
Le duel des serpents
Quand Harry était arrivé pour la première fois au QG en tant qu'auror, il avait assisté à un duel. Dans une pièce aux vitres teintées de l’intérieur, un auror plus vieux et un suspect discutaient. Le premier était assis nonchalamment dans son siège, le second portait des menottes magiques et gardait la tête dans ses mains, les coudes négligemment posés sur la table. Ils souriaient comme deux amis, ce qui était étrange considérant le contexte, et Harry s'était discrètement rapproché. La vitre était enchantée pour que seuls des aurors puissent écouter la conversation, peu importe leur distance, et Harry s'était retrouvé happé dans un sentiment de fascination morbide. Plus tard, il avait demandé qui était le suspect à son tuteur. Celui-ci avait refusé de répondre à la question mais lui avait dit à la place, avec un sourire torve :
-Potter, personne n'intervient dans un combat de serpents.
Personne n'intervient dans un combat de serpents.
Harry fixait sans y croire les mains d'Andersen qui avaient cessé de trembler.
-Nous cherchons Kid, répéta l'auror.
-Je n'ai pas vu d'enfant, répondit la jeune femme, son sourire ne bougeant pas d'un iota.
-Nous cherchons Kid.
Léger hochement de tête.
-Je n'ai pas vu d'enfant.
-Nous cherchons Kid.
-Je n'ai pas vu d'enfant.
Les mêmes phrases, de part et d'autre. Harry était perdu. Ce n'était pas une tactique qu'il connaissait.
-Nous cherchons un adulte.
-Je n'ai pas vu d'enfant.
Là, la blonde eut un petit sursaut, réalisant un peu tard qu'Andersen avait modifié sa phrase. Quelque chose s'alluma dans son regard. Harry joua avec l'idée d'intervenir.
Personne n'intervient dans un combat de serpents, Potter.
Satisfait de son petit effet, Andersen reprit :
-Kid s'est caché parmi vous.
Elle pencha la tête.
-Ah bon ?
-Êtes-vous Kid déguisé ?
-Je ne sais pas qui est Kid.
-Vous n'avez pas répondu.
-Répondre à quoi ?
-Êtes-vous Kid déguisé ?
-Je ne suis pas déguisée.
-Ce n'est pas ma question.
-Je sais, répondit-elle avec un doux sourire qui envoya une sonnerie d'alarme dans la tête de Harry. Vous savez, quand une femme parle à un homme au Japon, on la laisse parler...
-... Sauf dans le cas d'une enquête policière, répliqua Andersen sans ciller.
-Vous me posez des questions et vous ne voulez pas que je réponde ?
-Je veux que vous répondiez à cette question : êtes-vous Kid déguisé ?
-J'ai déjà répondu à cette question, dit-elle.
Fasciné par la conversation, Harry remarqua à peine que Summers venait de le rejoindre. Son suspect avait été blanchit et il le vit distraitement remonter dans sa coccinelle et naviguer entre les voitures arrêtées pour reprendre sa route. Summers ne dit rien et observa le duel, l'air quelque part entre la fascination et l'inquiétude. Harry supposa qu'il devait faire à peu près la même tête.
Devant eux, toujours debout, Andersen déplaça son poids d'une jambe à l'autre et étira sa cheville pour en chasser les fourmis, les yeux fixés sur son carnet.
-Bon, dit-il, changeant de tactique. Sortez tout ce que vous avez de vos poches.
Elle eut un haut-le-cœur.
-Vous n'oseriez pas... ?
-Je suis policier, madame, répliqua-t-il sèchement.
Elle eut une moue dubitative mais obtempéra. Sur une petite table apportée par deux autres collègues, elle déposa un rouge à lèvre, un miroir de poche, un porte-monnaie, un petit boîtier avec une image d'allumette dessus, un paquet de cigarettes, une fine plaquette noire munie d'un bouton et un petit cylindre argenté. Andersen observa les objets d'un air circonspect.
-Où sont vos clés ? Vous avez dit que vous rentriez chez vous.
La blonde haussa un sourcil, une lueur triomphale dans l’œil. Elle prit la petite plaquette noire et la lui montra.
-Mes clés, les voilà, chantonna-t-elle. C'est un système électronique pour ouvrir les portes. Les clés, c'est soooo 2005.
Harry vit distinctement Andersen tressaillir. Il avait commit une erreur.
Personne n'intervient dans un combat de serpents, Potter.
Il ne voulait pas se faire mordre. Encore une fois, il songea à intervenir, mais Andersen n'était pas encore vaincu. Il sortit sa carte de police et la plaqua sur la table.
-Je suis policier, madame. Dites-moi ce que vous savez sur Kid ou je vous arrête pour entrave à la justice.
Elle papillonna des yeux, l'air effarouché par la démonstration de force.
-Je ne sais rien sur Kid.
Évidemment. Personne ne peut arrêter quelqu'un pour quelque chose dont il ignore tout. Mais Andersen n'était pas dupe.
-Sa notice est sur toutes les chaînes, expliqua-t-il. Son modus operanti est connu de tous. La télévision passe et repasse ses vols passés en boucle depuis son annonce. Dire que vous ne savez rien sur lui ne fait que vous rendre suspecte.
-Je ne suis pas d'ici...
-Kid est un voleur international, et vous parlez trop bien le japonais pour ne pas habiter au Japon.
Elle le toisa, sans perdre son sourire, puis ouvrit a bouche et débita un flot de paroles sans queue ni tête dans le but clair d'achever son adversaire.
-Je reviens d'une réunion avec des amis, il faisait beau, nous avons joué aux échecs, les noirs ont gagné, le ciel est bleu, l'herbe est verte, un ami m'a offert un joyau, ma voiture ne marche plus, le Triangle des Bermudes est un mythe, le réparateur est trop cher, j'ai retrouvé l'Atlantide, les extra-terrestres sont parmi nous, Cool Guy est au Macdo, le japonais est une langue morte, j'ai une petite cuillère dans mon sac, le président parle Klingon, les oreillons sont des oreillers, mon téléphone est sur vibreur, la grammaire est inutile, le garagiste m'a fait une fleur, les serpents ont des pattes, le sel est un légume, le soleil est jaune, la folie c'est surfait, les volcans sont bouchés, Internet n'existe pas, être normale c'est ennuyeux, les génériques ça marche vraiment, le jardinage c'est couper des arbres, les...
Andersen prit son stylo et d'un petit coup sec, frappa le menton de la blonde. Sa mâchoire se referma avec un claquement de dents sonore et l'auror s'engouffra dans la brèche :
-Si le réparateur de votre voiture est trop cher, pourquoi vous avoir « fait une fleur » ? Vous auriez pu aller voir un autre ou vous auriez parlé de ristourne. Je parie que vous lui avez fait du chantage. Corruption de fonctionnaire, ça va dans les cinq ans de prison, ça !
Harry, Summers et leur suspecte le regardèrent tous les trois, ahuris. Harry avait décroché à la partie « Triangle des Bermudes » et peinait à reprendre pied. La jeune femme s'énerva :
-Vous ne devriez pas me toucher comme ça ! Votre déontologie interdit d'utiliser la force physique tant que le suspect n'est pas considéré comme coupable...
-Mais je ne vous ai pas touchée.
Il y eu un instant de silence général, car c'était vrai. Andersen continua sur sa lancée.
-Je suis ici pour trouver un coupable. Si ce n'est pas Kid, ce sera une resquilleuse. Je ne suis pas regardant.
Un silence total s’abattit sur le petit groupe. Harry avait presque peur de respirer et à son immobilisme, c'était le cas pour Summers également. La motarde fixa Andersen, complètement inexpressive, et les deux se toisèrent mutuellement. Puis la blonde se détendit ouvertement dans son siège et éclata de rire.
-Ok, vous avez gagné ! J'ai vu Kid prendre le large vers l'est, il y a environ une demi-heure. Je peux partir maintenant ?