
Un Refuge dans l’Ombre
La pluie s’était tue, mais Gotham demeurait lourde, poisseuse, étouffante sous un ciel bas. Jim Gordon roulait en direction du manoir Wayne, son regard fixé sur la route sinueuse. L’écho des derniers événements ne cessait de résonner dans son esprit. Il n’aimait pas cet accord, encore moins l’idée de mêler un enfant brisé à une affaire aussi tordue. Pourtant, il n’avait pas eu le choix. Pas dans cette ville.
Le manoir Wayne surgit à l’horizon, imposant et austère, veillant sur Gotham comme une cathédrale oubliée. En poussant la porte massive, Jim fut accueilli par l’ombre rigide d’Alfred Pennyworth, droit comme une lame, le regard sévère.
— Lieutenant, lança-t-il d’un ton qui trahissait sa méfiance. Bruce vous attend.
Jim le suivit à travers les couloirs silencieux, où chaque pas résonnait comme un rappel du vide laissé par les Wayne. Dans le bureau du défunt Thomas Wayne, Bruce se tenait debout derrière le large bureau de chêne, les mains croisées dans son dos. Il paraissait encore plus maigre sous la lumière tamisée des lampes. Son visage, toujours aussi pâle, était marqué d’une dureté qui n’appartenait pas à un enfant de son âge.
Jim s’éclaircit la gorge avant de parler.
— J’ai fait ce que j’ai promis. J’ai une piste. Mais elle vient avec une condition.
Il leur expliqua l’accord passé avec Oswald Cobblepot. Alfred serra les mâchoires, son regard s’assombrissant au fil des mots.
— Une gamine des rues ici ? Vous plaisantez, j’espère. Une voleuse, une éventuelle prostituée… Vous voulez réellement exposer Bruce à ça ?
Bruce, impassible jusqu’ici, redressa légèrement le menton.
— C’est ma maison, Alfred. Elle viendra.
Alfred ouvrit la bouche, puis se ravisa. Il n’aimait pas cette décision, mais l’autorité du jeune Wayne était implacable. Jim sentait le poids de cet échange : Bruce n’était déjà plus un enfant, et Alfred ne voulait pas voir ce qu’il était en train de devenir.
L’arrivée de Selina Kyle ne se fit pas en douceur. Trempée par l’humidité persistante de Gotham, elle entra dans le hall du manoir avec la nonchalance d’un chat qui explorait un nouveau territoire. Ses cheveux noirs, emmêlés par le vent, encadraient un visage où brillaient deux yeux fauves, observateurs et malicieux.
Bruce la fixa immédiatement. Jim vit son regard se troubler un instant, puis se durcir.
— C’était toi, murmura-t-il.
Selina plissa les yeux, puis haussa les épaules.
— Ouais.
— Tu as volé le collier de ma mère la nuit où elle est morte.
Elle ne détourna pas le regard, ne chercha pas d’excuse.
— Et alors ? Elle n’en a plus besoin. Moi, j’avais faim.
Un silence pesant s’installa. Jim sentit un frisson parcourir la pièce. Bruce ne réagit pas immédiatement, il se contenta d’observer Selina, comme s’il tentait de la percer à jour. Il n’y avait ni colère ni dégoût dans son regard. Juste cette même intensité insondable.
— Tu vas rester ici tant que je le déciderai, dit-il simplement.
Alfred laissa échapper un soupir exaspéré, mais ne protesta pas. Jim, lui, ne parvenait pas à comprendre ce qu’il venait de voir.
Jim décida de ne pas s’attarder. Il avait une famille à retrouver.
Quand il passa la porte de son appartement, l’ambiance changea brutalement. L’odeur du café flottait dans l’air, mêlée à celle du ragoût que Lee préparait dans la cuisine. Barbara, en pyjama, courut vers lui en riant et se jeta dans ses bras. Il la serra contre lui, inspirant l’odeur rassurante de son shampooing.
— T’étais où, papa ?
— Au travail, ma chérie.
Lee Thompkins s’appuya contre l’encadrement de la porte, les bras croisés.
— Tu travailles trop, Jim.
Il poussa un soupir fatigué et se laissa tomber sur le canapé. Lee s’approcha et s’installa à ses côtés.
— C’est ce gosse, pas vrai ?
Jim hocha la tête.
— Il est… figé. Comme si quelque chose en lui était mort cette nuit-là. Il ne ressent rien. Pas de colère, pas de tristesse. Rien.
Lee posa une main sur la sienne.
— C’est un mécanisme de défense. Quand un enfant subit un traumatisme aussi violent, il peut se fermer complètement. Bloquer toutes ses émotions, positives comme négatives, pour ne pas sombrer.
— Mais ça ne tient pas sur le long terme, pas vrai ?
— Non. Un jour, ça craque. Et ces enfants-là, quand ils grandissent… ils cherchent à ressentir. À n’importe quel prix. Le danger, la violence, les addictions, les attachements obsessionnels…
Jim passa une main sur son visage.
— Et il n’y a rien à faire ?
Lee eut un sourire triste.
— Il a besoin de quelqu’un. Quelqu’un qui ne le traite pas comme une légende, un symbole, ou un projet. Juste comme un enfant.
Jim soupira. Il n’était pas certain que Bruce Wayne en soit encore un.
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16 ans plus tard...
Durant ses douzes années de vie, Jason n’a jamais été un gamin chanceux, mais il n’a jamais eu besoin de l’être. Il a appris que la chance, c’est une illusion, un truc de riches qui peuvent se permettre de croire que le monde tourne rond. Lui, il a la rage. Et cette rage lui donne la force de survivre.
Ce soir, elle l’a conduit jusqu’à la Tour Wayne.
La voiture de luxe est un bijou. Une œuvre d’art mécanique qu’un type comme lui ne devrait jamais approcher, encore moins posséder. Mais ce soir, elle est à lui. Ses doigts ont déjà trouvé le boîtier sous le volant, et il est à deux secondes de démarrer quand une main ferme s’abat sur son épaule.
Jason se raidit instantanément. Merde.
Le majordome est plus rapide qu’il en a l’air. Un type sec, aux gestes précis, au regard perçant, qui l’entraîne hors du véhicule avec une poigne d’acier. Jason n’essaie pas de lutter. Pas encore. Il attend de voir à quel genre de type il a affaire. Son cœur bat vite, mais ce n’est pas la peur, c’est l’adrénaline.
L’homme le traîne jusqu’à un bureau immense, aux murs couverts de boiseries sombres et d’étagères remplies de bouquins. Jason reste debout, les poings serrés, pendant que le majordome menace d’appeler la police. Il en a entendu d’autres. Il hausse un sourcil, provocant.
— Appelez-la, alors. Et dites-leur que je veux mon avocat.
Le silence qui suit vaut chaque seconde de cette réponse. Le majordome l’observe, et son sourire narquois se renforce en voyant l’étonnement passer sur son visage.
— Vraiment ? Un avocat ? Pour un gamin qui vole des voitures dans un garage privé ?
Jason hausse les épaules.
Avant qu’il ne puisse répliquer, une nouvelle voix s’élève dans la pièce.
— Il n’est pas en garde à vue, Alfred. Il n’a besoin d’aucun avocat.
La voix est grave, usée par la fatigue, mais empreinte d’une autorité brute. Jason tourne la tête et le voit.
Bruce Wayne.
Il n’est pas comme les photos de magazines. Pas un de ces playboys souriants qu’il méprise sans même les connaître. L’homme qui se tient là est épuisé, son costume impeccable trahissant malgré tout une lassitude profonde. Mais ce qui frappe Jason, c’est l’aura qu’il dégage. Pas de richesse ostentatoire, pas de condescendance. Juste une présence écrasante. Un poids dans l’air, comme une tempête prête à éclater.
Jason se redresse inconsciemment. Ce type n’a rien à voir avec les autres riches de Gotham.
Bruce s’approche, tendant un téléphone vers lui.
— Si tu as un avocat, appelle-le. Ou mieux, appelle tes parents.
Jason attrape le téléphone, sans hésitation. Il connaît le numéro par cœur.
Elle répond après deux tonalités. Sa voix est tendue mais apaise immédiatement le nœud qui s’est formé dans son estomac.
— Allô ?
— C’est moi. J’ai un problème.
Un soupir.
— Où es-tu ?
— Tour Wayne.
Un silence. Puis :
— J’arrive.
Il lui rend le téléphone et s’adosse contre le mur, les bras croisés. Alfred lui propose quelque chose à boire. Il refuse d’un geste sec. Il connaît ce jeu. Le riche compatissant qui fait semblant de se soucier du gamin des rues. Ça le dégoûte. Il balance un sourire sarcastique.
— Vous servez toujours des petits fours aux cambrioleurs ?
Le majordome ne réagit pas, mais Bruce le fixe un long moment. Jason soutient son regard sans ciller.
Quand la porte s’ouvre enfin, Jason ne bronche pas. Mais Bruce, lui, se fige. Alfred aussi. Une tension subtile passe dans la pièce alors que Selina Kyle entre.
Jason voit immédiatement le trouble dans les yeux de Bruce. Il ne s’attend pas à la voir. Alfred non plus.
Selina balaie la pièce du regard, fronce légèrement les sourcils en voyant Jason, puis reporte son attention sur Bruce.
— Alors, qu’est-ce qui se passe ?
Alfred répond à sa place, expliquant calmement la tentative de vol. Selina écoute, impassible, puis se tourne vers Jason.
— Sérieusement ? Une bagnole ?
Il hausse les épaules.
— Il en a pas besoin. Et j’avais faim.
Cette phrase a un effet étrange. Bruce tressaille légèrement, comme réveillé d’un rêve. Il passe une main sur son visage, avant de lâcher, lentement :
— Je ne vais pas mêler la police à ça.
Selina a un sourire en coin.
— C’est trop d’honneur, Bruce.
Bruce ignore la pique et croise les bras.
__ Je t’avais dit d’appeler tes parents.
__ Ils sont morts, argue Jason, satisfait de la gêne qui naît sur le visage du milliardaire.
— Qui est ton responsable légal ?
Le gamin se fige.
— Personne.
— Tu vis où ?
— Je me débrouille.
— Ce n’est pas une réponse.
Jason le fusille du regard.
— J’préfère crever que retourner au foyer.
Un silence pesant. Bruce ne détourne pas les yeux.
— Qui prend soin de toi ?
— Moi même.
— Ce n’est pas suffisant.
Jason serre les poings. Il refuse d’être enfermé. Il refuse de dépendre de quelqu’un. Il en a trop vu, des adultes qui prétendent vouloir l’aider avant de l’abandonner dès que ça devient trop compliqué. Il n’a aucune envie de devenir un poids pour qui que ce soit.
Selina soupire et intervient.
— Il vient avec moi.
Bruce se renfrogne aussitôt.
— Je ne pense pas que ton mode de vie soit un bon exemple pour un enfant.
Selina se fige une fraction de seconde avant de plisser les yeux.
— Mon mode de vie ? Tu n’as aucune idée de comment je vis, Bruce.
— Je sais que tu n’es pas du genre à offrir un cadre stable.
— Parce que toi, tu l’es peut-être ?
Le silence devient glacial. Jason observe l’échange, fasciné. Il se connaissent, ça ne fait pas de doute. Pourtant Jason a du mal à imaginer quelqu’un comme Selina entretenir une relation, qu’elle qu’en soit la nature, avec le prince de Gotham.
Finalement, Selina détourne le regard et soupire.
— Tu viens avec moi. Et tu ne fous pas le camp, ou je laisse Bruce porter plainte et tu peux me croire le foyer c'est du pain béni face a la détention juvénile.
Jason serre la mâchoire.
Il jette un dernier regard à Bruce. L’homme l’observe toujours, une étrange lueur dans les yeux. Une reconnaissance mutuelle.