Au fond de mon cœur / je ne suis plus qu’un flot de sang

Harry Potter - J. K. Rowling
G
Au fond de mon cœur / je ne suis plus qu’un flot de sang
Characters
Summary
Il lui avait promis qu'Il l'aimerait toujours, mais Il n'est plus là maintenant— les mains des infirmières sont des griffes sur son ventre, et Bébé doit mourir. Les draps ont l'odeur de la lavande et du sang. Oui, elle a fait son choix. Bébé mourra.
Note
Cette Fanfiction a été écrite dans le cadre du fest’ organisé par FESTUMSEMPRA sur le thème « Imbolc Fest » Auteurs, lecteurs, artistes… rejoignez le discord de Festumsempra ici : https://discord.gg/73rYkUNPTx OU Contactez-nous par mail : [email protected] Ceci n'est pas très printanier, prenez garde... mais bonne lecture anyway<3

«  Je suis la plus

coupable et la plus misérable. Pas de pardon pour

moi, ni remise de peine, ni morphine, ni camisole,

je hais tous les compromis, non, non, pas de grâce

pour la magicienne, plongez le glaive dans mon

ventre, d’un coup. Je vous le dis, que d’innocence,

que d’innocence dans ce naufrage ! Qu’ai-je fait

d’autre qu’aimer celui qui ne m’a pas aimée ? »

— Médée, poème enragé, Jean-René Lemoine. 

 

 

Au fond de mon cœur je ne suis plus qu'un flot de sang

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Il va mourir. Il doit mourir. Elle a fait son choix maintenant— Bébé mourra.  

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Elle rêve toujours de Lui au crépuscule. Lorsque la nuit grossit, prend sa chambre et ce lit infâme qu’elle occupe depuis des jours - des semaines - et glisse ses ongles sous ses paupières : son visage parfait vient s’y coller avec sa peau blanche de statue, ses yeux, ses lèvres roses, cruelles. Devenues cruelles. 

Elles avaient pourtant été si douces. Tu es la femme de ma vie. Tu es mon amour, mon soleil, mon rêve éveillé. Elle avait surpris les soupirs de femmes autour d’eux, leurs airs mauvais, jaloux, celles qui auraient tant voulu qu’on leur parle avec ce lyrisme et qu’on les regarde ainsi. Elle— elle ? ne les voyait pas. Elle ne voyait que lui, toujours.

Il avait été à elle pendant sept mois, et elle n’avait pas compté les jours. Elle en avait été si sûre. Il était à elle, désormais, quoiqu’il arrive. 

— Vous marmonnez encore, Miss Gaunt. » L’infirmière est coiffée d’une robe blanche passée, marquée de l’insigne mauve des Soeurs médicomages. « Prenez cette potion de sommeil et accordez-vous un peu de repos, reprend sa voix pincée. Vous n’en avez plus pour longtemps, ajoute-t-elle. 

Mérope agrippe son ventre dans un réflexe. Plus pour longtemps. Quelques semaines maintenant. Bébé arriverait et il serait à  elle, lui aussi. L’infirmière sort une baguette qu’elle lève sur son front. Un faible halo se met à briller entre elles et Mérope se concentre sur les sourcils noirs derrière, sur la ride qui se casse en haut du nez. Si elle se concentre assez fort, elle peut tenir le fantôme blanc à distance, figer ses muscles et les ongles qui s’y enfoncent, et ne penser qu’à Bébé. 

— Bien », finit-elle par lâcher. Son expression fait mal à Mérope, elle a envie de gommer les monstres qui se sont glissés dessus. Ils lui rappellent Morfin et ses molaires jaunes, avant qu’il ne propose de lui montrer l’intérieur du fourneau sale. « Ménagez vos forces, Miss Gaunt. Vous en aurez besoin ». 

Mérope ne lui répond pas. Elle tourne sa tête sur l’oreiller, sent ses cheveux secs contre sa joue. Derrière la lucarne, un gris-blanc filtré par la crasse. Plus pour longtemps, plus pour longtemps, se répète-t-elle. 

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L’hospice sent les vieux draps, l’encens et le savon à la lavande. Un savon précipité sur chacune des surfaces de l’endroit au moins une fois par jour. Ses propriétés odorantes et expiatoires masquent la mort, lui avait confié sa voisine de lit avant de disparaître. Elle avait gloussé, on reconnaît les infirmières des gens comme nous à leur odeur. Lavande et mort. Mérope glisse une main sous l’oreiller, referme son poing sur le collier en argent et sa gueule de serpent. Beaucoup de gens disparaissent ici. 

 

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Elle avait connu l’exaltation, l’allégresse— la plénitude, même. Un nuancier violent qu’Il avait fait entrer dans sa vie pour y défaire la solitude. Car Il était sa vie. Elle l’avait rencontré une après-midi de printemps alors qu’elle rentrait du puits où l’avait envoyé son frère. Ses bras tremblaient sous le poids des seaux et elle avait dû s’arrêter dans la clairière pour reprendre son souffle. Il était là— glorieux, princier et solaire dans sa longue cape. 

Ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait. Elle l’observait depuis longtemps, cachée par les branches aux abords de la forêt. Sa beauté était connue par delà monts et vallées, Tom Jédusor, fils de comptable ! Pourriture moldue, crachait son père à la mention de son nom.   

Mais Mérope le voyait comme Il était. Surtout ce jour-là, seul contre son cheval, une perle de sueur à l’entrée du col. Depuis ses bras fatigués, elle l’observait, paralysée. Il ne savait pas qu’il se tenait tout proche de la tombe de terre et de chair qu’elle avait dû creuser pour cette chose sortie de ses cuisses deux printemps auparavant. Ce magma immonde, sanglant, glissé en dehors d’elle. 

Il y avait un cadavre sous ses pieds et il ne le savait pas. Il ne le saurait jamais. Elle lui montrerait qui elle était, avait-elle pensé en cet instant, elle lui montrerait qui elle était sans les ongles infâmes plantés en elle, les insultes et les coups. Elle lui montrerait sa force et sa détermination ; son adoration. 

Le désir était monté en elle violent et insatiable, un désir brut, assoiffé de la beauté de cet homme et de ses lèvres à la couleur de la plus belle rose. CarMerope Gaunt ne connaît ni la joie, ni la paix, seule la souffrance lui est familière. Le désir serait pour elle comme la souffrance, inamovible et sans scrupule. 

Elle ne sait pas d’où viennent ces mots. Si elle les a entendus quelque part. Tout se confond— lieux, passé, maintenant. 

« Le terme n’est plus si loin », creuse une voix entre ses rêves. Mérope plaque ses doigts sur ses yeux. Elle ne veut voir que Lui. Lui, Lui et ses yeux noirs. « Il faut se préparer. Ce ne sera pas simple ». La clochette qui annonce le repas - du pain sec arrosé de pois cassés - retentit. Elle presse ses mains contre ses paupières. Elle n’a pas faim. Plus pour longtemps, plus pour longtemps.

Bébé doit disparaître. Bébé doit mourir. Il ne peut vivre— sans Lui. Car elle ne peut vivre— sans Lui. 

Et si Bébé avait ses yeux noirs ? Ses pommettes hautes et grincheuses, celles d’un Prince, avec ses lèvres boudeuses, gonflées de plaisir à sa vue. Je t’aime Mérope, je t’aimerai toujours. Il le lui répétait tous les jours à l’époque. Pourquoi a-t-elle cessé sa boisson ? Ce sirop qui avait scellé l’évidence. Elle l’aimait, il devait l’aimer lui aussi. Mon amour, mon amour. Mérope chuchote contre ses draps. Ses paupières se ferment sous l’assaut des images et hurlent, s’il vous plait ! Faîtes-le revenir. Son allure princière et ses mots élégants et sa beauté raffinée, splendide, loin de tout ce qu’elle avait connu dans son Manoir. Oh, Tom, comme tu aurais haï Morfin et ses sifflements. J’aurais détaché les écriteaux Mort à la pourriture pour toi mon amour. J’aurais tout fait. Des griffes se terrent dans sa gorge, il ne peut pas en être autrement : elle a si mal. Ses yeux bousculent le sapin bazardé dans un coin par les Soeurs Médicomages sans le voir— elle n’a jamais connu Noël. Elle se terre contre la tête de lit, son fer froid. Elle sait ce qu’il faut faire pour qu’Il revienne. Il n’a jamais voulu de Bébé. 

Des ronces aux doigts de frère ; une gueule ouverte de serpent ; les fourneaux sales et vides ; la poussière, avec sa toux infâme et son odeur de mort ; les mains de son père ; de son père ; de son père

Bébé doit mourir. Elle l’éviscérera de ses mains. Est-ce que la mort ne court pas sous sa peau de toute façon ? Elvis ricane contre son crâne, pauvre fille, tue-le avant qu’il ne te tue, et Morfin murmure, tout contre son oreille, venge-toi, soeurette. Venge-toi de la vermine qui l’a mis dans ton ventre. 

 

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Des voix nerveuses et infantilisantes la réveillent— des voix qui hurlent la clinique et les ruines. Mérope sait où elle est. Cet hospice immonde où les lits ressemblent à des cercueils. Ils n’ont rien ici, tu ferais mieux de préparer tes dernières dispositions ma vieille, lui avait soufflé sa voisine de lit. La même qui avait disparu. Elle se souvient maintenant. 

— C’est étrange, on dirait qu’il pousse déjà. 

Des effluves médicales et froides lui parviennent. Mérope les sent au-dessus d’elle. 

— C’est impossible. 

— Glinda, regarde. 

Une main la frôle. Elle ferme les paupières un peu plus fort. 

— … 

— Il serait en avance de deux mois ? Ce n’est pas…

— Je sais, claque la voix. Pourtant, ajoute-t-elle au bout d’une minute, il va venir. 

Plus pour longtemps, plus pour longtemps. Elle a fait son choix, n’est-ce pas ? Bébé mourra une fois sorti d’elle. Il ne peut vivre sans Lui, il ne peut vivre sans elle— et qui est-elle sans Lui ? Non, Bébé ne peut pas vivre. 

 

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La souffrance la prend entre ses mains à 3h du matin et ne la relâche pas durant vingt-trois heures. Elle entend des précipitations, des draps froissés, remplacés, des mains pressées sur son front, appuyées sur ses cuisses. Vous pouvez le faire Miss Gaunt, il n’est pas loin. Des murmures doux avant de s’alarmer. Il faut pousser Miss, il ne peut pas le faire tout seul. Les alarmes durent longtemps, la prennent en otage, et puis l’oublient. Il n'y a plus un son en sa direction, seulement des pressions sur son corps. Quelque chose déchire son ventre ou bien ses entrailles, une créatures avec des griffes et des dents pointues— il ne peut pas en être autrement, elle a si mal. 

Les contours s’évanouissent en même temps que les adresses, et il n’y a plus que des prières sur l’odeur de lavande. « Morgane, laissez au moins l’enfant vivre ». 

Mérope flotte, elle n’entend plus. Sa tête est si lourde. Ira-t-elle où Il est lui ? Elle est dans un rocher brûlant, une fournaise au visage connu. Sa blessure, sa blessure. Sa grande blessure familière. 

 

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Elle se réveille au son d’un cri. Il se fraie un chemin entre ses cauchemars et la léthargie dans laquelle elle est tombée. Une odeur de sang, de sueur, de vomi— plus de lavande. Mérope lutte pour redresser la tête lorsqu’elle la sent soudain. Une petite main, repliée sur sa peau. Un instant le monde se suspend à la scène, à ses doigts minuscules et à son cri braillard. Un sanglot monte, elle va, elle va—

— Miss Gaunt ! Vous êtes… oh par Merlin, vous êtes encore…

La voix lui précipite son inquiétude aux relents médicaux, elle l’entend appeler des secours, murmurer le sort de diagnostic mais elle ne peut pas se détourner du spectacle. Elle est fixée sur son ventre.

La créature est sortie d’elle ; elle grimpe sur son sein. Ses yeux s’ouvrent, et puis la fixent. Ils sont si noirs. 

Elle ne pense plus à celui qui est déjà sorti d’elle et qu’elle a enterré dans la clairière. Elle ne veut plus emmailloter l’enfant dans le même linceul. Bébé a les yeux noirs. Il Lui ressemble tant. Non, elle ne veut plus éviscérer Bébé. Il la regarde. Elle ne peut pas. Bébé doit vivre, elle pense, avant de retomber dans le noir. 

 

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Dans sa demie-conscience, des pas bruyants rompent ses rêves et les mots qu’elle se murmure à elle-même. Elle sait qu’ils lui ont pris Bébé. Mis dans une grosse machine chaude pour le maintenir en vie, soit-disant. Mais comment peut-il vivre sans elle ? « Chuut Miss Gaunt, calmez-vous ». Mérope voudrait montrer ses dents, mais la potion de sommeil avec son ruban mauve lui est forcée jusqu’à la dernière goutte. « Dormez, reprenez des forces ». Une sirène la prend par la main et lui chante des mots d’amour dans une langue qu’elle ne peut pas comprendre, mais qu’elle comprend. Elle aimerait lui sourire, lui demander de l’aide, comment sortir d’ici je vous en prie, mais la sirène sort son trident et lui crache entre ses crocs en lame de rasoir, tu l’as voulu, tu l’as voulu. Prends-le maintenant. 

 

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Elle sait que Bébé est fort. Car Bébé a les mêmes yeux que Lui, mais il a son regard à elle. Le regard des Gaunt. 

« Tom », chuchote-t-elle entre les effluves de potions et les rayons du jour que lui crachent la lucarne. « Tom, ton père a tout détruit, amour. Toi aussi tu auras le droit de tout détruire ». 

— Qu’est-ce qu’elle murmure ? C’est bizarre. Ce n’est pas de l’anglais. 

— Ni du latin.

— On dirait… des incantations. De la magie noire, chuchote la voix.

— Non… plutôt… des sifflements. Comme un serpent. 

— Elle a toujours été si étrange. 

Oui Bébé, tu pourras les détruire. Tu leur montreras, amour, tout ce que tu peux faire, chuchote une dernière fois Mérope Gaunt, avant de retrouver le noir et ses griffes maternelles. 

 

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