
Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose ;La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur;
Mais battue, ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes.Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort, ton corps ne soit que roses.
— Amours (1560), de Pierre Ronsard.
***
Irulan avait compté ; sur Kaitan, le mois de mai était arrivé. Le printemps transfigurait toujours la capitale impériale. Dans les jardins publics, les bourgeons éclosaient sur les haies et les buissons. À sa périphérie, les champs de fleurs en l'honneur de l'ex-empereur son père florissaient en une multitude de couleurs. Les bulbes les plus délicats et onéreux, des fleurs les plus belles de l'univers connu étaient plantés là. Une fantaisie des nuances les plus rares et fantasmagoriques.
Sur Arrakis, les saisons passaient indifféremment. Les jours coulaient l'un après l'autre, au rythme du vent déplaçant les dunes de sable. La nuit, de temps en temps, chassait le soleil et recouvrait de son manteau glacial le désert.
Ce mois-ci, la princesse avait désiré revoir sa saison préférée. Les Fremens avait poussé de grands cris d'orfraie, à l'idée cette eau versée pour des plantes fluettes. Irulan s'en moquait. Selon le décret de l'empereur son mari, l'eau de la jeune rose lui appartenait. Mille frères pouvaient bien être sacrifiés sur l'autel de la grâce et l'amour.
Dans le mausolée immaculé, on avait placé d'abord dans l'antichambre les émissaires de la flamme amoureuse. Les roses rouges étaient arrivées en premier. Élevées sur Eden, une de ces planètes paradisiaques, elles n'avaient connu que le soleil rayonnant, l'eau douce tirée des ruisseaux, et le soin de leurs maîtres.
À côté d'elle, les tulipes et les camélias rouges s'épanouissaient avec leurs sœurs. Pétales après pétales, l'amour se prélassait, avant de faire éclater toute sa passion ; prête à s'énamourer plus encore de sa dulcinée.
Dans le corridor, on avait suspendues des ancolies. La tête baissée, elles pleuraient le silence qui ne se faisait entendre que trop fort. Leurs mélancolies retombaient sur les visiteurs au moment de leur recueillement. Leurs compagnes, les lys blancs, pleinement épanouies, demeuraient obstinément les yeux vers les cieux. Elles continuaient de sourire.
Ici, les cœurs de pierre craquelaient. Les Fremens se taisaient pour laisser les parterres parler. Leurs chants silencieux résonnaient dans le mausolée, les seuls thrènes auxquels la jeune femme eut droit.
Au terme de ce chemin de croix, on avait érigé au-dessus de sa dernière chambre un plafond de verre, pour couvrir son corps de lumière. Aux parois, des oiseaux de paradis étaient accrochés, étendant sur les vivants leurs couleurs vives. À la racine, les tournesols suivaient la course de l'astre solaire, impatients de le revoir illuminer leur protégée.
Plus une parcelle du linceul cousu de la main de la Princesse n'était visible. Mille fleurs avait été déposé par les cœurs qui avait connue et reconnue la belle.
L'empereur apporta un lys marin, une fleur défiant le vent océanique du haut des falaises de Caladan. À l'aune du deuxième mois de l'année autochtone, les jeunes garçons se risquaient au bord du précipice pour déclarer leur amour avec cette preuve de courage. À sa fin, les fleurs offertes retombaient sur la sépulture, en guise de témoignages éternels.
Sa sœur, la matrice du paradis, y cueillit quelques trésors. D'Éden, une centaine de chrysanthèmes blanches recouvraient désormais ses pieds. Les plus belles fleurs pour l'accompagner là où les anges la ramèneraient. Une pétale pour chaque parole d'amour prononcée du bout de ses lèvres, disait-elle.
Au milieu de la flore, la concubine de l'empereur offrit un vase de céramique jaune, orné des plus beaux motifs du désert, et rempli d'eau. Puisque qu'aucun des rites de son foyer natal n'aurait pu être observés, nulle funéraille ne fut tenue. Voici donc, annonça-t-elle, les larmes qu'elle aurait versé si une cérémonie fremen avait été organisé pour la dépouille de la jeune rose. Pour lui avoir appris comment sonnait le rire des jeunes femmes ailleurs ; une leçon de vie.
Irulan plaça les dernières gerbes. Tout autour du linceul, les tulipes noires, symbole de cette marque apposée au fer rouge par la Parque sur son cœur. Deux tulipes diaprées de rose et de rouge, posées là où ses yeux ne contemplaient le soleil engloutissant le désert.
Les roses bleues, création tleilaxue, surgissant de l'imagination amoureuse, parsemaient la pièce de leur éclat. Leurs pétales comptaient du bout des lèvres les rêves humains qui n'avaient pas survécus à l'aube. C'était le seul moyen d'apporter au mausolée cette nuance si particulière qui baignait dans son iris.
Entre elles, les camélias blancs apportaient leur. contraste, en souriant doucement à cette lueur d'innocence qui avait vacillé au petit matin. Un dernier crépuscule, avant d'être battue de violents orages.
Sur Kaitan, Irulan n'avait connu que quelques orages à peine. Les météorologues menaient le climat du bout du doigt. Mais parfois, quand l'empereur s'ennuyait, il ordonnait que le temps rime avec son humeur. Mille nuages s'amassaient à l'horizon. L'environnement s'assombrissait, jusqu'à ce que le tonnerre crève.
Le foudre frappait. L'éclair illuminait le ciel. Le tonnerre fracassait l'air. Et le chaos s'ensuivait.
Arrakis n'avait plus connu d'orages depuis des millénaires et des millénaires.
Son dernier cadeau fut les roses blanches d'Alkalin, son monde natal. Blafarde comme son teint de lune, pâle comme ses lèvres pleines de mots d'amours et ses iris pleines de promesses, opaque et pur comme son cœur, dont la clef restait dans sa main. Frêle comme son enveloppe charnelle, qui avait emporté son rire avec elle. Un dernier présent, afin que vif et mort, son corps ne soit que roses.