
Un peu à la manière d’une madeleine de Proust, l’Amortentia le ramène dans le passé.
Il est surpris d’abord, dérouté de cette odeur à la fois connue et insaisissable. Il prend une autre inspiration ; plus profonde, plus lente. Il savoure cette odeur. Il sait qu’il l’aime. Peut-être aussi qu’il la reconnaît, au fond. Mais il n’ose pas ne serait-ce que se le suggérer. Ce serait trop : trop douloureux, trop d’espérance et de déception comme du sel dans une plaie ouverte qui ne cesse jamais de saigner. Pourtant il prend le temps d’essayer d’en identifier les différentes fragrances : la cire pour balais, l’air frai et une eau de Cologne fruitée.
Puis cela le frappe, et viennent les flash back à la manière d’une onde qui se propage dans l’eau : les plus violents d’abord. Il revoit sa mort et sa résurrection momentanée si douloureuse, mais aussi toutes les fois où il aurait dû comprendre que quelque chose n’allait pas dans ce foutu tournoi. Puis se pressent dans sa tête des millions de regrets : les disputes, les attentes pour le futur et toutes les paroles qui n’ont pas eut le temps d’être prononcées.
Ensuite viennent les moments plus agréables, les moments simples du quotidien, de leur vie ensemble à jamais irrattrapable. Harry songe au maillot de quidditch jaune et noir gardé soigneusement dans un coin de sa malle et a soudainement envie d’enfouir son visage dedans, d’inspirer à fond l’odeur pourtant disparue depuis longtemps de Cédric et de se fondre dans ce qu'il lui reste de lui : pas grand chose, presque rien.
Harry imagine trop clairement se matérialiser devant lui la carrure ferme et rassurante de l’ancien attrapeur de Poufsouffle, champion du tournoi des Trois Sorciers de Poudlard, petit-ami attentionné et sorcier de génie. Mort portant. Mort pour avoir croisé la route d’Harry comme d’autres avant et après lui et probablement encore tant d’autres à venir.
Les larmes se pressent derrière les yeux d’Harry mais il reste figé. Il entend Hermione lui dire de s’éloigner de la potion mais il ne peut pas. Il n’arrive pas à se détacher de cette odeur qui fut la seule à le mettre complètement à l’aise, cette odeur ayant appartenu à la seule personne lui ayant jamais dit qu’elle l’aimait.
Il repense aux confidences, les choses qu’il n’avait jamais avoué à personne et que Cédric avait si facilement su lui faire dire. Les choses qu’il n’avait plus dites à personne depuis.
Et Harry a peur soudain. Peur, car il sait que le fantôme de Cédric le hantera toujours et lui-même n’a aucune envie d’aimer un jour quelqu’un d’autre comme il a aimé Cédric.
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Lorsque presque deux ans plus tard, il sort de la pensine de Rogue, c’est un soulagement ; il peut mourir. Il doit le faire, en fait. Ses amis n’auront pas à s’encombrer de culpabilité ou bien à se dire que, peut-être, ils ne lui suffisaient pas.
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La pierre de résurrection dans la main, il sourit à un fantôme que lui seul peut voir :
« Tu m’attends là-bas n’est-ce pas ? »
Le fantôme sourit en retour.
« Bien sûr, répond-il avec ce regard tendrement indulgent qui avait toujours fait fondre Harry de son vivant.
- Promis ?
- Promis. »
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Alors qu’il fait face à Voldemort, Harry ne peut même pas penser à l’imminence de sa propre mort car sa tête est remplie d’images de Cédric. Alors que Dumbledore lui donne des explications détaillées sur ce qui a fait de sa vie un enfer depuis le début, Harry ne parvient pas à s’y intéresser et ne peut penser qu’à Cédric.
« Mon cher Harry, j’ai l’impression que tu n’es pas totalement avec moi. Est-ce que je me trompe ? »
Dumbledore le toise par-dessus ses lunettes en demi-lunes avec son regard perspicace, comme il l’a toujours fait. Et cette vue familière propage une chaleur agréable dans l’estomac d’Harry. C’est possible se dit-il.
Harry ne répond pas, alors Dumbledore reprend :
« Tu ne veux pas y retourner ?
- Pour rien au monde, répond Harry »
Et, juste comme ça, il est mort.