Palladium

Harry Potter - J. K. Rowling
M/M
G
Palladium
Summary
Deux ans après l'effondrement de la société sorcière sous les attaques moldues, Draco se prépare au rituel qui permettra l’élargissement des protections de Poudlard. Le dernier sanctuaire magique de Grande-Bretagne manque de place pour accueillir ce qui reste des sorciers et créatures secourues. La tâche s’annonce extrêmement dangereuse, mais pas pour lui. Elle le sera pour les Défenseurs chargés de veiller à sa survie.
Note
Cet OS a été écrit dans le cadre de l'High Spic Musical du serveur Potterfictions (rejoignez nous : https://discord.gg/862aSNBDk6), un défi d'écriture célébrant les song fics !  Les moodboards tirés au sort qui ont inspirés l'histoire : Witchy Automne La chanson de l'histoire :Brave New World by KalandraListen on YoutubeListen on Spotify

Palladium

Définition : Litt. Garantie, bouclier, sauvegarde

Les os de Draco brûlaient, mais sa peau était glacée et couverte d’une fine pellicule de sueur froide. Son cœur tambourinait contre ses côtes trop serrées. Les pierres du couloir qui reliait l’infirmerie au Grand Hall tanguaient sous ses pieds, mais il poursuivit sa route avec la mâchoire crispée. Abbott, ou pire, Pomfresh allaient le tuer lorsqu’elles remarqueraient qu’il leur avait encore faussé compagnie après son prélèvement de sang et la prise de sa potion de régénération sanguine. Il n’avait cependant aucune envie de s’attarder dans l’endroit le plus déprimant du château.

L’infirmerie lui rappelait trop Ste Mangouste. Les mains pâles d’Astoria qui s’accrochaient de plus en plus faiblement aux draps. L’odeur des potions censées apaiser la douleur de la malédiction. L’horrible soulagement ressenti lorsqu’elle s’était éteinte après des mois de souffrance sans solution.

Il déglutit, les yeux brûlants, et ignora ses élèves qui le saluaient d’un hochement de tête en le croisant près de la Grande Porte. Ses prières pour ne pas rencontrer Scorpius sur sa route furent exaucées et il descendit lentement les escaliers vers le parc. 

La lueur orange des boucliers du château colorait l’atmosphère dans une éternelle ambiance crépusculaire et, en ce milieu d’automne, la nature s’accordait à la teinte du ciel. Les feuilles dorées et rousses des arbres fruitiers s’échappaient dans la brise, pour venir couvrir les cultures et les potagers qui avaient remplacé la pelouse.

La course à l’auto-suffisance de Poudlard, dernier sanctuaire des sorciers britanniques depuis les attaques coordonnées des moldus contre les infrastructures sorcières, avait transformé le paysage. Le lac était divisé en espaces immergés pour séparer Kappas, Calmar Géant, Êtres de l’eau et Kelpies. Poulaillers et étables remplissaient l’air des cris et des odeurs des animaux qu’ils élevaient. Des sorciers travaillaient dans les champs et vergers, où leurs sorts récoltaient les denrées nécessaires à la survie des plus de deux mille habitants du château. En bordure de la forêt interdite, des Opalœils isolés des autres créatures magiques le suivaient d’un regard mauvais alors qu’il se dirigeait vers les serres.

Draco dut à nouveau avaler sa salive, nauséeux. Il se tint un instant à la barrière d’un enclos de moutons et rentra la tête dans les épaules lorsqu’un avion de chasse survola le parc dans un vacarme assourdissant. Il souffla puis se remit péniblement en route.

Lorsqu’il atteignit enfin la serre N°8, le Professeur de Botanique et Directeur de Gryffondor, son collègue et ami depuis quinze ans, leva le nez des corrections qu’il faisait sur un établi. Il regarda vivement sa montre, une expression surprise sur son visage tanné. Draco s’engagea dans la lumineuse pièce remplie de plantes aromatiques alors que Neville descendait de son tabouret.

 — Tu as déjà fini ?

 — Je suis passé avant Sinistra, elle était à la bourre, expliqua-t-il en marchant entre deux rangées de bosquets odorants. 

Il cueillit une fleur d’Agastache au passage et la mit dans sa bouche pour en savourer le goût de réglisse.

 — Merde, je suis désolé.

 — Pour ? s’étonna Draco.

 — Je voulais passer te chercher. Ou au moins détourner l’attention de Hannah pour que tu sortes tranquillement.

Draco ricana en tirant un tabouret jusqu’à la paillasse où son collègue se réinstallait, puis s’assit en face de lui. Il doutait qu’Abbott puisse encore être dupe du manège de Neville. Cela faisait deux ans qu’on prélevait régulièrement son sang, comme celui de six autres Professeurs de Poudlard, pour l’utiliser dans la potion du rituel de fortification du dôme qui recouvrait leur sanctuaire. Draco pouvait facilement fausser compagnie aux Médicomages rescapés de la destruction de Ste Mangouste, mais ces derniers temps, la présence de Neville dans l’infirmerie mettait systématiquement les deux infirmières en alerte au fugueur.

 — Tu devrais t’allonger… reprit son ami avec une expression inquiète.

 — Hmm, marmonna-t-il en appuyant son front sur ses bras croisés sur la table.

Il l’aurait sans doute fait si sa minuscule chambre dans la Tour des Professeurs ne se trouvait pas au cinquième étage. Rien qu’imaginer la quantité de marches à gravir lui faisait tourner la tête. Il était mieux ici de toute façon, loin du château plein à craquer, de l’ambiance angoissante qui y régnait, de ses responsabilités d’enseignant et de Directeur de Maison. Rejoindre Neville dans les serres était pour lui le meilleur moyen de trouver le calme. 

Il ferma les yeux et se délesta mentalement de ce qui le pesait au son des grattements d’une plume. Il ne réalisa qu’il s’était endormi que lorsqu’il entendit un hélicoptère passer au-dessus du bouclier. Des voix lui parvinrent quand le bruit de ses pales s’éloigna. Il ne reconnut que celle de Neville, qui devait échanger avec des volontaires à l’entretien des cultures.

Draco cligna des yeux et se redressa doucement, la nuque et le dos raides. La luminosité avait baissé. À travers les vitres poussiéreuses de la serre, les rayons d’un soleil prêt à disparaître derrière les montagnes ravagées lui firent plisser les yeux. Il regarda un instant Neville frotter sa courte barbe et discuter avec le petit groupe de sorciers, puis baissa le nez vers une tasse qui l’attendait près de son coude. La vapeur qui s’en échappait s’enroulait dans la lumière cuivrée, et il resta un instant subjugué avant de la porter à ses lèvres. Ortie, sureau, thym, cassis, frêne et miel, la classique régénérante Londubat.

ll but sa tisane, les paumes pressées contre la porcelaine chaude, et observa des particules danser dans les dernières lueurs du jour. Il écouta les insectes volants vrombir, les fleurs magiques s’agiter, et se laissa envahir par les odeurs apaisantes de la terre et des plantes aromatiques. 

Il avait détesté la botanique pendant sa scolarité et ce n’était qu’à force de côtoyer Neville, depuis que celui-ci avait quitté les rangs des Aurors, qu’il en avait apprécié la poésie. Il était toujours capable de faire crever un cactus, mais il comprenait l’attrait de son collègue pour le travail avec le vivant et était même impressionné par ses connaissances. Les métamorphoses, la matière qu'il enseignait depuis dix-huit ans, lui semblaient beaucoup moins techniques.

 — Ça va mieux ? lui demanda Neville en revenant sous la serre.

Derrière lui, les volontaires s’éloignaient vers le château, accompagnés par leurs charrettes tirées par des Sombrals.

 — Oui, merci. Un problème ?

 — Non, aucun. On ne peut pas dire que la culture de fruits et légumes soit compliquée avec la magie, sourit son ami. On parlait juste de faire du cidre, vu la quantité de pommes qu’on a.

 — Intéressant…

 — Je savais que tu approuverais, s’amusa Neville en rassemblant ses parchemins sur l’établi. Je t’ai déjà désigné volontaire comme testeur.

 — Tu veux juste me bourrer la gueule, ricana Draco, pour le plaisir de voir ses lèvres se pincer et ses joues rosir.

 — Comme si tu avais besoin de mon aide.

 — Ma consommation de vin a drastiquement diminué ces dernières années, ironisa-t-il.

 — On se demande pourquoi, souffla doucement Neville.

La capacité des moldus à savoir les reconnaître parmi les humains, toujours incomprise par les Langues-de-Plomb hébergés dans la Salle sur Demande, rendait les incursions et approvisionnements chez eux très dangereux. Cela faisait des mois que Draco ne s’était pas payé le luxe de boire autre chose que du vin elfique, et cela lui manquait presque autant que la vraie couleur du ciel.

Tellement de choses qu’il avait prises pour acquises lui manquaient. Le chemin de Traverse. Les matchs de Quidditch. L’espace et la quiétude du Manoir Malfoy. Les soirées chez Blaise. Pouvoir sortir de Poudlard sans risque. 

Il se contenterait d’un verre de vrai vin, pour tromper un peu sa sensation d’enfermement.

 — Quand est-ce que vous allez commencer à cultiver du raisin ?

 — Si on a un jour assez de place… murmura Neville en alignant les devoirs de ses élèves.

Sa réflexion plongea la serre dans une atmosphère lugubre, accentuée par la disparition du soleil derrière les montagnes. De faibles lumières jaunâtres s’allumèrent sous le toit de verre et de métal. Draco soutint les yeux noisette de Neville avec l’impression d’avoir du plomb dans le ventre.

Même s’il approuvait la décision de leur vestige de gouvernement d’élargir le périmètre du bouclier, l’échéance qui approchait le saisissait d’effroi. Il frémit, sans savoir si c’était à cause de la potion de régénération sanguine ou de la peur, et baissa les yeux en reposant sa tasse. En tant qu’un des sept Protecteurs de Poudlard, il serait forcément parmi les équipes qui quitteraient la sécurité de leurs murs magiques dans quelques semaines, et il avait accepté ce rôle sans hésitation. Mais même si Neville avait été réentraîné au combat par les Aurors rescapés du Ministère, l’idée qu’il soit l’un des volontaires censés les couvrir pendant l’accomplissement du rituel le rendait malade.

L’armée moldue les attendait de l’autre côté du bouclier. Elle ne savait pas précisément où ils se trouvaient, Poudlard étant incartable et invisible à leurs yeux, mais elle fouillait les Highlands avec ses machines de guerre depuis des années. Elle bombardait la zone à l’aveuglette et réduisait le paysage en cendres. Draco sortirait parce que c’était son devoir envers l’école et parce qu’il voulait élargir le monde étriqué dans lequel Scorpius était forcé de grandir. Le château était plein à craquer ; les cultures, l’élevage et les créatures magiques rescapées envahissaient le parc et la forêt interdite. Même le stade de Quidditch avait été transformé pour loger les réfugiés. Ils devaient s’étendre, ne serait-ce pour avoir la place d’accueillir les enfants né-moldus qu’ils arrivaient à arracher aux mains de l’armée. Et peut-être Draco essayait-il aussi, encore aujourd’hui, de racheter les actes de sa famille.

Neville ne voyait cependant pas l’intérêt de prendre un tel risque. Lui était partisan d’attendre une solution des Langues-de-Plomb, qui cherchaient un moyen d’effacer l’existence du monde sorcier de la mémoire collective des moldus. Lui ne se sentait pas à l’étroit, prisonnier de leur refuge, peut-être contenté par le monde de plantes dont il était entouré. Il ne les accompagnerait dehors que pour un ridicule sens du devoir envers ses anciens collègues Aurors. Et pour lui.

Draco se frotta un côté du visage avec un soupir fatigué. Ils avaient déjà eu cette discussion des centaines de fois. Il n’avait pas la force de la ravoir aujourd’hui.

 — Dîner ? expira-t-il à la place.

 — Oui, allons-y…

Ils quittèrent la serre et s’engagèrent sur le chemin illuminé d’orbes flottantes qui menait au château. Au-dessus d’eux, le bouclier luisait légèrement et masquait les étoiles. La nuit n’était jamais d'un noir complet depuis qu’il avait été créé à la hâte, après que Pré-au-Lard eut été rasée en quelques minutes. Des fissures créées par l’impact de projectiles moldus zébraient le dôme orangé. C’était pour les colmater qu’ils accomplissaient l’ Invisibilia Sanctuarium de plus en plus souvent, et la raison pour laquelle Draco devait régulièrement fournir son sang. Le prochain rituel n’était néanmoins pas prévu pour réparer, mais bien pour créer un nouveau périmètre de protection étendu.

Le pas de Draco était plus assuré qu’à l’aller, mais le silence entre eux était pénible. Ce n’était pas leur état naturel, ils parlaient sans arrêt d’habitude. Au point que malgré leurs quarante ans, Minerva les séparait encore pendant les réunions des Professeurs. La Chute avait mis tout le monde sous tension, c’était évident… mais à cela s’ajoutait une ambiance complexe entre eux qui commençait à effriter le peu de patience de Draco.

Il ne savait pas comment faire comprendre à Neville qu’il ne supportait pas l’idée qu’il prenne le risque de mourir de l’autre côté du bouclier pour le défendre. Il n’avait aucun scrupule à ce qu’il soit remplacé par un inconnu, un parent d’élève, même un ancien élève. Il sacrifierait difficilement Pansy ou Théo, tout ce qui restait de ses amis depuis les attaques simultanées des moldus deux ans plus tôt, mais s’il devait choisir…

 — Je ne vais pas changer d’avis, l’informa Neville comme s’il était un putain de Légillimencien.

Draco serra les dents et plongea les mains dans ses poches sans cesser de marcher. La lueur ambrée et les orbes se reflétaient sur les quelques flaques de pluie de la veille, qui le forçaient à garder les yeux baissés pour les éviter.

 — Qu’est-ce que tu ferais, à ma place ? reprit son collègue d’un ton las.

 — Je dirais, Bien sûr, Draco, tout ce que tu veux, Draco , grogna-t-il. Évidemment que je ne veux pas que tu t’en veuilles toute ta vie si je meurs, Draco.

 — Ça ne serait pas de ta fau-

 — Ferme-la, Londubat, siffla-t-il en lui jetant un regard noir. Ton côté Gryffondor est de loin le moins séduisant.

Le sourire vaniteux que lui envoya Neville lui donna envie de l’étrangler. Il marcha dans une flaque et trempa sa cheville.

 — Bordel ! Je te déteste.

 — Lequel est le plus séduisant ?

 — Celui qui m’obéit, rétorqua Draco, amusé malgré lui.

Sa chaussette humide lui arracha une grimace. Il tenta de la sécher de sa baguette sous le rire de Neville, mais son succès fut mitigé. Le silence retomba entre eux, et ce ne fut qu’en atteignant la portion du chemin bordée d’énormes citrouilles que Draco reprit la parole.

 — Tu as goûté les derniers essais de Carmichael ?

Les tentatives de l’ancien Serdaigle de recréer les recettes de Honeydukes étaient louables, mais pas toujours réussies. Il ne pouvait néanmoins pas s’empêcher de tester ses dernières créations. Il était aussi terriblement en manque de sucreries.

 — Non… ? émit Neville.

 — Tant mieux. N’essaye pas, l’alerta-t-il. Il soutient qu’il a recréé les Gnomes au poivre, mais je pense qu’il a oublié qu’ils devaient être parfumés à la menthe poivrée… Et pas au poivre.

Son ami s’esclaffa. 

 — Pourquoi est-ce que tu continues à tester ses horreurs ?

 — Je te trouve un peu dur. Ses plumes en sucre n’étaient pas si mal.

 — C’est vrai, lâcha son collègue d’un ton enjoué. Le souvenir de ton extase en les suçant me rend un peu dur.

Draco s’étouffa avec sa salive, puis rit bruyamment, plus que ce que justifiait son réel amusement. Tout pour cacher la tension qui le prit soudain à la gorge. 

 — Merlin… J’ai une terrible influence sur toi… souffla-t-il en se tenant le cœur. 

Il n’y avait pas que la perte de sang, l’action de la potion, et son rire qui étaient responsables de l’accélération de son rythme.  

Cela faisait pourtant longtemps qu’ils s’envoyaient ce genre de piques. Elles avaient commencé après la difficile époque où le Sorcière-Hebdo avait eu vent de l’homosexualité de Neville, et suite à la volée de bois vert qu’il s’était pris de la part de parents d’élèves outrés. Des rumeurs à leur sujet, heureusement limitées au sein de l’école, avaient mis son collègue tellement mal à l’aise que Draco n’avait pas trouvé d’autre arme que son humour pour décanter la situation. 

Les ragots avaient été stupides. Ils étaient amis, Neville était alors en couple, et Draco était très heureux dans son mariage. Il n’avait cependant pas su blâmer leurs étudiants. Il aurait autant cancané qu’eux à leur place et il avait, à vrai dire, trouvé toute la situation hilarante. 

Elle était beaucoup moins drôle ces derniers mois. Sans qu’il le réalise vraiment, leurs traits d’humour avaient perdu en innocence, et il en était à la fois exalté et terrifié. Sa réputation d’après-guerre l’avait insensibilisé à l’opinion qu’on pouvait avoir de lui, mais prendre le risque de perdre l’amitié de Neville le révulsait, et l’impression qu’il était en train de trahir Astoria lui serrait le cœur.  

Il savait que le souafle était dans son camp. Il connaissait assez bien Neville pour comprendre la signification de ses regards appuyés, de ses sourires patients, de ses attentions et commentaires. Mais ils vivaient dans un tel huis clos. Comment allait-il survivre dans la prison qu’était leur sanctuaire, sans sa présence à ses côtés si les choses tournaient mal ? La relation qu’il avait avec ses autres amis pâlissait face à celle qu’il partageait avec lui. Le silence n’était pas paisible et confortable avec Pansy. Theo l’insupportait un jour sur deux, avec ses airs importants et la façon dont il se planquait derrière les opinions de Granger-Weasley.

Et même si la douleur d’avoir perdu Astoria n’était plus aussi insupportable que cinq ans plus tôt, cela n’effaçait pas son sentiment de culpabilité à l’idée de tourner la page. Il n’arrivait même pas à enlever son alliance sans être submergé par la honte, bon sang ! 

 — Je ne fais pas partie des volontaires juste pour soutenir les Aurors, reprit soudain Neville.

 — Je sais. Pitié, tais-toi, gémit presque Draco, la gorge nouée.

 — Je sais que tu penses ne rien craindre avec sept Défenseurs autour de toi, poursuivit son collègue en ignorant sa supplique. Mais il n’y a qu’un seul Auror par équipe, face à des machines de guerre, des missiles, des technologies qu’on ne comprend pas ! Une fois qu’ils nous auront détectés, ils pourront nous cibler sans même avoir besoin d’approcher.

 — Raison de plus pour que tu ne t’en mêles pas. Laisse les autres crev-

 — Je suis amoureux de toi, Draco. Tu crois que j’ai envie de rester comme un con dans le château pendant que tu te fais bombarder ?

Le sang quitta le visage de Draco avant d’y ressurgir au battement suivant, bouillant, comme si un feu s’était allumé à l’intérieur de lui. Il s’arrêta au milieu du chemin et soutint le regard de Neville, qui l’observait avec un mélange de frayeur et de défiance. Il eut soudain envie de pleurer, pleurer de terreur et de désir à la fois. Il prit une inspiration tremblante. Un sifflement retentit alors dans la vallée, et il se tourna vivement en direction de la Forêt Interdite. Malgré l’habitude, Draco sursauta lorsque le projectile explosa à la surface orangée des protections. 

Il serra le poing sur son cœur alors que Neville lui attrapait le coude pour le soutenir. La magie qu’il avait insufflée aux défenses du château n’était plus la sienne, elle était tissée avec celle de Poudlard et de six de ses collègues, mais il ressentait toujours avec douleur l’écho des impacts. Le bouclier ondula au-dessus d’eux et ses reflets nacrés créèrent un phénomène similaire à une aurore boréale. Ils retinrent leur respiration, mais jurèrent en même temps lorsqu’une nouvelle énorme fissure zébra leur ciel déjà craquelé. 

Voilà qui allait accélérer la mise en place du nouveau bouclier. Les prochaines doses de potion du rituel d’ Invisibilia Sanctuarium n’avaient pas été prévues pour la réparation.

Derrière eux, les portes du château s’ouvrirent dans un grincement, et une foule alarmée descendit les escaliers de pierre pour assister au spectacle. Il n’en restait néanmoins plus qu’un nuage de fumée, lentement poussé par la brise au-dessus du dôme magique. Un autre grondement résonna dans les montagnes, puis un troisième, sans que le bouclier ne soit à nouveau touché. 

Draco échangea un regard avec Neville, qui l’observait avec une expression grave. Son cœur se serra à lui couper le souffle, mais il garda ses yeux brûlants posés sur lui. La sourde panique qui le rongeait depuis qu’il lui avait annoncé sa participation à l'extension du périmètre de protection menaça de l’engloutir. La main qui tenait toujours son bras ne lui fut, cette fois, d’aucun réconfort.

Son ami ouvrit la bouche en le relâchant, mais une voix tonitruante l’interrompit.

 — PROTECTEURS DANS LA SALLE DU CONSEIL ! DÉFENSEURS DANS LA SALLE D'ENTRAÎNEMENT !

Draco se mordit les lèvres, les yeux rivés sur la horde amassée aux portes du château qui regardait le ciel en conversant avec angoisse. Ses membres tremblaient déjà, mais il fut pris d’un frisson lorsqu’une main légère se posa sur sa mâchoire et qu’un pouce rugueux frotta sa pommette. Le sourire patient de Neville le fit déglutir.

 — Allons-y, murmura ce dernier. On discutera plus tard.

Draco se laissa entraîner vers le château, guidé par la pression de doigts autour de son épaule raidie par la peur. La nausée revint, mais elle n’avait plus rien à voir avec le prélèvement et la potion. Il ne savait pas s’il y aurait un plus tard . Parce que l’un d’entre eux risquait de mourir d’ici peu, et il y avait de fortes chances pour que ça ne soit pas Draco. 

Il ne pouvait pas vivre un tel deuil à nouveau.

 

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Le ciel au-dessus de sa tête était gris pour la première fois depuis deux ans. Mais au milieu de la montagne dévastée, des arbres calcinés et de la pluie, Draco ne put pas apprécier la lumière et le paysage.

À peine sorti de leur bouclier prêt à céder, il avait été escorté par l’équipe de Bones sur la route menant à la zone cible de déploiement des nouvelles protections. Ils avaient néanmoins été stoppés par un Patronus qui les alerta que le rituel devait être démarré le plus vite possible. Cela signifiait qu’une des six autres équipes essuyait déjà des tirs.

Une pluie de balles s’abattit sur eux aussi, à peine furent-ils positionnés à l’endroit le plus propice pour se défendre. Elles ricochèrent sur les barrières magiques dressées par les Défenseurs et précipitèrent les gestes de Draco. Il renversa la potion sur lui, jusqu’à ce que ses cheveux et ses vêtements soient imbibés du mélange de cendres d’arbres que Neville avait fait pousser, des larmes de leurs élèves, et de son propre sang. Bras écartés, il se força à ignorer le chaos qui se déchaînait autour de lui, et puisa en lui pour ramener sa puissance à la surface de son corps.

 — Sume sanguinem meum, sume magicam meam , prononça-t-il rapidement. Hoc cinere arbores defendunt. His lacrimis, tuentur infantes.

Il offrit son sang et sa magie, et par les cendres des arbres de Poudlard, par les larmes des innocents cachés derrière ses murs, il désigna la zone à protéger. Il répéta l’incantation sans relâche, mû par l’habitude, en regardant des projectiles foncer sur eux et être déviés par la magie de ses Défenseurs. Des balles s’écrasaient dans le sol, avalées par des enchantements d’attraction. De la fumée stagnait, épaisse et grise, autour de leur cercle avant d’être repoussée par des bourrasques magiques. Des véhicules approchaient dans la boue, et le bras de Neville s’éleva dans son champ de vision pour faire pivoter canons et tourelles pointées sur lui. Les sifflements, les grondements, les explosions, les crissements du métal, et les cris des sorts incantés autour de Draco, créaient une cacophonie terrifiante. Ses bras tremblaient, mais ses lèvres bougeaient toujours. Sa peau picotait, son cœur battait dans sa gorge, sa magie s’embrasait.

Il pensa à Scorpius, qu’il avait à peine enlacé pour ne pas l’inquiéter, et qui l’avait repoussé avec un embarras d’adolescent. Il pensa à Neville, avec qui il n’avait pu échanger qu’un regard avant que leur équipe ne se mette en route. Il pensa à quinze ans d’une amitié qui n’était plus juste ça, mais qui lui était tellement vitale qu’il ne tolérerait pas de la perdre. Il pensa à ces mots qui mettaient fin au statu quo et auxquels il n’aurait peut-être jamais l’occasion de réagir. Il pensa à Astoria, à ses derniers sourires, à ses paroles qu’il avait refusées d’entendre à l’époque, mais qu’il se repassait en boucle depuis. 

Fais ton deuil, prends ton temps, mais pas trop longtemps.

Devant lui, une pluie de débris enflammés fut emportée par le déferlement de puissance des sorciers qui l’entouraient. Il sentit ses pieds se lier avec le sol, des larmes brûlantes se mêler au sang sur ses joues, la voix de Neville faire vibrer ses tympans malgré le chaos.

 — Sume sanguinem meum, sume magicam meam , hoqueta-t-il en dépit du feu de sa magie qui enflammait sa gorge.

Sa peau s’embrasa et une lueur blanche envahit le bord inférieur de son champ de vision. Si la douleur était atroce, il savait qu’elle ne durerait pas, et il la laissa consumer ses membres sans détourner le regard du combat devant lui. Un sorcier s’écroula. Neville se décala pour intégrer une partie de son périmètre de défense au sien, certainement imité par un autre Défenseur dans l’angle mort de Draco.

 — Hoc cinere arbores defendunt. His lacrimis, tuentur infantes , poursuivit-il en regardant son ami peiner à dévier la trajectoire d’une roquette.

Il lutta jusqu’à la dernière seconde pour ne pas fermer les yeux, pour continuer à surveiller le combat, pour s’assurer que Neville était sauf. Il savait pourtant qu’une intervention de sa part romprait le rituel. Même s’il le sauvait, il condamnerait les efforts de la centaine de sorciers qui se battaient autour de Poudlard. Son égoïsme coûterait la vie à d’autres personnes. Il savait cependant qu’il préférerait vivre avec la culpabilité qu’avec des regrets.

La lumière qui émanait de lui devint néanmoins trop forte pour qu’il tienne plus longtemps. Elle engloutit Neville, brûla ses rétines, et il ne put plus contrer le réflexe de baisser les paupières. Son corps en fusion s’entoura d’une sphère incandescente de sa propre magie, et Draco brûla, brûla sans cesser de réciter l’incantation, le nez vers le ciel.

La terre tremblait sous leurs pieds, les sorts fusaient, mais à travers la furie, ils tinrent bon. La bulle éclata, sa magie jaillit en un trait de lumière au-dessus de lui, puis s’arqua pour trouver les six lignes identiques de ses collègues. Elles se rejoignirent au-dessus de Poudlard et il en ressentit le choc jusque dans ses doigts.

 — Munera nostra simul teximus ! haleta-t-il, étranglé par la souffrance. Sanctuarium nostrum abscondimus ! A furore nos defendimus !

Son pouvoir l’abandonna pour se mêler à celui des autres Protecteurs. Leurs magies liées tissèrent une toile défensive qui vint recouvrir celle, craquelée, qu’il avait participé à créer deux ans plus tôt. Il ne pouvait rien voir, sinon le blanc de la lumière aveuglante qui traversait ses paupières closes. Mais il ressentait tout. Ses forces le quittèrent, projetées vers le ciel, alors que le bouclier se matérialisait depuis le point de jonction qui surplombait les tours de l’école.

Au-dessus de la tempête, du tambour de son cœur et du râle de ses propres incantations, il entendit Bones hurler le décompte avant la fin du combat, pour motiver ce qui restait de ses troupes. Il réalisa avec horreur que la voix de Neville ne lui parvenait plus, mais il n’y avait rien qu’il puisse faire. Il était vidé. il n’était plus qu’un point de relais entre le bouclier en formation et la terre sous ses pieds.

 — Sanctuarium nostrum abscondimus, répéta-t-il d’une voix chevrotante. A furore nos defendimus…

Un sifflement atroce remplit sa tête vide. Le brasier de sa magie s’éteignit. Une vague tiède et orangée le caressa. Ses membres tremblaient. Il avait désespérément besoin de s’asseoir, mais son corps était bloqué, figé.

 — Repli ! cria Bones juste avant le vacarme d’une détonation.

Des mains attrapèrent ses bras et le tirèrent en arrière. Draco rouvrit les yeux dans un sursaut et, à travers ses larmes, il contempla le profil constellé de tâches de boue de Neville. La tension le quitta en même temps qu’un rire le secouait comme un sanglot, et il suivit son regard en direction de la surface ondoyante du nouveau bouclier.

Derrière, les attaques se poursuivirent quelques instants, puis les repousse-moldus perturbèrent la visée des instruments militaires qui se fit de moins en moins précise. Ils observèrent les impacts s’espacer dans la montagne, les gerbes de pierre, de boue, pleuvoir dans le paysage, et les volutes noires des explosions s’élever avec lourdeur dans la vallée.

Draco vacilla et tituba, et n’eut pas le temps de regarder si Neville était blessé qu’il fut embarqué, hagard, par Abbott. L’infirmière le fit s’asseoir sur la marche d’une calèche attachée à un Sombral, et il la laissa l’ausculter, mais ses yeux se baladèrent fébrilement sur ce qui restait de son équipe. Bones agitait sa baguette pour répondre au message inaudible que le Patronus de Potter avait apporté. Des Guérisseurs étaient penchés sur le corps de trois Défenseurs, mais un seul d’entre eux reçut des sorts de soin. En face de lui, un Médicomage examinait Neville, dont les plus lourds dommages semblaient être une lacération à la cuisse et une balle dans le bras.

Lorsque Abbott ordonna à Draco de grimper dans la calèche pour rentrer au château, il l’ignora et traversa le champ de bataille pour rejoindre son ami sur des jambes flageolantes.

 — Ça va ? lui demanda ce dernier d’un murmure rauque.

Draco fixa la boue qui avait atteint jusqu’à ses cheveux châtains, la tâche qui avait séché sur son nez romain, et les gouttes qui s’étaient accrochées à sa courte barbe. Quelle question stupide. Bien sûr qu’il allait bien. Des gens s’étaient battus pour qu’il puisse construire le bouclier en toute sécurité, tout cela pour mourir à quelques centaines de mètres du monde étriqué dans lequel ils avaient vécu leurs dernières années.

Un soulagement infini l’empêcha cependant de ressentir une quelconque culpabilité. Il était un instrument, comme eux. Tout ce qui importait, c’était qu’ils étaient tous les deux vivants. Et la peur, qu’il ressentait depuis des mois à l’idée de perdre l’amitié de Neville dans un tel vase clos, fut consumée par une force aussi puissante que sa propre magie quelques minutes plus tôt. Il lança ses bras couverts de sang en avant, l’attrapa sous les oreilles, et se pencha pour écraser sa bouche contre la sienne.

Neville se raidit sous ses paumes, mais sa main valide s’agrippa à sa robe imbibée de potion pour le tirer en avant. Son visage s’inclina, ses lèvres s’ouvrirent, et sa langue plongea glorieusement entre les siennes.

 — Erm… Professeur Malfoy ? tenta de les interrompre le Guérisseur qui travaillait toujours sur la jambe de Neville.

 — Je pense que les blessures du Professeur Londubat peuvent attendre deux minutes, s’éleva la voix amusée de Abbott. 

Les genoux déjà affaiblis de Draco menacèrent de céder sous son poids, et il s’écarta de lui, les mains accrochées à ses épaules. Le souffle court, il se laissa un instant éblouir par le sourire de Neville qui s’élargissait à vue d'œil, mais il fut perturbé par le sang que son visage avait transféré sur le sien.

 — Merde, désolé, grimaça-t-il en tentant de lui essuyer la joue d’un pouce lui aussi couvert de potion.

 — Tu es terrifiant et très sexy à la fois, l’informa Neville avec humour.

Draco aboya un rire humide et inclina la tête pour poser le front contre le sien. Il y laissa une nouvelle traînée cramoisie.

 — Comme d’habitude, non ?

 — Comme d’habitude, confirma son compagnon.

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