
Tom Elvis Jedusor
La peau de Severus était moite. Depuis vingt minutes, il traînait sa vieille malle, se frayant un chemin à travers la foule de Moldus qui allaient et venaient dans la gare. Quelques instants plus tôt, il avait transplané à proximité de King’s Cross, à l'abri des regards indiscrets. D'une certaine manière, il était heureux que sa mère ait attendu qu'il soit majeur pour quitter leur maison. Dans le cas contraire, l’adolescent aurait dû employer d’autres moyens pour se rendre jusqu’à Londres, et quémander à son ivrogne paternel de l’argent.
Il grimpa dans le train alors que la voie 9 ¾ était presque vide. Et il la vit, Lily Evans. Elle aussi portait une malle – en bien meilleur état que la sienne – qui semblait aussi légère qu’un oreiller en plumes. Il ne l’avait pas aperçue depuis juillet à Poudlard, alors qu’elle vivait non loin de chez lui. Severus sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine. Il souhaitait lui parler, mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge, au plus profond de lui-même. Ils ne voulaient pas sortir. Il l’aimait, jamais il ne l’admettrait, jamais il ne le dirait. Il en était tout bonnement incapable. À quoi bon avouer ses sentiments à une fille qui ne ressentait que du mépris pour lui ! Et dire qu’ils avaient été meilleurs amis…
Le regard que lui lança Lily le glaça. Ses beaux yeux verts le regardaient avec haine et dédain. Severus aurait désiré périr sur-le-champ ou être happé par le sol du wagon, plutôt que de subir ces yeux inquisiteurs. Mais, n'ayant d'autre choix, il se contenta de détourner le regard et de regagner son compartiment.
Mulciber et Avery ne lui prêtèrent aucune attention, tout comme Rosier et Wilkes, absorbés par leur conversation, lorsqu'il ouvrit la porte du compartiment. Severus connaissait ces garçons depuis sa première année. Ces quatre adolescents étaient à présent ses seuls amis. Il n’avait rien en commun avec eux, seulement un goût prononcé pour la magie noire. Contrairement à lui, ces étudiants de Serpentard avaient grandi dans des familles importantes et riches. Severus, bien qu’étant doué dans de nombreux domaines, n’était que le rejeton mal aimé d’un Moldu alcoolique et d’une sorcière rejetée par les siens.
- Notre dernière année, enfin ! se réjouit Avery. Le supplice ne va pas tarder à prendre fin.
- Oui, enchérit Wilkes. Dans un an, à la même date, nous ferons enfin ce qui nous chante !
- Vivement qu’on quitte pour de bon ce château délabré et ce vieux fou ! persiffla Rosier.
Severus, qui s’était tassé contre la porte, écoutait d’une oreille ce que disaient ses comparses.
- Alors, Severus, que comptes-tu faire après Poudlard ? Brasser des potions pour quasiment rien ? se moqua Mulciber. Si tu veux, je peux t’enseigner quelques adresses. Mon père connaît du beau monde aussi bien sur le Chemin de Traverse que dans l’Allée des Embrumes.
Les trois autres garçons ricanèrent.
- À moins qu’il se décide enfin à nous rejoindre, persiffla Avery. Le Seigneur des Ténèbres fera peut-être une exception pour lui.
- Je ne sais pas encore, répondit sur un ton agacé Severus.
- Tu ferais mieux de choisir rapidement ton camp ! lui rétorqua Mulciber. Pour nous, c’est déjà fait !
Que voulait-il dire ? Lui et les autres avaient-ils déjà prêté allégeance à ce sorcier ? Severus mentirait s’il disait qu’il n’avait jamais été tenté. Les forces obscures l’attiraient depuis qu’il était élève à Poudlard, et le Seigneur des Ténèbres – comme on l’appelait à Serpentard – avait accompli des prodiges. Dans sa maison, bon nombre de ses camarades était fasciné par ce mage mystérieux. Parfois, Severus se surprenait à rêver qu’il l’avait rejoint, qu’il était devenu l’un de ses disciples, et même le meilleur. Et Lily l’admirait, lui disait qu’elle avait été sotte de penser que ce sorcier si puissant était le mal incarné.
Et la réalité finissait par arracher Severus à ses doux songes. Jamais le Seigneur des Ténèbres ne le prendrait sous son aile. Le jeune homme n’avait rien qui serait susceptible d’intéresser ce sorcier. Severus n’était qu’un sang-mêlé. Du sang pur coulait certes dans les veines de sa mère, mais les Prince ne représentaient plus rien. À Serpentard, on se moquait d’ailleurs de cette famille ruinée et presque éteinte. Quelques décennies en arrière, cette famille comptait parmi les plus prestigieuses du pays. Mais à la suite de mauvais calculs, d’investissements hasardeux et de mariages infructueux, les Prince avaient dégringolé de l’échelle sociale. Sa mère avait porté le coup fatal en épousant un Moldu des plus médiocres et en engendrant un fils avec lui.
Eileen Rogue, née Prince, avait fichu le camp de Carbone-les-Mines depuis des mois, sans laisser le moindre mot à son propre fils. Severus avait bien évidemment interrogé son père, mais celui-ci n’avait pas été d’une grande aide. Parfois, après avoir vidé une bouteille de whisky bas de gamme, Tobias Rogue disait qu’elle était sans doute partie avec un autre homme, mais il était incapable de donner son nom ou de le décrire. Severus ne considérait pas avec sérieux cette piste. Ce n’était tout simplement pas le genre de sa mère, qui quittait très rarement leur foyer. Severus ne voyait pas non plus avec quel homme sa mère aurait pu partir. Elle ne fréquentait personne en ville, et n’avait plus aucune relation avec le monde des sorciers. Sa disparition était tout simplement inexplicable.
Gretchen Bulstrode ouvrit avec fracas la porte de leur compartiment, et s’installa sur les genoux d’Evan Rosier. Severus avait remarqué que ces deux-là se tournaient autour depuis des mois. En revanche, Severus ne comprenait pas ce que Rosier pouvait trouver à cette sixième année qui ressemblait à un gros chien de garde.
- Alors cette réunion des préfets, Gretchen ? lui demanda Rosier.
- Pitoyable ! s’exclama la préfète de Serpentard. Dumbledore a choisi cette Sang-de-bourbe d’Evans pour être préfète en chef !
Le cœur de Severus fit un bond dans sa poitrine. Il avait horreur de cette insulte, celle qui avait sonné le glas de son amitié avec Lily.
- En effet, pitoyable, répéta Rosier. Et ensuite ?
- Vous ne me croirez jamais, répondit-elle.
- Dis toujours ! l’encouragea Wilkes.
- Ce petit con de Potter a été nommé préfet en chef !
Severus éprouva une colère sourde et eut même l’impression que ses yeux se détachaient de leur orbite. Potter l’harceleur, celui qui se fichait éperdument des règles, avait été choisi par Dumbledore.
- Au moins, c’est un sang-pur, ricana Avery. On ne peut pas en dire autant de sa camarade. Pas vrai, Severus ? Il me semble que vous vous entendiez bien il y a encore quelques années. Tu as fini par comprendre que la racaille ne vaut pas grand-chose.
Il l’ignora. Lily était tout sauf une raclure.
- Dumbledore, l’amoureux de la racaille ! s’esclaffa Rosier. Encore quelques années et nous serons suffisamment puissants pour faire le ménage dans cette école ! Et sinon, qui t’accompagne à présent ?
- Cette poule mouillée de Croupton, ricana Gretchen Bulstrode.
- J’imagine que la position de son père au Ministère a convaincu Dumbledore de l’utiliser comme rempart, répondit Mulciber. Quel idiot !
- Que veux-tu dire ? demanda Severus, perplexe.
- Croupton sait qui sont ses supérieurs, lui rétorqua Mulciber. Il aura l’intelligence de ne pas nous causer des ennuis, et peut-être qu’il sera tenté lui aussi. Après tout, n’est-ce pas notre mission cette année ? Attirer les brebis égarées dans nos filets !
Les quatre garçons et Gretchen ricanèrent, tandis que Severus hésitait sur le chemin à suivre.
*
Severus se réveilla de bonne heure. Il avait ressassé durant une grande partie de la nuit sa conversation de la veille avec Lily. Son amie n’avait eu aucun mal à percevoir quel genre d’enseignant il était devant ses élèves : un homme froid, autoritaire, qui effrayait des gamins. Il n’y avait rien à dire, c’était tout bonnement pitoyable. Qu’avait-il fait pour en arriver là, lui le gosse de Carbone-les-Mines ? À St Melchior, Severus avait été la tête de turc de Mr. Lowood, un instituteur profondément cruel. Pendant une année, le fils Rogue avait subi presque quotidiennement les coups de règle sur les doigts et sur la tête, les insultes, et le mépris dégoulinant de ce sadique. Pourquoi ? Severus n’avait jamais été un enfant normal, étant un sorcier, mais Mr. Lowood l’avait toujours ignoré. Il avait été un gamin bizarre qui attirait les phénomènes étranges, et les ennuis. Pour Mr. Lowood, Severus n’était qu’un mioche pauvre, qui tournerait aussi mal que son père, un misérable ouvrier, et qu’un menteur. Bien évidemment, il n’y avait pas eu que Mr. Lowood, les autres enseignants n’avaient pas été particulièrement gentils avec lui. Mais celui-là avait été le pire de tous.
À Poudlard, les professeurs avaient été dans l’ensemble corrects, bien qu’aucun n’eût jamais pris fait et cause pour lui, pas même Slughorn. Les brimades entre élèves n’étaient pas considérées comme une affaire préoccupante en ce temps-là. Néanmoins, il devait reconnaître que Minerva McGonagall, la directrice de Gryffondor, avait toujours été juste et sévère avec n’importe quel élève, issu ou non de sa maison. Potter et sa clique avaient souvent reçu des retenues de sa part.
Severus n’avait jamais souhaité enseigner. Cela n’avait jamais été son rêve. Pourtant, il s’agissait d’une très belle ascension sociale pour un type comme lui, qui avait grandi dans un quartier des plus méprisables. Poudlard était considéré comme l’une des meilleures écoles de sorcellerie du monde. De grands sorciers avaient partagé leurs savoirs avec l’avenir du monde de la magie. Le salaire que touchait Severus n’était pas non plus négligeable, alors qu’il venait d’être embauché. Severus savait aussi que quand Horace Slughorn prendrait sa retraite, il assurerait l’intégralité des cours de potions et se verrait nommé directeur de la maison Serpentard. Dumbledore le lui avait promis, après avoir négocié ses futures fonctions au sein du château.
Enseigner à seulement vingt-et-un ans à Poudlard était un exploit. Severus était le plus jeune maître des potions de toute l’histoire du château, et peut-être même le plus jeune enseignant recruté. Qu’aurait pensé sa mère, si elle l’avait appris ? Severus peinait à le savoir ; Eileen Rogue avait toujours été une énigme. Quant à son père, il était inutile de se creuser les méninges. Tobias Rogue aurait certainement dit que son fils était à présent à sa place parmi les détraqués de son espèce. C’étaient les mots qu’il avait prononcés peu avant son départ pour l’Ecosse quand il n’était qu’un enfant âgé de onze ans.
Lily était persuadée qu’il pouvait devenir un professeur à la fois apprécié et respecté de ses élèves. Mais se montrer affable, patient et doux n’était pas dans sa nature. Il n’était pas chaleureux comme Lily, ni même gentil.
*
Severus boutonna les derniers boutons de sa redingote en songeant à sa journée. Elle commencerait mal puisqu’il serait forcé de croiser Sirius Black, de l’accueillir dans sa maison. Le jeune professeur aurait préféré ne plus croiser le chemin de son ennemi de toujours, mais il avait fallu que Lily et Black deviennent amis. Pire, cette pourriture était le parrain du petit que Severus avait promis de protéger. Il ne parvenait pas à dire et à penser le prénom du garçon. C’était pourtant un nom très simple et courant. Mais formuler les deux syllabes revenait à inscrire dans le marbre l’existence du bambin, et sa filiation avec James Potter. Severus devait avant tout le voir comme le fils de Lily. Après tout, le gamin était loin d’être désagréable. Severus s’attendait à un marmot criard et têtu, mais le petit était tout le contraire. Pire, il semblait l’apprécier. Il réclamait ses bras et adorait l’entendre lire à voix haute le Mensuel des Potions.
Severus, lui, était partagé. Avant de croiser le regard du fils de Lily, il n’avait jamais été confronté à un enfant si jeune. Longtemps, le rejeton de Potter n’avait été pour lui qu’une cible du Seigneur des Ténèbres, qu’un malheureux obstacle, qu’un nom, qu’un détail. Severus regrettait amèrement ses anciennes pensées. Comment avait-il pu pendant un temps – très court – cautionner l’assassinat d’un bébé dans son berceau ? L’enfant qu’il avait récupéré dans son petit lit l’avait sondé avec ses yeux verts, les plus beaux qu’il n’avait jamais vus, ceux de Lily. Bien sûr, il ressemblait terriblement à cet ignoble James Potter, beau et charismatique. Il aurait pu haïr ce gosse pour ce seul crime, mais Severus en était incapable. C’était d’ailleurs tout le contraire. Malgré lui, il s’attachait petit à petit à l’enfant, et Lily l’avait remarqué. Et pourtant, le prénom du garçon n’avait toujours pas franchi le seuil de ses lèvres.
Patiemment, Severus attendit l’arrivée de Sirius Black dans son salon. Il avait promis à Lily qu’il y mettrait du sien. La sorcière était assise sur le canapé et tortillait machinalement ses longs cheveux roux. Était-elle anxieuse ? Doutait-elle de sa bonne volonté ? Severus savait pertinemment que si Black provoquait la moindre étincelle, la mèche s’allumerait et se consumerait entièrement. Severus ne se considérait pas comme un homme violent. Il n’avait par exemple jamais provoqué de son propre chef des bagarres à St Melchior. Il avait reçu des coups, aussi bien à Carbone-les-Mines qu’à Poudlard. Et il les avait rendus pour se défendre, souvent d’une façon très pitoyable. Une fois son père lui avait craché au visage que des cours de boxe seraient une dépense inutile. Severus – qui n’aimait pas ce sport – savait pertinemment que son père préférait dépenser son argent dans les bouteilles d’alcool, et qu’il bénissait peut-être Dieu de ne pas avoir eu un fils doué pour les bastons. Dans le cas contraire, il aurait dû lui avancer chaque semaine l’argent pour les cours de boxe. Cela n’aurait pas représentait une fortune, seulement quelques pintes de bière en moins.
Black apparut peu de temps après. L’œil rieur, il toisa Severus, mais le salua avec toute l’amabilité dont pouvait faire preuve un sorcier de ce rang, pétri de manières aristocratiques. Severus garda son sang froid et lui rendit ses salutations. Lily se détendit, et Severus se surprit lui-même. Il avait été poli avec l’homme qu’il détestait le plus au monde. Non… Black occupait la seconde place, après le Seigneur des Ténèbres. Devait-il placer tous les mangemorts entre son ancien maître et sa bête noire ? Peut-être… Mais il éprouvait une sincère répulsion quand il se trouvait en présence de Black, alors qu’il ne ressentait pas ce désagréable sentiment aux côtés d’un quelconque mangemort.
- Pas de mise en garde ? De consignes à respecter ? le nargua Black, alors que Severus s’apprêtait à partir.
- Non, aucune. Je crois que tu sais ce que tu as à faire, et ce que tu n’es pas autorisé à faire, répondit-il sur un ton détaché.
Il ne rentrerait pas dans son jeu.
- Lily, je m’en vais. Passe une bonne journée. Je ne rentrerai pas tard.
- Passe aussi une bonne journée, Sev, dit-elle en souriant.
Il allait franchir l’âtre quand une pensée amusante lui vint à l’esprit. Il avait envie de faire enrager Black, de le rendre jaloux et de lui prouver qu’il était un excellent hôte.
- Je lirai la suite du Mensuel au petit quand je serai de retour. Harry est fasciné par les mandragores et par leur utilisation en potions.
Lily se figea et Severus crut un instant qu’il avait dit une bêtise, ou commis une horrible gaffe. Puis un sourire se dessina sur les lèvres roses de la belle rousse.
- Bien sûr ! Tu feras la lecture à Harry à ton retour. Il adore t’écouter lire.
Il avait prononcé le prénom du petit sans s’en rendre compte, réduit à néant le tabou. Harry, Harry, Harry et Harry. Il avait enfin formulé ce stupide nom !
- Oui, je sais… Harry aime qu’on lui fasse… la… lecture, bafouilla-t-il, complètement déconcerté.
Il entra précipitamment dans la cheminée, sans avoir jeté un regard à Black, sans même avoir savouré sa petite vengeance.
Severus trébucha et sa tête heurta une table en arrivant dans ses appartements. Cette table était décidément très mal placée. Il se promit de la déplacer dès qu’il en aurait l’occasion. L’appartement qu’on lui avait donné était différent de sa maison. Il était meublé avec goût, mais manquait cruellement de la chaleur que Lily insufflait petit à petit à l’impasse du Tisseur. Severus – qui possédait très peu de biens – n’avait quasiment rien changé à la configuration des lieux. À son arrivée en septembre, il avait ramené avec lui une seule malle dans laquelle il avait rangé quelques vêtements et des livres portant sur l’art des potions et sur la magie noire.
Il frotta son front endolori. Il aurait peut-être une bosse. Il peinait à croire qu’il avait enfin prononcé le prénom du petit garçon qui vivait chez lui.
- Harry, dit-il pour se convaincre. Harry, Harry, Harry.
À ses yeux, le petit n’était plus le rejeton de l’horrible Potter, il était juste Harry. Comment avait-il pu répéter une prophétie impliquant la vie d’un bébé ? Severus réalisait peu à peu l’horreur de ses actes. Il prenait peu à peu conscience de sa proche lâcheté, de son aveuglement. Il avait fait une cruelle méprise en enfouissant ses sentiments et ses émotions pendant des années. Le jeune homme qui avait rejoint le Seigneur des Ténèbres peu de temps après avoir quitté Poudlard était un être anesthésié, apathique. Seule l’aversion, la haine et la rage l’animaient à cette époque. Il avait fallu que la vie de Lily fût menacée pour que tout redevienne limpide, ou presque.
Il ne comptait pas changer de camp en rencontrant clandestinement Dumbledore, car aucun mangemort n’avait jamais trahi le Seigneur des Ténèbres en s’en sortant vivant. Mangemort un jour, mangemort toujours. Le Seigneur des Ténèbres l’avait marqué à vie avec le feu et les forces obscures. Cette marque incrustée dans sa chair l’avait rendu fier et lui avait fait éprouver un sentiment de toute puissance. Il en avait à présent honte.
Severus rejoignit sa salle de classe bien avant l’heure. Il devait donner cours aux élèves de première année répartis à Gryffondor et à Serpentard. Il n’avait jamais témoigné la moindre sympathie aux Gryffondor, et avait même pris un certain plaisir à les tyranniser. Mais persécuter des élèves qui avaient eu le malheur de se retrouver dans la même maison que Potter, Black, Petigrow et Lupin lui paraissait dorénavant complètement inutile, et même stupide. Il ne voulait plus être immature et tyrannique avec des gamins de onze ans, et plus.
Severus était assis à son bureau et songeait à l’attitude qu’il adopterait d’ici quelques minutes avec ses élèves. Il ne souhaitait pas devenir un double de Slughorn, qui aimait par-dessus tout la flatterie et les noms clinquants. Severus n’était pas ce genre d’homme, il valorisait avant tout le mérite et le travail. Lily n’avait pas eu tort en lui rappelant que Minerva McGonagall, Pomona Chourave et Filius Flitwick avaient toujours été des enseignants respectés. Ils n’avaient jamais eu besoin d’être craints pour obtenir la considération de leurs élèves. Severus devait trouver sa marque, sa façon d’être.
Quand l’heure sonna, le jeune professeur fit entrer les élèves. Les Gryffondor lui jetèrent des œillades à la fois hostiles et craintives, tandis que les Serpentard – trop souvent favorisés par lui – arrivèrent en terrain conquis dans sa classe. Ces deux maisons ne s’étaient jamais entendues. Severus en avait fait l’amère expérience en tant qu’élève. Bien avant d’arriver à Poudlard, il avait nourri des préjugés à l’encontre de Gryffondor. Et dès son premier voyage à bord du Poudlard Express, Potter et Black lui avaient donné raison. Lily, répartie chez les Lions, aurait pu mettre fin à l’aversion qu’il ressentait pour la maison rouge et or. Elle n’était pas une tête brûlée, et privilégiait l’intellect aux biceps. Mais Severus n’était qu’un idiot en ce temps-là.
- Ouvrez vos manuels page quinze, ordonna-t-il à ses élèves. Et mettez-vous au travail.
Les élèves obéirent en silence. Severus avait prévu de leur faire préparer un herbicide, une potion très simple à fabriquer et très utile.
Il passa dans les rangs et vit qu’un Gryffondor broyait très grossièrement les échines de poisson-diable.
- Que faites-vous Mr. Perrot ? Vous n’arriverez à rien avec ça !
- Heu… Bah… Je croyais avoir lu qu’il fallait obtenir une poudre grossière, monsieur.
- Laissez-moi voir ça, répondit Severus en prenant le manuel sur la paillasse de l’élève.
Severus lut que l’élève disait vrai. Au fil des années, Severus avait amélioré chacune des potions des deux manuels utilisés à Poudlard, mais il avait oublié que personne n’en savait rien et continuait de suivre docilement ce que recommandait Arsenius Beaulitron.
- Monsieur, il ne faut pas écraser grossièrement ? demanda timidement une Gryffondor.
Severus se pinça l’arrête du nez, il ne perdrait pas son calme. Ce n’était pas la faute de ces enfants. En parcourant des yeux la salle de classe, il put voir que même les mortiers des Serpentard étaient loin d’être irréprochables. Il devait saisir cette occasion pour imposer son style et démontrer ses talents.
- Fermez-vos livres. Ils ne vous seront d’aucune utilité. Ne les ramenez plus jamais ici.
Naturellement, les élèves écarquillèrent les yeux. Severus avait retiré par le passé une floppée de points à tous ceux qui oubliaient leur manuel.
- Ecoutez bien, et soyez attentifs. Je ne répéterai pas.
Il se dirigea vers le tableau et inscrivit le protocole de l’herbicide qu’il avait amélioré quand il était encore étudiant.
- Vous devez réduire en poudre les quatre échines de poisson-diable. Je veux une poudre très fine, aussi légère et fluide que de la farine.
- Qu’est-ce que ça change ? Ils disent dans le manuel que le résultat doit être grossier, intervint un Gryffondor.
- On lève la main dans ma classe pour parler, Mr. Cole. Et je vous saurai gré de vous adresser à moi en m’appelant monsieur.
L’élève se ratatina sur son tabouret.
- Je vais néanmoins vous répondre. En réduisant vos ingrédients en une poudre très fine, vous mâchez le travail à votre chaudron. De plus, les effets actifs des échines de poisson-diable et de l’Ingrédient standard se décupleront. Votre herbicide sera davantage efficace. D’autres questions ?
Les élèves se turent.
- Bien, suivez les instructions au tableau.
Durant l’heure, Severus passa dans les rangs, surveilla les gestes et les mouvements de ses élèves. Il vint même en aide à une Gryffondor qui peinait à broyer l’Ingrédient standard dans son mortier. Elle n’avait pas la bonne technique et se fatiguait inutilement en martelant son mortier avec le pilon.
- Non, pas comme ça, Miss Byrd. Regardez-moi faire. Des petits coups suffisent. À votre tour.
L’élève s’appliqua et obtint à son tour une poudre très fine.
- Voilà, mélangez avec l’autre poudre. Bien.
Une ambiance studieuse et calme se propagea peu à peu dans la classe. Severus n’eut même pas besoin de hausser le ton, et certains n’hésitèrent pas à l’appeler pour lui demander son avis.
- Oui, on se rapproche du vert, Mr. Rivers. Ajoutez une nouvelle goutte de mucus de Veracrasse et ce sera parfait. Oui, Miss Sharp ?
À la fin du cours, chacun de ses élèves lui remit une fiole de leur production. Severus put constater que les mixtures qu’ils avaient préparées étaient dans l’ensemble très satisfaisantes. Aucun ne lui avait remis une potion bleue, rose ou orange, contrairement aux Poufsouffle et aux Serdaigle la veille. Les fioles des Gryffondor et des Serpentard formaient un splendide camaïeu de verts.
Quand ses élèves eurent quitté la salle, Severus éprouva une certaine fierté et se sentit soulagé. Pas le moindre incident, pas la moindre désobéissance ou impertinence. Ces gosses l’avaient écouté, avaient sollicité son aide et avaient accompli avec brio la tâche du jour. Il n’avait même pas eu besoin de retirer le moindre point. Cela ne lui était jamais arrivé. Les Gryffondor avaient même eu un comportement respectueux à son égard et aucun d’eux n’avait eu à subir son courroux.
Severus appliqua la même méthode avec ses autres classes et fut impressionné par les changements qu’avait provoqués sa nouvelle attitude.
Peu après quatorze heures, il se dirigea vers ses appartements pour rentrer chez lui, à Carbone-les-Mines, où l’attendaient Lily et Harry. Mais un elfe de maison, qui se tenait près de la cheminée, l’informa que Dumbledore désirait lui parler dans son bureau. À contre-cœur, il s’y rendit. Il avait tellement hâte de raconter à Lily sa journée et de voir briller dans ses yeux de l’admiration et de la fierté.
Près de la gargouille, qui permettait l’accès au bureau du directeur, Severus croisa Horace Slughorn qui descendait les escaliers qui menaient à Dumbledore. Son ancien professeur et nouveau collègue lui sembla agité.
- Ah! Mr. Rogue, dit-il en se forçant à sourire. Heu… Je veux dire Severus. Veuillez m’excusez, mon cher garçon. Je peine à réaliser que nous sommes collègues, alors que vous étiez encore mon étudiant il y a trois ans. Vous… vous allez voir Dumbledore ?
- Oui, Horace.
- Par… Parfait ! Mon cher garçon ! Je ne vous retiens pas plus longtemps… Je… je suis très… très occupé.
Slughorn ne le regardait pas dans les yeux, il fuyait même son regard. Sa moustache de morse suait même à grosses gouttes.
- Je vous laisse donc, dit-il avant de partir précipitamment.
Severus monta à son tour les escaliers en colimaçon et retrouva le directeur qui était assis à son bureau.
- Vous m’avez fait demander, Dumbledore ?
- Oui, asseyez-vous Severus.
Le jeune enseignant prit place en face du vieil homme et attendit de connaître les motifs de sa convocation. Le directeur souhaitait sans doute lui parler des mangemorts qui étaient en fuite, l’informer d’une éventuelle arrestation.
- Vous avez vu Horace avant d’arriver ici, je présume.
Severus hocha la tête.
- Comment l’avez-vous trouvé ?
- Excité, un peu étrange, répondit-il. Cela vous préoccupe-t-il ?
Dumbledore esquissa un sourire et caressa sa barbe.
- J’ai un autre service à vous demander, Severus.
- Qu… Quoi ?
Le directeur ne perdit pas de temps et exposa à Severus ses intuitions. Selon le directeur, Horace Slughorn détenait certainement une information de la plus haute importance, mais refusait de la partager avec lui.
- Je crains que Horace ne décide de prendre sa retraite en plein milieu de l’année, justement à cause de ce renseignement dont j’ai cruellement besoin.
- Vous… vous voulez que je lui tire les vers du nez ? Je pourrais utiliser du Veritaserum…
- Non, Severus. Vous devez vous montrer persuasif… J’ai besoin d’un souvenir complet. De plus, le règlement de l’école interdit formellement l’utilisation de ce genre de potion…
- Mais… S’il s’en va ?
Severus n’avait jamais été proche de Horace Slughorn. Il avait certes été admis dans son club, mais Severus ne s’était jamais beaucoup rendu aux soirées que le vieux maître des potions organisait.
- Franchement, je ne comprends pas ce que vous attendez de moi, et encore moins de Slughorn.
- Le nom de Tom Jedusor ne vous dit rien. Pas vrai, Severus ?
Le mangemort repenti n’avait jamais entendu ce nom.
- Qui est-ce ?
- Vous le connaissez.
- Si j’avais rencontré un dénommé Tom Jedusor, je m’en souviendrais, répondit sur un ton sceptique Severus.
- Tom Elvis Jedusor a été élève à Poudlard entre 1938 et 1945.
- Je n’étais même pas né, répliqua sèchement Severus.
- Il a été réparti comme vous à Serpentard, et était l’un des étudiants préférés de ce cher Horace.
- Et ?
- Je le soupçonne d’être devenu le mage noir le plus redoutable que notre siècle ait connu, répondit de but en blanc le fondateur de l’Ordre.
Severus déglutit en entendant ces mots. Le sorcier qu’il avait servi de son plein gré durant des mois, qui s’était donné un nom que personne n’osait prononcer était-il ce Jedusor ?
- Oui, Severus. Lord Voldemort est en réalité Tom Elvis Jedusor. Et si nous voulons le détruire pour de bon, vous devez arracher son secret à Horace. Lui seul connaît la vérité à présent.