la porte, qu’elle referma derrière elle.
Il lui fit signe de parler.
- Et bien, on pourrait prendre contact avec l’Ordre du Phénix.
Il cligna plusieurs fois des yeux.
- On cherche du blé et du cacao, pas à détruire un mage noir.
Carter secoua la tête, comme déçue par sa réponse.
- Quand le dérèglement climatique a vraiment commencé à faire des dégâts et que la Nutripile était à ses débuts, il y a eu une grande scission au Ministère. Ceux qui voulaient qu’on aide les moldus à réparer leurs bêtises grâce à la magie, et ceux qui estimaient qu’ils méritaient de subir de pleins fouets les conséquences de leurs choix.
Il mentirait s’il disait qu’il ne connaissait pas cette histoire, même si elle s’était déroulée bien avant sa naissance.
Apothicaire & Co était comme sa sœur aînée, le premier enfant de Scorpius Malefoy. Il connaissait tout d’elle.
Il savait surtout que son deuxième parent s’appelait Albus Potter.
Il était inutile de détailler les liens entre les Potter et l’Ordre du Phénix.
Deborah Carter continua pourtant.
- Ce sont les conservateurs qui ont gagné la bataille de l’opinion public. Ceux qui n’étaient pas d’accord se sont mis en marge de notre société. D’après les dernières rumeurs sur leur compte, ils vivent sur une île, produisent leur propre nourriture et se passent très bien de Nutripiles.
Un rictus lui échappa, qui s’empressa de cacher derrière sa main.
L’Ordre du Phénix ressemblait beaucoup à un club de hippies amoureux de la nature. Il avait déjà dû composer avec ce genre de personnes : l’argent ne parvenait pas souvent à leur faire oublier leurs grands principes.
- A supposer qu’ils aient ce qu’on cherche, vous pensez vraiment qu’ils vont accepter de nous en vendre ?
La listeuse croisa les bras sur sa poitrine.
- Je crains que nous n’ayons plus vraiment d’autres solutions à vous proposer, Monsieur.
Puisqu’il était prêt à s’avouer vaincu quelques minutes plus tôt, il ne pouvait pas tellement la contredire sur ce point.
- Je suppose que vous avez vérifié la rumeur en question et que vous avez découvert où ils se terrent ?
Deborah haussa les épaules, sa nonchalance étudiée le laissant imaginer qu’elle avait plusieurs coups d’avance sur lui – une rare occurrence – et qu’elle avait attendu qu’il se retrouve au pied du mur pour abattre sa dernière carte.
Il mettrait sa baguette à brûler qu’elle finirait par remplacer Maxen Savage.
- Il fallait bien justifier le salaire de nos équipes, Monsieur.
Il devrait refuser. Se montrer raisonnable pour la première fois depuis l’annonce du diagnostic. Son père n’était pas en état de voyager. Il méritait de s’éteindre dans le calme de la maison qui l’avait vu grandir, entouré de sa famille.
- Où ?
Deborah déposa une carte devant lui.
- Îles Hébrides, à l’ouest de l’Ecosse.
A l’autre bout du pays donc.
C’était de la folie.
- Combien de temps vous faut-il pour organiser notre départ ?
…
C’était la première fois qu’il montait dans un hélicoptère.
Tous les autres modes de transport sorcier représentaient un trop grand risque pour son père. Deborah avait trouvé une parade in-extremis, que le Médicomage de son père avait salué d’une longue malédiction.
L’homme en question avait finalement accepté de les accompagner.
Son père était installé sur un brancard entre eux, la peau de son visage flétri aussi blanche que ses cheveux, son regard vitreux, les câbles qui le maintenaient en vie du voyage.
Il tenait sa main droite avec délicatesse, comme si ses cinq doigts étaient autant d’oiseaux blessés.
Il prit une profonde inspiration.
Il tenait sa promesse.
L’Ordre du Phénix n’avait qu’à bien se tenir.
…
Le voyage dura à peine deux heures. L’hélicoptère se posa au milieu de nulle part, entre une colline à leur gauche et une plage aux eaux turquoise à leur droite. Le vent sculptait des vagues dans les herbes hautes, le soleil semblait plus brillant.
L’air était étrange.
Comme propre, mais sans cette odeur d’antiseptique laissée par les filtres.
Le vent s’engouffra jusqu’au fond de ses poumons, nettoyant la pollution recouvrait chaque alvéole.
C’était comme s’il respirait pour la première fois.
Il en eut le vertige.
…
- L’équipe de repérage a confirmé que le village de l’Ordre est un peu plus au nord, à moins d’une heure de marche. Nous ne pourrons pas manquer les protections magiques qui les séparent du monde moldu.
Malgré le vent qui battait la côte, le râle de son père ne lui échappa pas. Le Médicomage agita sa baguette au-dessus de lui, conjurant des nuages de couleurs aussi mystérieux que les présages cachés au fond d’une tasse de thé.
- Peut-être que nous pouvons partir devant et négocier en votre nom ? tenta Maxen. Votre père sera plus confortable à l’abri dans l’hélicoptère, Monsieur.
Cela lui valut un regard noir.
- L’Ordre du Phénix est une bande de nobles sentimentaux, qui seraient tous passés à Gryffondor ou à Poufsouffle s’ils étaient seulement allés à Poudlard. Je les imagine très mal refuser son dernier souhait à un homme qui n’en a plus que pour quelques jours.
Peut-être même pour quelques heures – mais il ne voulait pas penser à cette éventualité --.
Son père allait tenir le coup. Il quitterait ce monde avec le goût du chocolat – le vrai ! – sur les lèvres.
Il fit signe à ses deux employés d’ouvrir la marche.
…
Ce fut une courte randonnée.
Malgré son emploi du temps chargé, ses nombreux déplacements et la maladie de son père, il parvenait à faire plusieurs heures de sport dans la salle équipée du manoir, où le tapis de course était sa machine préférée. Il était donc en bonne forme physique.
Marcher dehors, exposé aux éléments, sur un terrain irrégulier, au milieu du bruit des oiseaux et de celui de la mer, c’était une expérience plus immersive que les sortilèges d’illusions qu’il utilisait parfois.
Son cœur battait à grands coups réguliers dans sa poitrine. L’air qui gonflait ses poumons était indescriptible.
Il se surprit à sourire plusieurs fois, sans trop savoir pourquoi.
…
Il fut le premier à heurter les barrières magiques.
Son corps s’imprima sur quelques choses de mou, quasi gélatineux. Il rebondit avec force et faillit bien se retrouver le cul par terre.
Maxen Savage le rattrapa juste à temps.
Sans perdre une seconde plus, il sortit sa baguette et se mit à attaquer la barrière magique avec tous les sorts qu’il connaissait.
La barrière absorba chaque éclair de couleur dans un bruit de tonnerre.
- Qu’attendez-vous pour m’aider ?! Ils ne pourront pas ignorer notre arrivée très longtemps !
Ce n’était pas la façon la plus diplomatique de prendre contact avec quelqu’un, encore moins avec un groupe de rebelles, mais ils étaient pressés !
…
Ils n’eurent pas à attendre bien longtemps. Une dizaine de personnes, mélange hétéroclite d’hommes et de femmes, de jeunes et de vieillards, apparurent au sommet de la colline une vingtaine de mètres derrière la barrière magique.
Leurs vêtements colorés – dignes des hippies qu’il avait imaginé – étaient un spectacle étrange dans le monde en cinquante nuances de gris qu’il avait toujours connu. Ils n’avaient pas pour autant l’air inoffensif. Les expressions étaient sombres, les baguettes sorties et pointées dans leur direction.
Il rangea aussitôt la sienne, ses mains bien en évidence et fit un pas en avant, le visage à quelques centimètres de la barrière magique.
-Je suis Perseus Malefoy, PDG d’Apothicaire & Co ! Mon père est mourant ! Il veut juste manger une dernière fois du gâteau au chocolat et je suis prêt à me montrer très généreux si vous acceptez de m’aider !
De l’autre côté de la barrière gélatineuse, tous les visages se retournèrent. Une nouvelle silhouette apparue.
Voutée par les années qu’une canne l’aidait à porter, vêtue de vêtements plus sobres, une tignasse de cheveux blancs comme neige qui pointaient dans toutes les directions.
Le vieil homme s’approcha jusqu’à être nez-à-nez avec lui.
Il ne parvenait plus à se tenir droit, son visage était creusé de rides qui formaient des sillons presque blanc sur sa peau buriné par le soleil.
Derrière ses lunettes, son regard vert émeraude dégageait une force saisissante.
- Ton père, petit, c’est Scorpius Malefoy ?
Il aurait été bien incapable de dire qui était la dernière personne à s’être adressé à lui de la sorte.
Petit.
Pourtant, les nombreuses années qui le séparaient de l’inconnu semblaient lui donner toute la légitimité de le faire.
Il avait en lui un puit sans fond de sagesse, du genre que toute la fortune des Malefoy ne parviendrait jamais à acheter.
- Oui.
Les rides du vieil homme dansèrent, rieuses. Il s’esclaffa en secouant la tête, puis agita sa canne.
La barrière s’ouvrit à la façon d’un immense rideau dans une salle de théâtre.
- D’ordinaire, on ne laisse pas les étrangers passer, mais je suppose que je peux bien faire une exception pour un vieil ami sur son lit de mort.
…
Le vieil homme n’en avait pas dit plus. Il s’était approché du brancard, avait serré le bras de son père avec force, s’était penché pour lui murmurer quelque chose à l’oreille, puis leur avait fait signe de suivre son équipe d’éclaireurs.
C’était presque trop facile.
Je peux faire une exception pour un vieil ami.
Il avait soudainement une fine idée de l’identité du vieil homme.
Il avait surtout la certitude que ces gens ne leur feraient rien, ce qui n’était pas plus mal.
Il s’était fourré dans la gueule du loup-garou sans l’ombre d’un plan – ni d’attaque, ni de replis --. Le mieux qu’il pouvait faire, c’était de suivre le mouvement, en espérant que l’Ordre du Phénix ne soit pas devenu un repère de cannibales ou une secte qui pourrait avoir envie de les sacrifier pour assurer une meilleure récolte au début de l’été.
…
Les toits des premières maisons apparurent dès qu’ils eurent dépassés le sommet de la colline. Il pensait trouver un petit hameau – de quoi abriter une centaine d’habitants, tout au plus – mais il était bien loin du compte. Des grappes de maisons formaient plusieurs rues. Au loin, de grandes bâtisses lui rappelèrent ces vieilles fermes abandonnées à travers le pays. Le soleil se réverbérait sur les nombreuses serres dressées entre des champs fertiles.
Si ses yeux ne le trompaient pas, des vaches et des moutons pâturaient dans un pré.
Il n’avait jamais rien vu de tel.
…
Leur arrivée sur la place du village ne fut pas très triomphale. Le comité d’accueil les escorta sous un préau où plusieurs bancs leur permirent de se poser à l’ombre. Trois hommes et deux femmes restèrent à proximité, leurs baguettes sorties.
Vigilants.
De nombreux curieux se rassemblèrent à bonne distance pour les observer. De toute évidence, leur arrivée était l’événement de la journée – peut-être même de l’année --. Il n’aimait pas trop être épié de la sorte, comme s’il était un animal grotesque ou une anomalie.
- On attend quoi, au juste ? demanda Maxen.
- La réponse du conseil pour notre requête, répondit-il.
Il avait retrouvé sa place aux côtés de son père, étrangement plus alerte que ce qu’il avait été depuis des semaines.
Il tira légèrement sur sa main, l’incitant à se pencher vers lui.
- Merci, mon fils.
Il embrassa son front, inspira son odeur contaminée par celle du désinfectant.
…
- Le conseil accepte votre demande.
Il sauta sur ses pieds.
- Quel prix demandez-vous ?
Le vieillard à la canne sourit, mais les traits de son visage restèrent figés dans un masque de tristesse.
- Il n’y a aucun prix à payer. Nous prendrons juste les mesures nécessaires pour que vous ne puissiez pas dévoiler notre position exacte si vous décidiez de repartir.
Il en perdit le contrôle sur sa mâchoire. Il s’était attendu à devoir faire un paiement conséquent, ou à se compromettre d’une façon ou d’une autre.
A leur place, c’est ce qu’il aurait fait. Après tout, Apothicaire & Co représentait tout ce contre quoi l’Ordre du Phénix était censé se battre. C’était une occasion en or !
L’homme sembla suivre le cheminement de ses pensées et il s’en amusa beaucoup.
- Vous êtes tous les bienvenus à venir dîner chez moi. Il y aura du gâteau au chocolat en dessert.
- Mon père a une recette très spécifique en tête et…
- Ne t’inquiète pas pour ça, petit. Je n’ai pas encore complètement perdu la boule.
…
D’étonnante, la journée était devenue étrange, puis complètement invraisemblable. Il n’était plus tout à fait sûr d’être réellement là. Peut-être tout cela n’était-ce qu’un rêve particulièrement saisissant ? Ou une hallucination ?
Il était assis autour d’une immense table en bois. Dans le monde réel, tous les plats déposés devant lui représentaient une véritable fortune. Leur hôte avait laissé entendre qu’il s’agissait d’un dîner pour le moins classique : du pain, un ragoût de légumes, de la purée, du fromage…
Les odeurs étaient réconfortantes – en particulier celle du pain – et avaient un drôle d’effet sur ses entrailles.
Comme si sa Nutripile était vide, alors qu’elle clignotait toujours en vert.
- Tu n’as pas faim, petit ?
Si on lui avait donné l’occasion de parier, il aurait volontiers imaginé être traité comme un prisonnier. Les gardes d’un peu plus tôt avaient disparu à la simple demande du vieille homme– Oncle Al, a priori – et la famille de ce dernier n’avait pas semblé très surprise qu’il arrive avec cinq inconnus – dont un mourant --.
On lui avait même réservé la place à la droite du patriarche.
- Comment connaissez-vous mon père ?
Le regard vert du vieil homme le traversa de part en part, comme s’il était fait de verre. C’était proprement inédit. Il n’appréciait pas d’être mis à nu de la sorte par un parfait inconnu.
Oncle Al lui fit un clin d’œil.
- On était à Poudlard ensemble, éluda-t-il.
Il ne lui disait pas tout, mais il plongea son nez dans son assiette, mettant fin à leur conversation pour le moment.
- C’est vrai que tu n’as jamais mangé de toute ta vie ?
Une fillette d’une dizaine d’années venait de se percher à sa droite. Les mèches de cheveux qui s’étaient échappés de sa natte tombaient devant ses yeux curieux.
- Je crois, oui.
Il n’avait connu que la Nutripile. A ses yeux, la nourriture n’était qu’un business ultra-lucratif.
- Mais c’est trop horrible !
Les personnes autour de lui semblaient passer un très bon moment. Les assiettes se vidaient peu à peu –et avec un enthousiasme évident --. Les discussions fusaient, émaillées d’éclats de rire.
Son cœur se serra dans sa poitrine, soudainement deux tailles plus petit.
- Rhéa, tu n’embêtes pas le monsieur, n’est-ce pas ?
Une femme de l’âge de Deborah venait d’apparaître. On aurait dit une version adulte de la fillette en question.
Rhéa se retourna vivement.
- Il n’a jamais jamais mangé, maman !
- Je t’ai déjà expliqué pourquoi, doucette.
Un pli se forma entre les sourcils de la petite.
- Moi je pense que c’est juste trop triste.
La femme grimaça, comme pour s’excuser des paroles de sa fille, puis tendit une main vers lui.
- Saoirse Potter.
Potter.
Évidemment.
- Perseus Malefoy, répondit-il en serrant sa main.
Elle s’installa à la place que sa fille venait de libérer. La petite courait en direction du groupe d’enfants installés dans l’herbe.
- Vous ne voulez pas goûter à quelque chose ?
Il haussa ses épaules.
- Je n’ai jamais compris la fascination autour de la nourriture.
- L’être humain est souvent effrayé par ce qu’il ne connait pas.
Son regard sombre la fit rire.
- Vous n’êtes pas curieux de savoir pourquoi votre père vous a fait remuer ciel et terre pour un morceau de gâteau ?
Il s’était étonné, au tout début. Son père était de la génération avant la Nutripile et il était l’homme qui avait le plus facilement accès à des produits brutes. Pourtant, il n’avait jamais cédé à cette mode récente des fêtes où l’attraction principale était un buffet de bouchées. Il lui avait toujours dit que c’était la nouvelle façon des puissants d’étaler leur richesse, que cela leur passerait, mais qu’Apothicaire & Co serait bien stupide de laisser filer une opportunité comme celle-ci.
Maintenant, après tous les efforts qu’il avait pour arriver ici, il se fichait bien du pourquoi. Il voulait seulement que son père quitte ce monde en paix.
S’il souhaitait le faire avec le goût du gâteau au chocolat de son enfance sur la langue, c’était son droit.
Le gâteau en question trônait fièrement au milieu de la table. Face à son silence, Saoirse Potter en déposa une part dans son assiette et en porta un bout à sa bouche. Elle approuva sa dégustation en hochant la tête.
- Il faut dire que c’est un très bon gâteau.
Elle s’en alla après lui avoir glissé un clin d’œil qu’il qualifierait volontiers d’insolent.
Il se retrouva en tête-à-tête avec le reste de la part.
C’était différent d’aussi prés. La texture semblait fondante. Le dessus, plus foncé, avait presque l’air croustillant.
Que risquait-il vraiment à goûter ? Pas d’être empoisonné, c’était certain.
Enfin, ce n’était pas tout à fait vrai. Les cas d’allergies étaient fréquents.
Si fréquent que ses services recommandaient systématiquement des tests avant tout contact avec un nouveau aliment.
Il était bien loin des bureaux d’Apothicaire & Co et de ses médicomages.
Il plongea pourtant sa cuillère dans la pâtisserie et la porta à sa bouche.
C’était tiède et fondant. Ca dégoulinait sur sa langue, ça s’étalait sur son palais. Il put sentir une partie endormie de son cerveau se réveiller, comme un feu d’artifice aux ordres de ce sens inutilisé depuis sa naissance.
Quelque chose d’autre s’agita au fond de son cœur, puis de ses entrailles.
Il se mit à trembler.
Puis à pleurer.
…
Le soleil se couche au-dessus de la mer des Hébrides. Le ciel se pare de couleurs chatoyantes : rouge rosé, orange saignant du bleu et violet lumineux se mêlent et s’entremêlent au-dessus des vagues mousseuses qui leur renvoient ce tableau hors d’atteinte de la technique des meilleurs peintres.
Les mouettes crient au loin sans perturber la sérénité du spectacle.
Elles sont à leur place ici.
Scorpius Malefoy et Albus Potter se sont installés sur le banc qui domine la falaise. Entre eux repose une assiette à peine tâchée de quelques miettes de gâteau.
- Tu avais raison, chuchote Scorpius.
Sa respiration est de plus en plus laborieuse, ses forces le quittent. Il n’est plus qu’une poupée de chiffon que la magie seule anime.
- Je sais, répond Albus. Je n’en reviens pas qu’il t’ait fallu presque un siècle pour le reconnaître, par contre.
Un sourire étire ses lèvres. Plus jeune, l’aplomb d’Albus ressemblait beaucoup à de l’arrogance. C’est agaçant que les années l’aient paré de sagesse.
- Tu m’as manqué.
Albus tourne la tête vers lui. Ses yeux verts sont toujours aussi vifs, pas comme les siens devenus troubles, presque opaques.
- Tu as manipulé ton fils pour qu’il t’amène jusqu’ici. Tu t’es déjà montré plus subtil.
Il aurait ri s’il en avait encore la force.
A la place, les regrets alourdirent un peu plus ses poumons. Il a envie de pleurer.
Albus attrape sa main et la serre avec force.
Il déglutit difficilement.
- Tu es dans mon testament.
Albus se redresse brusquement, manque de lâcher sa main – ce qu’il ne lui permet pas --.
- Je te demande pardon ?!
Il force ses poumons à se remplir. Il se noie de plus en plus. Il doit pourtant aller jusqu’au bout.
- 51% des parts d’Apothicaire & Co. Je veux que tu t’assures que Percy réparera tout le mal que ma famille a fait.
De la colère durcie les traits de son vieil ami. Elle disparait aussi vite qu’un nuage dans un ciel d’été.
- Tu l’as prévenu ?
Il ferme les yeux.
- Je lui ai laissé une lettre.
Les mots sont de plus en plus difficiles à former. Cette discussion a consumé le peu de forces qu’il lui reste.
- Une lettre… Par Salazar, Scorpius !
La malédiction lui tire un sourire. Dans un dernier sursaut, il rouvre les yeux, tourne la tête pour contempler le paysage qui se déploie à l’horizon.
Il parvient à tenir jusqu’à ce que le soleil ait complètement basculé.
Et puis la nuit.
Eternelle.