
Le joueur de flûte de Hamelin
Chapitre 20
Le joueur de flûte de Hamelin
Lybie, été 1974.
Une chaleur écrasante s'était imposée sur la région, jusqu'à l'obscurité reculée de la taverne magique, où peu de gens semblaient décidés à utiliser la magie pour se rafraîchir, sans doute par habitude.
Au fond de la salle, quatre sorciers lybiens faisaient face à une sorcière manifestement européenne, qui avait conservé son chapeau et portait une robe très longue à haut col. Du thé était sur la table.
« Vous avez le compte ? » demanda en anglais l'un des sorciers.
« Oui », répondit la femme.
Elle sortit un coffret de sa besace, et le déposa sur la table, les mains gantées. Puis l'ouvrit : il était rempli de pièces d'or.
« Vous permettez », dit le Lybien qui semblait le plus âgé.
A ces mots il agita sa main en direction du coffret et de l'inconnue, en prononçant une incantation.
« Simple précaution entre gens de confiance... » précisa-t-il.
« Je comprends », dit la jeune femme en baissant les yeux.
« Elle a une drôle de voix, tu ne trouves pas ? » murmura l'un des sorciers en langue arabe.
« Peut-être que toutes les Anglaises ont ce type de voix », répondit l'autre.
La sorcière redressa la tête.
« Maintenant, je veux la Perle », déclara-t-elle fermement.
Les Lybiens se regardèrent.
« Bien sûr. »
Ils sortirent à leur tour un coffret, qu'ils lui tendirent en le faisant lentement glisser sur la table. Une goutte de sueur dévala le visage de la jeune femme, emportant avec elle un peu de poudre. Elle ouvrit le coffret précautionneusement, et à la vue de la perle énorme qui s'y trouvait, ses yeux clairs ourlés de khôl s'illuminèrent un instant.
« A mon tour de montrer ma confiance », dit-elle.
Elle tendit sa baguette au-dessus de la Perle et dit : « Finite incantatem ».
Rien ne se passa. Elle eut un léger sourire, puis inspecta la perle, avec un regard fasciné.
« Nous pouvons dire que notre marché est conclu. »
Après quelques salutations pour prendre congé, la jeune sorcière se leva et sortit du tripot, prenant soin de regarder autour d'elle et derrière elle. Elle s'engouffra dans la ruelle la plus déserte et sombre qu'elle trouva, puis sortit un grand rouleau de son sac. C'était un tapis ressemblant à un tapis persan – mais ses motifs n'avaient rien de persan. Elle le déroula et se positionna dessus, ôta ses gants et frappa dans ses mains.
Immédiatement, des fissures semblèrent s'ouvrir dans le sol et sur les murs, en un éclair, et le tapis et celle qu'il portait furent comme aspirés dans la terre.
La jeune femme était tombée dans un abîme qui s'était refermé au-dessus d'elle, mais son visage demeurait impassible. Elle semblait habituée à une telle chute vertigineuse. Au milieu de nuages bleus turbulents, elle sortit un mouchoir de sa robe pour s'en essuyer le visage, et en ôter le maquillage. Elle arracha sa perruque, qu'elle rangea dans sa besace. Retira sa grande robe, qui suivit le même chemin.
La sorcière était en réalité un adolescent aux courts cheveux bruns en chemise-pantalon, et qui souriait maintenant, comme un korrigan sourit après avoir accompli son méfait.
Et il sembla s'autoriser à continuer à tomber, à une rapidité démentielle, jusqu'à se trouver au centre d'un cercle d'horloges noires aux ornements biscornus et sinistres. Un concert de voix d'elfes de maison de tous les continents retentit alors ; « Au Manoir Russell ! », commanda le garçon – et le sol carrelé de noir et blanc de la salle s'effondra, et il tomba ensuite dans un long tunnel dont les parois semblaient être faites de tous les immeubles sorciers d'Angleterre mis bout à bout – il s'arrêta, comme en suspension, un bref instant devant une fenêtre sombre, derrière laquelle un jeune homme blond était en train d'écrire – ce dernier tourna légèrement la tête, comme s'il l'avait aperçu – puis le voyageur chuta à nouveau, tournant involontairement sur lui-même, pour finir par atterrir brutalement sur un pré herbu.
Son tapis tomba ensuite sur lui, et l'adolescent émit un grognement de douleur.
« Le problème, c'est toujours l'atterrissage... » maugréa-t-il.
Puis il se redressa tant bien que mal, regarda à nouveau autour de lui. Les oiseaux chantaient dans le parc, tout était calme.
Alors il sortit le coffret acquis de sa besace, et l'ouvrit : la perle était toujours là, toujours également belle, dans sa rotondité parfaite.
« Je l'ai ! Je l'ai enfin ! » s'exclama le jeune sorcier, et il rentra dans le manoir.
Lady Russell se trouvait dans la Grand Salle. Le garçon contourna quelques statues et colonnades gémissantes, puis s'avança vers elle, et lui montra la perle.
« Angus ! » s'exclama la femme. « Mais où as-tu trouvé ça ? »
« Je l'ai achetée à des marchands lybiens. »
« Avec quel argent ? »
« De la monnaie de singe... Mais ils n'ont pas eu le temps de s'en apercevoir. Et je suis intraçable. »
« Tu es fou ! Et s'ils te retrouvent quand même ? »
« Depuis quand te préoccupes-tu de ce qui peut bien m'arriver ? » rétorqua son fils avec animosité.
« Tu leur as donné de la fausse monnaie... » dit alors Lady Russell. « Et eux t'ont donné une fausse perle. »
« Quoi ?! »
I
Mai 1975.
Une bonne nuit de sommeil fit le plus grand bien à Severus, et quand il se réveilla le lendemain matin, il eut l'impression qu'il avait retrouvé ses esprits.
Lucius Malefoy semblait tout à fait en forme également, et à la vérité, Severus ne l'avait jamais vu aussi beau. La lumière de l'aube faisait briller ses cheveux comme de la nacre, et semblait illuminer ses yeux de l'intérieur.
« J'étais si épuisé hier que je n'arrivais plus à trouver le chemin qui mène à mon cachot... » raconta Severus.
« Ah bon ? J'y étais pourtant, j'ai tellement travaillé que j'ai dû me préparer une potion pour la migraine. »
Severus vit qu'il était en train d'écrire quelque chose.
« Une lettre pour Narcissa », expliqua Lucius. « Selwyn n'est vraiment pas intéressante au final, elle ne cherche qu'à se faire admirer. Je n'aurais même pas dû essayer quoi que ce soit avec elle... Je ne suis pas un chien. »
Son cadet se sentit étrangement rassuré, alors même que ses propos impliquaient qu'il continue à se rapprocher de Narcissa.
Puis il se souvint des assertions de Macnair.
« On m'a dit... qu'on t'avait vu sur les remparts... »
« Et alors ? »
« Je ne sais pas... »
La belle humeur de Lucius sembla retomber d'un coup.
« Allons déjeuner. »
Ils descendirent dans la Salle commune. Là, Snape faillit s'arrêter une nouvelle fois devant les panneaux que Russell avait fait installer à titre posthume. Sur l'un d'entre eux, on le voyait tenir une cage avec un hibou, et faire un signe de la main. Quel âge devait-il avoir ? Treize, quatorze ans ?
Il y a quelque chose...
« Severus ? » dit Lucius. « Pourquoi regardes-tu encore ces photos ? Viens... »
* * *
Des toasts grillés de frais et toujours fumants s'amoncelaient sur des plateaux, aux côtés de saucisses, d'oeufs, de lard, de haricots à la tomate et diverses sortes de viennoiseries.
Comme souvent ces derniers temps, Sirius Black s'était installé à la table des Serdaigle, pour discuter avec Alan Jodorowsky, l'ex Préfet-en-chef d'origine moldue.
« Ça a dû être difficile pour toi, d'arriver dans le monde sorcier, et de faire face à toutes ces discriminations », déclara le jeune aristocrate en recouvrant une énorme tranche de brioche de marmelade à l'orange.
« Sirius, mon père est juif et ma mère est une femme de couleur », répondit Jodorowsky. « Ma vie est une longue suite de discriminations. »
« De couleurs ? » demanda Tullia Banks.
« Ça veut dire qu'elle est noire. »
« Et alors ? »
« Beaucoup de Moldus blancs pensent que les Moldus noirs leur sont inférieurs. »
« Mais c'est complètement stupide... »
« Je ne te le fais pas dire. »
A la table d'à côté, Lucius Malefoy se retourna et dit à Jodorowsky : « Tu vois, les Moldus sont stupides. »
« Parce que toi t'es mieux, peut-être ? » répliqua l'autre préfet.
« Je méprise les gens qui n'ont pas de pouvoirs magiques, moi ça se base sur quelque chose », répondit Lucius Malefoy.
« On trouve toujours un prétexte pour se croire meilleur que les autres et les humilier », opposa Jodorowsky.
Sirius Black applaudit des deux mains. Malefoy haussa les sourcils, en signe d'indifférence. A ses côtés, le visage de cire blanche de Severus avait l'air plus blasé et cynique que jamais.
Le Gryffondor le regarda, regarda son camarade aux cheveux blonds étincelants, qui s'était retourné, puis il produit une onomatopée...
« Slurp... Slurp... »
Voyant que Snape ne réagissait pas, il saisit un beignet long et se mit à faire semblant de le lécher.
Snape eut l'air paniqué et mortifié à la fois.
Plus tard, dans les couloirs, alors que Malefoy avait rejoint sa propre classe, Sirius saisit l'occasion de bousculer la Loque aux cheveux gras.
« Arrête de sucer Malefoy, Pleurnichus ! »
* * *
« Cette fois, il a vraiment dépassé les bornes », pesta Snape, le soir venu.
Lucius était en train de recopier son texte de présentation de la Potion au propre, et il parut percevoir la nervosité de son camarade.
« Tu vas bien ? » s'inquiéta-t-il. « Qui a dépassé les bornes ? »
« Black. »
« Qu'est-ce qu'il a fait ? »
« Des choses... obscènes. »
« Il t'a attaqué ? »
Le Serpentard blond avait l'air sérieux en demandant cela, et réellement préoccupé, ce qui étonna Severus.
« Non... » répondit-il. « Plutôt des choses qu'il a dites. »
« Quoi ? »
« C'est tellement ridicule... Je préfère ne pas en parler. »
« Il est vraiment pitoyable. Sa famille doit avoir honte de lui. »
Snape leva la tête brusquement.
« Et dire que certains le trouvent beau », poursuivit Lucius.
« Il l'est, non ? Black est une immonde merde, et c'est tout à fait injuste, mais on ne peut pas dire qu'il soit laid. »
« Tu le trouves beau, toi ? »
« Pas moi en particulier... C'est l'avis général, manifestement. »
« Il est complètement fade. Ses traits n'ont rien d'intéressant. »
Severus eut un rire amer.
« Je préférerais avoir sa tête que la mienne... » marmonna-t-il pour lui-même.
Il ne s'attendait sans doute pas à ce que Lucius réponde.
« Je préfère ton visage au sien. Et toi, tu as une belle âme. »
Severus eut d'abord un moment d'incrédulité. Puis il se sentit rougir comme une pivoine.
Lorsqu'il osa tourner la tête, il vit que Lucius avait un petit sourire en coin.
« J'ai terminé ! » s'exclama-t-il.
* * *
Peeves se mit à chanter, un matin de juin.
Tout le monde dans le chaudron !
Lucius Malefoy fait sa Potion !
Dumbledore, Agni, Slughorn et un dénommé Duncan McGuffin, spécialiste des potions, se trouvaient dans la salle d'examen. Etrangement, Gwénolé Kouign-Aman s'était invité de lui-même, au fond de la salle.
« Qu'est-ce qu'il fiche là ? » murmura Lucius à Snape.
« Je suis Guinoleus McAlistair, le Grand Auror, ne faites pas attention à moi. »
« Un Auror est ici ? » s'étonna McGuffin.
Dumbledore chuchota quelque chose dans son oreille, puis Lucius salua tout le monde.
« Je souhaiterais d'abord dédier cette présentation à mon camarade disparu, Angus Russell. Sans lui, cette potion n'aurait pas pu exister. Il a conçu la majeure partie de la théorie qui fonde sa structure. Et je voudrais également souligner le rôle qu'a tenu Severus Snape ici présent, qui m'a aidé à améliorer cette potion et nous a permis de résoudre le Dilemme de Paracelse. Il est d'autant plus digne d'admiration, qu'il n'a que quinze ans. »
Le jeune Snape se sentit rougir. Albus Dumbledore hocha la tête, et Horace Slughorn le regarda avec incrédulité.
« Nous suivrons votre évolution avec le plus grand intérêt, Severus Snape », déclara Slughorn. « Quant au petit Russell, je l'avais eu comme élève quand j'enseignais encore ici, avant que Bhima prenne le relais. Il était très prometteur, pas en potions, mais j'ai entendu dire qu'en sortilèges, il était spectaculaire. J'ai été bouleversé par la nouvelle de sa mort. Un jeune homme si brillant. C'est une terrible perte. »
Le visage de Lucius Malefoy se contracta.
« Et je me souviens de vous Lucius, bien entendu. Le meilleur élève que j'aie jamais eu en Potions. Je suis extrêmement curieux de voir ce que vous nous avez préparé. »
Lucius eut un sourire pincé, mais il avait l'air triste. Il sortit sa baguette, et lança une incantation. Au-dessus de lui, au centre de la salle antique, une sphère blanche tourna sur elle-même, au milieu du Noir.
Et tandis qu'il lisait son discours de présentation, derrière lui, Severus inscrivit des noms d'ingrédients, des symboles et des chiffres.
« Prudence, tempérance, force, et justice. Ce sont les quatre vertus cardinales, chacune symbolisée par un ingrédient. Les Anciens Savants et Stoïciens avaient raison, qui pensaient que tout était en soi un microcosme. La magie est la mise en œuvre de cette vérité : il y a de tout en toute chose. Nous avons suivi les chants divins d'Empédocle. Nous avons construit mathématiquement notre potion comme un système à part entière. Mais ce n'est pas seulement une question d'éléments, mais aussi d'idées, de symboles et de mots. Ils se répondent et se correspondent eux aussi, et sont eux aussi dans la réalité, comme un réseau secret d'ordre et de relations. Pour mettre la gloire en bouteille… la question était donc : quelle est son essence ? Quelles en sont ses causes ? Comme pour des planètes, nous avons tracé une première courbe elliptique, celle des quatre vertus platoniciennes, chacune représentée par l'ingrédient qui lui correspond – parce que la véritable gloire nécessite de fermes assises, la résistance et le contrôle. La seconde ellipse, elle, symbolise l'orexis, le désir moteur qui pousse l'être à l'action et la métamorphose. Menthe, mue de lézard, ginseng, sang de bouc. La troisième, c'est la beauté et la vaillance, le regard braqué sur l'horizon, et l'idéal. Larmes de nixe, sueur de cristal, fleurs de lys. Et pour finir, le cœur de la formule, autour duquel gravite les autres ingrédients : la perle, car elle est l'ultime preuve d'amour. Elle est le trésor caché dans les riches et profonds océans, dans le microcosme du coquillage. Sa forme circulaire, la forme parfaite, évoque celle de l'univers, et de l'immortalité. Elle est cette chose précieuse, lumineuse, mais cachée dans l'obscurité, qui pousse l'homme à se dépasser, à chercher à rejoindre le grand dessein de l'univers ; elle symbolise l'amour, enfin, en est la marque, car celui qui cherche la gloire cherche aussi l'amour de son prochain, cet amour qui lui permet de ne plus être seul et d'exister dans le dessin du monde. »
La sphère argentée disparut, et bientôt, les couleurs de la potion bouillonnante se projetèrent sur le visage de Lucius, dans l'obscurité de la salle.
Ses mouvements étaient sûrs et fluides, sa préparation de la potion ressemblait à une danse. Severus ne put s'empêcher de l'admirer à nouveau, ses gestes élégants, ses mains aux bagues chatoyantes.
Pendant que la potion mijotait, et avant qu'elle fut administrée à un cobaye, les professeurs qui encadraient l'épreuve posèrent quelques questions. McGuffin s'interrogea principalement sur la nature de certains ingrédients, notamment les larmes de nixes, Agni sur les étapes de la préparation. La structure intellectuelle du mélange semblait davantage intéresser Slughorn et Dumbledore.
« Ne faudrait-il pas modifier son nom ? » demanda Slughorn, en triturant son noeud papillon. « Potion de gloire... Mais c'est au final une potion de chance, beaucoup plus puissante que le Felix Felicis, rien à voir avec la popularité ou la célébrité. »
« Elle ne se contente pas d'apporter la chance », répondit Lucius. « Elle rend celui qui la boit meilleur. »
« Cela ne ressemble gère au projet initial qui avait été proposé », déclara Dumbledore. « De plus... Je m'interroge sur la finalité de ce breuvage. Meilleur vous dites ? Mais selon quels critères ? »
« Elle doit rendre invulnérable. Ou presque... »
« Mais est-ce que ce ne sont pas nos vulnérabilités, qui font de nous ce que nous sommes ? Qui nous rendent humains ? » opposa le directeur.
« Cela pourrait être une arme extrêmement dangereuse », lança alors Gwénolé , « si elle tombait entre de mauvaises mains. »
« Non, aucun humain ne pourrait l'utiliser », répliqua Lucius. « Cela reste de la théorie. J'avais expliqué que la perle qui la compose doit être unique. On ne peut pas en additionner plusieurs. Or, pour un être humain, il faudrait une perle d'une taille extraordinaire. A notre connaissance, aucune perle de cette taille n'existe. Et un sortilège d'agrandissement serait inefficace. »
Severus cligna des yeux involontairement. Gwénolé, lui, n'avait pas l'air convaincu.
« Votre réponse prouve que vous y avez réfléchi... » accusa-t-il.
« Bien sûr », répondit Lucius. « D'ailleurs, au début, nous n'avions pas une perle de la taille adéquate pour notre rat, et il a explosé. Boire une telle potion est extrêmement dangereux. »
Les enseignants firent la grimace. Severus se souvint que Lucius lui avait raconté ce macabre épisode.
« Cela a dû vous coûter cher en perles... » plaisanta Slughorn.
« Vous avez fait des estimations pour la durée des effets de la potion... » reprit Agni. « Un cinquième d'espérance de vie, pour un rat. »
« C'est exact. Il faudra garder notre cobaye sous surveillance pendant un an, au moins. »
La potion fut alors injectée à un rat choisi par Agni lui-même, qui avait été auparavant rigoureusement pesé. Le poil soudain luisant et l'œil vif, il fut ensuite passé au crible de tentatives de meurtre diverses et variées, qui se soldèrent toutes par un échec.
On en conclut que la Potion de Gloire conçue par Lucius Malefoy et feu Angus Russell, avec l'aide complémentaire du jeune Severus Snape, était une prodigieuse réussite. Tous les examinateurs lui accordèrent la note maximale, excepté Dumbledore, mais Agni joua de ses points bonus.
Lucius Malefoy sortit triomphant de l'examen, ayant obtenu la note maximale à son ASPIC (ainsi qu'un ressentiment définitif à l'égard du directeur de Poudlard).
La nouvelle se répandit vite, et Severus n'en crut pas ses yeux, quand il vit les trois quarts des élèves de la Grande Salle se lever pour l'applaudir, lui, quand il s'y rendit pour dîner. Pas Potter et Black, bien sûr. Mais même Pettigrew et Lupin semblaient applaudir de bon cœur. Les yeux de Bellatrix flamboyaient en le regardant. Macnair était déchaîné, il finit même par se lever, suivi par les élèves de Serpentard, puis par les Serdaigle, et les autres.
Severus entendit Lucius arriver derrière lui, et les applaudissements redoublèrent. Mais il sentit alors sa main se poser sur son épaule, comme si lui aussi le félicitait.
Il se tourna vers lui, et il vit qu'il lui souriait.
« Tu l'as bien mérité », murmura-t-il.
Et il se mit à applaudir également.
II
And the truth is plain to see
Avril 1945.
« Quel carnage », dit l'un des trois sorciers qui entrèrent dans la ferme bretonne.
« Des mages noirs ? »
« Oui », dit le troisième, avec un accent écossais. « Deux uniquement, accompagnés d'une bande de loup-garous. »
« Votre aide nous est précieuse. »
« Pauvre homme, regardez ce qu'ils lui ont fait... Sa tête... »
« C'est typique des attaques de loup-garous », dit le Britannique. « Ils égorgent leurs victimes jusqu'à les décapiter partiellement. »
Il y avait deux cadavres, les deux horriblement mutilés. Les murs de granit étaient maculés de projections sanglantes. Un crucifix n'avait pas été épargné.
« D'après mes informations, la mère était une sorcière, Elya Arnould. Le père était moldu... Eudon Le Guen. »
L'Ecossais s'approcha de l'énorme cheminée, regarda les quelques photos qui étaient posées dans des cadres, sur le linteau de cheminée.
« Il devrait y avoir un petit garçon », dit-il.
« Ils ont dû l'emporter. »
« C'est possible, ils préfèrent mordre les jeunes. Voire les dévorer. »
L'un des deux sorciers français fit le signe de croix.
« Lançons un sort de présence. »
Mais le sort de présence fut sans effet.
« S'il était caché quelque part dans la maison, les mages noirs l'auraient trouvé. Ou les loup-garous l'auraient senti. »
« Il faut espérer qu'il n'était peut-être pas là, parti chez des grands-parents, ou à l'école... »
« En effet. Cependant... »
Le sorcier britannique posa son chapeau melon sur la table, et se mit à inspecter la vaste pièce dans tous ses recoins.
« Que fais-tu Erwin ? »
« Là où les pouvoirs magiques des Aurors s'arrêtent, débutent leurs compétences en observation et déduction. Vous ne sentez pas cette odeur de pétrole ? »
« C'est vrai... »
Erwin s'arrêta soudain devant la table centrale, qui servait aussi de huche. Elle était monumentale.
« Regardez ces traces, elle a été poussée il y a peu de temps. »
Il lança un sort, et la table glissa sur le côté, découvrant un morceau de tissu. Erwin le souleva : il y avait une trappe. Il la souleva. Un escalier en bois en piètre état semblait donner sur une cave.
« Je passe en premier », dit le Britannique.
Lumos ! S'exclama-t-il, et il s'engouffra dans le cellier.
« Tu n'as rien à craindre, mon petit. »
Mais il n'y avait là que des étagères et coffres remplis de nourriture : bocaux, charcuterie, bouteilles.
Erwin observa en détail chaque élément, puis il s'arrêta devant un buffet, dont il ouvrit la partie inférieure.
S'y trouvait une forme sombre, tremblante et recroquevillée sur elle-même, comme enduite de liquide noir.
« Mon pauvre garçon... » murmura Erwin. « Tes parents t'ont couvert de pétrole pour que les loup-garous ne puissent pas te sentir, et ils t'ont lancé un sort de paralysie provisoire. Maintenant le sort s'est dissipé. »
« Vous allez me tuer ? » demanda l'enfant.
« Non. Je ne suis ni un mage noir, ni un loup-garou. Je les chasse. Mon nom est Erwin McAlistair. Et toi, comment t'appelles-tu ? »
L'enfant braqua vers lui son regard bleu, qui ressortait au milieu du pétrole.
« Gwénolé. Gwénolé Le Guen. »
Juin 1975.
Trois des membres du Renard de Poudlard, dont sa maquilleuse, étaient assis dans le parc, profitant du soleil.
« Au moins, depuis que Dumbledore m'a puni, je ne reçois plus de menace de meurtre », dit Alan Jodorowsky. « Je vais finir par croire qu'il l'a fait exprès. »
« Il voulait éviter un deuxième mort », dit Eric Salinger, tirant sur son joint.
Il y eut un silence.
« Vous y croyez, vous, à l'assassinat d'Angus ? » demanda brusquement Tullia Banks.
« Plus les jours passent, plus j'y crois », dit Salinger. « D'abord, il y a eu plusieurs disparitions suspectes. Ensuite la mère d'Angus s'est soi-disant suicidée. Alan reçoit une lettre le menaçant, une lettre sur laquelle est écrit 'Tu es le suivant'. Et pour terminer, un Auror de premier plan se fait massacrer de manière ignoble... »
« Et cet Auror était venu enquêter ici sur la mort d'Angus, en se faisant passer pour un Médipsychomage », poursuivit Jodorowsky. « Rappelez-vous ce que nous avait raconté Sirius... »
« Il devait soupçonner quelqu'un d'ici... » dit Tullia. « Un autre élève... »
« Ou un professeur. »
« Moi je dis que c'était Malefoy », opina Salinger. « C'est quasiment certain que c'est lui qui t'a envoyé cette lettre, alors c'est certainement lui qui a tué Angus. »
« Si on savait comment il est mort », murmura Alan, « on aurait peut-être un indice... »
« Comment on pourrait savoir ça ? »
« On pourrait peut-être cuisiner le fils Croupton... »
« Intéressant », dit Tullia.
Elle tendit la main, et Salinger lui fit passer son joint, sur lequel elle tira, baissant ses paupières maquillées de rose.
« Je sais que même si vous n'étiez plus ensemble... » dit Alan. « Sa mort t'a beaucoup touchée. »
Tullia se mordit les lèvres, comme si elle hésitait à dire quelque chose.
« Au fait, j'ai adoré ton dernier tutoriel », plaisanta Eric, amateur de glam rock. « Mon eyeliner sera parfait lors de notre prochain concert. »
La jeune fille aspira à nouveau la fumée, puis elle donna le joint à Alan Jodorowsky.
« Dans un mois, nous serons partis d'ici pour toujours », dit-elle alors. « Je suppose... Je suppose qu'il y a quelque chose que je peux vous dire maintenant. Et puis, il est mort, ça ne lui causera pas de tort. »
« Tu peux tout nous dire », dit Salinger.
« Promettez-moi... de ne pas l'ébruiter. »
« Tu as notre parole », dit Alan.
« En fait... Moi et Angus... On n'était pas vraiment en couple. »
« Hein ? »
« Il était homosexuel... J'étais sa couverture, en quelque sorte. On s'était mis d'accord comme ça. Il n'aimait que les garçons. »
Salinger eut un réflexe d'incrédulité et de dégoût mêlé. Jodorowsky parut à peine étonné.
« Ce n'est pas possible... » dit Salinger. « Sérieusement, comment peut-on être attiré par d'autres hommes ? »
« Je sais », dit Tullia placidement. « Ils ont de toutes petites hanches et leurs yeux sont enfoncés dans leurs orbites, on dirait qu'ils vont mourir. »
Les yeux écarquillés, Jodorowsky et Salinger se regardèrent l'un l'autre.
« Minute... » dit le Serdaigle. « Il y avait cette rumeur sur toi, il y a quelques années... »
« Mais oui ! »
« Oh punaise. »
« Si vous dites quelque chose à quelqu'un, je vous lance un Impardonnable », dit Tullia, ses boucles d'oreille en forme de hache flottant soudain dans la brise. « Comme avec Angus. »
« Quoi ?! »
« Je plaisante ! »
Les deux garçons soufflèrent de soulagement.
« Et quand je dis qu'Angus aimait les garçons... En fait, il y en avait un en particulier. Mais c'était à sens unique. Il avait le béguin pour lui et voulait donner le change. »
« Qui ça ? » demanda Salinger.
« Attends », dit Jodorowsky. « Je sais qui c'est. C'est évident. »
Tullia hocha la tête.
« Qui ? » répéta Salinger.
« Malefoy », dit Jodorowsky. « Quand j'y repense... J'avais été questionné par McAlistair, au mois de janvier... Et il m'avait posé des questions là-dessus. Sur les relations de Malefoy avec Angus. »
« Ce n'est pas possible, pas lui ! Pas Mal-au-foie ! »
« Et pourtant si, crois-moi », confirma Tullia.
Il y eut un silence.
« Pauvre Angus, ça n'a pas dû être facile pour lui », finit par dire Alan. « Homosexuel, et en plus amoureux d'un fasciste. »
« En fait, Angus disait qu'au sens strict Malefoy n'était pas un fasciste, mais un partisan de l'oligarchie », précisa Tullia.
« L'amour rend aveugle. »
« ...Bonjour ! »
Magda venait de surgir de derrière un arbre, l'air souriant.
« Je peux me joindre à vous ? »
« Bien sûr ! » s'exclama Salinger avec un air réjoui.
Elle s'assit dans l'herbe à côté de lui.
« Tu vas bien ? » demanda le Gryffondor.
« Oui oui... »
« On parlait d'Angus... » précisa Tullia.
« Oh. »
« A cause de cet article de journal... »
« On pense que quelqu'un de l'école l'a tué », affirma Salinger.
« Mais qui ? »
« Le plus probable semble être Malefoy », expliqua Alan, « mais difficile d'en être certain. »
« On devrait le coincer dans un coin pour lui faire avouer », dit Salinger. « Le voir se pavaner depuis qu'il a réussi sa potion de misère... Ça me rend malade, en plus. »
« Et si Malefoy avait tué Angus après qu'il lui ait avoué... ce que nous savons ? » opina d'un coup l'ex Préfet-en-chef.
« Personne ne tue quelqu'un pour ça », dit Salinger.
« Je n'en suis pas si sûre », dit Tullia.
« Avoué quoi ? » demanda Magda.
« Rien d'important », mentit Tullia.
Mais isoler Lucius Malefoy s'avéra plus difficile que prévu. Il était toujours avec Severus Snape, Alexandre Avery, voire les deux en même temps. Parfois, depuis le fameux examen de potion, même Rosier, Wilkes, les frères Lestrange et Bellatrix Black se joignaient à la bande.
Le fait qu'ensuite Serpentard remporte la Coupe de Quidditch – et soit en tête pour la Coupe des Quatre Maisons – n'améliora pas le moral d'Eric Salinger, qui finit tout de même par prendre son courage à deux main (il n'allait pas laisser Mal-au-foie lui gâcher la vie après tout !) pour demander à Magda si elle voulait sortir avec lui, ce que la jeune fille accepta. Il oublia alors vite Russell, et Jodorowsky fut totalement absorbé par ses derniers examens, et son projet d'étudier dans une université moldue.
Seule Tullia était décidée à mener l'enquête, repensant souvent à son ancien alter ego, et à la raison pour laquelle il aurait pu être assassiné. Elle réussit à parler au jeune Bartemius Croupton. Mais l'élève modèle aux cheveux couleur paille ignorait comment était mort Angus Russell. Tout ce qu'il avait cru entendre, c'était que sa mère s'était noyée, et qu'on n'avait jamais retrouvé son corps.
« C'est un élément à ne pas négliger », pensa-t-elle. « Son suicide n'en était peut-être pas un, tout comme le suicide d'Angus. »
Elle finit même par aller voir Walden Macnair, car elle avait entendu dire qu'il menait l'enquête depuis le début, soupçonnant un crime... Et certains allaient jusqu'à chuchoter... que son premier suspect était Lucius Malefoy.
« Où en sont tes investigations ? » demanda-t-elle d'un ton détaché, ses boucles d'oreilles en forme de hache luisant dans l'obscurité.
Macnair rougit.
« J'ai pas mal avancé, oui... »
« Tu soupçonnes toujours Lucius Malefoy ? »
« Non... Non... J'ai changé de piste... » balbutia-t-il.
« Alors tu soupçonnes qui ? »
Depuis que Severus avait participé à l'examen de potion de Lucius, il était comme sur un nuage. Lucius, lui, ne semblait pas plus gai. Et il y eut un jour de forte chaleur précoce, lors duquel il fut particulièrement sur les nerfs. Il avait finalement consenti au matin à une conversation avec son père par cheminée. Ce dernier l'avait félicité pour ses ASPICs et la réalisation de la Potion de Gloire, mais lui avait aussi dit que des Aurors avaient perquisitionné le manoir de fond en comble sous un prétexte en apparence fumeux une semaine après leur départ, et lui avait aussi rappelé ses disparitions pendant les prétendues vacances passées chez les Avery. Lucius l'avait alors tout bonnement envoyé paître, ce qui avait sidéré Severus, qui ne l'en aurait jamais cru capable.
Sur le coup, il eut l'air soulagé, mais la tension sembla monter ensuite graduellement toute la journée, pour atteindre son paroxysme vers cinq heures, quand ils croisèrent Metellus Honeytaste dans un couloir, qui lui jeta (à nouveau) des regards haineux.
« Ce gars a vraiment un problème », dit Lucius, quand ils furent dans le cloître.
Severus se racla la gorge.
« Tu sais... Il m'avait dit des choses... »
« Des choses ? Quelles choses ? »
« Que toi et lui... dans les toilettes de Mimi Geignarde... »
Lucius pâlit d'un coup. Et cela rendit d'autant plus apparent le fait qu'il avait perdu beaucoup de poids ces derniers mois.
« Est-ce que c'est vrai ? » s'entendit demander Severus. « Mimi avait dit... »
Malefoy eut un rire froid.
« Pourquoi tu veux savoir ça ? Tu es jaloux ? »
Oui, pensa Severus. Mais il ne répondit rien. Il n'en eut pas le temps.
« Tu es comme lui au final », pesta Lucius avec colère. « Tu crois que tu m'aimes, alors que tu me trouves beau, c'est tout. Au début, tu ne me connaissais pas du tout. Et qu'est-ce que tu sais de moi ? En fait, tu veux juste que je te... Tu veux juste coucher avec moi. »
Il avait dit cela avec un air profondément dégoûté.
« Mais qu'est-ce que tu dis... » balbutia Severus.
Le jeune adolescent eut l'impression de chuter dans un bain glacé : Lucius semblait avoir percé ses sentiments à jour, ils les énonçait clairement, comme s'il les avait toujours connus, et en les mésinterprétant. Les moqueries de Sirius Black lui revinrent d'un coup à l'esprit, et il se sentit descendre encore plus dans une glissade de nausée noire. Non, il n'avait aucune envie de faire ça !
Et pourtant... Les mots de Lucius tournèrent dans sa tête, à la fois précis comme des balles et vastes par l'écho qu'ils semblaient trouver dans sa tête et dans son ventre. Ils résonnaient trop pour ne pas être au moins en partie vrais.
« Tu me trouves beau, c'est tout. »
« Tu ne me connaissais même pas... »
« Et qu'est-ce que tu sais de moi ? »
Je ne te connais toujours pas, réalisa Severus.
Lucius se mit à faire tourner ses bagues nerveusement, regardant le ciel au-dessus du pont fixement.
Heureusement, ils étaient seuls et personne n'avait entendu leur conversation.
Le vent souleva les feuilles des arbres, les faisant cliqueter dans un grand souffle douloureux.
« Tu te trompes, Lucius », réussit à dire Snape.
Mais l'autre ne le regarda pas. Il se contenta de ramasser une pierre et de la jeter violemment contre le puits.
Puis il en ramassa une autre, et la jeta également avec rage.
Quoiqu'il se passe, habituellement, Lucius était toujours calme. Severus ne l'avait jamais vu agir de la sorte. L'adolescent blond jeta une troisième pierre contre le puits, et se mit à hurler.
« POURQUOI ?! POURQUOI ?! »
Severus recula, et releva légèrement ses bras par réflexe.
« POURQUOI A-T-IL FALLU QUE ÇA SE PASSE COMME ÇA ?! POURQUOI ?! »
Comme à bout de souffle, Lucius tomba à genoux, se tenant la poitrine. Et alors il se mit à pleurer, des pleurs terribles, qui ressemblaient à des cris de souffrance et de rage mêlés, comme s'ils venaient du fond de son ventre, de ses poumons malades, de toutes les profondeurs de son être. Et de colère contre tout. Contre ses camarades, contre l'école, contre sa famille, contre le monde sorcier, contre l'humanité, contre le hasard, contre lui-même. Et dans ces gémissements, se discernait comme des bribes de mots.
« Je ne comprends... Pourquoi... »
Un groupe d'élèves s'approcha, parmi lesquels figurait Avery.
L'orage sembla se calmer, après l'explosion, mais seulement par épuisement, désolation. Il ne restait plus qu'un filet de voix chuintant, implorante, une voix encore jeune, la voix d'un adolescent malheureux.
« Angus... » murmurait la voix. « Angus... »
* * *
Severus ne l'avait pas entendu. Effrayé, il était sorti du cloître, puis était descendu dans la Salle Commune de Serpentard, la tête bourdonnante encore des accusations et reproches que lui avait lancés Lucius, pour finir par exploser en une colère inexplicable. Il était tombé dans un tel abysse de souffrance mentale qu'il fut presque étonné de sentir cette impression de malaise qui venait souvent le tarauder revenir, comme s'il était étrange qu'il reste assez de place pour cette douleur-là.
Pourquoi ses paroles le rendaient-elles si malheureux ? Tout ce qu'ils avaient vécu ensemble, cela ne signifiait-il donc rien pour lui ? Mais avant cela, même avant qu'il ne lui parle, Severus avait déjà pour lui les mêmes sentiments... Et si c'était Lucius qui avait raison ? Et si ce qu'il pensait ressentir n'était qu'une illusion ?
Il repassa devant les cadres des conseils laissés par Russell à titre posthume. « Le travail d'équipe, voilà la solution ! »
Tu parles... pensa Severus.
Et il pensa à nouveau aux bagues creuses de Lucius. Sa nausée s'intensifia. Sept bagues... Qu'est-ce qui a sept parties ? Ce n'était pas la semaine, donc. Et si c'était quelque chose en rapport avec l'alchimie ? Les sept métaux ? Ou bien les sept sages ? Les sept Pléiades ?
Un très jeune Lucius très pâle et maigre, aux yeux cernés de noir, semblait le regarder sur l'une des photographies. Il n'avait pas encore ses bagues creuses, à l'époque. Il était encore innocent. Mais il était maigre et pâle comme en ce mois de juin.
Ah ! La solution... La clef de l'énigme... Il la sentait toute proche. Et pourtant, elle se dérobait à lui. Il l'avait littéralement sur le bout des doigts... Ou plutôt maintenant, sur lui. Il l'avait sur lui. Mais comment ?
Petrus Parkinson et Gabriel Sanchez étaient assis sur le canapé en peau de crocodile, et ils le regardaient avec un air amusé.
Malheureusement, de ce qui s'était passé cette année-là, Severus ne connaîtrait la vérité que plus tard.
III
And so it was later
Novembre 1978.
Le Grand Auror était enfermé dans une cage magique sophistiquée, elle-même enclose dans une pièce sécurisée, au sous-sol d'une demeure dont il ignorait la position géographique, malgré tous ses efforts de déduction. Capturé la veille par une dizaine de Mangemorts, il avait déjà été torturé, bien que cela ne se vît pas – l'endoloris touchait uniquement les nerfs. Le supplicié était seul témoin de sa souffrance, opérant invisiblement dans son corps, encore qu'il était rare que la victime réussisse à réprimer des cris.
Aussi, quand deux sorciers vêtus de noir, encapuchonnés et masqués, entrèrent dans la pièce, qui se trouvait au sous-sol, Gwénolé crut sans doute qu'une nouvelle séance de torture l'attendait.
« Tu peux montrer ton visage », dit l'une des voix. « De toute façon, il n'en a plus pour longtemps. »
L'homme qui avait dit cela ôta son masque de Mangemort, puis rabattit son capuchon. C'était un jeune homme qui devait avoir dans les vingt ans. Ses cheveux étaient d'un blond pâle, lisses, tombant presque jusqu'à ses épaules. Dans la lumière des chandelles qui brûlaient sans feu, il ressemblait à un ange.
L'autre Mangemort imita son geste. Lui semblait légèrement plus jeune. Ses cheveux étaient aussi sombres que ceux de son comparse étaient clairs. Et ses yeux aussi noirs que ceux de son aîné étaient gris.
Gwénolé applaudit.
« Belle recrue, Lucius. Je te félicite. Tu as ruiné la vie de ce jeune homme. Bravo. »
« Toujours aussi insupportablement moralisateur », répliqua le jeune Lucius Malefoy. « Les talents de Severus ont été reconnus, et il a maintenant sa place auprès du plus grand mage noir de tous les temps. »
« Après Grindelwald », nuança Gwénolé. « Et Herpo l'Infâme. Et une demi-douzaine d'autres... »
« Ah ! Ils sont tous morts, ou emprisonnés. Mais le Seigneur des Ténèbres, lui, est vivant et libre. Et il est loin d'avoir accompli tous ses exploits. »
Gwénolé se tourna vers Severus Snape, braquant ses yeux bleus dans les siens.
« Cela fait longtemps, pas vrai Severus ? Trois ans... Tu te souviens de moi ? »
« Oui », répondit Severus. « Vous enquêtiez sur la mort d'Angus Russell, à Poudlard. En vous faisant passer pour des Médipsychomages. »
« C'est cela qui te tourmente encore, Severus ? Ça n'a pas l'air de le préoccuper, lui. »
Il montra Lucius du doigt.
« Qu'est-ce que vous insinuez ? » s'indigna Lucius.
« Oui... Je sais qui a tué Angus Russell », affirma Gwénolé. « A l'époque, je n'avais pas de preuves matérielles, malheureusement. Mais j'ai fini par comprendre ce qui s'était passé cette année-là. Est-ce que tu ne veux pas connaître la vérité, Severus ? A moins que tu la connaisses déjà, bien sûr, au fond de toi. »
Severus tressaillit.
« Mais commençons plutôt par faire le tour des suspects », dit l'Auror. « La première : la plus évidente. Bellatrix Black, maintenant Lestrange. Etait-ce la jeune Bellatrix ? »
« Elle haïssait Russell, je m'en souviens », dit Snape. « Elle s'était même félicitée de sa mort à plusieurs reprises. »
« Oui. Encore qu'elle ne l'ait pas dit en des termes si tranchés lors de notre rendez-vous avec elle. Mais, cependant, ce n'est pas elle qui l'a tué. »
« Pourquoi ? »
« L'une des raisons est que nous avions découvert... qu'il l'avait ensorcelée. Il l'avait ensorcelée pour qu'elle l'aime. »
« Comment ça ? » s'exclama Lucius, qui était demeuré cloîtré dans un silence ironique jusque là.
« Oui, une statuette vaudou... Nous l'avions trouvée dans un recoin du Manoir Russell. Une épingle fichée en plein cœur. Nous avions attendu d'en savoir plus avant de lever le sortilège. »
[voir fin du chapitre 13, « Innocents lutinages »]
« Mais pourquoi... » dit Severus.
« Oh, il devait être amoureux d'elle », dit-il en fixant des yeux Lucius Malefoy.
L'aristocrate détourna le regard.
« Cela dit, même amoureuse de lui, elle aurait pu le tuer. Un crime passionnel, comme disent les Moldus ? Néanmoins, lors de la mort de Russell, Bellatrix Black avait un alibi. Ce n'est pas elle qui a tué Angus Russell. »
« Si ce n'est pas elle... qui ? »
« Sa mère, elle, n'avait pas d'alibi », dit Gwénolé.
Severus s'immobilisa. Il se souvenait très bien de cette femme, dont la fille était presque la copie conforme en termes physiques. Elle lui avait donné la chair de poule, quand il l'avait croisée à la kermesse de l'école.
« Et si elle avait tué Russell... » dit Gwénolé « … parce qu'il y avait une relation entre eux ? »
« Il n'y avait aucune relation entre eux », répliqua Lucius.
« Comment peux-tu en être sûr ? » opposa le Breton.
« Russell était bizarre, quand nous l'avions vu dans la cheminée, le matin de Noël... » confirma Severus.
« Oui », approuva Gwénolé. « C'est un souvenir que j'avais collecté dans ton esprit. Tu avais reçu des rince-doigts parmi tes cadeaux de Noël, d'ailleurs. »
« Angus disait que sa mère... avait cru qu'il était son petit ami... Et qu'elle l'avait chassé ».
Le Grand Auror hocha la tête.
« Une femme cruelle et sadique, torturant sa propre fille... Nous la soupçonnions fortement d'avoir assassiné son premier mari, afin de pouvoir se remarier. »
« Alors, c'était vrai... » soupira Lucius.
« Vrai ? Nous n'en avions pas la preuve, hélas. Seulement un faisceau de présomptions. Si elle avait déjà tué son mari, pourquoi ne pas tuer le garçon qui risquait de déshonorer sa fille ou pire, lui faire faire un mariage en dessous de sa condition ? »
Le regard de l'héritier Malefoy se perdit dans le vague. Il marcha jusqu'à l'autre bout de la pièce, l'air songeur et impatient à la fois.
« Ou alors... » reprit Gwénolé. « Restons dans les parents d'élèves un peu dérangés. Celui qui tient le haut du pavé doit bien être Sigisbert Rosier... Le père d'Evan Rosier. »
Lucius se retourna brutalement.
« J'ai l'impression que Lucius sait de qui je parle... Un pervers homosexuel, porté sur les jeunes adolescents. Nous avions un gros dossier sur lui, il était surveillé... Pour de multiples raisons. Il avait accosté Angus Russell à Gringotts, pendant l'été 74. A l'époque, nous avons de nombreux indics à Gringotts. Moins aujourd'hui, hélas. La moitié nous a trahis. Mais nous avions su qu'il y avait eu contact entre Rosier et Russell. Cet homme de cinquante ans avait tenté de le séduire... Cela avait-il fonctionné ? Il connaissait bien plusieurs membres de sa famille, après tout. Et Russell... Angus Russell était désespéré à ce moment-là. »
Severus se souvint de ce que lui avait dit Roger Wilkes au sujet du carnet secret du père d'Evan, et ce même homme très courtois qu'il avait vu à la kermesse de l'école, réprimandant son fils pour avoir chanté des chansons anti-moldus.
Lucius Malefoy était très pâle.
« Alors, était-ce la mère de Bellatrix ? Ou le père d'Evan ? Ou bien... quelqu'un d'autre. Un professeur, par exemple ? »
« Mais qui ? » demanda Severus.
« Durant notre enquête à Poudlard, nous avons compris que votre professeur d'astronomie, et directrice de Serpentard, Mme Méliès, était un vampire. Dieu merci, à notre demande, Dumbledore a dû la licencier. Angus Russell s'amusait à constituer des dossiers sur ses professeurs, et même sur certains de ses camarades. Il était un peu paranoïaque. Certains attribueraient sans doute ce fait au décès précoce de son père, ou à son bizutage. Quoiqu'il en soit, il avait découvert que Mme Méliès n'était pas la jeune femme inoffensive qu'elle semblait être. C'était une créature magique. Pas la seule à Poudlard, d'ailleurs, mais cela, nous en reparlerons peut-être. »
« C'était elle ? » murmura Lucius. « Je lui avais dit que ce qu'il faisait était dangereux... »
« Il y a d'autres suspects », répondit Gwénolé. « Tu dis que Russell avait des activités dangereuses. Commercer avec des sorciers lybiens, en les roulant dans la farine, ou en tentant de le faire, en est une, je le pense. »
L'ancien Serpentard leva la tête, les sourcils froncés.
« Les Lybiens... Angus Russell les avait rencontrés en août 1974. Mais il a essayé de les escroquer. »
« Comment ça ? » demanda Severus.
Lucius lui avait raconté cet épisode, mais dans les très grandes lignes. Il lui avait dit que Russell avait eu des problèmes avec un crabe géant dans un royaume sous-marin, qui l'avait enfermé dans une coquille, puis plus tard avec des marchands lybiens.
« Disons qu'il leur a donné une contrefaçon de paiement. Et ces sorciers-là supporteraient difficilement d'être roués. »
« Venez-en au but ! » s'exclama alors Lucius. « Que nous entendions enfin votre théorie stupide... »
« Quelle impatience, jeune homme ! Vous avez attendu vingt trois ans... Vous pouvez bien attendre encore quelques minutes. Moi, j'aime bien cette théorie, en tout cas. Les pittoresques Lybiens retrouvent la trace de Russell, et ils débarquent chez lui, une nuit de janvier. Décidés à se venger. Ou à récupérer leur bien. Mais... eux aussi avaient trompé le jeune homme – ou plutôt la jeune femme, car il s'était travesti, et ce n'était pas la première fois qu'il le faisait. Les sorciers lybiens ne lui avaient pas donné l'artefact qu'il recherchait, seulement une contrefaçon. Nous les avions interrogés, plus tard. L'affaire les avait fait rire de bon cœur. Donc, out les Lybiens ! »
« Mais, alors, qui était-ce ? » demanda Severus.
« Allons », fit l'Auror. « Pas trop vite, Severus. Il y avait aussi... Abraxas Malefoy. »
Lucius s'immobilisa.
« Oui, ton père, Lucius... Il aurait eu un mobile... A. O. Russell, le bon élève certes noble mais pauvre, qui se mettait en travers du chemin de son fils unique. Quoique, cela n'aurait guère été une raison suffisante, il aurait fallu quelque chose d'autre. Quelque chose de bien plus grave. »
Gwénolé eut un rire étrange.
« Mais, en réalité, ce n'était aucun d'entre eux », affirma l'Auror avec force. « Aucun de ceux dont j'ai fait la liste. Alors il n'en reste plus qu'un, je crois... Un seul suspect... Toi, Lucius. »
« Moi ? Tuer Angus ? C'est une idée totalement absurde », dit Lucius d'un ton à la fois méprisant et agacé. « Je n'avais aucune raison de le faire. Jamais je ne lui aurais fait de mal. »
« Pourquoi Lucius ? Pourquoi tu ne lui aurais jamais fait de mal ? » demanda Gwénolé.
Lucius plissa les yeux comme involontairement.
« Parce que tu l'aimais... » répondit l'Auror à sa place.
La main de Lucius se crispa sur le pommeau de sa canne.
« Et tu l'aimes toujours, manifestement. Même s'il est mort. »
La poitrine comme invisiblement écrasée, Severus regarda Lucius, dont le visage était maintenant impassible.
« Mais ce n'était pas un amour égoïste qui mène à la destruction de l'être aimé », poursuivit Gwénolé. « C'est pour cela que tu n'aurais jamais pu le tuer. Et contrairement à Bellatrix, tu n'avais pas été victime d'un mauvais sort. Tu aimais Angus, depuis des années... Tu étais fou amoureux de lui. Angustus Russell le Bizarre, Angus le boiteux aux gènes d'ondin ! Ta fée n'était pas Narcissa... Ce n'est pas elle que tu aimais. »
Severus écarquilla les yeux, revoyant Lucius dire « Je l'aime », en regardant Narcissa et en lui tendant la carte écrite par Angus. Il croyait à ce moment-là qu'il parlait de la petite fée, mais il parlait en réalité de celui qui lui avait envoyée. Comme si une pensée s'était alors échappée de sa tête, involontairement.
Je l'aime...
Et à chaque fois que Severus lui avait rappelé qu'il avait dit clairement aimer Narcissa, Lucius avait répondu ne pas se souvenir l'avoir dit. Et il ne mentait pas alors. Il n'avait jamais dit cela, en effet. Il ne l'avait même jamais pensé. Tout ce temps-là, ses pensées n'avaient été tournées que vers une seule personne.
« Non seulement tu n'aurais jamais pu le tuer, mais tu aurais même été prêt à mourir pour le sauver. Mais malheureusement pour toi, tu n'en as pas eu l'occasion. »
Malefoy détourna le regard, avec comme une sorte de tristesse rentrée, la même qu'en ces jours de 1975.
« Lui avais-tu dit au moins, Lucius ? » reprit Gwénolé. « Lui avais-tu dit que tu l'aimais, avant qu'il meurt ? »
« Tout cela est vraiment ridicule... » dit le jeune Mangemort.
« Oui », poursuivit l'Auror. « Je pense que tu lui avais dit. Probablement le soir de son anniversaire. Car lorsque je l'avais interrogé, Alan Jodorowsky avait raconté certaines choses qui avaient éveillé mes soupçons. »
Lucius resta silencieux.
« Mais récapitulons », dit Gwénolé. « L'assassin d'Angus Russell n'était ni Bellatrix, ni sa mère, ni Sigisbert Rosier, ni Mme Méliès, le vampire, ni les Lybiens... ni Lucius Malefoy. Dans ce cas, qui était-ce ? »
Severus regarda Lucius. Ce dernier semblait aussi perdu que lui.
« Je n'en sais rien », répondit sèchement le jeune Mangemort. « Dites-le moi, puisque vous semblez tout savoir. »
Derrière les barreaux de sa cellule, l'Auror baissa la tête et secoua la tête de droite à gauche.
« Tu dois bien avoir quelques soupçons, non ? L'un de tes nouveaux... 'collègues', ne t'a pas mis au parfum ? Et quant à toi Severus, je n'ai pas besoin de te dire ce qui s'est passé cette année-là. Car au fond de toi, tu le sais déjà. »
Snape sentit à nouveau cette impression de malaise, ce mal de mer qu'il avait ressenti de si nombreuses fois en 1975. L'Auror semblait être redevenu Médipsychomage. Il l'invitait à lever les barrages de son âme.
« Dis-le, Severus. »
Le jeune homme joignit les mains douloureusement.
« Dis-le. »
Il ferma les yeux. Le canard-lapin d'Alan Jodorowsky... Une image, regardée dans le mauvais sens. Une suite d'événements, montrés sous une perspective erronnée. Une illusion d'optique.
« Narcissa... Narcissa... » commença Severus.
« Vas-y... Dis-le. »
« C'est Angus Russell qui avait enlevé Narcissa, il ne l'avait pas sauvée. C'était un mensonge. Il l'a enlevée pour avoir la Perle, et pouvoir fabriquer la Potion de Gloire pour l'offrir au Seigneur des Ténèbres. Angus n'était pas la victime, mais le coupable. Le coupable de l'enlèvement de Narcissa. »
Lucius baissa les yeux.
« Il est de coutume pour les fées d'offrir un présent à ceux de l'espèce humaine qui leur ont rendu service », poursuivit Snape, en fixant Lucius de son regard noir et profond. « C'est une coutume à laquelle on ne peut pas déroger. Enlever Narcissa était la seule manière d'accéder au Royaume des Fées de Bretagne, où même les elfes de maison ne peuvent transplaner, et de pouvoir entrer dans la salle du trésor, où se trouvait la Perle du Monde. Russell ne t'avait pas mis dans la confidence, sans doute pour te protéger, mais il t'avait mis sur la voie, dans son message envoyé avec l'urne... 'Si tu tiens à la beauté de ce pur joyau.' Le joyau en question était la Perle, non la petite fée, comme je l'avais cru alors. »
« Bien, Severus », approuva Gwénolé.
« Et si Lucius est brutalement venu vers moi cette année-là, alors qu'il m'ignorait auparavant, c'est parce que Russell lui avait demandé. Il pensait avoir besoin de moi pour réaliser leur potion. D'ailleurs, je m'en souviens encore très bien, car cela m'avait intrigué... Quand Russell m'avait vu discuter avec Lucius, il ne nous avait ni regardés ni adressé la parole, parce qu'il savait très bien pourquoi Lucius me parlait. Pour eux, je n'étais qu'un gamin. Un gamin qui pouvait leur être utile. »
« Et les rince-doigts reçus en cadeau de noël ? » ajouta Gwénolé.
« C'est Russell qui les avait envoyés à Lucius », dit amèrement Severus. « ...C'était une moquerie. Pour lui dire de se nettoyer les mains après m'avoir touché les cheveux. »
« Je lui ai dit que c'était cruel », se défendit Lucius. « Surtout étant donné ce que lui avait subi quand il était plus jeune... Mais il était... »
« Jaloux ? » compléta Gwénolé. « C'est pour cela que lors de son apparition dans la cheminée, ce matin de Noël-là, il vous a raconté cette histoire au sujet de Bellatrix. Et il avait insisté sur le mot 'petit ami'. Quand j'ai vu ce souvenir dans l'esprit de Severus, je me suis demandé si ce n'était pas une manière de te rappeler quelque chose, Lucius. 'N'oublie pas qui est ton petit ami'. Car il n'aimait pas Bellatrix en réalité. »
Lucius leva légèrement la tête.
« Toi comme Russell aviez lu tous les livres qui étaient dans les bibliothèques de vos parents », poursuivit Gwénolé. « Car pour un enfant chétif et malade, la lecture est le seul moyen d'évasion. Vous êtes devenus amis, quand vous aviez onze ans. Inséparables, et passionnés par la magie, toute la magie, même la plus sombre. On te respectait pour ton titre et ton argent, mais tu n'étais pas populaire. Angus était ton seul ami. »
Une lueur apparut sur les yeux gris et froids du Sang-Pur.
« Cependant, les années passèrent, Russell fut opéré de la jambe, il s'intéressa aux Moldus, se fit de nouveaux amis, et toi, tu changeais de constitution, devenant un joueur de Quidditch en pleine santé. Ta mère te fit même réparer les yeux chez un spécialiste, et tu guéris de ton asthme. Vous n'étiez plus les laissés pour compte de jadis, mais vous vous étiez aussi éloignés l'un de l'autre. Lorsqu'Angus est mort, cela ne faisait pas longtemps que vous vous étiez... déclarés l'un l'autre. Deux mois ? Vous vous étiez disputés au mois d'octobre, une nouvelle fois je pense parce que les intérêts d'Angus divergeaient de plus en plus des tiens, toi qui méprisais tout ce qui avait rapport aux Moldus. Ta plus grande terreur était que ton meilleur et seul véritable ami t'abandonne définitivement pour ses nouvelles fréquentations. Mais votre intérêt pour la magie noire était cependant toujours le même. Angus t'a révélé ses penchants,et qu'il avait une relation avec le père d'Evan Rosier, un Mangemort en réalité, un très vieil ami de Voldemort, raison principale pour laquelle nous le surveillions lui et tous ceux qui le fréquentaient, bien que nous n'étions pas certains de l'identité de Voldemort, alors. Russell s'est vanté de cette relation auprès de toi, et toi tu ne l'as pas supporté, dévoré par tes sentiments conflictuels, la jalousie, la peur, le dégoût, la colère... A ce moment-là vous avez rompu votre amitié, et tout cela t'a fait plonger dans une grande dépression. Des camarades t'ont vu vomir dans les toilettes. Parce que, sous tes apparences froides, tu étais un adolescent extrêmement sensible. Trop sensible. »
C'était donc...
Snape revit Lucius vomir dans les toilettes, les yeux mouillés.
« L'idée qu'il ait fait ça avec ce monstre... » confessa Lucius. « Et que je le perde... Mais il m'a avoué plus tard qu'il m'avait menti, dans le seul but de voir si j'étais jaloux. »
« Non », répliqua Gwénolé. « Il l'a vraiment fait, mais ensuite il s'est jeté un sort d'Oubliettes partiel. Ça n'avait pas dû lui plaire au final. »
Le regard de Lucius devint fixe.
« Vous utilisiez Alexandre Avery comme intermédiaire pour communiquer entre vous. Alexandre Avery, que Russell appelait toujours par son nom de famille, car il ne lui avait jamais pardonné de l'avoir bizuté pendant sa première année à Poudlard. Il s'est d'ailleurs vengé de ses anciens persécuteurs en quatrième année, par de cruelles farces, et ironiquement, c'est toi qui avais été soupçonné. Fabian Prewett, qui était Préfet-en-chef à l'époque, et Auror aujourd'hui, se doutait de quelque chose cependant, il ne pensait pas que cela venait de toi, que tu avais 'jeté le mauvais œil' sur tes camarades. »
Lucius demeurait silencieux et immobile.
« Et les bagues, Severus ? » dit Gwénolé.
« Lucius a huit bagues, les bagues creuses dont Macnair me rebattait les oreilles, et sa chevalière. Cela fait donc sept bagues creuses. Pourquoi sept ? J'ai longtemps réfléchi, mais je n'ai compris que ce jour de juin lors duquel tu t'étais énervé contre moi, Lucius. Car j'étais allé dans la salle commune, et j'avais à nouveau regardé les anciennes photographies qui étaient accrochées là. Et j'avais discuté avec Parkinson et Sanchez. A l'époque, je l'avais compris d'un coup, comme une fulgurance, mais je n'en étais pas sûr, tant cela semblait à la fois évident et invraisemblable. Mais j'en suis certain à présent. Je sentais que la piste commençait sur le bout de mes doigts. Le matin de décembre... avant les vacances de Noël, j'avais rencontré Angus, il était assis en pyjama dans un fauteuil. J'avais remarqué alors qu'il portait de nombreuses bagues en argent. Je les ai revues par la suite sur les photographies. Il y avait deux chevalières, les autres étaient des anneaux simples. Sept anneaux également, comme Lucius. Mais celles de Lucius étaient des bagues de piètre qualité, détail incompréhensible. »
Gwénolé hocha la tête tristement.
« La vérité se trouve toujours dans ce genre de petites incohérences. Erwin disait souvent cela... »
« Oui... Il devait y avoir une explication. Pourquoi Lucius portait des bijoux qui ne correspondaient pas à son niveau de fortune ? Tout simplement parce qu'ils avaient été offerts par quelqu'un de désargenté, quelqu'un à qui il tenait beaucoup. A l'inverse, les anneaux de Russell étaient en argent. Ce n'était pas logique. C'était donc qu'ils venaient de quelqu'un qui avait les moyens de les acheter. Lucius Malefoy. »
Gwénolé sourit.
« Mais pourquoi sept, maintenant ? » poursuivit Severus. « C'était si simple en réalité, si évident... J'avais la solution sur moi... Sur mon uniforme. Sept... comme les sept années de scolarité à Poudlard. Une par année. Vous vous en offriez une par an. Et sur les photographies qu'on voyait dans la salle commune de Poudlard... Quelque chose me titillait. En fait, chaque année, toi et Russell aviez un peu plus de bagues aux doigts. Chaque année, tu lui donnais un anneau en argent, il te donnait une bague de pacotille. Parce qu'il était trop pauvre pour acheter plus, mais sans doute que ça ne te dérangeait pas... »
« Amis pour toujours, hein ? » dit Gwénolé. « Mais revenons en 1974. Vous aviez donc rompu votre amitié depuis un mois, et tu étais au plus mal. Puis Angus t'a tout de même invité pour sa fête d'anniversaire, à Hogsmeade, début novembre. C'était pour ses dix-sept ans, sa majorité. Vous avez discuté dehors, d'après Alan Jodorowsky. Angus a fini par t'avouer que bien que tu sois un garçon comme lui, il était amoureux de toi... Depuis longtemps. Tu as d'abord été choqué, je pense, puis... »
« Est-on obligé de tout raconter en détails ? » s'agaça Lucius.
Cela, je m'en doutais aussi, sans vouloir me l'avouer clairement, pensa Snape. Mais pourquoi est-ce que cela me rend aussi malheureux ? Et en même temps, pourquoi est-ce que je ressens un tel soulagement ?
« D'après Alan Jodorowsky, tu avais un sourire irrépressible en revenant de cette entrevue, et il a affirmé que tu étais le genre de personne qui ne souriait jamais », poursuivit Gwénolé. « Angus aussi paraissait très enjoué. D'ailleurs, les autres élèves disaient ne pas comprendre qu'Angus se soit suicidé, parce que dans les semaines qui avaient précédé sa mort, il semblait très heureux, en tout cas la plupart du temps. Il était joyeux parce qu'il vivait enfin son amour avec toi. »
Toi aussi Lucius, tu souriais alors, songea Severus. Et je croyais que ces sourires heureux m'étaient destinés. J'étais si bête, si naïf...
Mais maintenant, je veux connaître toute la vérité.
« Vous avez dit que Russell s'était obliviaté lui-même », dit Severus, « après sa relation avec Rosier Père. Mais qui avait obliviaté la mère de Russell ? »
« Russell lui-même », répondit Gwénolé. « Après avoir brûlé sa cabane et fait disparaître un certain nombre de ses livres. Quand il a vu que nous étions là, car nous avions fait apparaître la Marque des Ténèbres au-dessus du Manoir, il a paniqué. Nous étions passés par la cheminée... »
« La cheminée... »
« Oui, Severus. Si les meurtriers d'Angus étaient passés par la cheminée, le Ministère aurait pu les localiser. Si ce n'était pas le cas, c'était nécessairement le Ministère qui était passé par la cheminée. Tout était sous tes yeux, mais tu n'as pas voulu voir. »
Soudain, le regard de Lucius s'écarquilla d'espoir, un espoir fou. Et cette expression dans ses yeux fut un nouveau coup de poignard dans le cœur de son cadet.
« Est-ce qu'il est en vie ? » demanda Lucius. « Vous l'avez emmené à Azkaban ? »
Gwénolé hocha la tête.
« Libère-moi, et je t'amènerai à lui. Je pourrai même le faire sortir de prison. Vous pourrez faire ce qu'il t'avait sans doute proposé naguère. Vous enfuir et disparaître dans le monde moldu. Vivre ensemble sans se soucier des guerres entre sorciers. Cela ne me pose pas de problème, si tu abandonnes tes activités actuelles. Tu l'avais refusé à l'époque, mais ne l'as-tu pas regretté ensuite ? »
Quelques longs instants s'écoulèrent dans le silence. L'expression du visage de Lucius était indescriptible. Quant à Gwénolé, ses doigts étaient posés sur ses tempes, comme s'il réfléchissait, ou hésitait.
Soudain, Severus fit quelques pas en avant, fixant le Grand Auror du regard.
« Il ment Lucius », déclara-t-il alors. « C'est lui qui l'a tué. »
« Qu'est-ce que tu dis ?! » s'exclama Malfoy.
« J'ai vu dans l'expression de son visage qu'il mentait. Et maintenant, je le vois dans son esprit. »
« Tu es devenu un redoutable legilimens, Severus. »
« Ils sont venus à plusieurs », expliqua Snape. « Ils voulaient l'arrêter vivant, mais Angus a résisté et leur a envoyé un impardonnable. Alors Gwénolé l'a tué. »
Lucius s'effondra complètement sur ses jambes, se prenant la tête dans les mains.
« Ils ont prétendu qu'il s'était suicidé pour pouvoir mener leur enquête à Poudlard », ajouta Severus, « craignant la mise en place d'un réseau de Mangemorts, et te soupçonnant toi, Lucius. Ils pensaient que Narcissa était morte, et ne comprenaient pas la raison de son enlèvement, à ce moment-là. »
« Je ne voulais pas le tuer », expliqua Gwénolé. « Mais je n'avais pas le choix. De toute façon, c'était un être mauvais. Il n'avait que dix-sept ans, et il avait déjà mal tourné. Nous n'avions pas besoin d'un autre mage noir à la botte de Voldemort, ou pire, fondant sa propre secte. Et il avait du sang de nixe. C'était un monstre sans empathie. Il a ensorcelé Bellatrix Black pour qu'elle tombe amoureuse de lui, dans le seul but de la détourner de toi, Lucius. Il a ensuite kidnappé et enfermé Narcissa Black pendant un mois. Il ne mérite aucune bienveillance. »
« Ce n'était sans doute pas prévu qu'elle reste enfermée aussi longtemps... » opposa Lucius.
« Tu vois », dit Gwénolé. « S'il ne t'avait pas révélé son plan, c'est parce qu'il savait que tu serais contre. Parce qu'en dépit des apparences, tu avais beaucoup plus de sens moral que lui. D'ailleurs, tu n'étais pas quelqu'un de mauvais à l'origine. Tu étais un enfant innocent, malade et sensible, enfermé dans un monde trop petit. Mais il t'a corrompu avec ses idées noires, comme le diable avait corrompu la jeune Dahud dans la ville d'Ys. »
Ys... Severus se souvint brutalement de son théâtre d'ombres à la kermesse de l'école. A l'époque, il avait cru que le "diable" du spectacle de marionnettes tenant un serpent représentait Lucius... Jamais il ne serait douté qu'il s'agissait d'Angus.
« Vous ne le connaissiez pas. Il n'était pas ce que vous dites, et il ne m'a pas corrompu. »
« Libre à toi de t'illusionner. Nous avons son portrait dans les archives du Ministère. Nous l'avions beaucoup interrogé, et il a beaucoup parlé, mais n'a pas vraiment dit ce que nous voulions savoir. Après tout, lui aussi portait le tatouage d'occlumancie que vous vous étiez fait réciproquement. Mais tu ne le trouveras jamais sans mon aide, ce portrait. »
« Lucius », intervint Severus, « tu ne vas pas tous nous trahir seulement pour récupérer un tableau ? »
L'aristocrate eut alors un petit rire étranglé.
« Bien sûr que non, Severus. »
Puis il se tourna vers Gwénolé.
« Le Seigneur des Ténèbres m'a promis qu'il m'aiderait à le ramener à la vie. Et nous avons notre réseau au Ministère. Nous n'avons pas besoin de toi pour retrouver ce tableau. Voldemort m'a donné l'autorisation d'en finir si tu présentais une menace. De toute façon, nous ne pouvons pas prendre le risque que tu t'échappes. »
Il sortit sa baguette de sa canne, et la tendit vers Gwénolé, dont le visage était sans peur.
« Avada Kedavra.»
Il y eut un flash de lumière verte, et le chef des Aurors, qui avait débuté sa vie en perdant ses parents tués par les partisans de Grindelwald, cessa d'exister.
Severus Snape détourna la tête, sentant des larmes poindre à ses yeux.
Juin 1975.
Ah ! La solution... La clef de l'énigme... Dans cette journée de début d'été, le jeune Severus la sentait toute proche. Et pourtant, elle se dérobait à lui. Il l'avait littéralement sur le bout des doigts... sur lui. Il l'avait sur lui. Mais comment ?
Petrus Parkinson et Gabriel Sanchez étaient assis sur le canapé en peau de crocodile, et ils le regardaient avec un air amusé.
Le travail d'équipe, voilà la solution.
« Que signifie le O. dans Angus O. Russell ? » demanda distraitement Severus, le regard parcourant toujours les panneaux que le défunt préfet avait fait installer à titre posthume.
« Odysseus, ou Octave, je ne sais plus trop... » dit Sanchez. « Ils l'ont dit à son enterrement. »
« Demande à Lucius, c'est un expert en russellologie », ricana Parkinson.
« C'est vrai qu'il semble savoir beaucoup de choses au sujet de Russell... bien qu'ils se détestaient tous les deux. »
« Qui t'a dit ça ? » dit Parkinson.
« Macnair... »
« L'autre abruti alcoolique ? Il est venu nous voir, mais il a été déçu parce qu'il a appris, apparemment. »
« C'est vrai qu'ils se disputaient souvent », dit Parkinson, « mais sinon, ils ont toujours été comme cul et chemise. »
« Comme... quoi ? »
« Oh, l'image n'est peut-être pas la meilleure », corrigea Sanchez. « Plutôt comme les deux faces d'une même pièce. Très différents l'un de l'autre, mais comme unis par une même chose, par une même volonté. »
« Une hydre à deux têtes », tenta Parkinson. « Ils sont rapidement devenus amis après leur arrivée à Poudlard. Il faut dire que Lucius était le seul à ne pas s'en prendre à lui à l'époque. Depuis ils sont – ou plutôt ils étaient – inséparables. Et, c'était bizarre... Comme s'ils étaient reliés... Synchronisés... »
« L'un faisait quelque chose, l'autre quelque chose d'autre comme en écho. Angustus était l'élève modèle, Lucius le vilain aristocrate extrémiste. Chacun jouait son rôle. Ils se sont même mis d'accord pour manipuler Agni afin qu'ils leur fasse faire leur magistère de potion ensemble, parce qu'ils ne voulaient pas être séparés. Les gens ont cru qu'Agni avait forcé Lucius à se mettre en binôme avec Angus, alors que c'est ce qu'ils voulaient depuis le début. »
« Et en même temps ils passaient leur temps à se chamailler, surtout depuis la cinquième année. Mais dès qu'Angus le sifflait, Lucius finissait toujours par accourir à la niche, comme un gentil petit chien. »
« Ouaf ! »
Sans vraiment savoir pourquoi, Severus sentit les larmes lui monter aux yeux.
« Tu vas bien ? »
« Oui... »
Le garçon en bleu de la bibliothèque, demandant des livres interdits... Il avait compris plus tard que c'était Russell, mais il n'avait pas voulu en saisir toutes les implications.
'J'en connais un autre', répéta la voix de Lucius dans sa tête, 'le plus grand soutireur de livres qui ait jamais existé.'
« Ah, ça y'est, ça me revient... » dit alors Sanchez. « C'était Octavius, son deuxième prénom. C'étaient des sortes de fanatiques de la Rome antique, dans sa famille. »
« Les Russell ? »
« Non, la famille de sa mère, les Mulciber. C'est étrange comme on ne parle presque jamais des mères, pas vrai ? D'ailleurs, comme la famille de Jules César prétendait descendre de Vénus, les Mulciber prétendent descendre du dieu Vulcain. D'où leur nom... Mulciber, l'épithète du dieu Vulcain. »
« Vulcain... Héphaistos, vous voulez dire ? »
« Oui, c'est le même dieu. Alors quand on se moquait de sa jambe trop courte, Angus répliquait qu'il boitait comme le dieu Vulcain son ancêtre. Il estimait toujours qu'on lui parlait mal, ce prétentieux, avec sa canne à tête de serpent. 'Mon oncle en entendra parler !' Mais personne ne l'a jamais vu, son oncle. Quoique, c'est peut-être pour ça que Nott a arrêté de s'en prendre à lui, à un moment... Mulciber Senior a peut-être envoyé quelques hiboux. »
Severus se souvint alors du double emblème sur les affaires de Russell : un triton tenant un trident, mais aussi un marteau et une enclume.
Poussé par une intuition, il se mit en quête de trouver Roger Wilkes. Il croisa des Serpentard qui revenaient de l'extérieur, et qui discutaient vivement au sujet d'un élève qui avait apparemment été amené à l'infirmerie, suite à une crise pénible à voir. Puis il avisa Wilkes, occupé à reposer une boîte de jeux sur une étagère.
« Quand tu avais dit que le père de Rosier avait nommé Russell autrement sur son carnet... Tu te souviens comment ? »
« Ah, oui, je m'en souviens. Il y avait écrit Mulciber. Mulciber le Jeune. »
à suivre
"Snape a toujours été fasciné par la magie noire, il était réputé pour ça quand il faisait ses études. Un type répugnant, avec ses airs doucereux et ses cheveux gras. Quand il est arrivé à l’école, il connaissait plus de sortilèges que les élèves de septième année et il faisait partie d’une bande de Serpentard qui sont presque tous devenus des Mangemorts."
Sirius Black, dans La Coupe de Feu.
We skipped the light fandango
Turned cartwheels 'cross the floor
I was feeling kinda seasick
But the crowd called out for more
The room was humming harder
As the ceiling flew away
When we called out for another drink
The waiter brought a tray
And so it was later
As the miller told his tale
That her face at first just ghostly
Turned a whiter shade of pale
She said, "There is no reason
And the truth is plain to see"
But I wandered through my playing cards
Would not let her be
One of sixteen vestal virgins
We're leaving for the coast
And although my eyes were open
They might have just as well been closed
And so it was that later
As the miller told his tale
That her face at first just ghostly
Turned a whiter shade of pale
A whiter shade of pale (Procol Harum)