
Trop proche
Après le petit-déjeuner, Harry se sentit à peu près d'attaque.
-J'ai fini d'éliminer les résidus magiques d'hier, annonça Koizumi. Maintenant vous avez moins de chances de faire exploser ma maison.
Elle changea rapidement les bandages du sorcier – qui ne put s'empêcher de frissonner au contact de ses doigts fins – puis s'éloigna. Ils se retrouvèrent tous les trois dans le salon, avec pour seul bruit le crépitement du feu de bois aux lueurs vertes dans la cheminée.
-Bon, on fait quoi ? marmonna Summers, lorgnant vers la porte.
Il n'avait toujours pas comprit comment il s'était retrouvé dans la chambre de Koizumi quelques jours plus tôt et depuis, se méfiait d'elle comme de la dragoncelle.
-On doit attraper Kid, résuma Harry pour ce qui lui semblait être la millième fois. On n'a pas encore essayé le Bloc-Jambes.
-On ne peut pas utiliser la magie, protesta Summers, catégorique. Même si Kid sait que nous sommes sorciers, c'est trop dangereux.
-Et comment tu comptes faire, alors ?
-On... lui tire dessus ?
-Bien sûr, ironisa Andersen, ça ne va pas du tout provoquer de cata entre nos deux pays.
-Priorités, Andersen ?
-C'est pas une raison. On a un voleur dans la nature, d'accord. Si des ressortissants étrangers blessent un citoyen japonais, ça pourrait rendre caduques toutes les preuves contre lui. Et dévoiler notre nature.
-On pourrait demander à Koizumi. C'est à cause d'elle qu'on en est là, proposa Harry.
De son fauteuil en cuir rouge, Summers fouilla dans sa poche et en sortit un boîtier rectangulaire. Il pianota dessus un moment et reprit :
-Pas possible : ça dit là que si un citoyen en blesse un autre, volontairement et quelle qu'en soit la raison, c'est la prison directe.
Il attendit une réponse, qui ne vint pas. Il releva les yeux et s’aperçut que les deux autres le fixaient, l'air stupéfait.
-...Quoi ?
-C'est ton... téléphone ?
Un écho de voix résonna dans la tête de Harry et il faillit prononcer « félétone ».
-Oui ? Pourquoi ?
-Depuis quand les téléphones marchent ici ?! On est dans une maison sorcière !
Summers papillonna des yeux, fixa son écran et réalisa le problème.
-Je... J'en sais rien ? C'est peut-être que la magie de Koizumi ne fonctionne pas comme celle de Poudlard ?
-Montre.
Après un examen du portable, ils durent se rendre à l'évidence : l'appareil fonctionnait parfaitement. Voyant les deux sorciers lorgner dessus comme une joueuse de Quiddich au chômage technique sur un balai, Summers préféra le ranger.
-Retour à nos nargoles, les gars... comment on fait pour attraper Kid ? Nakamori et son équipe lui courent après depuis longtemps, ils ne nous serons pas utiles.
-La seule chose que Kid ne peut pas retourner contre nous, c'est la magie.
-On ne peut pas utiliser de magie Potter, c'est trop risqué ! Elle t'a explosé au visage hier !
-C'était un accident.
-Un accident qui peut recommencer ! Andersen t'en penses quoi ?
L'autre auror détourna les yeux et refusa de se prononcer.
-C'est la seule chose qui peut marcher, reprit Harry qui sentait sa migraine s'accentuer.
-Pour ce qu'elle marche ! C'est comme jouer à la roulette russe !
-Et tu proposes quoi à la place ? Kid est moldu aux dernières nouvelles, tout ce qu'on peut utiliser de moldu il le connaît mieux !
-Peut-être que si tu avais conservé ton héritage moldu tu en saurais plus.
-On parle de mon passé maintenant ? A quoi ça sert ?
-Je dis juste que la magie ne fait pas tout, surtout dans cet état. On doit trouver un moyen moldu de l'arrêter !
-Oui, eh bien c'est fou comme c'est efficace jusque là.
-La magie non plus ne nous a pas aidé. Elle a même aggravé les choses ! Regarde tes bras !
-Si cette bombe n'était pas moldue, on n'en serait pas là !
-Tu commence à sonner comme Voldemort !
Le nom claqua dans la dispute avec la puissance d'un couperet. Andersen, figé dans son siège, comme changé en pierre, observa les deux sorciers qui s'était levés et se fixaient, observant l'horreur de la comparaison s'étendre sur les deux visages. Réalisant ce qu'il avait dit, Summers cessa de respirer et attendit qu'Harry réagisse.
Ce n'était pas la première fois que quelqu'un le comparait à son pire ennemi. Adolescent, Harry aurait explosé en entendant une telle ignominie, horrifié par la possibilité d'avoir le moindre point commun avec l'homme qui avait tué ses parents. Une guerre et une fuite de plusieurs mois plus tard, il comprenait un peu mieux. Des années plus tard, il avait fini par, lui aussi, voir les similitudes, et le sentiment de dégoût profond ne l'avait pas quitté durant des semaines. Seul l'amour de Ginny avait finit par disperser cette hantise.
C'est pourquoi, quand Summers lâcha ce nom qui représentait tant pour Harry, celui-ci ne s'énerva pas. Il se sentit tomber dans un siège et plongea la tête dans ses mains. Après quelques secondes de silence, il entendit Summers murmurer :
-... Désolé. Je... Je vais faire un tour.
Un frottement de tissu, quelques pas, puis la porte s'ouvrit et se referma. Harry releva la tête. Andersen état toujours là, la bouche réduite à un simple fil, le regard oscillant entre Harry et la chaise vide de Summers. Koizumi, affalée dans son propre fauteuil, pressait la paume de ses mains contre ses paupières et murmurait des choses sans queue ni tête. Derrière elle, tête-de-crapeau restait immobile, à moitié invisible dans l'ombre d'un mur. Incapable de soutenir le regard d'Andersen, Harry se leva péniblement et quitta la pièce à son tour, les jambes lourdes. Il se sentait épuisé, comme si la dispute avait drainé le peu d'énergie apporté par sa nuit de repos. Il sortit du manoir pour chercher de l'air frais. Il laissa l'instinct le porter et essaya de penser à autre chose. Ginny lui avait un jour expliqué une technique qu'elle utilisait parfois, quand le vertige de voler à plusieurs centaines de mètres de hauteur sur un bout de bois enchanté devenait trop fort.
« Le truc est de laisser de côté tout ce qui n'est pas utile, là, tout de suite. Sur mon balai, je dois juste penser à une chose : viser juste. L'enchantement du balai est suffisant pour garder mon équilibre. »
Harry savait que les balais de joueurs professionnels étaient régulièrement vérifiés et les sorts de sécurité réactivés. Il était virtuellement impossible pour Ginny de tomber de son balai, à moins qu'elle ne saute à terre volontairement.
« L'avantage, c'est que je peux profiter au max de ce qu'il se passe autour de moi », continuait-elle, et Harry savait qu'elle était partie pour une heure, tant elle aimait parler de son métier. « Le vent, la vitesse, les copines qui font des passes, le public qui hurle et la balle que je peux balancer aussi fort que je veux sans la casser. C'est comme un instant dans l'éternité, qui risque de disparaître si j'en profite pas. »
Ginny avait toujours l'air d'illuminer les alentours quand elle parlait ainsi. Sauf que depuis dès jours, la joueuse émérite qui aimait tant voler était clouée au sol. À cause d'une enquête que Harry n'arrivait pas à boucler. Et d'un coup, son humeur s'assombrit à nouveau.
Un choc au niveau du ventre brisa la fil de ses pensées. Il cligna des yeux, déboussolé, et réalisa que ses pas l'avaient menés directement sous le toit de l'orphelinat où Kid les avait nargué, la veille au soir. De jour, le bâtiment était bien plus accueillant et la cour était pleine d'enfants. L'un d'eux était tombé sur les fesses, devant Harry.
-M'sieur ! Hé, m'sieur, faut pas apparaître comme ça !
L'enfant, un garçon aux grands yeux bleus, n'attendit pas de réponse et contourna Harry pour se remettre à courir. L'auror, perdu, sans comprendre comment il avait traversé en quelques minutes ce qui leur avait prit une bonne demi-heure la veille, essaya de se repérer. Il ne remarqua pas les petites étincelles rouges et ors qui mourraient sur ses talons. Levant les yeux, il décida de monter sur le toit. Aucun adulte ne l'avait encore repéré et il décida qu'il était trop fatigué pour aller se présenter. Sur l'autre surface, il trouva un escalier en colimaçon longé par une rampe de métal qui donnait sur la fenêtre la plus haute du bâtiment et parvint, pas à pas, jusqu'au toit. Là, il se laissa tomber contre un rectangle de métal qui ronronnait comme un moteur. De sa position, il pouvait voir le ciel marbré de nuages. Il ferma les yeux, écoutant les cris des enfants en contrebas. Le vent semblait le décharger de ses soucis à chaque courant d'air.
-C'est agréable, n'est-ce pas ?
Un frisson parcouru Harry. Il leva les yeux et découvrit Kid, assit sur la cheminée, une jambe pendante et l'autre dans ses bras, son regard mélancolique perdu dans le lointain. Un pan de sa cape chatouillait les cheveux de l'auror. Après un instant de stupeur, celui-ci chercha maladroitement sa baguette.
-Stupefix !
Même si Kid n'avait pas esquivé le sort d'un simple mouvement de tête, la magie ne l'aurait pas atteint. La baguette de l'auror émit quelques étincelles bleues, puis crachota une fumée noirâtre qui se déposa mollement sur ses genoux.
-Kekeke, j'ai vu des bâtons plus impressionnants, ricana Kid.
Privé de sa magie, Harry se sentit mal à l'aise. Kid était là, à quelques centimètres, inaccessible. Il ne savait pas ce qu'il venait faire là, ni comment il était arrivé sans faire de bruit, mais un instinct lui disait qu'au moindre geste suspect, Kid s'envolerait.
-Je... Que faites-vous ici ?
-N'ai-je pas le droit de me détendre après une nuit de travail ?
-Vous êtes un voleur, vous ne travaillez pas.
-C'est pourtant un gros travail de préparer ses tours de magie. Tu en sais quelque chose, n'est-ce pas, petit magicien ?
-Je... Je ne parlais pas de ça !
-Bien sûr. Veux-tu qu'on parle du ciel, alors ? Tu sembles beaucoup l'apprécier. Presque autant que ta magie.
Harry se redressa, ignorant ses jambes qui protestaient et ses bras qui le lançaient, et croisa les mains derrière son dos, essayant d'invoquer discrètement un sort d'entrave qui ne lui exploserait pas à la figure. Un coup précis lui fit lâcher sa baguette, qui, l'instant d'après, se retrouva dans la main gantée de Kid, plantée dans une carte à jouer. Un poids s'installa dans l'estomac de l'auror. Kid lui avait volé sa baguette et elle ressemblait en tout point à un simple bâton de bois verni. Elle ne réagissait pas entre les doigts du voleur et Harry se sentit bizarrement soulagé.
-Koizumi n'a pas l'habitude d'accueillir des hiboux chez elle. Je me demande ce que ça signifie.
-Tu... Je...
Quelque part dans l'angoisse qu'il ressentait à être séparé de sa baguette, Harry sentait que ce moment pourrait changer leur vie. Il fit de son mieux pour reprendre pied.
-Que fais-tu ici ? En plein jour ?
Kid le regarda, un sourire aux lèvres et son regard violacé énigmatique.
-Il semble qu'il y ait des remous en Angleterre.
Comment sait-il ? … Oh.
-Tu nous espionnes, répliqua l'auror.
-Bien deviné.
-Pourquoi ?
Le sourire de Kid grandit.
-Je repère tous les petits nouveaux dans l'équipe de Nakamori. Il commence à se faire vieux, le pauvre. Je ne souhaite pas que des nouvelles recrues lui volent sa place de commandant...
-Menteur.
Dans la tête de Harry, la voix de son ancien tuteur murmurait.
« Ne fais pas confiance à un criminel qui sourit, Potter. »
-Koizumi et toi vous connaissez, reprit-il à haute voix. Qu'est-ce que tu lui as fait ?
-Tututut, petit mage. Je ne lui ai rien fait, c'est elle qui me courre après.
-C'est ça, tu penses que je vais te croire ?!
Le voleur ne répondit pas et se mit à jouer avec la baguette du sorcier. Un instant, Harry espéra qu'il la ferait tomber pour pouvoir la rattraper, mais cet espoir fut douché. Les mouvements du voleur étaient trop dextres pour lui laisser la moindre ouverture. Il se résolut à attendre que Kid se lasse. Quelques minutes passèrent, pendant lequel seuls les cris des enfants et les appels des adultes en contrebas se faisaient entendre. Le soleil était haut dans le ciel et Harry sentait ses rayons chauffer sa chemise. Sa patience fut récompensée quand Kid lui tendit sa baguette après une dernière pirouette du poignet.
-Je suis venu te proposer mon aide.
L'auror éclata de rire. L'idée lui paraissait saugrenue. Kid attendit patiemment qu'il se calme et reprit :
-Je vous ai observé, toi et tes collègues. Un gentilhomme comme moi ne peut se résoudre à vous laisser dans le besoin. Qui se ressemble s'assemble, n'est-ce pas ?
L'insinuation mit quelques secondes à parvenir à Harry.
-Qu... ? Je ne suis pas comme toi !
-Nous sommes tous les deux des magiciens, pourtant.
-Je ne suis pas un voleur !
Harry pointa sa baguette sur Kid mais celui-ci esquiva le sort onduleux d'un simple saut.
-Voleur, détective, quelle importance ? reprit-il. N'es-tu pas venu au Japon pour sauver la magie ?
-Je n'ai pas besoin de l'aide d'un voleur !!
-En es-tu sûr ?
Perché sur la cheminée, si proche et si inaccessible, Kid claqua des doigts et une carte à jouer apparu en virevoltant devant le nez de Harry. Il l’attrapa d'instinct.
-Réfléchis à ma proposition, fit le voleur. Si tu acceptes, tu n'aura qu'à rejoindre le lieu inscrit sur la carte, dans trois jours. Viens seul.
Il sourit, et l'espace d'un instant, Harry songea au chat dans ce Disney que Teddy aimait tant, celui avec une blonde à jupette dont il avait oublié le nom.
« Ne fais pas confiance à un criminel qui sourit, Potter. »
Kid disparu dans un nuage de fumée bleue et Harry réalisa qu'il n'avait rien réclamé en échange de son aide. La carte reposait dans sa main, innocente. C'était un valet de pique et au dos était marqué « Kiyomisu-dera ».