
Le saviez-vous ? Avant le 31 octobre 1978, Poudlard était un château tout à fait poli et tranquille. Il se tenait, paisible et sage au-dessus de son lac et permettait à chaque sorcier qui l'habitait de parcourir ses couloirs en toute sécurité.
Mais ça, c'était avant.
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Peter Pettigrow était petit, peu importait la forme qu'il prenait. C'était un inconvénient quand il fallait draguer les filles, mais un sacré atout quand il s'agissait de se faufiler en douce dans les cuisines de Poudlard. Il remua le museau, renifla les effluves du repas d'Halloween à venir, et repéra facilement la marmite où mijotait le fameux velouté de citrouille qui serait servi le soir même. Il se lissa les moustaches, récupéra entre ses mâchoires le sac que lui avaient remis les copains, et le tira derrière lui sur l'étagère.
Une fois au-dessus de la mixture orangée, il perça le plastique de ses petites dents pointues et laissa son contenu tomber au milieu du liquide.
Satisfait d'avoir rempli sa mission, il se nettoya joyeusement l'arrière-train. Après s'être souvenu qu'il était humain, il cessa cette activité et fit demi-tour – toujours aussi discret – vers la sortie.
James, Remus et Sirius l'attendaient dans le couloir. Il se faufila sous la porte, s'agrippa à la première jambe à croiser sa route et entama son ascension vers une poche confortable.
Remus fixait l’angle du couloir à droite : il avait aperçu une touffe de poils tigrés et deux yeux noirs les observer avec un peu trop d’attention. Il n’aimait pas que Peter prenne sa forme Animagus dans le château, le félin local était un trop bon chasseur. Et ce qui l’énervait le plus, c’était d’être le seul à s’en inquiéter. Ses amis étaient d’une inconscience à faire peur.
Prudent, les yeux braqués sur la bête qui rôdait, il laissa le rat grimper sur sa chemise. Il lui prit le petit sachet pour le fourrer dans sa poche et vérifia qu’il s’était bien installé contre sa poitrine avant de se tourner vers les autres.
— Bon. C’est quoi la suite de votre plan “ô combien génial” ? Sirius, si je te vois toucher à la soupe, je t’en fous une.
— Et pourquoi il n'aurait pas le droit d’y toucher ? On pourrait profiter avec le reste de l’école de cette soirée de relâche.
D’après James, ce plan “ô combien génial” était simple : partager avec le reste des habitants du château un peu de cette herbe qu’ils avaient dénichée lors d’une excursion dans l’Allée des Embrumes. Selon l’étalagiste à l'œil de bois qui les avait conseillés, il suffisait d’une pincée pour se détendre tout à fait. Dans cette école de fous où élèves et professeurs se crispaient à la moindre blague, un petit relaxant allait leur faire le plus grand bien. Et puis, c’était Halloween après tout. Si des tensions régnaient, la fête n’en serait pas une.
Le soupir que poussa Remus montrait à quel point il était las de toutes les farces de ses acolytes. Il ne protesta pourtant pas et se contenta de les regarder s'enjailler, un léger sourire aux lèvres.
Peu importait ce qu’il disait ou faisait, il ne pourrait jamais arrêter leurs sottises. Il était condamné à les suivre pour limiter les dégâts.
Alors qu’il prenait Peter dans sa main pour le poser au sol, le danger félin écarté, il observa les visages tant aimés. James sautillait sur place, impatient de voir le résultat de sa dernière acquisition. Et Sirius, son très cher Sirius qu’il s’échinait à protéger de ses bêtises cosmiques, illuminait l’espace de son visage rayonnant. Dans de telles conditions, comment résister ?
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L’heure fatidique arriva : le dîner.
Assis à la table des Gryffondors, Remus scrutait la mixture orangée par-dessus les citrouilles décoratives et autres cucurbitacés aux teintes automnales. Était-ce le fruit de son imagination ou l’odeur qui s’en dégageait était… “végétale” ? Il n’avait jamais rien flairé de pareil, mais ça sentait bon. Il avait envie de… S’il prenait une cuillère… juste une cuillère, il…
Quand une main passa dans son champ de vision.
— Sirius ! s'exclama-t-il tout à coup. Qu’est-ce que j’ai dit ?!
Son doigt prêt à plonger dans cette marmite fut interrompu par la voix agaçante de son petit ami. Il avait beau l’aimer de tout son cœur, quand Remus était autant sur ses gardes, il n’était pas marrant. Un petit peu d’herbe dans la soupe de ce soir n’allait pas tuer tout le château ! Ça apporterait un peu de fun à cette école ennuyeuse. Ou quelques heures de retenues en plus sur son dossier presque parfait.
Il fit glisser son bras le long de son corps et souffla tout l’air de ses poumons en bougonnant quelque chose d’incompréhensible. Cette soupe lui faisait pourtant envie.
— Faut bien goûter ! Imagine si c’est pas assez dosé et qu’on se retrouve avec toute l’école en plein bad ?
James approuva dans le dos de Sirius avec un hochement de tête déterminé.
— Oui, on n’est jamais trop prudent. Imagine si notre coup est un échec ? C’est notre réputation qui est en jeu ! Il faut s’assurer qu’une pincée sera suffisante pour en ressentir les effets.
Pour s’assurer que le reste de leur réserve était toujours bien en sécurité dans sa poche, James passa sa main dedans. À son contact, son visage perdit une dizaine de teintes. Frénétiquement, il fouilla sa robe et en sortit tout son contenu : un paquet de chocogrenouille entamé, un bout de parchemin rempli de dessins grossiers, une plume tordue, un vif d’or reluisant (il l’avait poli le matin-même après tout), une chaussette… quand il vit Remus, face à lui, montrer un petit sac. C’était lui qui l’avait. Mais… il était vide.
— Peeeete…? Tu n’as pas trouvé que le sachet était un peu léger au retour, dis-moi ?
L'interpellé – jusqu'ici occupé à admirer la façon qu'avait Marlène de refermer ses lèvres sur sa cuillère – sursauta et chercha autour de lui qui avait parlé.
— Hein ? Quoi ?
James le regardait de cet air qu'il avait parfois, quand il s'efforçait d'être patient pour l'aider dans ses devoirs. Remus et Sirius le fixaient également, suspendus à ses lèvres.
— Oh, ouais, t'inquiète ! C'était lourd, mais je gère ! J'ai tout balancé sauf une pincée, comme t'avais dit !
Il adressa un large sourire à ses amis et attendit les félicitations qu'il comptait déjà refuser humblement.
— Tu as quoi ?
Sirius observa attentivement le visage de Peter, à la recherche d’une blague. Parce que c’était forcément une blague. Ça ne pouvait pas en être autrement. Peter n’avait quand même fait l’inverse de ce qu’on lui avait demandé. Il n’était pas aussi con ? Si ?
— Peter, mon pote, ahah…
Sirius riait, le type de rire jaune qui ne présageait rien de bon. Il passa ses mains sur son visage, inspira et expira un bon nombre de fois pour s’empêcher d’égorger Peter.
— Tu nous fais une petite blague ? Tu l’as mis où, le reste du sachet, frérot ?
Il y avait cette petite boule dans le torse de Remus. Un truc un peu froid qui comprimait le cœur et glissait lentement dans la gorge. Ça ressemblait à la pleine lune, qui n’arrivait pourtant que la semaine suivante. Ses mâchoires se contractèrent, ses doigts se crispèrent, son ventre se tordit et l’apparition d’une sueur glacée sur son dos alluma un signal d’alarme dans son esprit blanc.
Sans réfléchir, Remus balança d’un coup son poing sur le chaudron et renversa la mixture sur la table. Tous les élèves alentour se levèrent en criant, indignés de recevoir des litres de soupe épaisse sur leurs jambes. Le liquide alourdit leurs robes poisseuses, les décorations furent gâchées, mais les autres plats étaient épargnés.
Pour Remus, cette partie de la tablée était sauvée. Sentiment que le reste des convives ne semblait pas partager.
Peter poussa un couinement de frayeur et se leva d'un bond pour échapper à la marée.
— Merde ! Moony, fais gaffe ! T'as failli…
Il s'interrompit, inquiet du regard posé sur lui, et chercha un allié alentour. Il s'arrêta de nouveau sur Marlène, laquelle le fixait avec un sourire rêveur. Son cœur fit une embardée.
— J'ai toujours trouvé, annonça-t-elle d'une voix pâteuse, que tu ressemblais à une toute, toute, toute petite souris.
— Euh…
C'est à ce moment-là qu'il comprit qu'il avait fait une erreur.
Marlène n'était pas la seule à se comporter bizarrement.
James se leva d'un bond pour constater l'étendue des dégâts. Trop tard. La soupe avait été servie sur l'ensemble des tables, y compris celle des professeurs. Les premiers goûteurs en avaient tellement vanté les mérites que tous l'avaient déjà testée. Le traditionnel banquet d’Halloween était le repas de l'année que personne ne manquait, bien entendu. En l'espace de quelques instants, l'entièreté de l'école était passée dans un état second et ni élèves ni adultes ne semblaient s'en formaliser.
Dans des cracks indiscrets, des elfes de maisons avaient transplané avec maladresse dans la Grande Salle. Au vu de leurs zigzags, ils avaient également dû goûter leur part de soupe en cuisine. Ils essayaient, tant bien que mal, de récupérer les multiples chaudrons. Mais quand les étudiants s'en rendaient compte, ils chassaient leurs petites mains crochues pour se jeter davantage sur la mixture.
— Il faut fermer les portes avant qu'ils se dispersent dans toute l'école ! S'il y en a un qui se blesse, ça va barder sévère.
— Tu veux vraiment enfermer tous ces gens drogués dans la même pièce ?! craqua Remus, à bout de nerfs. C’est ça, ton plan infaillible ?!
— Tu préfères qu’ils tentent un décollage en balai sans balai depuis la tour d’astronomie peut-être ?
— Ne me dis pas que tu n’as jamais réfléchi à un plan B ?! Tu nous as ramené cette poudre inconnue, tu as proposé de la verser dans la nourriture et tu n’as pas pensé une seule seconde pouvoir te planter dans les dosages ?! Ils sont tous bons pour Saint-Mangouste ! Merlin ! Dites-moi qu’un professeur est encore apte à réagir ! Poppy ?! Où est Poppy ?!
— Eh, Moon, calme. Regarde-les, ils sont tous défoncés ! C’est pas un mauvais état ! Faut juste pas les laisser sortir.
Sirius observa les alentours à la recherche d’une sortie potentielle. Heureusement pour eux, les portes de la Grande Salle étaient fermées. Et leur très chère Poppy était appuyée contre, hilare.
— J’ai vu Poppy, pas la peine de la chercher, allons plutôt nous occuper des fenêtres !
— Rem s’te plaît, s’il y en a un qui doit rester calme ici, c’est toi, sinon on est vraiment fichus. T’as pas une idée de sortilège pour essayer de tous les immobiliser ? demanda James qui tentait de maintenir en place un Poufsouffle voulant mettre le feu au blason des Serpentard.
— Vous m’aurez vraiment tout fait, geignit Rémus en se prenant le visage entre les mains, avant de relever la tête dans un sursaut. Sirius ! Pose cette cuillère tout de suite !
Un groupe de Serdaigle en roue libre avait invoqué de nulle part des instruments de musique qui s'étaient mis à jouer des morceaux éclectiques sur lesquels le public environnant commençait à danser. Le rythme des sons avait séduit jusqu’aux elfes de maison qui avaient rejoint le mouvement pour se trémousser debout sur les tables.
— J'ai une idée ! s'exclama Peter.
Il brandit sa baguette sur un élève au hasard et tous sentirent venir la mauvaise idée, mais…
— PETE ! NON !
— Limacius Eructo, s'exclama Peter de son air ravi.
Le malheureux élève émit un rot répugnant, puis des limaces se mirent à lui dégouliner de la bouche.
— Mais… Pourquoi ?
Un autre étudiant s’approcha d’un mollusque ainsi régurgité et lui donna quelques coups d’index avec un sourire béat.
— Oh. Un escargot tout chaud.
Il prit la chose gluante entre ses doigts et la guidait vers son gosier grand ouvert, quand Remus se précipita pour le tacler au sol.
— Voilà pourquoi je voulais pas qu’ils soient tous enfermés ensemble !
— Oui, mais regarde ! intervint Peter. Celui-là est purgé, maintenant.
— Pur… Quoi ?!
— Quand on a pris du poison, il faut vomir pour se purger !
Remus écarquilla les yeux, ébahi, et observa la malheureuse victime de son ami téméraire. Effectivement : le garçon semblait nauséeux et continuait à expulser des choses dégoûtantes plus ou moins grosses, mais… il allait… “bien” ?
— Bon, le problème, c'est que je connais pas le sort pour faire vomir du vomi, marmonna Peter en se massant le menton. C'est pour ça qu'il paraît pas tout à fait… Complètement…
Il n’en revenait pas. Était-ce la solution ? Pourtant, ils ne pouvaient décemment pas faire dégobiller des limaces à tous leurs camarades. Ils ne s’arrêteraient jamais sans le contresort et, comme il le disait, l’effet n’était pas optimal. À moins que…
— OK, on a une super solution qui consiste à faire vomir la totalité de l’école qu’on a droguée à son insu… Récurvite. Maintenant, aucun petit génie n’a encore inventé les pastilles de gerbes, à ce que je sache, et il est hors de question qu’on se fasse infester de gastéropodes baveux pour le reste de l’année… Récurvite.
James s’acharnait avec difficulté pour vider les derniers chaudrons qui contenaient encore leur mixture au dosage loupé.
— Y a pas besoin de le faire sur tout le monde, s'exclama joyeusement Peter. Si on purge Poppy, elle devrait pouvoir gérer le reste !
Il chercha l'infirmière des yeux.
— Hors de question ! s’emporta Remus. Pas Poppy ! Regardez : elle a encore toute sa tête puisqu’elle maintient les portes fermées, elle a probablement senti la drogue et a arrêté de manger à temps, inutile de lui faire subir ça.
Poppy Pomfresh maintenait les portes fermées en gloussant et frappait dessus à intervalles réguliers.
— Y a personne ! hurla-t-elle à l'intention du couloir désert. On est fermés !
— Remus. J’ai deux nouvelles à t’annoncer. La première, on a perdu Poppy. Et la deuxième… Je crois qu’on a perdu Sirius aussi.
À ces mots, les garçons se retournèrent pour observer Padfoot en train de manger une grappe de raisin, allongé sur la table des professeurs. Il observait McGonagall droit dans les yeux pendant qu’il cherchait un grain avec sa langue.
— Vous voulez que je le fasse vomir ?
Remus regardait la scène sans savoir quoi répondre. Le pire était sûrement de constater à quel point son compagnon avait l’air… presque normal. Il souriait d’un air benêt, heureux dans sa pose d’empereur romain. Et il fixait un chat.
Car McGonagall était sous forme Animagus et il ne comprenait pas pourquoi.
— Non. Laisse-le s’amuser, finit-il par répondre, la mort dans l’âme. Il ne fera pas de mal à une mouche, autant le laisser vivre ses rêves. Et puis, nous avons un avantage : en tant que chat, il va être facile de… “purger” McGonagall sans passer par les limaces. Elle trouvera une solution. Elle vient déjà d’avaler une bonne quantité de poils en se léchant.
— Vous voulez jamais me laisser faire vomir qui que ce soit, se lamenta Peter, comme s'il s'agissait d'un vieux rêve mille fois évoqué.
Près du chat, le professeur Brûlopot avait décroché sa jambe de bois qu'il utilisait comme une batte de Quidditch. Des élèves lui jetaient des petit potirons décoratifs.
Moony ignora l’intervention et concentra son attention sur son professeur de Métamorphose. Il devait la faire revenir à la raison, car il refusait de toucher à un cheveu de Poppy. Concentré, il chercha un moyen d’obliger un félin à se purger. Les boules de poils, ok. C’était déjà en cours. Peut-être une nourriture particulière ? Des mauvaises croquettes ? Ou alors…
— Du sel ! s’écria-t-il. Il me faut du sel et un bol d’eau tiède ! Ça devrait fonctionner pour tout le monde.
— Attends-tends-tends ! Si on la purge, c’est l’exclusion assurée. Il faut peut-être penser à une alternative. Peut-être que la solution est la même que lorsqu’on est bourré : une bonne nuit de sommeil et un bon mal de crâne, mais derrière ça permet de décuver. Ce sera pt’être plus simple de faire dormir toute l’école que de la faire dégueuler !
— On est déjà exclus. Si, comme tu dis, c’est comme l’alcool, certains vont très bien se souvenir de nous trois, totalement sains de corps et d’esprit, à gueuler qu’il faut trouver une solution…
— Bien vu ! s'exclama Peter. Buvons !
Il tenait déjà dans sa main un verre dont il avala le contenu cul sec. Avant de le recracher.
— Eurk. C'est dégueulasse. Qui m'a donné ça ? C'est toi ?
Un Poufsouffle au visage lunaire et au grand sourire absent acquiesça. Il lui montra le pichet d'eau qu'il tenait d'une main et le pot de sel de l'autre.
— Oh. Serviable.
Remus attrapa le pichet et obligea le Poufsouffle à l’avaler. De l’eau salée, ça pouvait faire vomir n’importe qui. Et en effet, le pauvre garçon régurgita presque immédiatement son souper.
— Distribuons ça à tout le monde, ça évitera l’invasion des limaces. Et de suite après, lançons-leur un sortilège pour dormir. Avec un Confundo en prime, ça brouillera peut-être assez leur mémoire ?
— OK, on se répartit les tâches : Pete, tu fais boire de l’eau salée dégueulasse, Rem, tu gères le Stupéfix et j'enchaîne avec la confusion. Ça vous va ?
— Préparez-vous, il va falloir jouer la comédie demain pour faire croire qu’on était dans le même état.
— On se lancera des Stupéfix mutuellement à la fin, comme ça on fera partie du “lot”. Si jamais ils nous soupçonnent, ce qui a 90% de chance de se produire, ils auront pas de preuves.
Le processus des opérations déterminé, chacun allait pouvoir se lancer dans sa tâche. Si tout se passait comme prévu - ce qui serait forcément le cas, vu la dose de malchance dont ils avaient été pourvus aujourd’hui - ils s’en sortiraient avant la fin de la nuit.
Peter râla un peu, prétendit que son rôle manquait de panache, mais se plia aux instructions de James. Il se promena entre les tables avec son air bonhomme pour faire boire tous les élèves qui avaient le malheur de croiser son regard.
Remus s’approcha de Poppy. Il avait tenu à s’occuper d’elle lui-même. Ce fut avec beaucoup de honte qu’il porta l’eau tiède salée vers ses lèvres et elle but sans poser de question. Quelque part, il avait l’impression qu’elle avait compris et acceptait la situation sans rechigner. Était-ce un clin d’œil qu’il venait de voir ?
— Confundo.
Les yeux de l’infirmière devinrent vitreux.
— Stupéfix.
Elle se laissa glisser le long de la porte et il la rattrapa pour accompagner sa chute. Il la prit dans ses bras et fit mine d’ignorer pudiquement les régurgitations de celle qu’il considérait presque comme sa mère. Il la déposa plus loin, sur un banc, et s’assura qu’elle était bien installée avant de s’éloigner. Plus tard, s’il avait le temps, il la porterait sur un lit de l’infirmerie. Pour le moment, il avait une école à calmer.
Il fallut presque une heure pour que le dernier élève tombe assommé, face contre table. James, Remus et Peter étaient épuisés. Ce dernier avait visiblement eu quelques difficultés à rester parfaitement à l'abri des jets de vomis qu'il avait provoqués.
Il se frotta cependant joyeusement les mains puis se tourna vers ses amis, les poings sur les hanches.
— Et voilà ! Bon, du coup, je vais me coucher.
— Une seconde ! Ne crois pas t’en sortir si vite : il faut encore tout nettoyer et préparer notre discours de demain, au cas où on nous interroge !
— Regardez ! Apparemment, les elfes de maison se sont remis plus vite que les humains. Ou alors, leur génétique ne peut pas les empêcher de faire le ménage… intervint James.
Les trois paires d’yeux fatigués observaient les petites créatures en train de s'affairer à nettoyer les tables et gratter les sols. Ou du moins, ils essayaient. Les effets de la drogue s'étaient dissipés et ils avaient repris conscience de l'état déplorable de la Grande Salle, mais leurs conditions ne leur permettaient pas d'échapper à la gueule de bois. Leurs gestes étaient lents et certains titubaient encore. Le silence de la pièce n'était interrompu que par quelques ronflements et le bruit des couverts laissés échapper sur le carrelage. Chaque maladresse de leur part était amplifiée par l'écho qui se répercutait contre les murs en pierre.
— Bon OK, je culpabilise un peu de les faire travailler dans cet état… Mais je suis pas sûr qu'on arrive à les en empêcher, de toute façon !
— Tu veux qu’on les re-drogues ? s’étonna Peter. Ça me semble être une très mauvaise idée.
— Aidons-les. C’est la moindre des choses.
Remus remonta une nouvelle fois ses manches. Il partit d’un pas décidé vers les elfes qui zigzaguaient entre vaisselle ou décorations éparpillées et se prenaient parfois les pieds dans une citrouille. Trois d’entre eux marchaient sur les tables et les têtes des élèves assoupis, trop occupés à remettre de l’ordre pour s’apercevoir qu’ils écrasaient des doigts au passage.
— J’espère juste qu’ils n’iront jamais dire à personne qu’on était les seuls sains d’esprit, grommela-t-il, inquiet.
— Je ne suis pas sûr qu'ils le soient assez eux-mêmes pour se rendre compte de quoi que ce soit. Ils ont plus l'air d'agir par réflexe, là, tenta de rassurer James.
Soudain, un “quelque chose” au loin sur sa droite attira l’attention de Moony. Une régurgitation ? Non pas parce qu’elle était étrangement bizarre ou bizarrement étrange. Elle n’était même pas d’une couleur différente ou d’une texture autre que “dégueulasse”. Juste… elle bougeait.
Le temps qu’il s’approche, persuadé d’être victime d’hallucinations, elle avait disparu.
— Euh… fit-il très intelligemment. Les gars ? Je crois qu’il y a un problème… Un autre.
Peter était vaguement occupé à faire semblant de se rendre utile. Il saisit volontiers la perche pour lâcher le torchon qu'il frottait contre un sablier et s'approcher de Remus.
— Moony, on est déjà en train de gérer la situation comme on peut là… T'es sûr que tu veux nous en rajouter un de plus ? gémit James.
— Tu manques pas de culot, toi ! gronda Remus, sans pouvoir s’empêcher de sourire. Qui c’est qui voulait absolument faire une bonne blague, hein ? C’est juste que je… ah ! Regardez ! Là-bas ! Il y a un autre… “vomi” qui disparaît ! Regardez !
— C'est une bonne chose, non ? tempéra Peter. Qu'ils disparaissent ?
James, qui avait tourné la tête trop tard pour voir de quoi ils parlaient, commença à s'inquiéter. Ses deux derniers amis encore valides semblaient avoir inspiré trop de vapeur, ou de relents, pendant le nettoyage et voilà qu'ils se mettaient à délirer eux aussi.
Peter tamponna vaguement une flaque de vomi avec son torchon avant de le fixer d'un air dubitatif. Après quelques secondes, il poussa un petit cri aigu et surpris : le tissu venait de lui sauter des mains pour danser joyeusement dans les airs.
— Qu’est-ce que…
Remus se tourna d’un coup vers les elfes. Misère ! Les balais frappaient tous les crânes à portée de manche, ou se lançaient dans des combats d’escrime épiques. Un elfe de maison courait en hurlant, poursuivi par une éponge verdâtre. Une serpillère pensait qu’étaler les saletés sur les visages des endormis était une bonne idée. Et encore une fois, une flaque migrait lentement vers les jointures entre deux dalles pour… disparaître. Absorbée.
— Je crois… Je crois que…
Mais il ne savait plus que croire.
— Immobilius ! s’écria James qui venait enfin de comprendre de quoi Remus parlait.
Bon d'accord, il lui avait fallu assister à une construction de type château de cartes avec les tabourets de la salle pour s'assurer que la drogue n'avait pas eu raison de son ami. Enfin, lui, non. Mais les objets et le château en lui-même ne semblaient pas avoir été épargnés. Les armures décoratives, jusque-là parfaitement immobiles, se mirent aussi à s’animer.
— Les gars… tenta Peter. Je sais qu'il m'arrive de dire des conneries, mais… Vous croyez que c'est possible qu'on ait, comme qui dirait, drogué le mobilier ?
À l'instant où il posait cette question, un grincement sinistre provint de l'extérieur de la Grande Salle.
Le sang de Remus se glaça. Il ne voulait pas y croire. C’était impossible ! Et pourtant, il voyait un nouveau liquide douteux être aspiré contre un mur.
— Le château… fit-il d’une voix blanche. Il… Aurait-il voulu nous… “aider” à nettoyer ?
Pris d’un sursaut d’adrénaline, il jeta son houssoir au sol et se rua vers les grandes portes. Lorsqu’il les vit s’ouvrir devant lui, il eut un regain d’espoir. Tout ceci n’était qu’une simple frayeur, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter outre mesure. Tout était parfaitement norm…
Les doubles battants se refermèrent d’un claquement sec devant lui, manquant de l’assommer.
— Ça va, Rem ? Il vient de se passer quoi avec les portes, là ? Si le château vient réellement de nous “aider”, pourquoi il viendrait de faire ça ? Je suis sûr que c'était qu'un mauvais courant d'air regar… BAM
Il avait voulu faire le malin devant la maladresse de Remus, mais James se retrouva avec la marque du battant sur le front.
— OK, c'est quoi ce bordel, encore ?
Les portes se rouvrirent. Puis se refermèrent. Et se réouvrirent. Et se fermèrent à demi avant de s'ouvrir et grand et de s'agiter de plus en plus vite.
— Il nous applaudit ? proposa Peter.
C'était son moment. Il s'était entraîné sur cette réplique, seul devant le miroir, un nombre incalculable de fois. Il leva le bras et fit un petit signe bref du poignet vers le bas.
— Ah, t'inquiète ! affirma-t-il à destination d'une vieille clenche. Ça nous fait plaisir de partager quand c'est de la bonne !
Remus se retint de poser des questions et calcula le moment parfait pour s’immiscer entre les battants sans se faire réduire en bouillie. D’un bond, il atterrit de l’autre côté et se redressa pour observer autour de lui. D’où le bruit était-il provenu ? Allait-il trouver la source de toute cette folie ? Et surtout : allaient-ils pouvoir y remédier ?
Sans attendre ses amis, il se précipita dans le couloir, la truffe au vent : il garderait pour toujours en mémoire l’odeur d’herbe alléchante qui avait failli le faire flancher. Merlin ! Il s’en était fallu de peu pour qu’il goûte à cette substance, lui aussi !
Tel un chien renifleur, tous ses sens en alerte, il se laissa guider par la fragrance. Elle semblait se propager dans les murs, mais… C’était comme si “ça” envahissait l’espace. Petit à petit, le parfum se faisait plus faible et plus dispersé. “Ça” se répandait à grande vitesse !
Soudain, au détour d’un couloir, il se pétrifia. Glacé. Médusé. Choqué.
— Par la Grande Louve, souffla-t-il.
Quand James arriva en courant derrière Remus, le spectacle le laissa bouche bée. Dans le hall aux escaliers qui distribuait salles de cours et dortoirs, c’était un véritable ballet dansant de marches et de paliers qui s'opérait sous leurs yeux. Les chemins pour accéder aux étages changeaient en permanence, il devenait impossible de définir à l'instant T lequel emprunter pour se rendre à un endroit.
— Par Merlin… les escaliers ! Ils… ils…
Pour la première fois de la journée, James n’avait plus les mots.
Un petit rat grimpa le long de sa jambe et de sa chemise pour se percher sur son épaule. Peter se frotta les yeux de ses pattes, mais n'émit même pas un couinement.
— Ils n'en font qu’à leur tête !
Avec la puissance magique qui résidait dans les murs du château, il était peine perdue de tenter le moindre sort d’immobilisation. Et sans enchantement à l’origine de leur caprice, un Finite Incantatem n’aurait eu aucun sens. Des idées, il en avait eu plein tout au long des heures qu’ils avaient passées à rattraper leur connerie, mais cette fois-ci, il en était à court.
Derrière eux, les portes avaient enfin retrouvé leur calme. C’était ce silence soudain qui poussa trois garçons à se retourner. Face à eux se tenait le directeur de l’école. Il avait les petits yeux de celui qui se réveillait d’une sieste trop longue, mais aucune trace de colère ne se dessinait sur ses traits. Dumbledore se contenta de dire :
— L'assaisonnement de cette soupe à la citrouille était parfait !
Après avoir posé le regard sur les escaliers qui bougeaient dans tous les sens, il ajouta :
— Ah, je me disais bien que cette école commençait à devenir ennuyeuse.
À ces mots, le professeur Dumbledore les salua d’un geste de la tête et monta les escaliers. Ou du moins il essaya. Remus, Peter et James bloquèrent de nombreuses minutes sur leur directeur qui tentait en vain de gravir les marches, mais à chaque fois qu’il semblait arriver à bon port, les pierres se remettaient à bouger pour l’envoyer dans un autre sens.
— Je crois… que notre scolarité va continuer ? hésita Remus, peu sûr de lui en regardant le vieux directeur calculer son chemin dans le chaos.
Il n’était pas certain que cette préoccupation devrait être sa principale, mais il ne parvenait plus à penser correctement.
— Au fait, c’était quoi exactement cette herbe ?
— Je crois que le vendeur a dit que ça s’appelait “Magie Juana” ...?
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Ce soir-là, James et Remus se battirent un peu pour être celui qui aurait le droit de lancer son Stupefix à Peter. Les tapisseries et les escaliers ne sont pas d'accord sur qui sortit vainqueur du duel. Il parait que les volets ont encore une autre opinion sur le sujet.
Quoi qu'il en soit, le château slaye depuis ce temps-là.