
Edwin ne se souvient pas du moment exact où la fascination qu’il avait pour les insectes s'était transformée en obsession, si tant est que cette différence ait jamais existé. Mais un jour, alors qu’il regardait une araignée capturer un papillon de nuit dans sa toile et l’enrouler dans un cocon bien étroit, tissé par ses soins, son regard sur le monde ne fut plus jamais le même. Le sourire poli de sa mère s'était transformé en mandibule claquante et les yeux de son père étaient devenus aussi noirs que les nouvelles ailes membraneuses qui logeaient sur son dos. Sa petite sœur, Savannah, avait développé une délicate carapace bleu nuit au rebord irisé et scintillant, alors que leurs elfes de maison s'étaient soudainement retrouvés avec des dizaines de paires de pattes grouillantes et nerveuses.
C’était facile de voir le monde ainsi, avec les prédateurs et les proies qui prenaient vie… Et par-dessus tout, c’était terriblement intriguant.
***
Poudlard pour n’importe quel enfant de onze ans avait une structure intimidante et grandiose. Pour Edwin, ces critères n’avaient d'intérêt que pour le nombre d’habitats que cela pouvait fournir aux insectes grâce à sa superficie. Y aurait-il de nombreux hétérocères et araignées-loups ? Pourrait-il apercevoir des abeilles Colletes ou des colonies de fourmis Formica aux abords de la forêt interdite ? Et par-dessus tout, il avait entendu une rumeur dont il voulait à tout prix tester la véracité… Celle de l’existence d’une colonie d’Acromentules géantes.
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La répartition avait été un événement inutilement dramatique, avec une chanson d’un goût douteux et une dose d’attention qui lui avait raclé la peau comme les têtes d’épingle qu’utilisaient la couturière du Chemin de Traverse. Maintenant allongé dans son lit, il remerciait ses ancêtres Alberty qui lui avaient permis de ne pas attendre une éternité dans le groupe - pour la plupart terrifiés - des premières années. C’était après une conversation étrange qu’il avait été poussé de sa chaise par un chapeau frissonnant qui avait dit d’une voix grinçante.
— SERDAIGLE !
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La vie au château et son quotidien scolaire perdirent progressivement de leur attrait. Seules la botanique et les potions pouvaient encore susciter chez lui une certaine forme d’excitation. Ce n’était pas pour la carapace solide et écailleuse que le professeur Slughorn portait avec une certaine coquetterie, ni pour la fourrure duveteuse et les griffes acérées du professeur de Botanique, mais pour la simple et bonne raison que c’était seulement dans ces cours que de trouver des insectes et d’interagir avec, qu’il soit mort ou non, était autorisé, voire encouragé.
Edwin adorait décortiquer les corps de leurs ailes et de leurs pattes, sentir sous ses doigts la résistance de leurs carapaces et réussir à enlever délicatement les organes microscopiques sans les réduire en charpies. C’était comme le plaisir d’un machiniste qui bougeait les pièces d’un décor pour mettre en place un nouveau paysage, comme un mécanicien admirant les rouages qui donnaient vie au tic-tac d’une horloge. Quelque chose, en apparence simple, qui cachait, en vérité, une complexité redoutable.
Peut-être que si Edwin n’avait pas été si absorbé par ce qu’il faisait, il aurait remarqué le seul regard qui se posait sur lui sans éprouver de dégoût.
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Edwin jugea que les vacances de Yule étaient un moment propice pour commencer à cartographier la Forêt interdite et essayer de repérer des indices sur la présence d’Acromentules. Il y avait moins d'élèves, les professeurs se sentaient détendus, et son emploi du temps était suffisamment dégagé pour qu’il puisse choisir d’y passer la journée s'il le souhaitait. La veille, il avait pu trouver des fourmis Formica, frénétiquement occupées sur le cadavre d’un oiseau, entre les racines des arbres … Mais, aucune trace d’araignées. Il était alors rentré bredouille et légèrement contrarié, jusqu’à ce qu’il trouve un livre parlant de la crainte que ressentaient les arachnides envers le basilic.
C’était parfait.
Bien entendu, il n’avait pas exactement trouvé un serpent géant avec un regard qui pouvait tuer, mais une simple vipère péliade sortie de son nid à l’aide d’un Accio et enfermée dans une cage. Edwin espérait que son sifflement colérique suffirait à réveiller les espèces d’araignées plus communes, qui à leur tour, ferait ressortir les enfants des Acromentules encore nourrisson.
Trop absorbé par la finalisation de son plan et les éventuelles problématiques qui pourraient surgir et empêcher son bon déroulement, il remarqua presque trop tard l’attroupement de Serpentard à l’autre bout du couloir. Edwin s'aplatit contre le mur, et regarda le groupe d'enfants de troisième et quatrième année enfermer une silhouette plus petite en poussant des ricanements hautains.
— …tu n’as pas ta place avec nous, Sang-de-Bourbe. Tu oses même souiller ce don en le volant à de pures lignées !
Il reconnut la voix d’un Selwyn, qui se trouvait à côté d’un Crabe d’une branche secondaire, mais les six autres lui demeuraient inconnus.
— Vas-y, Nott, apprends-lui ce qu’il en coûte de venir salir les couloirs de Poudlard avec son sang sale !
— Je ne veux pas le toucher, déclara une voix plus basse et féminine sur la droite alors que Nott jetait un sort à leur victime. Il pourrait avoir des maladies, ou me prendre ma magie. Ma famille ne me le pardonnerait jamais !
Edwin renifla de dédain en regardant la membrane visqueuse qui recouvrait leurs yeux globuleux. Comment des gens soi-disant si “purs” pouvaient dire des bêtises pareilles était un mystère pour lui. Le problème dans les familles ne venait pas du métissage, mais de la trop proche parenté des couples dit “purs”. L’intelligence de certaines familles, comme les Malfoy - qui n’hésitait pas à épouser des membres d’une lignée étrangère et surveiller leur généalogie avec le regard d’un faucon - s’en tiraient aussi bien parce qu’ils n’avaient pas oublié pourquoi ces arbres existaient en premier lieu. Épouser vos cousins, vos frères et sœurs, vos oncles et vos tantes, comme des poissons dans un vase clos n’était pas quelque chose de bon.
La nature paranoïaque, conservatrice, et en général trop recluse, des familles sorcières serait leur perte.
Pas les nés de moldus, pas les sang-mêlés, pas même l’évolution du monde autour d’eux. Ce serait simplement comme un feu couvert qui meurt par manque d'oxygène et qui se ratatine sur lui-même.
L’autarcie pouvait se payer cher.
Finalement, le cercle de Serpentard jeta la silhouette plus petite dans un placard à balais, scellant la porte d’un Colloportus et d’une malédiction un peu plus sombre pour celui qui aurait le malheur de l’ouvrir. Lorsqu’ils eurent disparu au coin d’un autre couloir, Edwin sortit de sa cachette et s’approcha de la porte.
— Pourquoi tu ne les as pas maudits ? demanda t-il.
Le silence fut la seule chose qui lui répondit. Alors qu’il s'apprêtait à se remettre en route, en haussant les épaules face au refus du Serpentard d'émettre un mot, une voix claire résonna de l’autre côté de la porte.
— Le serpent te retrouvera si tu le libères sans compensation pour son dérangement.
Edwin était spéculatif. Était-il possible que le garçon soit…? Mais non, les derniers Gaunt avaient à peine forme humaine et encore moins assez de magie pour Poudlard. Et il n’avait pas non plus cet étrange accent cockney.
— Pour ce que ça vaut, sache que tu n'es pas un sang sale, mais un moyen pour mère Nature d’apporter du sang neuf dans le monde magique. C’est tellement évident que je ne prendrais pas trop à cœur ce que te disent ces idiots. Les gens comme toi sont la solution à un problème, et non pas un problème qui a besoin d’une solution.
Le silence épais mit moins de temps à être percé cette fois-ci.
— Vraiment ?
— Vraiment.
Edwin soupira.
— Écoute, je ne peux pas ouvrir cette porte tout de suite, car je n’ai pas le contre-sort pour la malédiction qu’il y a dessus. J’enverrai un mot à un professeur pour qu’il vienne te chercher-
— Non ! s’exclama la voix. Si quelqu’un m’aide, je serais… je serais…
Vu comme vulnérable ? Faible ? Edwin ne dit rien de cela et décida de poursuivre.
— Je vais demander à un professeur qui n’en fera pas tout un plat. Et quand tu seras sorti, je te conseil de lire le livre “Les petites malédictions d’une nuisance mortelle” de Garry et Athena Babelchock.
Edwin pouvait sentir la curiosité suinter par les interstices de la porte.
— Pourquoi m’aiderais-tu ?
La voix était suspicieuse et dubitative.
— Parce que je sais que Nott a eu besoin d’aide pour apprendre à lire et que le livre qu’il tient est la plupart du temps décoratif ? Parce que la mère de Selwyn a enchanté les lacets de son fils car ce dernier n'a jamais réussi à les attacher ? Parce que Crabe a peur du noir et qu’il garde avec lui un doudou en forme d’elfe de maison ? Ce qui, entre nous, soulève quelques questions sur qui il appelle vraiment papa et maman.
Il entendit un rire étouffé derrière la porte.
— Aucun d’eux n’est supérieur, ils ont eu et ont toujours besoin d’aide. Ils s’en prennent à toi parce que tu ne les connais pas et que tu n’as pas leur éducation magique. Mais donne-toi quelques livres et du temps et ils seront un jeu d’enfant.
Et peut-être qu’Edwyn savait ce que c’était que d’être le paria d’un groupe. Peut-être qu’il ne supportait pas l’apparence de cafards globuleux que la plupart d’entre eux avaient. Peut-être parce qu’il n’était que des insectes qu’il pouvait écraser sous sa chaussure et que quelqu’un ferait bien de leur rappeler leur place dans la chaîne alimentaire.
— Enfin bref, j’ai des choses à faire. Je t’envoie un professeur et je donnerais une souris à la vipère. Cela lui suffira ?
Un long sifflement glissa sous la porte auquel le serpent répondit.
— Trois gros rats, plutôt. Tu l’as vraiment énervée.
Edwin sourit.
— Comme l'exige madame alors !
Il se dirigeait dans le couloir et vers la porte principale lorsqu’il entendit derrière lui un cri lointain.
— C’est un mâle !
Le rire d’Alberty se reverbéra fortement sur les murs du couloir.
****
La Forêt interdite était, pour Edwin, une véritable source de fascination, la faune et la flore y étant d’une grande richesse. Il avait déjà vu pas moins de seize espèces d’oiseaux différentes, au moins cinq pour les papillons et quelques fées des pins. Après l’affaire du placard, il avait joint par hibou le professeur d’arithmancie pour s’en occuper. Il était connu pour être un homme ayant peu d'intérêt pour la vie étudiante et professorale en dehors des cours, si cela ne le menait pas à la découverte de ce siècle.
Edwin brandissait la cage de la vipère devant lui et tenait de l’autre côté sa baguette dont la pointe brillait d’un léger Lumos. Des vers, des escargots fumants, des cloportes à cornes et… là ! Quelques araignées-loups et communes se faufilaient entre les arbres ! Edwin nota avec excitation le sens dans lequel elles partaient, orienta sa lumière à l'opposé et avança devant lui, la cage sifflante. Pour l’instant, tout lui indiquait de s'enfoncer plus loin dans la forêt, peut-être légèrement orienté vers l’ouest.
Enfin, il avançait !
Une branche craqua brusquement et une voix forte tonna à travers les arbres.
— Que fait un première année ici ? Ce n’est certainement pas un endroit pour un petiot comme toi, ça non !
Edwin avait appris à ne pas jurer sous peine de se retrouver sous le sortilège de savon-bouche de sa mère. Mais à la vue d’un homme gigantesque pourvue d’une barbe épaisse et de mains qui faisaient deux fois la taille de sa tête, il ne put empêcher un filet de jurons de franchir ses lèvres traîtresses.
— Et bien dites donc, c’est une bouche sale que tu as là.
C’était Hagrid, le garde-chasse
— Je cherchais juste des plantes pour mon herbier et de nouvelles espèces de papillons de nuit pour mon tableau d’entomologie.
— Avec un serpent ? demanda-t-il dubitativement.
Zut de zut, par les couilles de Merlin ! Il était si proche d’avoir enfin des résultats pour trouver ce fichu nid ! Il n’allait pas laisser le demi-géant le gêner en si bon chemin alors que… Attendez une minute.
— Vous avez raison. Je cherche à repérer le nid d’Acromentule.
Le visage d’Hagrid prit une teinte blanchâtre.
— Par Merlin, mon garçon ! À quoi pensais-tu ?!
— Je m'apprêtais à rebrousser chemin pour venir vous voir ! s’exclama-t-il. Je voulais vous demander si vous pouviez m'emmener avec vous. C’est juste que… les araignées sont des arthropodes tellement incomprises.
N’en fait pas trop Edwin, si l'appât est trop gros, même le plus aveugle des poissons n’ira pas le mordre.
— J’adore les insectes et la reproduction inter-espèce…
Vrai.
— … Et je voudrais recueillir un échantillon d’Acromentule pour mieux comprendre leur évolution et comment la magie les a influenceés par rapport aux espèces communes et non magiques…
Techniquement vrai.
— … Cela pourrait réduire l’incompréhension des gens face à l’inconnu et la dangerosité qu’elles représentent s'ils apprenaient à mieux les connaître.
Ce en quoi il doutait, vu que ces dernières, à l’âge adulte, pouvaient se nourrir seules et aisément d’un bovin de plus de trois cents kilos. Mais cette dernière déclaration était plus au bénéfice de Hagrid, qui avait la réputation d’être une bonne patte pour les créatures avec une dangerosité de trois XXX et au-delà.
— En plus, vous seriez avec moi, ainsi je ne risquerais rien, Monsieur. Cela serait tellement mieux que de laisser un élève essayer encore et encore, tout seul de trouver-
— C’est bon, souffla le géant d’un air vaincu. Mais tu feras absolument tout ce que je te dis, et tu n’iras pas tout seul là-bas. Jamais, tu m’entends ?
Edwin cacha sa satisfaction.
— Promis.
****
Edwin sautillait dans les escaliers qui menaient à son dortoir, tout en tenant plusieurs flacons de venin d’Acromentule fraîchement pris à la source. Il allait pouvoir y tremper certains de ses outils pour permettre une meilleure découpe lors de ses dissections d’insectes magiques. Il pourrait également faire quelques poisons bien utiles dans le jardinage et vendre le surplus à un apothicaire pour augmenter confortablement la hauteur des piles d’or de son coffre. Et il y avait aussi ce paquet de soie et la mue des duvets qu’il pourrait utiliser dans la broderie de rune et la protection des nuisibles féeriques.
Mais par-dessus tout, il avait parlé avec une Acromentule. Une vieille Acromentule, immense et magnifiquement mortelle. L’un des prédateurs magiques les plus efficaces mais qui atteignaient pourtant rarement un âge suffisamment avancé pour qu’elle puisse parler !
Edwin avait hâte de tout noter dans son livre, de dessiner les détails de la structure d’Aragog et de stocker des échantillons pour une possible hybridation.
C’était une si bonne journée.
***
Les colocataires d’Edwin avaient pris pour habitude de déposer des insectes dans son lit pendant qu’il dormait. Au début, c’était une plaisanterie, ensuite c’était devenu de l’intimidation pure et dure. Quoi qu’il en soit, Alberty en avait marre de se réveiller avec des insectes écrasés dans son lit lorsque venait le moment irrémédiable de bouger. Il avait réussi à en sauver quelques-uns au réveil, les sortant délicatement par la fenêtre ou les déposant sur sa table de chevet. Au fil des mois, ses colocataires étaient passés de lui jeter un regard bizarre, a carrément dégoûté. Ce matin, en trouvant un bébé Acromentule qui pouvait facilement être confondu avec une araignée normale, Edwin savait que c’était l’occasion de transformer cela en une saine peur de lui.
Il prit la délicate créature dans la paume de sa main et laissa un sourire tranquille fendre son visage en deux.
— Vous savez que la courbe de croissance d’une Acromentule est adaptable ? Selon son environnement et ces ressources, elle peut mettre entre trois à douze mois pour atteindre une taille dépassant celle d’un homme adulte. Il y a un inconvénient, évidemment, elle reste extrêmement vulnérable à l’abdomen car le durcissement de cette peau est la seule chose qui ne peut pas être accéléré. Mais son venin devient plus fort que celui d’une Acromentule ayant grandi sur un an, elle bénéficie de deux paires de mandibules vu que la première n’est pas encore tombée, et son réservoir à soie développe une poche latérale d’urgence. On pourrait penser qu’un environnement hostile, qui offre peu de chance de survie, serait à éviter pour la pérennité d’une espèce qui vise plutôt le nombre que la qualité. Et cela serait vrai.
Le silence n’était rempli que des respirations horrifiées de ses camarades de chambre.
— Cependant, l’instinct de survie déclenche une mutation génétique et magique chez les Acromentules semblable à un boost d'adrénaline, l’expérience permanente de mort pousse le corps à son extrême et la magie réagit alors pour permettre la survie. C’est comme de la magie accidentelle. C’est pour cela qu’en demeurant rares, certaines colonies isolées ont développé des attributs uniques en leur genre. Une, en Chine, crache un acide inflammable, une autre, en Australie, a acquis la capacité de respirer sous l’eau, une autre encore, dans la forêt du Pérou, est devenue omnivore et fait pousser une couche de mousse camouflante sur son épiderme.
Il fit courir l'araignée sur son bras, la faisant glisser d’une main à l’autre sous les regards craintifs.
— Chez le sorcier, cela se traduit par l’Obscurus. Cependant, dépasser le stade précoce de l’enfance, je me demande alors ce qui m'arriverait dans un environnement hostile ? Serais-je capable de contrôler quelqu’un sans aucun sortilège ? Pourrais-je me camoufler comme un métamorphomage ? Pourrais-je faire ressentir de la douleur d’un simple toucher ? Je suis assez curieux de le découvrir. Alors je vous en prie… continuez.
À l’insu d’Edwin, plusieurs demandes pour changer de dortoir atterrirent sur le bureau de son directeur de Maison ce matin-là. Et plus aucun ennui ne vint de la part de ses colocataires ou de la part d'autres membres de sa maison.
Dans le livre d’Edwin, c’était une victoire.
***
La bibliothèque de Poudlard était un endroit poussiéreux qui sentait le vieux livre et le parfum bon marché de la gardienne du lieu, Mme Fellmeth. Elle restait une bonne source d’information sur les créatures et la faune magiques du monde, surtout si l'on comptait les éditions neuves et fascinantes de Norbert Dragonneau.
Ce sorcier mériterait un ordre de Merlin pour nous empêcher de mourir si bête.
Alors qu’il fredonnait dans sa barbe le titre du livre qu’il cherchait, des pas s’arrêtèrent sur sa droite et une ombre se projeta sur la rangée qu’il regardait.
— Le livre que tu cherches est de l'autre côté.
La voix était encore celle d’un enfant, mais contenait une maturité qui promettait une évolution vers un timbre suave et typiquement masculin. Edwin détourna les yeux pour observer le nouveau venu et son cœur s'arrêta à sa vue.
Devant lui se tenait un garçon aux cheveux noirs et avec une peau de porcelaine. Il avait des pupilles fendues dans des iris rouge rubis et des ailes plumeuses d’un blanc presque douloureux. Edwin se demanda, au fond de lui, si en posant ses doigts sur sa joue, ces derniers resteraient pris au piège d’un produit mielleux et attirant, comme celui que pouvaient sécréter certaines plantes carnivores.
Il avait déjà vu quelques oiseaux, des rapaces principalement, comme son professeur de vol. Car si Edwin avait tendance à voir la plupart des gens comme des insectes, certains se démarquaient de la masse en prenant l’apparence de mammifères et autres formes du règne animal. Comme son père, la chauve-souris, dont la forme expliquait sa survie post-coïtale face à celle de sa mère, la mante religieuse. Mais il y avait quelque chose chez celui-ci qui clochait… Ce n'était pas un tétrapode.
— Hey ! Tu es toujours là ?
Comme c’était embarrassant, il avait été suffisamment distrait et fasciné pour se perdre pendant plusieurs longues secondes dans l’apparence diaboliquement angélique du garçon.
— Oui, pardon. Merci pour l’information.
Les pupilles fendues s’étaient contractées au son de sa voix.
— C’est toi.
Moi ?
Le garçon se tut alors qu’Edwin penchait la tête sur le côté, cherchant où il aurait bien pu rencontrer un première année de Serpentard…
Ah.
— Tu es le garçon qui parle aux serpents !
Une main se précipita sur sa bouche.
— Chut ! Pas si fort !
Edwin fit un léger signe de clef qui tourne et qu’on jetait par-dessus son épaule avant de pousser son bras.
— Oui, oui. J’ai quelque chose pour toi ! Mais quand je me suis rendu compte que je ne t’avais jamais vu, et bien, c’est devenu difficile de pouvoir te le donner.
Edwin fouilla dans ses poches à la recherche des deux fioles de venin d’Acromentule qui lui restaient et qu’il avait gardées pour cette occasion.
— Tiens, prends-les.
Les yeux rouges s’écarquillèrent.
— Est-ce que c’est-
— Du venin d’acromentule, oui.
— Mais pourquoi-
— Parce que si le livre que je t’ai conseillé ne suffit pas, dilué à 0,0001 microlitre dans une tasse de thé, cela est le plus puissant de tous les laxatifs. Et que brut, cela provoque une forte somnolence chez un individu de plus de 100kg et une arythmie sévère pour ceux en dessous de ce poids. Si ton ennemi fait moins de 76kg, pour environ la moitié de ce flacon, il meurt.
Le masque du garçon glissa de son visage et des yeux plus froids que les vents des tempêtes de la toundra le fixèrent en attente d’un faux pas.
— Pourquoi ?
La menace sous-jacente dans le ton fit tortiller ses entrailles et le bout de ses doigts. Et Edwin essaya de cacher la chair de poule qui recouvrit le dessus de ses bras et de son dos.
— Parce que, chuchota-t-il. Dis-moi, que vois-tu de moi ?
Alberty inspira l’odeur de la mer et d’herbe coupée qui se dégageait du Serpentard en attendant sa réponse.
— La tentation, chuchota le garçon.
****
La fin de sa première année se déroula sans incident notable, à part plusieurs Serpentard soudainement malades et un professeur de métamorphose aillant fait un petit malaise cardiaque.
Edwin était content que son cadeau ait si bien servi.
Le jeune sorcier avait hâte de rentrer chez lui et d’annoncer à sa mère qu’il avait rencontré quelqu’un avec du potentiel. Quelqu’un qui n’avait pas eu peur d’Edwin et de sa fascination pour les insectes, quelqu’un qui avait pris le cadeau d’Edwin et en avait profité. Quelqu’un avec des yeux rouges comme le sang et des ailes aussi blanches que la neige. Quelqu’un qui voyait ses cornes et sa queue fourchue et n’avait pas eu peur de l’écouter.
Quelqu’un qui n’avait pas seulement été tenté, mais avait fermé les yeux et était tombé.