
4 - Mirror's Edge Catalyst - Prise d'otages
Disclaimer : ce texte est retrouvable également dans le recueil Résiliences, exclusivement dédié à l'univers de Mirror's Edge Catalyst, sur AO3.
[Qu'est-ce qu'il se passe, Faith ?]
[Les communications sont saturées,] annonça la voix de Plastic. [Oh, et.. les Dogs passent en alerte maximale.]
Le Pulselink vibrait des dernières nouvelles. Toutes les communications dans le Grid s'étaient intensifiées avant de brutalement s'interrompre.
Faith devinait qu'il ne s'agissait que d'une question de temps avant que sa sœur ne coupe les communications dans toute la ville. Elle devait être au courant, affairée à essayer de les neutraliser. Plastic s'assurait que les leurs ne puissent être piratées ou détectées trop aisément, mais tout laissait toujours des traces et la vérité sortie de ses lèvres quelques minutes plus tôt dans une conversation privée avait déjà fuité. Elle peinait encore à y croire, même si la réalité en face d'elle défiait toutes ses espérances.
[On a retrouvé Gabriel Kruger. C'est moi qui le tiens en otage.]
Des exclamations fusaient de partout.
[Faith… tu es sûre que ça vaut le coup ?]
Elle serra les dents.
[Il a tué nos parents.]
L'image de Noah flottait devant ses yeux. Le silence subit après ses paroles implacables lui apprit qu'elle n'était très certainement pas la seule à le ressentir.
Le vide éternel de l'absence de Noah se rappela vivement à elle. Il avait toujours su quoi faire dans ce genre de situations. Il aurait plaidé pour qu'aucun mal ne lui soit fait, quand bien même Kruger avait fait souffrir tant de gens autour de lui. Il lui aurait certainement demandé de le relâcher.
Cet homme avait brisé tant de vies, obnubilé par le pouvoir et le contrôle que lui conférerait Reflection. Il avait sali la mémoire de sa mère, lavé le cerveau de sa sœur. Il avait envoyé une escouade, simulé la mort de Noah, leur avait injecté les nanites, à lui et à Icarus, et avait finalement laissé mourir son père adoptif en plein milieu d'un interrogatoire dans une de ses prisons-laboratoires. Car Kingdom n'était pas son seul centre d'expérimentation, et Glass ne constituait pas sa seule ambition. Les messagers n'étaient rien de plus que des insectes nuisibles à écraser sous ses talons.
La vengeance appelait, nourrie par la détresse des proches qu'elle avait vus souffrir sous sa botte.
« Tous ceux qui t'entourent meurent, Faith. Ne vois-tu pas que cela est de ta faute ? »
La messagère ne se rappelait que trop bien comment il avait essayé de lui faire porter la culpabilité pour tous les meurtres qu'il avait orchestrés lors de leur premier véritable face-à-face, au sommet de l'Éclat.
[J'espère que tu sais ce que tu fais, sœurette.], lança sobrement Icarus à travers leur communication radio.
Elle n'écoutait plus les discussions animées - Aline Maera et Plastic débattaient d'une fuite de données de leur côté qui aurait pu expliquer le fait que toute la ville était au courant des actions de Faith - mais sentir la confiance dans la voix apaisante d'Icarus allégea son cœur quelques instants. Puis, comme un réseau de bougies soufflé par le vent, les communications s'éteignirent.
Faith posa une nouvelle fois les yeux sur l'homme qu'elle menaçait. Si la coupure de toutes les communications à travers la péninsule de Glass la rendait intraçable, Cat trouverait un moyen de les localiser. La messagère ne disposait peut-être pas d'autant de temps qu'elle souhaitait.
Depuis qu'il avait disparu de la circulation, elle s'était donné pour mission de le retrouver. Cet homme était redoutable . Un pouvoir conséquent reposait encore entre ses mains. Il devait être neutralisé, pour leur bien à tous, avant qu'il ne puisse encore s'en prendre aux messagers. À sa famille.
Lancée bille en tête dans une traque que rien ni personne n'avait réussi à faire cesser, elle n'avait pas réfléchi au moment où elle le tiendrait. Ou plutôt, elle y avait pensé, jour après jour, d'investigation en investigation, inlassablement. Le moment où elle pourrait enfin le coincer, seul, sans ressources ou plan préparé en douce pour s'échapper. Le moment où elle pourrait le prendre par le col et l'envoyer valser contre un mur. Le moment où il surprendrait son reflet dans une vitre ou sur un écran et qu'elle surprendrait la peur sur ses traits compassés.
Il avait été là à la mort de Noah. Il l'avait ordonnée, sans la moindre pitié. Sans la moindre hésitation. Mais Noah n'aurait pas souhaité qu'elle ait une arme. Il n'aurait pas souhaité la mort de Gabriel Kruger.
Le bruit du cuir souple se resserrant sur le canon le fit sourire. Elle avait envie d'écraser ce sourire suffisant, de le lui faire ravaler jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de lui. La pointe du canon posé sur la tempe de l'ancien membre du Conglomérat frémissait. Essuyant une larme échappée de son œil tatoué d'un geste rageur, Faith sentait la tension monter d'un cran.
« Que feras-tu, désormais, Faith ?... Honoreras-tu la mémoire de ton cher Noah ou bien assouviras-tu la faim de vengeance qui te consume, au risque de perdre ta sœur, celle que tu as abandonnée, et que tu viens tout juste de retrouver ?...
— La ferme ! »
Elle pressa davantage le canon de l'arme contre sa tempe, ce qui le fit fermer les yeux avec un soupir, puis tourner la tête afin d'éviter la surpression. Bien. Elle n'avait pas besoin de le voir conserver son calme sans aucun effort apparent quand elle luttait contre ses démons et tergiversait quant à la décision qui scellerait son sort.
Il avait fallu se battre pour en arriver là. Solidement attaché à la colonne d'un bloc de cuisine design avec une des menottes qu'il avait spécialement gardées "pour elle" - l'autre se trouvant dans la poche de son costume - sa cravache électrique envoyée glisser à l'autre bout de la pièce, quelques traces d'ecchymoses sur un visage légèrement amaigri, la menace Gabriel Kruger semblait sous contrôle. Faith restait cependant vigilante ; Kruger n'était pas sans ressources et il était sûrement en train de fomenter un plan afin de reprendre l'avantage. Il comptait probablement sur le secours de Cat.
Elle en était là dans ses réflexions amères quand la porte de la modeste planque de Kruger vola hors de ses gonds. Agrippant son prisonnier, la pointe de son arme se tourna immédiatement vers la porte du salon. Des pas résonnèrent dans le hall d'entrée. Du coin de l'œil, elle vit les yeux bleus se rouvrir, dans l'expectative. À travers le verre opaque, elle ne distinguait que deux formes, l'une massive, l'autre beaucoup plus fluette.
« Bravo, Faith. Tous mes compliments.
La voix inimitable résonna dans la pièce.
— Dogen ? »
Les yeux de Kruger suivaient les mouvements du nouveau venu avec intérêt. Précédé de son garde du corps, celui qui était connu comme le magnat du crime à Glass s'invita dans la pièce. Déboussolée, la jeune messagère ne sut plus que faire.
« Cesse de me viser avec ton arme, veux-tu ? Je me permets de prendre part à cette petite affaire. »
Faith se tourna de nouveau vers Kruger, qui n'affichait pas le moindre signe d'émotion. Il semblait avoir enfin compris comment se taire, ce qui arrangea bien les nerfs de la jeune femme.
« C'est du beau travail, » la félicita Dogen. « Je ne pensais pas que tu te débrouillerais si bien. Ni que tu y arriverais. »
Les yeux noirs se posèrent sur l'homme assis contre le pilier de la cuisine avec circonspection.
« ...J'aurais dû m'y attendre. Nous connaissons tous la véritable valeur de ta détermination.
— Vous m'avez fait suivre ? »
Le ton incrédule de Faith n'en était pas moins émoussé par la tension qu'elle ressentait et l'envie de vengeance qui surgissait en vagues dès lors qu'elle regardait la face de Gabriel Kruger.
« C'est pour ça que nos données ont fuité ? Vous m'avez livrée en pâture aux médias !
— Allons, Faith. Calme-toi, nous ne sommes pas ennemis. Tu voulais qu'elle sache que tu l'avais retrouvé, je me trompe ? Eh bien, désormais c'est chose faite. En outre, j'aime toujours prendre un peu d'avance sur les affaires qui me concernent.
— Restez en dehors de cela. Cela ne vous concerne en rien , » siffla la messagère.
« C'est là que tu te trompes, jeune femme. »
Avec une allure gracieuse, l'homme asiatique s'approcha de celui qu'elle tenait en joue. Faith se raidit, mais ne tenta rien. Après avoir suivi du regard la discussion entre les deux protagonistes, Kruger daigna enfin lever la tête vers celui qui venait à lui. Paupières plissées comme s'il avait du mal à le distinguer tout d'abord, un air de reconnaissance glissa brièvement sur son visage. Un silence s'étira. Il toussa légèrement avant d'élever sa voix à nouveau :
« Ainsi voici donc le visage du baron du crime à Glass… Le Conglomérat n'a eu de cesse de tergiverser à propos de vos agissements. »
Dogen esquissa un sourire que Faith avait rarement eu l'occasion de discerner. Sûr de lui, presque félin, il semblait tout à son aise. L'otage, quant à lui, ne laissait pas filtrer la moindre impression.
« Enchanté de vous rencontrer en personne, Mr Kruger. »
Une troublante sensation de dangerosité s'échangeait entre les deux hommes, ajoutant à la tension dans la pièce. La jeune femme était habituée aux situations à haute tension, mais c'était une coureuse avant tout, pas une preneuse d'otages. L'appartement semblait se refermer sur elle petit à petit, et un doute la saisissait à propos de son allié. Dogen était un homme imprévisible ; s'il décidait de s'allier avec Kruger pour d'obscures raisons, elle ne pourrait pas l'en empêcher.
Il s'adressa ensuite à Faith.
« Je t'aurais bien emmenée dîner quelque part afin de fêter cet événement, mais ce ne serait pas très courtois à l'égard de notre… invité. Tu souhaites venger les messagers et venger le tort que Mr Kruger a causé à ta famille. »
La jeune femme acquiesça d'un signe du menton, tout en continuant de pointer son arme sur l'homme qu'elle avait réussi à maîtriser. Ses cheveux noirs s'agitèrent autour d'elle.
« Cependant, tu souhaites aussi honorer la mémoire de ton père adoptif. Noah n'était peut-être pas le messager avec lequel j'ai eu le plus de rapports cordiaux, disons, mais c'était un militant convaincu. Il n'aurait pas apprécié de te voir t'abaisser au crime, tout passionnel et libérateur soit-il. »
Faith ravala la boule dans sa gorge. Dogen se rapprocha d'elle, essuya une larme égarée sur sa pommette. Elle détourna le visage un instant, préférant se concentrer sur sa voix plutôt que sur l'expression de sollicitude profonde qui marquait ses traits ou la main sur son épaule.
« J'ai peut-être une solution à offrir à ton dilemme. Je me chargerai de son cas, si cela peut soulager ta conscience. »
Faith refusait de se laisser aller en présence de Gabriel Kruger.
« Que veux-tu en échange ?
— Je ne te demanderai rien. Après tout, tu as déjà fait tout le travail pour moi. Considère cela comme le présent d'un vieil ami. Laisse-le-moi et nous verrons ensemble quelle rançon nous exigerons pour sa liberté.
— Cet homme… doit payer pour ses crimes. Ce qu'il a fait à nos parents. Le monde doit savoir ! » martela Faith entre ses dents. Kruger éclata de rire. La main de Dogen se referma un peu plus sur son épaule. Elle se dégagea d'un geste moins vif que ce qu'elle aurait escompté. « Ce ne sera jamais fini, si on le laisse filer. Il continuera de nous menacer, encore et encore…
Il continuera d'éliminer tous ceux à qui je tiens. Toute la résistance. Et nous perdrons le peu de liberté que nous détenons encore.
— ...ou ce sera quelqu'un d'autre, précisément celle qui a pris sa place. Mais la menace pourrait bien venir du Conglomérat, un jour. J'ai bien peur qu'il y ait toujours une autorité à défier, personnellement ou non. » Dogen se tut, puis reprit. « Tu es loin d'être armée pour ce genre de circonstances. Laisse-moi t'aider, Faith. Je peux t'apporter toute l'expertise et le professionnalisme dont tu as besoin. »
Les minutes défilaient à toute vitesse. La télévision montrait des hélicoptères remplis d'hommes en faction prêts à intervenir, en route pour l'endroit où ils se trouvaient. Cat se trouvait certainement à bord de l'un d'eux. Avec tant de tension, elle n'arrivait plus à réfléchir. Il restait peu de temps.
Avec un effort qui lui parut immense, le canon de l'arme s'abaissa peu à peu au sol.
« Bien. Je suppose que nous avons un accord, dans ce cas. »
Faith acquiesça. Elle espérait avoir fait le bon choix.
« Ma famille ne paiera aucune rançon de quelle nature qu'elle soit.
— Vous savez, si ce n'est pas votre famille, Mr Kruger, c'est le Conglomérat qui paiera. Embarque-le, » ordonna Dogen à son agent de sécurité, qui s'exécuta sans perdre de temps. « Allez, Faith, viens. Nous irons manger un risotto, toi et moi. Comme au bon vieux temps. »
La jeune femme prit sa main tendue, se laissa conduire à l'extérieur, sur la baie. Sa colère serait loin de s'éteindre, mais au service de Dogen, elle deviendrait un instrument bien plus utile à changer le monde qu'en laissant cours à une vengeance malheureuse ou à une justice incapable de reconnaître les torts d'un membre des hautes sphères. Les corporations avaient encore de beaux jours devant elles, mais tôt ou tard les grains de sable finiraient par enrayer les mécanismes qui les oppressaient. Le miroir finirait par se briser, révélant la vérité derrière les mirages. Après toutes ces épreuves, Faith voulait encore y croire.